Alphonse Maeder. De la psychanalyse à la psychosynthèse. Article paru dans l’Encéphale, Journal mensuel de neurologie et de psychiatrie. Vingt-et-unième année. Paris, H. Delarue. n°8,1926, pp. 577-589.
Alphonse Maeder est né le 11 septembre 1882 à La-Chaux-de-Fonds, en Suisse romande et mort le 17 janvier 1971 à Zurich, en Suisse alémanique. Psychothérapeute et médecin psychiatre, très proche de S. Freux, il est chargé de traduite et rendre compte, des avancées de la psychanalyse. Egalement très proche de E. Jung, il se séparera de Freud en 1913, après que Freud lui eu reproché l’eut critiqué dans son interprétation « mystique » de l’interprétation des rêves.
Plusieurs contributions dont deux importantes que nous mettrons en ligne sur notre site :
Freud et la psychanalyse des névroses.
La langue d’un aliéné. in « L’Encéphale », (Paris), 1910, pp. 208-216. [en ligne sur notre site]
Essai d’interprétation de quelques rêves. in « Archives de psychologie », (Genève), vol. 6, 1907, pp. 354-375.
Sur le mouvement psychanalytique. Un point de vue nouveau en psychologie. in « L’Année psychologique », (Paris), vol. 18, n°1, 1911, pp. 389-418. [en ligne sur notre site]
Ue voie nouvelle en psychologie. Freud et son école. in »Coenobim », (Milan, Lugano),n°3, janvier 1909,
TRAVAUX ORIGINAUX
DE LA PSYCHANALYSE A LA PSYCHOSYNTHÈSE
PAR
A. MAEDER (de Zurich)
Au commencement du vingtième siècle, S. Freud, ancien élève de Charcot, condisciple de P. Janet, traducteur allemand de Bernheim (de Nancy), devient le protagoniste d’un esprit nouveau en psychologie. Par une méthode d’analyse qui lui permit de pénétrer à l’état de veille dans les profondeurs de l’inconscient, il réussit à dépister les poussées instinctives et émotionnelles et à traduire en langage rationnel les rêves, délires et autres manifestations spontanées du psychisme. Un véritable renouvellement de la psychopathologie en résulta. Vue d’aujourd’hui cette transformation nous apparaît comme l’expression naturelle de la mentalité de l’époque. Avec Freud c’est l’instinct qui réintègre le domaine de la psychologie, le point de vue fonctionnel et dynamique qui passe en premier plan, l’orientation causale de la recherche et l’intérêt génétique qui, prédominent, comme en biologie moderne. La psychologie, telle qu’elle est comprise par Freud et son école, est réduite à une science naturelle d’orientation évolutionniste darwinienne. Elle apporte une nouvelle connaissance des influences de l’ambiance sur l’individu, d’autant plus précieuse que l’on avait exagéré l’importance de l’hérédité comme facteur étiologique des psychonévroses et de son développement psychique. Elle montre l’importance des chocs moraux et autres expériences d’ordre émotif dans la première enfance et ouvre la voie à une nouvelle thérapeutique qui tend à délivrer la psyché de ses troubles fonctionnels et acquis. Insensiblement, au cours de ce premier quart de siècle, la psychanalyse a débordé le cadre d’une discipline psychologique et médicale ; elle est devenue un mouvement (le freudisme) qui cherche à étendre son influence sur tous les domaines de la pensée et de l’activité humaines (psychologie collective, sociologie, mythologie, philosophie, théologie, pédagogie, critique littéraire et artistique, arts et lettres). Une grande école internationale s’est groupée autour du chef, qui a fini par prendre, sans que ses membres s’en rendent bien compte (même pour les psychanalystes, il y a des choses qui restent inconscientes) le caractère d’un organisme social, à allures dogmatiques, en tout point comparable à l’évolutionnisme dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Le freudisme n’est plus seulement une méthode et une psychologie nouvelle, mais encore une attitude philosophique, une conception de la vie.
La psychanalyse rencontre partout où elle cherche à pénétrer des résistances de nature très diverse. Elle partage le sort de chaque idée nouvelle, qui trouble l’équilibre du présent et contraint à la révision, mais elle n’a pas seulement l’inertie à surmonter, elle se trouve bientôt en face d’un véto véritable manifesté par l’inconscient, qui organise la défense contre cette pénétration agressive et exigeante ; car, pour pratiquer la psychanalyse, il ne suffit pas d’acquérir des nouvelles connaissances, il faut y aller de sa propre personne, subir et pratiquer sur soi-même la méthode, afin de gagner la clairvoyance et l’efficacité nécessaires (2).
Il y a d’autres résistances, dirigées contre le freudisme en tant que système à tendances exclusives, comme le pansexualisme, le naturisme. Le grand médecin viennois, à l’instar de son aîné Nietzsche, s’était engagé si à fond dans sa lutte courageuse contre le refoulement, le mensonge et l’hypocrisie, qu’il a fini par garder le caractère passionné du révolutionnaire. Il est resté jusqu’aujourd’hui un défenseur convaincu de l’amoralisme. Un reproche que l’on fait en France, plus que partout ailleurs, à la psychanalyse, c’est un manque de clarté. Elle n’est certainement pas un modèle de clarté ni de mesure, mais le deviendra-t-elle jamais? Sera-t-il jamais possible de traduire en langage parfaitement rationnel ce qui, sans être violenté, reste toujours en marge de la vie pleinement consciente, ce qui se sent et se fait plus que ne se pense ? Le problème soulevé par Bergson dans son Evolution créatrice à propos de l’intelligence et de l’intuition se pose ici à nouveau. L’inconscient restera toujours sous la domination de l’irrationnel…. Et pourtant il y a quelque chose de parfaitement justifié dans la critique française. La psychanalyse, comme on vous l’a généralement exposée, était pensée et exprimée dans un esprit judéo-germanique (3). Rien de plus arbitraire que l’idée courante qu’il est possible d’abstraire la pensée du lieu, du temps et de la personnalité humaine, en un mot de la civilisation dont elle est un fruit. Lorsque la psychanalyse a pris vie, dans notre milieu suisse et spécialement zurichois, elle a spontanément pris une forme nouvelle, correspondant à notre mentalité dont il sera question dans cette conférence. J’ai la conviction qu’après le raccordement avec l’Ecole de Paris (Janet-Claude) et de Nancy, la psychanalyse, pensée par les Français, présentera une nouvelle forme sui generis, dans laquelle vous vous retrouverez vous-mêmes et qui sera pour le reste du monde un complément nécessaire, un apport indispensable.
En Suisse, l’intérêt pour la psychanalyse se manifeste dès le commencement de ce siècle, sous l’impulsion de Bleuler et de C. G. Jung à Zurich, de Théodore Flournoy père, à Genève. D’orientation d’abord purement freudienne, le mouvement, en s’accroissant, finit par prendre après 1910 une direction nouvelle, sans d’ailleurs s’organiser en une école véritable avec un chef reconnu. La tradition si essentiellement démocratique de notre pays facilite la coexistence des tendances autonomes les plus diverses, telles qu’elles sont représentées par C. G. Jung, le réformateur de la psychanalyse, dont la direction est essentiellement psychologique et philosophique ; E. Bleuler, le psychiatre et clinicien ; C. von Monakow, le biologiste ; P. Haeberlin, le pédagogue et théoricien ; le regretté Théodore Flournoy, fondateur de la psychologie religieuse, etc. Si l’on s’efforce de caractériser ce qu’il y a de commun à tous ces éléments, on trouve que la recherche ne se concentre pas chez eux autour de l’instinct, mais bien autour de l’individu, considéré comme une unité, comme une personne. Il en résulte que le traitement ne peut pas se contenter de délivrer les poussées refoulées d’affectivité primitive, mais qu’il doit tendre à les relier à nouveau, non plus cette fois à un cadre collectif, traditionnel, mais à un point d’attache dans la structure intime de l’être individuel. Il s’agit d’une réintégration de la personnalité désagrégée par la psychonévrose. Il y a quelque chose de l’esprit de nos réformateurs suisses (des Calvin et Zwingli) dans cette conception de la structure et de l’autonomie de la personne et de nos pédagogues Rousseau et Pestalozzi dans cette psychothérapie qui guide le névrosé à une plus entière réalisation de son être. Semée dans le sol helvétique, la psychanalyse était devenue à notre propre étonnement une psychosynthèse ; la tradition et l’atmosphère spirituelle de notre pays avaient provoqué une mutation dans l’évolution de la pensée psychologique.
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Freud a démontré, que les premières années de l’enfance exercent une grande influence (il ajoute même une influence décisive) sur le développement psychique de l’individu. Les rapports de l’enfant avec ses parents prennent tout naturellement une importance de premier ordre. Ils deviennent le facteur « formatif », la force plastique par excellence. Le psychologue viennois interprète à sa façon ce phénomène dûment constaté, au moyen de l’hypothèse du complexus d’Œdipe qui a créé tant de résistances autour de la psychanalyse. Le petit enfant, disons pour simplifier le garçonnet, aime, convoite, aspire à posséder (physiquement, sexuellement, comme un adulte) sa mère, il est jaloux de son père, – et pour cause, – il le repousse, le hait. ·Pour rendre cet instrument de travail plus souple, utilisable dans toutes les situations, Freud, qui est doublé d’un remarquable dialecticien, a eu l’idée d’admettre l’existence d’un second complexus d’Œdipe, orienté positivement vers le père ; c’est dire que le petit garçon se sentirait attiré homosexuellement par son père, qu’il est, par là même, jaloux de sa mère, et la hait. Freud enseigne que ce double complexus d’Œdipe forme le noyau central de toute psychonévrose et il rapporte les troubles psychiques et le comportement pathologique du malade à cette fixation incestueuse (Estaunié nous en donne un remarquable exemple dans son Appel de la route. L’intuition du poète confirme pleinement l’expérience clinique). Mais Freud ne s’arrête pas à cette constatation ; il applique son hypothèse à l’individu normal. La vie affective de chaque enfant sain serait caractérisée par une attitude œdipienne. Seul l’insuccès de ses aspirations, l’impossibilité de leurs réalisations finiraient par apporter une correction en brisant chez l’enfant ce noyau central. Selon une publication récente du maître, les fragments de ce complexus, après avoir subi une transformation, fourniraient les éléments du moi-idéal ou sur-moi (Ueber-Ich).
Est-ce bien comprendre la psychologie de l’enfant que d’interpréter ses désirs de possession dans le même sens que l’adulte ? N’y a-t-il pas diverses formes de possession ? L’enfant veut certainement accaparer gens et choses qui l’attirent et dont il a besoin. Les docteurs Laforgue et Codet emploient le terme très heureux d’activité captative pour caractériser cet état d’âme. Mais distinguons le désir de l’enfant et celui de l’adulte, au lieu de les identifier. Freud semble voir un adulte dans l’enfant ; au lieu de transposer, il projette.
Il y a là un point à éclaircir. Nous connaissons l’existence d’une activité captative chez l’enfant, qui n’a pas un caractère spécifiquement sexuel, mais se rapporte à l’être tout entier ; elle possède une composante sensuelle, qui vibre en harmonie avec l’ensemble comme une note dans un accord. Mais une expérience d’une vingtaine d’années consacrées entièrement à cet ordre de recherches, nous a convaincu de la complexité des influences déterminantes du véritable complexus d’Œdipe. Dans la famille du nerveux se manifeste de bonne heure une tendance à isoler l’enfant, à le priver de l’émulation de la lutte, des échanges réciproques avec d’autres êtres, à paralyser ses élans sa spontanéité, à lui inculquer, sous divers prétextes, la méfiance, la peur du monde, la répulsion du dehors. La source de cette inspiration chez les parents est fort trouble : incompréhension de la vie, inaptitude, désillusion, égoïsme. L’effet d’un tel régime est une réelle intoxication ; le jeune homme, vraie victime, se fixe secondairement toujours davantage à sa mère, car ce système porte nettement l’empreinte maternelle. Insensiblement s’opère une sexualisation inconsciente de son rapport envers elle. Par contre la femme étrangère, qui n’est pas gagnée d’avance mais qu’il faudrait au contraire conquérir, lui fait peur ; il ne sait pas lutter, ni prendre sur soi une responsabilité. L’attitude incestueuse apparaît donc au cours d’une évolution inhibée et déviée, elle est un phénomène secondaire, d’ordre régressif, que nous distinguons de la captation infantile. Si, déposant notre loupe spécifiquement sexuelle, nous nous efforçons de voir l’individu tout entier, l’attitude incestueuse prend d’autres proportions ; nous reconnaissons un être apeuré dont le regard est dirigé en arrière, qui se cramponne au passé connu et familier et se laisse soigner, protéger et gâter. Il est d’autant plus passionnément exigeant et tyrannique qu’il se permet une vie inactive, égocentrique et lâche. Il s’agit d’un état d’infantilisme régressif, qui va de pair avec une grave déficience de la fonction du réel.
Cette même confusion de l’état normal et du trouble pathologique, cette même tendance à projeter le contenu de la névrose et la psychologie de l’adulte dans l’âme de l’enfant, nous la retrouvons dans la célèbre théorie de la sexualité polymorphe perverse de l’enfant. Il y a là un véritable pendant de l’ancienne théorie, aujourd’hui reconnue fausse, de la préformation ou emboîtement des germes, qui prétendait trouver dans le spermatozoïde un homunculus déjà complet. En effet, la psychanalyse prétend trouver dans l’enfant, sous la forme d’instincts partiels et fondamentaux, toutes les perversités, telles que l’inversion, le sadisme, le masochisme, etc. La réduction du pathologique au normal ne réussit décidément pas à Freud. Cherchons à approfondir la question des rapports de l’enfant aux parents, pour nous rendre compte comment corriger et compléter le point de vue psychanalytique. L’observation impartiale des rapports de l’enfant avec ses parents nous montre qu’ils sont loin d’être résumés dans la double formule amour-possession et jalousie-haine ; loin de là ! J’attire votre attention sur un faisceau de tendances, dans lesquelles on reconnaît facilement la recherche du soutien, de la protection, de la stimulation, voire même de la correction et de la direction. est placé, da« L’enfant ns la famille, au milieu d’un champ bipolaire d’influences, dont le père et la mère sont les deux pôles ou centres dynamiques. Alternativement, ils stimulent et inhibent par action attractive ou répulsive ses propres tendances, les dirigent vers un développement naturel ; la réalisation de son être. La mère stimule la sensibilité, l’affectibilité, l’imagination, l’intuition ; elle favorise l’épanouissement des sentiments, du sens social et de la vie intérieure, fondement de la morale et accès à la vie religieuse. Le père stimule le sens d’observation du monde extérieur, vitalise les énergies, l’instinct d’agression; il symbolise l’autorité qui défend, réprime ; il dirige, fortifie la volonté, développe l’intelligence et l’individualisme ; en un mot, il lui ouvre l’accès à la réalité extérieure, nature, société, état, mais il cultive aussi sa pensée qui le conduira plus tard à la connaissance de soi-même, à une conception de la vie et du monde (4).
Dans l’amour de l’enfant pour père et mère, il y a donc plus que convoitise, accaparement ; il y a de l’admiration, du respect, la reconnaissance de leur force, de leur supériorité. L’attraction n’est pas seulement captative, elle a encore une tout autre signification, celle de l’union par l’identification. L’enfant cherche d’abord dans le jeu, par l’imitation de la personne et de son comportement, à s’identifier aux parents et éducateurs. Plus tard il s’inspirera dans son travail de leur attitude, de leur esprit. Il le fait parce que quelque chose en lui le pousse à les choisir comme modèles, comme idéaux (extérieurs) selon lesquels il tend à se modeler, à se former lui-même. Le premier effet de cette identification est une sorte d’exaltation, de dynamogénisation. L’identification est en effet une voie d’intensification, d’amplification et de différenciation psychique. Le jeu n’est pas seulement un délassement ou un plaisir, il est une occasion de tendre ses énergies, de s’exercer aux tâches à venir, il prépare à la vie (Gross, Claparède). Un autre effet du jeu est de créer des voies d’action, de modifier les habitudes, la structure mentale dans le sens lamarckien du mot. A mesure que le jeune être se développe, l’action directe des éducateurs diminue au profit d’un centre d’inhibition, de stimulation et de direction que nous avons proposé d’appeler la fonction régulative. L’expérience de l’adulte pénètre par la voie d’identification dans la psyché de l’enfant et contribue à la transformer ; le processus lui-même peut être défini comme une intériorisation des agents éducatifs. Nous trouvons le ressort caché de l’identification’ dans la tendance au perfectionnement, au développement de la personnalité si profondément ancrée en l’âme humaine.
L’enfant est accessible aux bons et aux mauvais exemples. Ces derniers le tentent par la promesse d’une prompte jouissance ou d’une diminution de l’effort ; ils sont souvent destructifs, tandis que les premiers se rapportent à l’intérêt plus ou moins immédiat de l’être ; ils sont une valeur essentiellement progressive, mais ils exigent des efforts réels. L’identification avec un tel modèle s’accompagne subjectivement d’une sorte de vibration intense, d’un sentiment de plénitude et de joie, qui donne au sujet l’impression d’être dans sa ligne. Nous sommes en présence d’un phénomène de régulation directive.
Deux faits nous aident à bien comprendre cette tendance au perfectionnement ; le premier, le besoin de « mieux faire », si général chez l’enfant, qu’il manifeste non seulement à l’égard de ses congénères, mais aussi de ses éducateurs, dont il reconnaît les faiblesses avec un instinct très sûr. C’est une erreur bien moderne et regrettable, de ne voir dans ce besoin de « mieux faire » qu’une expression de l’instinct de puissance, « ôte-toi de là, que je m’y mette », ou une singerie de moraliste. Il y a là, en réalité, un élément nettement progressif et spécifiquement humain, qu’une psychologie vraiment autonome ne peut méconnaître. Le second fait, c’est le choix des modèles idéaux ou principes, l’activité sélective elle-même, que le jeune être développe à travers toute la période de croissance psychique. Il existe en effet un choix instinctif, par intérêt profond, par conformité « organique » de structure, qui est indispensable pour une intégration saine de la personnalité. Lorsque l’activité sélective et directive fait défaut (chez le déraciné, selon une excellente expression moderne), le développement de l’individu, au lieu de suivre la ligne de réalisation des meilleures possibilités (le perfectionnement), aboutit à un produit artificiel, illusoire, irréel, d’ordre pathologique, abondamment représenté dans notre civilisation actuelle (Mme Bovary et les innombrables cas de Bovarysme, selon le terme de J. de Gaultier). En résumé, nous distinguons dans les rapp0rts de l’enfant aux parents : amour-possession et amour-identification. Dans l’amour-possession la tendance dominante est de se servir de l’être désiré comme d’un objet, voire même de se l’asservir pour la satisfaction de ses besoins (attitude captative). L’orientation est égocentrique et conservative, nous sommes ici en plein sur le terrain de l’instinct qui est du ressort d’une psychologie toute dynamique et biologique, une discipline des sciences naturelles. Par contre, dans l’amour-identification, c’est l’être aimé qui est le centre d’attraction autour duquel gravite le moi. L’attitude est introjective, allocentrique. La tendance au perfectionnement détermine l’orientation nettement progressive et constructive. Du moi se différencie par introjections successives le soi, organe central de la régulation. Il s’agit ici d’une psychologie structurale de la personne (ou psychologie essentielle qui ressort aux sciences de l’esprit).
La psychanalyse, se plaçant résolument et s’immobilisant sur le terrain de l’instinct, en arrive à nier catégoriquement l’existence d’une tendance au perfectionnement. Il nous apparaît clairement que, grâce à l’unilatéralité et de la méthode et du point de vue, la psychanalyse n’arrive à saisir qu’une partie de la réalité psychologique, humaine. Il en résulte que ce qui lui échappe l’induit à forcer, à exagérer ses théories, pour chercher à faire de la partie un tout. Ceci nous explique la déformation de la psychologie de l’enfant sain, dont il a été question plus haut.
Le point de vue synthétique retrouve dans 1’amour les éléments instinctif et personnel, naturel et spirituel, en état de juxtaposition. Au cours de l’intégration de la personnalité, ces éléments s’influencent réciproquement et s’organisent. Il s’agit donc de saisir la part de l’instinct et du moi, leur articulation et d’établir leur juste rapport hiérarchique. Nous trouvons ici un point de contact avec P. Janet.
Nous passons à une autre question, celle des rapports du malade au médecin ou transfert (affectif), afin de faire ressortir la différence des deux points de vue qui nous occupent. La psychanalyse cherche la cause essentielle des troubles nerveux dans le passé de l’individu. La libido, engagée dans un conflit avec le moi et refoulée dans l’inconscient, a fini par se réfugier dans les symptômes. Le médecin cherche, par un travail intellectuel d’interprétation, à rendre le malade conscient de sa situation, à le libérer de cet état. La libido mobilisée se déverse dans le transfert affectif; au lieu de s’occuper de sa maladie, le nerveux commence à s’occuper, pendant cette phase de la cure, de la personne du psychanalyste. Le travail d’analyse du transfert s’efforce alors de détacher la libido de la personne du médecin (sevrage), pour la rendre à la vie active. Il s’agit donc d’un processus qui se déroule essentielle- ment dans la psyché du malade, en bonne partie autour d’un objet ou centre imaginaire. Le rôle du médecin est essentiellement intellectuel et tout impersonnel. La stricte prescription de Freud, suivie à la lettre par ses adeptes, de faire étendre le malade sur une chaise longue, dans une demi-obscurité et d’installer le médecin à quelque distance, hors de la portée du regard de son client, exprime symboliquement la situation psychanalytique.
Le point de vue synthétique met l’accent non plus sur le passé, mais sur le présent. Il en résulte que le centre d’action se trouve être le contact vivant, d’âme à âme, entre le médecin et le malade. Le tête-à-tête, en pleine lumière, qui offre l’avantage précieux d’un contrôle réciproque, caractérise la situation extérieure.
Le nerveux a besoin d’être arraché à son illusionnisme, à ses systèmes de sûreté, pour être plongé dans la réalité ; il échangera son autisme contre un rapport vivant, humain, tout d’abord avec son médecin, plus tard avec son entourage (ambiance naturelle). La libération de l’énergie psychique investie dans les symptômes se fait selon la méthode analytique, mais la psychosynthèse ne se contente pas de retrouver dans le transfert la répétition, le renouvellement des rapports affectifs positifs et négatifs du passé, soit la reproduction stéréotypée de l’amour et de la haine pour les éducateurs. Elle reconnaît, en plus, dans la force qui pousse le malade vers le médecin, la confiance, qui n’est pas autre chose, en dernière ligne, que le pressentiment et la recherche de la régulation, la fonction restitutive et directive. L’aspiration à la libération et l’épanouissement prend tout d’abord la forme personnelle de la soumission à l’autorité médicale et finit par se transformer en une instance d’ordre et d’équilibre, d’harmonie, qui réalise son centre dans l’individu lui-même. Il ne suffit pas de mieux comprendre et corriger ses fautes ou de s’adonner plus librement aux besoins de sa nature (élémentaire), ce à quoi l’analyse aide efficacement. Il faut reconnaître mieux ses possibilités, tendre ses efforts vers l’accomplissement de sa tâche, vers la maitrise de soi, la réalisation de sa personnalité, à la fois indépendante et reliée à la société. A l’exploration rétrospective de la vie passée doit s’ajouter et s’articuler l’orientation prospective de la vie à venir.
Les deux phases réductive et constructive font partie toutes deux de l’auto-guérison, manifestation de l’activité réparatrice, propriété fondamentale de la vie. L’art de guérir consiste à assurer le libre jeu de cette tendance régulative, à en favoriser l’essor, à l’exalter dans l’intérêt de l’individu et de l’ensemble.
Le travail à fournir par le malade dans le traitement est un grand effort de maturation et d’intériorisation. La tâche du médecin qui continue et corrige celle des éducateurs, est double : comprendre et guider.
L‘idéal du médecin, ainsi compris, n’est pas essentiellement de guérir le malade d’insomnies, névralgies ou phobies, mais bien d’agir comme un éveilleur de conscience et un entraîneur d’hommes, comme un animateur qui a sa place à côté de l’éducateur, du politicien, du prêtre, de l’artiste, du philosophe, pris au sens véritable et vivant du mot.
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Préconiser en psychologie l’attitude synthétique, c’est nécessairement s’exposer à une vive opposition, car l’esprit dominant de notre époque est d’orientation analytique et le promoteur de la spécialisation et d’une attitude de respect envers le fait qui a, chez beaucoup, pris la tournure d’une vénération, très aux dépens de l’idée. Le spécialiste,’ isolé en face du document tend à une sorte d’impérialisme, à une domination du tout par la partie. Et c’est pourquoi nous assistons à la lutte de toutes les parties les unes contre les autres. L’analyse est une admirable discipline de l’esprit ; mais il en est d’elle comme de l’ascétisme, il n’en faut faire qu’un moyen et non pas un but. Or, nous nous y livrons à un tel point qu’elle passe, en biologie et en médecine, pour être la seule méthode vraiment scientifique. Cherchons à nous en représenter les conséquences en psychopathologie et thérapeutique. Le médecin moderne distingue une grande diversité d’états morbides ; il décrit des névroses du cœur ou de l’estomac, des thanato- et des claustrophobies ; il sépare nettement est artificiellement, sans toujours s’en rendre compte, l’inconscient du conscient ; il reconnaît dans le choc (traumatisme) la cause pathogène de certaines psychonévroses. Ce qu’il gagne en clarté ne compense pas toujours ce qu’il perd en profondeur ; ce qu’il isole et place en premier plan ne se trouve être souvent qu’un élément accessoire. Il oublie trop souvent, dans l’expérience clinique quotidienne, les dangers de ce rétrécissement du champ de la conscience médicale.
Une jeune Parisienne, traitée infructueusement depuis plusieurs années pour une grave colite muco-membraneuse, vint me consulter à Zurich. Après, m’être fait raconter la douloureuse histoire de sa maladie, je lui demandai de me parler de son mari et de son amour pour lui. Je n’oublierai jamais, l’expression de surprise, de ressentiment et à la fois de soulagement que ma question provoqua. Après un moment de silence, et avant de me répondre, elle demanda : « Pourquoi, docteur, est-ce la première fois qu’un médecin se pose cette question ? Je sens que vous touchez là le point cardinal. »
II est grand temps que le médecin réalise sa part de responsabilité dans la vague montante d’opposition et de méfiance du public envers sa corporation. Le moyen le plus efficace de regagner la confiance, de lutter contre la charlatanerie et la superstition consiste à approfondir sa compréhension de la vie et à intensifier ses moyens d’action. Le réalisme étroit qui règne s’accompagne d’une crédulité inconsciente. On croit, en effet, à notre époque, à l’existence d’une colite muco-membraneuse en soi, au lieu de se rendre compte qu’on la crée soi-même d’une pièce … par découpage. La malade en question présentait trois groupes essentiels de phénomènes qui alternaient les uns avec les autres : des coliques très douloureuses, manifestations du trouble intestinal, des états de vraie rage sexuelle, purement physique, et des obsessions érotiques, affaire d’imagination. Hantée par l’un ou l’autre des deux derniers symptômes (le premier seul avait été reconnu par les nombreux médecins traitants), elle rôdait, vrai Ahasver en fuite devant elle-même, des heures entières à travers la ville ou bien elle restait étendue sur son lit, toute crispée, plongée sous l’influence des narcotiques, anesthésiques et autres drogues qui étaient presque sa seule nourriture. Derrière les manifestations cliniques se cachait un état d’insatisfaction à paroxysmes périodiques dont la crise sexuelle représentait une forme primaire. Le gros intestin devient facilement, sous l’influence du refoulement, une zone érogène; c’est dire qu’une déviation de l’excitation, une décharge de la tension sexuelle se produit dans le tractus intestinal qui en est troublé dans sa fonction naturelle. Une sorte d’orgasme, crispé par le refoulement, en résulte, que le sujet ressent comme une colique. La jeune femme, sujette à des accès de violente colère dans son enfance, avait réussi à les réprimer sans transformer, il est vrai, sa disposition colérique. Les accès avaient trouvé une nouvelle voie, le gros intestin fonctionnait également comme paratonnerre. Mais l’insatisfaction n’est pas une cause primaire. Elle dépend de l’attitude réciproque des deux conjoints et celle-ci est une expression caractéristique de la personnalité et de son aptitude à la vie en communauté. L’anesthésie dans les rapports conjugaux allait, ici, de pair avec un dérèglement de l’imagination; elle représentait un des moyens de défense que cette nature passionnée, mais réservée et fière, avait dressés apparemment contre l’homme, en réalité contre elle-même. Pas de compensation du côté des sentiments, encore peu différenciés, ni du côté de la vie spirituelle, restée à l’état embryonnaire. Nous sommes en présence à la fois d’un arrêt de développement et d’une déviation de caractère. La tâche du thérapeute ne peut consister essentiellement dans la prescription d’un régime, des calmants, du repos, etc. En plus du travail d’analyse, qui clarifie la situation et libère les énergies psychiques, il faut entourer le malade des conditions qui favorisent son développement, chercher à stimuler ses intérêts naturels ; il faut lui apprendre à dépenser de façon constructive ses forces, qu’il consumait dans sa maladie en agitation vaine, en paroxysmes douloureux, et préparer le retour à la vie normale. Nous sommes fort mal outillés pour cet ouvrage avec notre conception étroite de la maladie, que nous localisons à un organe du corps ou à une fonction isolée du psychisme, alors qu’il s’agit en première ligne d’embrasser la personne dans son unité et son rapport réel avec l’ambiance. Je me permets de faire miennes les paroles que le fondateur du « Groupe d’études philosophiques et scientifiques », le docteur Allendy, prononçait en réponse à la question: « Comment avez-vous été amené à vous occuper d’études psychanalytiques ? » – « En cherchant, disait-il, dans l’histoire de la médecine l’esprit hippocratique. Vous savez qu’il consiste essentiellement à considérer le malade comme un dynamisme, à voir dans sa personnalité quelque chose d’actif et à en faire la préoccupation du médecin, au lieu d’attribuer avec le galénisme actuellement en vue toute l’importance aux causes morbides : les microbes, les lésions, pour établir une thérapeutique cherchant à atteindre l’élément causal et à le neutraliser ».
« La thérapeutique hippocratique vise au contraire à provoquer, à diriger, guider les réactions naturelles de l’organisme, non à combattre directement le microbe ou, de façon plus générale, la cause. Elle utilise donc le dynamisme individuel du malade et c’est cette notion qui m’a amené à étudier le facteur psychologique en médecine … ».
C’est un changement d’attitude, oscillation périodique de la pensée humaine, ‘qui s’annonce et dont nous espérons une aide pour surmonter la déformation professionnelle de notre esprit et redevenir des être plu complets et harmonieux.
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Nous avons distingué dans le cours de cette étude la méthode psychanalytique et la tendance nouvelle qu’elle a inaugurée en psychologie, du freudisme comme système à allures philosophiques portant nettement l’empreinte de la personnalité de son auteur. Avant de terminer, une excursion dans le domaine de la philosophie scientifique s’impose, pour mieux éclairer les conséquences ultimes du point de vue psychanalytique et les confronter avec celles de la psychosynthèse. A notre époque de spécialisation, la tendance de séparer la science et la philosophie est très prononcée. On a cru pouvoir isoler la recherche scientifique de toute considération philosophique, rejetée comme pure spéculation. Or il se trouve qu’il existe un rapport étroit, immédiat, organique entre la structure mentale de l’individu et la conception personnelle, autonome qu’il se fait de la vie et du monde (5). Le type psychologique, comparable à une fenêtre offrant sur le paysage une vue particulière, a sa prolongation naturelle dans une attitude philosophique déterminée ; en d’autres termes, il ouvre un accès « partiel », à la réalité. Une enquête sur l’orientation de la pensée scientifique de Freud est facilitée par un travail de l’auteur lui-même, paru en 1912, sur les deux principes qui régissent toute manifestation psychique. Il distingue le principe de la recherche du plaisir, de la fuite du déplaisir (qu’il résume lui-même dans le mot : Lustprinzip) et le principe de la réalité, qu’il dérive de la recherche, non plus de ce qui est agréable, mais de ce qui est réel, même si c’est désagréable.
Ce principe du plaisir domine la conception que le psychologue viennois se fait du rêve en tant que la réalisation de désirs refoulés, de la névrose en tant que fuite de la réalité et satisfaction surrogative de l’instinct sexuel également refoulé. Nous le retrouvons en pleine activité dans le complexus d’Œdipe (possession de la mère, vrai symbole du principe-plaisir, répulsion contre le père, symbole, lui, de la réalité « fâcheuse, gênante) et dans une foule d’autres hypothèses et points de vue, etc. La source exclusive d’expériences empruntées à la psychopathologie donne au freudisme un aspect particulier et fait ressortir le rôle prédominant du principe plaisir-déplaisir. Le principe de réalité, considéré comme phylogénétiquement plus récent, a une valeur compensative bien marquée ; il corrige ce qu’il y a d’autiste dans l’effet du premier et pousse l’individu à l’adaptation au monde extérieur. Mais il tend à lui procurer le plus grand avantage possible. La définition du but du traitement psychanalytique fournit elle-même une illustration probante du jeu coordonné des deux principes ; il consiste « à rétablir la capacité de travail (efficience ? en allemand : Leistungsfähigkeit) et de jouissance du malade ».
Pour compléter notre documentation philologique du système, il est nécessaire d’ajouter que, conformément à la position centrale donnée à l’instinct dans le psychisme, la personne même, son perfectionnement, son idéal, la conscience elle-même passent au second plan. En effet, l’idéal et la conscience l’ont considérés comme « imposés du dehors », comme manifestations purement résiduelles et réactives, « l’institution de la conscience est une incorporation de la critique des parents et plus tard de celle de la société », déclare Freud littéralement, le « sur-moi (ou moi-idéal) est défini de manière exclusivement négative comme « la somme des restrictions auxquelles le moi devrait se soumettre ». Et Freud d’ajouter : « C’est pourquoi le retrait de cet idéal serait une fête grandiose pour le moi, qui de nouveau pourrait être satisfait de lui-même. » Enfin la mort est considérée comme le véritable but de la vie.
De tout ceci résulte que l’attitude philosophique du freudisme est nettement relativiste, positiviste, utilitariste et hédoniste, c’est dire qu’elle se trouve en harmonie avec la tendance dominante chez les médecins et naturalistes de notre époque (6).
Si le type psychologique détermine l’attitude, l’orientation philosophique, l’élément spécifiquement individuel se manifeste par l’ampleur, l’originalité, la profondeur des idées. Personnellement, Freud est un stoïcien d’une grande distinction et d’un entier dévouement à son œuvre. Malheureusement, avecles .années, un scepticisme et un pessimisme fonciers à l’égard de la nature humaine sont devenus dominants et ont fini par donner une empreinte subjec- tive à sa pensée: ce qui est d’autant plus regrettable que son influence sur ses adeptes est extrêmement grande et que la répercussion s’en étend jusque dans le monde des malades. Le docteur T. Michaelis, un neurologue berlinois, vient dt: publier un ouvrage remarquable par sa documentation, sa clarté et son objectivité, sur les rapports de la personnalité du grand psychologue avec ses théories et sa conception de la vie, ouvrage dont la traduction française serait très désirable, car un éclaircissement de cette question est de la plus grande importance pour faciliter la séparation de l’ivraie ,du bon grain et assurer le développement de ce qui est sain.
La limitation et l’unilatéralité, à la fois du type psychologique et de l’individu, appellent l’activité compensatrice, complémentaire d’autres types et d’autres individus qui ont d’autres fenêtres sur la réalité. D’où la nécessité d’un travail de raccordement. Ceci vaut aussi bien pour l’aspect philosophique que scientifique du problème. L’attitude positiviste et utilitariste de Freud présente tous ses avantages dans la recherche de ce que l’on pourrait appeler le psychisme inférieur; elle est en défaut pour les fonctions supérieures et la hiérarchie de la personnalité ; elle devient ici purement négative. Son réalisme concret, partiel, présente le même défaut que le naturalisme dans la littérature de la seconde moitié du dix-neuvième siècle ; il a besoin de son complément naturel, le réalisme du monde intérieur, pour parvenir à un réalisme intégral, qui est le seul véritable.
Notre premier principe : la loi du moindre effort, correspond dans les grandes lignes au principe de plaisir de Freud, mais il est moins subjectivement orienté. Il détermine le flux du processus psychique naturel, qui est subordonné à l’intérêt immédiat de la personne, comme, par exemple, la satisfaction d’une poussée instinctive. Il régente le dynamisme; économique par essence, il favorise la répétition des mêmes actes et leur automatisation, il s’emploie à la conservation de la vie et tend à la stabilisation. Lorsqu’il régit seul, le danger de l’inertie ou de la régression devient imminent ; le germe de la mort est en lui.
Son antagoniste ou plutôt son complémentaire est le principe de réalisation
(« Verwirklichungsprinzip »), très différent, lui, du second principe de Freud. Il ne s’agit plus ici du cours, du flux naturel d’un phénomène, du jeu, mais bien de l’effort, du travail. Il définit une activité formative, organisatrice, dont la tendance est le développement, l’évolution créatrice. Cette activité créatrice n’est pas assimilable au fonctionnement de l’instinct; une impulsion spontanée, originale, émanant du noyau même de la personnalité, vient féconder, animer, diriger le dynamisme régenté. Au déterminisme psychique vient s’ajouter un élément irrationnel de liberté qui le complète, en rendant possible, en initiant le renouvellement. Le rêve, vu de cette perspective, n’est plus la satisfaction de désirs refoulés, mais un essai de solution du conflit. L’imagination n’est plus restreinte à donner l’illusion, pour faire oublier la fâcheuse réalité ; elle reçoit une tâche positive ; elle s’exerce à préparer l’avenir, ouvrant des voies nouvelles à travers le champ des possibilités. Par un acte de renoncement à l’autonomie, plus apparente que réelle, le centre s’est déplacé du moi vers le but à réaliser (allocentrisme) ! Une coopération s’est établie entre la personne et l’ambiance, en sorte que l’être agissant se transforme lui-même, à mesure qu’il fait avancer son œuvre. Nous retrouvons ici la loi du Karma, comme elle est formulée dans les Upanishades (Brhad-Aranyaka) : « C’est par ses actes et sa conduite que l’homme devient (se réalise) », comparable à la formule classique de Lamarck : « La fonction crée l’organe », bien que cette dernière soit d’application plus restreinte. A la lumière du principe de réalisation, le soi-disant complexus d’Œdipe du normal se résout en une instance supérieure, véritable centre psychique surindividuel en voie de formation, le soi ; et l’attitude narcissiste nous dévoile son sens progressif, l’élaboration de la vision prospective du but à réaliser, de l’idéal. La guérison n’apparaît plus seulement comme le rétablissement de la capacité de travail et de jouissance, mais bien comme la réalisation de la personnalité et son intégration dans la société. Freud ne faisait intervenir la réalité que dans son second principe, comme antagoniste de la recherche du plaisir. Selon nous, la réalité est déjà incluse dans la loi du moindre effort, mais pas encore, comme ici, dans le sens de participation symbiotique avec l’individu. Si la régence du dynamisme caractérisait la loi du moindre second principe; par elle seule tique. Nous en éprouvons la manifestation la plus différenciée sous forme de la conscience, qui juge et qui guide (fonction téléologique), alors que le principe de réalité de Freud règle seulement l’adaptation la plus avantageuse de l’individu au monde extérieur. Sous le régime de ce dernier, il n’y a ni réalité intérieure, ni vie intérieure au sens profond du mot, puisque toute religiosité est a priori condamnée et exclue. L’élément de liberté dont nous avions constaté la présence et qu’il faut nettement séparer de l’arbitraire – premier pas vers l’abus, la violence et la destruction – se trouve être face à face avec la responsabilité. La conscience, organe surindividuel, invite à l’intégration de chaque partie dans le tout. Par là, elle tend à la réalisation de l’harmonie cosmique. Nous ne sommes plus ici dans le domaine du psychisme au sens étroit du mot, mais bien et en plein dans celui de la vie spirituelle.
L’attitude philosophique qui tient à la fois compte de ce qui, en nous, est nature et de ce qui est esprit et cherche à saisir le phénomène et l’idée, peut être nommée réalisme intégral.
1. Conférence faite en Sorbonne devant le Groupe d’études philosophiques et scientifiques pour l’examen des idées nouvelles, sous la présidence d’honneur de M. le professeur H. Claude.
2. C’est la liquidation du point de vue :« Faites comme je dis et non pas comme je fais.»
3. Il s’agit d’un problème de psychologie ethnique. Le génie du peuple juif se retrouve tout entier dans l’esprit de Freud. L’apport germanique consiste essentiellement dans l’importance donnée au facteur: inconscient.
4. Voir : Maeder, Régulation psychique et guérison. (Archives suisses de psychiatrie et neurologie, 1925, Zurich.).
5. Voir l’ouvrage fondamental de Jung : Psychologische Typen. Rascher et Co, Zurich, 2″édition.
(6) Au cours de vives polémiques provoquées par la dissidence du groupe helvétique, le point de vue psychanalytique a été souvent déclaré neutre par ses propres adeptes ; ces derniers se défendaient de représenter une attitude philosophique quelconque, reprochant aux autres de mêler cette question à une affaire purement médicale. Je crois qu’il en est de ces messieurs comme de M. Jourdain, qui faisait de la prose sans le savoir. Lorsque au cours d’une psychanalyse le médecin traite, par exemple, le sentiment religieux comme un simple produit de substitution, une forme surrogative et régressive du sentiment de piété filiale, signe de jeunesse ou de faiblesse, il fait de la philosophie « positiviste » sans le savoir. Je crains que cette philosophie « inconsciente » qui se cache derrière l’empirisme ne soit d’autant plus dangereuse qu’elle reste incontrôlable.
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