Jacques Audiberti. Le sabbat ressuscité. Sur les figures de sorcières dessinées par Léonor Fini. Extrait de la revue mensuelle « La Parisienne », 1953.

Jacques Audiberti. Le sabbat ressuscité. Sur les figures de sorcières dessinées par Léonor Fini. Extrait de la revue mensuelle « La Parisienne », 1953.

 

Cette publication princeps donnera lui à la parution d’un ouvrage commun illustré par Leonor Fini en 1957. Ce sont  deux de celles-ci que nous avons extrait pour illustrer l’article.

Jacques Auberti (de son nom de naissance : Jacques Séraphin Marie Audibert) (1899-1965). Écrivain, essayiste, auteur de théâtre, poète, mais aussi critique cinématographique.Nous renvoyons aux articles nombreux qui lui sont consacrés pour découvrir ses publications.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

LE SABBAT RESSUSCITÉ

Sur des figures de sorcières déssinées par Leonor Fini …

[p. 55]

SACERDOTALE opératrice, fille de Jupiter et sœur de la Sibylle, la magicienne, Médée ou Circé, propose la coupe qu’emplit la drogue de la jeunesse, ou bien elle manie la sphère étincelante ou de pâles serpents convulsent le futur.

 

Le magicien, lui, court les foires après avoir enchanté les forêts. Du celtique Merlin au professeur Pickmann voyage une commune référence aux pouvoirs souverains des astres. Dans une profondeur chaldéenne imprécise, les astres, ceux de l’astrologie, non de l’astronomie, conseillent et cuirassent les mages, suprêmes ancêtres, rois bleuâtres et transparents que la religion, la bonne, la romaine, couronnera quand ils apportent leurs présents au nourrisson étoilé. Victor Hugo les situe au sommet de la tour humaine, avec l’émoi bourdonnant et tremblant d’être lui-même des leurs.

A travers une fatigante pitance de nuances parallèles et convergentes, de théosophies en pagne à sandales, de doctrines de siècle en siècle déformées et recopiées, toute une chaudronnée ou la touffe de plumes des sacrifices nègres coudoie la clavicule de Salomon, et les tarots de Mlle Lenormant les lapidaires tortillages de Mallarmé, la magie, en gros, se définit comme une méthode réservée pour abolir, temporelles ou spacieuses, les distances. Paroles prononcées ou figures tracées modifient, dans tel ou tel quartier du vibrato magnétique général, le rapport habituel des phénomènes. La magie est tenue de s’appuyer sur un monde supposé stable et normal, mélancolique repoussoir des veaux à douze pieds, des arbres qui parlent, des cadavres qui font la moisson.

En dépit d’une immédiate sollicitation du discours, on ne saurait sans autres compliments ranger la sorcière dans la masure mythologique et babylonienne de la magie. J’irai jusqu’à dire que même la sorcellerie n’est pas une rubrique à la taille de la sorcière, si par sorcellerie nous entendons une magie rustique et médicinale, laquelle serait plutôt du ressort [p. 56]

du sorcier. Devant que les crosses et les bulles se lancent sur lui, le sorcier, du temps des premières dynastie franques, ne fut pas loin d’être un fonctionnaire, un secrétaire, un vétérinaire, un « sortiaire » masculin plus pâle et plus chétif que le formidable féminin « sorcièr.

Ah ! Que ce nom brille, noir, grand coquillage comme un soulier ramifié plein de rideaux de lierre immobile ou chaque feuille serait, d’une femme, tantôt la tête fascinée, tantôt la cuisse écorchée par la rugueuse chevauchée !

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Il y a, certes, des sorcières qui répondent à l’étymologie du terme. Elles jettent des sorts, lancent le mauvais œil. Mais quel sabbat les accepterait ?

J’en vis une, l’autre jour, aux vastes pas perdus d’une gare importante. Elle en voulait aux fraiches figures des serveuses en blouse blanche qui débitaient, aux gens, sur un comptoir, des pains garnis et de quoi boire. Maigre, noir, clopinant, fagoté, méchant, petit, ce vieux bout de femme allait, venait, posait sur un rebord sa fesse de fourmi, se tournait, se levait, repartait. Son itinéraire ne traçait aucun polygone prémédité. Mais elle savait qu’au service de son ressentiment le voisinage serait ébranle, ce qui ne tarda pas.

Un grand bonhomme banlieusard en gabardine, la face colorée mais la voix blanche, prit à partie les jeunes femmes du comptoir : « Voleuses ! Menteuses ! Sales poupées ! »

Des hommes, toujours il s’en trouve dans les endroits publics tout comme, en Afrique, dans les déserts, des hommes, dont aucun ne soufflait mot, s’amusaient autour de lui, qui criait de plus en plus fort. Il gesticulait et puis il s’éloignait, comme fatigué de ce scandale théâtral dont il était le héros, Mais la sorcelleresse, à quelques pas, s’agite. En sourdine, elle fait feu des quatre pieds.

Lui, suivi par les hommes taciturnes et somnambules, retournait au comptoir des femmes, pour le prendre d’assaut. C’était à Saint-Lazare. Dans ce grand vestibule la harpie, qu’il ne voyait pas, dont il ne soupçonnait pas le micmac, marchait par lignes brisées. Leurs invisibles dynamismes poussaient l’homme en gabardine. Hurlant, il escalada le comptoir.

Alors une autre vieillotte carcasse, plus anodine, aborda la machinatrice. Celle-ci, distraite, suspendit un instant ses ambulantes signatures solitaires. L’homme, aussitôt, cessa de faire la guerre aux servantes de la buvette. Il se retourna, [p. 57] pour voir, tout ahuri, les hommes qui le regardaient, qui n’arrêtaient pas de grossir et qui s’éparpillèrent quand il se fut enfui, désenvouté.

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Elle est partie. Elles sont parties. Sorcières, Revenez !

Sorcières, revenez, jolies et redoutables dans vos quinze ans polis comme un cœur de silex, ou bien vieilles a la manière des toitures, la peau ridée a tous les endroits que l’on voit, mais, sous vos châles tricotés par l’araignée avec le crachat noir du ver dans le sépulcre elle est blanche comme la mie et la lumière,

Vous êtes les jeannettes au col gonfle, les bernadettes visitées au pied de l’arbre ou le soleil gambade une folle monnaie.

Vous êtes aussi, sans aller plus loin, les femmes au verger d’amour.

Dans le marc de café du sang durci des siècles, je saisis le ruban cisèle, d’ivoire humide ou d’acide abricot, ou par vos croupes et vos faces court, solidaire, votre lignée.

Le roman s’achève pour laisser le champ au télescope, aussitôt submerge de soleils qui se reproduisent plus vite que des lapins. Mais vous, par la sorcellerie intime de la nacre, par la pharmacie antique et florentine des trous de taupe entre vos bras, du tendre écureuil des yeux bruns, sans parler du masque de votre poitrine a têtes de chat, vous savez toujours, maitresses, fiancées, convaincre votre amant qu’un héros matinal s’avance, pour le coup, d’un long pas carre qui fait trembler les vagues et les pierres.

Vous êtes surtout, que j’approche les narines fermées mais la cervelle ouverte, vous êtes ces Parques cruelles, batteuses de cartes, lanceuses de lettres cassées. Votre bras maigre et noir monte tout droit. Vous touchez entre eux vos auriculaires pour faire éclater les sept veines de quelque bailli trop lourd. Vous nouez des cailloux dans un long poil roux, ce de quoi périront les vaches, mais les fils qu’elles n’auront pas seront sauves du boucher. Que vous soyez si méchantes, je voudrais que ce fut afin que luise clair et bon ce que n’aura pas touche le flot de votre regard.

Mais vous refusez que je vous enroule a ma pensée tutélaire.

Vous voulez que je vous comprenne et, s’il se peut, que je vous aime à force de pellicules rompues, de mousselines déchirées.

Je traverserai, vers vous, la forêt des chats. De face, ils sont debout, mais ils trônent de dos, gardiens et rois tout à la fois, [p. 58]

avec cet air choisi de se savoir mortels, se sentant immortels. Leur queue a leur cote veille dans ses anneaux. Certains deviennent des arcs, des ponts. D’autres crispent un membre comme s’ils se gantaient. Tous jettent a la ronde le souffle de leurs glandes pleines de liberté.

Je trébuche sous une guirlande de cadrans ailes d’oreilles en delta. Les fines lances blanches d’une horlogerie moustachue montrent toutes ensembles la minute arrêtée au centre de la clairière, ou je parviens.

Elles sont là.

Sorcières, vous aimez Satan.

Vous savez que c’est lui, que c’est lui le grand fou qui prit, seul, sur son dos, la valise du monde. L’autre la lui lançait, qui règne dans le prisme et qui n’est pas moins seul.

Or Satan ne peut rien sur la brune ni sur la blonde et, sur la rousse, rien non plus. Satan n’est pas un homme. Il est glaive, archange, soleil.

Il est masque, instrument, simulacre.

Il se coud dans un bouc. Mais il n’est pas un bouc. Il demeure idéal.

A genoux s’il le faut je vous sais gré, sorcières ! d’être venues au bois. Je vous sais gré d’avoir, dans la nuit pleine de la vague de vos hanches, vous chères saintes de l’envers, à ma soif consenti vos sombres cuisses blanches, dans la chevalerie et dans la charité.

 

 

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