Lucien Nass. La bestialité antique. Extrait de la revue « Æsculape », (Paris), juillet 1912, pp. 9-12.

Lucien Nass. La bestialité antique. Extrait de la revue « Æsculape », (Paris), juillet 1912, pp. 9-12.

 

Lucien Nass (1874-1933). Médecin. – Historien. – Directeur de la « Revue d’hygiène sociale ».
Quelques publications :
— Le cauchemar. Extrait des « Curiosités médico-artistiques » (Paris), Deuxième série, Paris, Albin Michel, s. d., [1909], pp. 83-86. [en ligne sur notre site]
— Le sommeil. Extrait des « Curiosités médico-artistiques » (Paris), troisième série, 1914, pp. 286-297.. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – A part le portrait de l’auteur en titre, toutes les images sont celles de l’article original. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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LA BESTIALITÉ ANTIQUE
Par le Docteur LUCIEN NASS

« Aussitôt que le monde fut sorti des eaux, dit H. de Charencey, rapportant une légende des Aïnos, une femme vint habiter la plus belle des iles qu’occupe aujourd’hui la race aïno. Elle était arrivée sur un navire poussé par un vent propice d’Occident en Orient. Amplement: munie d’engins de pêche et de chasse, elle vécut plusieurs années heureuse dans un magnifique jardin qui existe encore, mais dont nul mortel ne connait l’emplacement. Un jour, au retour de la chasse, elle alla se baigner dans le fleuve qui séparait son domaine du reste de l’univers. Ayant aperçu un chien qui nageait vers elle avec rapidité, elle sortit de l’eau, pleine d’effroi. Toutefois, le chien la rassura, lui demandant la permission de rester près d’elle. Elle se laissa persuader, et de leur union naquit le peuple aïno. » Pareils faits de bestialité abondent dans les vieilles mythologies et dans les légendes populaires. Le docteur Nass expose aujourd’hui les cas classiques el si intéressants de la mythologie gréco-latine.

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ON considère, non sans raison, la bestialité comme la plus répugnante de toutes les aberrations sexuelles. Nous autres, civilisés, n’avons cependant pas à nous targuer de mœurs pures et honnêtes. Néanmoins, dans le vertige qui nous entraine, dans ce tourbillon de luxure où sombrent parfois de belles intelligences, la bestialité n’aiguillonne plus nos contemporains, comme hélas ! le sadisme, le masochisme, l’inversion et toutes les autres manifestations du détraquement génital. A la vérité, celles-ci suffisent pour nous rappeler que le progrès moral est fort lent et qu’en dépit de la science s’efforçant à augmenter notre bien-être et notre sécurité, de l’art rehaussant notre idéal quotidien, l’animal bien connu qui sommeille toujours au fond du cœur humain a des réveils inattendus et se complaît dans cette fange dont il est pétri.

La bestialité est le fait de la brute, Par là, l’être humain prouve combien est courte la distance qui le sépare de l’animalité. On la rencontre chez les pauvres d’esprit, chez les minus habens : bergers et pâtres vivant isolés au milieu de leurs troupeaux et ne possédant point la philosophie sereine du Balthazard de l’Arlésienne ; troupes d’Afrique continuant dignement la tradition des mercenaires de l’armée d’Hamilcar et des troupes du duc d’Albe ; gibier de Poissy et des maisons centrales qui se glorifie de toutes les tares humaines ; prostituées de toutes classes.

Le code pénal français ignore ce crime. Il estime sans doute que certaines turpitudes sont trop viles pour avoir droit à l’honneur d’une répression. C’est qu’aussi, il faut bien le dire, la bestialité est en baisse, sans doute parce que, plus instruit, l’homme prend un peu plus conscience de lui-même, de sa valeur morale, et qu’en définitive, l’éducation a pour [p. 9, colonne 2] premier effet de le ramener dans la voie naturelle, de l’éloigner de la monstruosité.

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Il ne faut point considérer autrement cette aberration. Aussi la trouverons-nous florissante, implantée dans les mœurs, voire dans les religions, aux temps primitifs, où la monstruosité était si fréquente que le paganisme rassemblait les cas tératologiques, physiques ou moraux, les plus fantastiques. L’Ancien Testament prononce des arrêts inexorables contre ceux qui se sont rendus coupables de bestialité. La loi de .Moïse les punit de mort (Exode, chap. XXII, n° 19) et le Lévitique déclare formellement :

Tu n’auras point la compagnie d’un mâle, c’est une abomination.

Tu ne t’approcheras point aussi d’aucune bête pour te souiller avec elle et la femme ne se prostituera point à une bête, c’est une confusion.

L’homme qui se sera souillé avec une bête sera puni de mort ; vous tuerez aussi la bête.

Et quand quelque femme se sera prostituée avec quelque bête que ce soit, tu tueras cette femme avec la bête ; on les fera mourir, leur sang est sur eux.

(Lévitique, XVIII, 22, 23 ; XX, 15 et 16.)

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Aussi bien, l’histoire de Sodome, détruite pour la punition de ses abominables péchés nous rappelle avec quelle fréquence la bestialité devait sévir sur le peuple de Dieu.

Le paganisme grec, d’origine asiatique, fit mieux que de prohiber solennellement cette coutumière aberration : il la divinisa. Nous lui devons assurément les plus gracieuses légendes, telle celle de Léda, mais aussi les plus graveleuses, comme l’histoire de Pasiphaé. S’il est vrai que les religions sont le reflet fidèle de la moralité des peuples qui les pratiquent, que devons-nous penser de ces Grecs dont les dieux et les déesses tourmentés de passions irrésistibles pratiquaient, avec aisance, l’adultère, l’inceste, le rapt, le viol, la sodomie et dont les crimes d’amour sont véritablement odieux ?

Dans !’Olympe, la bestialité était fort en honneur. Vénus, dont on sait l’adhérence à sa proie, tenaillait si fort ses collègues des deux sexes que ceux-ci ne répugnaient à aucun subterfuge pour satisfaire leur passion. Volontiers, ils empruntaient, pour descendre sur la terre, la forme d’un animal plus ou moins séduisant, ou bien ils transformaient en bêtes les femmes ardemment désirées. Singulière façon de séduire quand on a à sa disposition tous les procédés miraculeux permettant de s’abstraire des contingences terrestres. Il nous faut en conclure que ce n’était point par nécessité, mais par goût que Neptune, Jupiter et tant d’autres locataires de !’Olympe se dégradaient par leurs métamorphoses imprévues.

Le maître des dieux, le roi des rois, Jupiter, excellait à se camoufler et à s’imposer, sous la forme d’un animal, aux vertus les plus farouches, aux virginités les mieux défendues. Tantôt il se transforme en taureau, tantôt en cygne [p. 10, colonne 1] tantôt en serpent, tantôt en coursier, et toujours dans le même but de séduction. Fatigué des scènes de jalousie dont Junon, sa femme, était coutumière, lassé des amours des déesses, et, d’autre part, très ardent en matière amoureuse, Jupiter en était réduit à venir sur terre s’offrir quelque consolation auprès des humbles mortelles. Celles-ci, quoique très honorées du choix divin, résistaient souvent ; d’où la nécessité d’un subterfuge. Le dieu ne pouvait toujours refaire le coup d’Amphytrion ; au surplus, il avait plus d’un tour dans son sac, et ne répugnait pas à des avatars très divers.

C’est un stratagème fort inattendu qu’il mit en œuvre pour la conquête de Léda. Cette vierge, fille de roi, tenait à se conserver intacte pour son futur époux, et Jupiter qui en était follement épris savait que, seule, une ruse adroite pourrait la fai.re tomber en sa possession. Il s’ouvrît de ses projets à Vénus, et tous deux convinrent de se métamorphoser, l’un en aigle, l’autre en cygne, et de simuler une poursuite serrée. Ils choisirent le jour où Léda, se promenant seule au bord de l’Eurotas, voyant fuir devant elle les œgipans velus, était en pleine crise sentimentale. Certes, elle ne connaissait pas encore les jolis vers de Musset : A quoi rêvent les jeunes filles, mais en elle chantait la poésie éternelle :

La vie est un sommeil, l’amour en est le rêve,
Et vous aurez vécu, si vous avez aimé…

A ce moment, les deux compères entrent en scène : l’aigle poursuit le cygne, et déjà la distance se rapproche entre le rapace et le bel oiseau blanc. Celui-ci n’hésite pas, il s’abat sur terre et vient chercher refuge auprès de la vierge, cependant que, dépité, l’aigle s’enfuit.

Mais ici commence un duo, dont seul un Pétrone ou un Martial pourrait chanter les harmonieuses mesures ; le cygne vient se blottir dans les bras de la jeune fille, son col long et souple la caresse amoureusement, cependant que ses ailes lui pressent les genoux, polis et froids comme le marbre… Nous n’en dirons pas davantage ; le mystère de l’amour doit être respecté, même dans le surnaturel. Toutefois les poètes, et après eux, les artistes, ne furent jamais d’accord sur la façon dont l’oiseau triompha de la pudeur de la vierge. Pierre Louys, dans un récit d’un hellénisme délicieux, parle du bec ensanglanté du volatile… D’autres estiment que la possession de Léda fut savourée par Jupiter à la manière humaine. Que nous importe, au fait ? Il s’agit là, et c’est tout ce que nous voulions rappeler, d’un acte de bestialité bien qualifié et bien précis, — quelle que soit la poésie dont ou l’ait entouré. Peintres et sculpteurs l’ont tous interprété comme une des manifestations les plus gracieuses et les plus voluptueuses de l’amour. Il est permis de l’apprécier autrement. L’amour, dans son expression la plus élevée, n’est pas la défloration d’une vierge par un cygne, celui-ci fût-il dieu, mais l’immortel baiser de Juliette à Roméo, de Marguerite à Faust rajeuni.

Ce bizarre accouplement eut une suite imprévue. Le lendemain, Léda pondit deux œufs ; [p. 10, colonne 2] de chacun d’eux sortit deux jumeaux, Castor et Pollux, Hélène et Clytemnestre. Toutefois, Léda ayant été mariée dans le temps écoulé entre sa défloration et cette ponte, d’autres disent qu’un œgipan succéda immédiatement au cygne et profita de l’émoi de la belle enfant ; seuls, Castor et Hélène furent considérés comme les enfants de Jupiter. Peu nous chaut, au surplus, Ce qu’il nous faut retenir de la légende, c’est l’enfantement succédant à un acte de bestialité, Nous en trouverons d’autres exemples.

Le même Jupiter, très divers dans son polymorphisme amoureux, se métamorphose tour à tour en serpent pour surprendre l’enchanteresse Circé qui excelle, ensuite, à transformer en bêtes tous ses soupirants ; en aigle, pour enlever son mignon Ganymède ; en cheval ; et enfin en taureau pour ravir Europe. Ovide a longuement [p. 10, colonne 3]  détaillé le manège amoureux du taureau, et les artifices qu’il déploie auprès de la fille d’Agénor : «  … Il mugit et promène sur le tendre gazon ses belles formes. Il est blanc comme la neige qui n’a pas encore été foulée par un pied rustique, ni amollie par l’humide Aquilon. Ses muscles se gonflent sur son cou ;son fanon se balance avec grâce ; ses cornes sont petites, mais semblent polies par la main d’un artiste, et brillent plus qu’une pierre précieuse. Son front n’a rien de menaçant, son œil rien de terrible : la douceur règne dans tous ses traits… Europe s’en approche, et présente des fleurs à sa bouche d’albâtre. Son amant tressaille de joie, et en attendant la volupté espérée, baise la main de la jeune fille. A peine peut-il se contenir. Il bondit sur le vert gazon ; il se couche sur le sable éblouissant, il présente son poitrail aux mains caressantes de la vierge ; il la laisse enguirlander ses cornes de fleurs. Europe, naïve et ignorante, s’asseoit sur sa croupe… » Le taureau divin n’attendait que cette minute pour enlever sa proie et l’emporter dans sa couche.

L’histoire ne dit pas si, au moment de leur union, Jupiter reprit la forme humaine : c’est assez probable, puisque les trois enfants qui naquirent de cette union, Minos, Rhadamanthe et Sarpédon ne furent pas des phénomènes tératologiques.

Le même Jupiter affectionnait l’espèce, bovine. Quand il n’empruntait pas la forme d’un taureau, il changeait sa maîtresse en génisse, ainsi qu’il advint à la malheureuse Io ; nymphe charmante et pudique, elle ne put résister aux avances du dieu qui savoura son bonheur à l’ombre d’un nuage. Pour éviter à sa maîtresse le courroux de Junon, il la change en génisse ; mais la déesse méfiante s’empare de la bête, la confie aux cent yeux d’Argus. Ce n’est que bien plus tard que Io reprit sa forme primitive : s’il ne semble pas que Jupiter ait pu abuser d’elle lorsque sous les regards du farouche Argus elle paissait mélancoliquement le gazon de Tempé, du moins on affirme qu’aux premiers temps de cette métamorphose, les deux amants, avant d’être surpris par Junon, continuaient leur commerce amoureux.

Le maitre des eaux, Neptune, n’était pas moins enclin que son collègue de l’Olympe à la bestialité. Qu’on en juge plutôt ; il se change en bélier pour posséder la fille de Bisaltus, transformée elle-même en brebis. Puis il prend la forme d’un taureau pour séduire une fille d’Eole, d’un cheval pour celle de Cérès, d’un dauphin pour celle de Mélanie, d’un oiseau pour celle de Méduse. Au reste, les mœurs des dieux et des demi-dieux étaient singulièrement relâchées. Homère, en nous parlant de la famille du roi des vents écrit : »Dans le palais, ses douze enfants ont vu le jour, six filles et six fils florissants de jeunesse. Il a donné les vierges pour épouses à leurs frères… » Et les épouses se rendaient coupables d’adultère en succombant à la séduction d’un taureau.

Phébus-Apollon, lui-même, le dieu à l’arc d’argent, s’abaissait parfois, pour assouvir ses passions amoureuses, à se transformer [p. 11, colonne 1] en vautour, en lion. C’est sous cette dernière incarnation qu’il posséda Issé, fille de Macaris.

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Encouragés par d’aussi nobles exemples, les simples mortels auraient eu grandement tort de se gêner et de ne point donner libre cours à leurs instincts. Si, de la mythologie, nous passons à la société antique, nous trouverons les mêmes faits de perversion, notamment de bestialité, symptomatiques d’une dépravation coutumière. Toutefois, ne quittons pas le monde des dieux et des demi-dieux sans nous arrêter à l’aventure de Pasiphaé ; elle constitue la transition entre la légende et l’histoire.

Pasiphaé, femme de Minos, éprouva un jour une passion folle pour un taureau blanc. A cet amour indigne, qui la tenaillait au point de lui faire perdre toute raison, elle sacrifia son honneur, sa dignité de reine et de femme. Les poètes nous ont transmis avec fidélité les diverses péripéties de cette monstrueuse aberration. « Cette princesse, dit l’auteur de l’Art d’aimer, coupait elle-même d’une main inhabile des feuillages naissants et de l’herbe tendre qu’elle présentait à ce taureau. Elle accompagnait le troupeau dans les prairies, et là, elle ne songeait plus à son époux. Pourquoi, Pasiphaé, vous couvrir de riches habillements ? Votre bien-aimé est insensible à cette parure. Pourquoi, suivant les troupeaux à travers la montagne, le miroir à la main, arrangez-vous si souvent vos cheveux ? » Jalouse des génisses qui accompagnaient le taureau, elle en fait enlever une qui semblait plaire au mâle ; on la sacrifie, puis elle touille, de ses propres mains, les entrailles de la victime, en savourant sa vengeance. Enfin, elle trouve quelqu’un qui veut bien favoriser sa passion malsaine. C’est Dédale qui imagine de fabriquer une vache d’airain dans laquelle l’amoureuse va s’enfermer ; le taureau trompé par ce subterfuge, se prête au rôle qu’on attend de lui et calme enfin la passion exaspérée de la reine de Crète…

C’est bien là l’acte de bestialité dans ce qu’il a de· plus répugnant. On donna pour excuse à Pasiphaé qu’en toute cette affaire, elle ne fut que l’instrument de la vengeance de Vénus, irritée que Phébus eût éclairé ses amours avec Mars. Elle punit l’indiscret en inspirant à sa fille cette ignoble passion. On sait quel fut le fruit de cet hymen anormal : un monstre, le Minotaure.

Pétrone se devait à lui-même de célébrer cette aventure ; il la raconte dans une pièce très curieuse sous le rapport de la versification, [p. 11, colonne 2] car il y emploie tous les mètres d’Horace.

« La fille du Soleil brûle d’un feu nouveau, et poursuit, égarée par sa passion, un jeune taureau à travers les prairies. Les saints nœuds de l’hymen ne la retiennent plus, l’honneur du rang suprême, la grandeur de son époux, elle a tout oublié. Elle voudrait être métamorphosée en génisse ; elle porte envie au bonheur des Prœtides, et fait l’éloge d’Io ; non pas parce qu’on la vénère sous le nom d’Isis, mais à cause des cornes qui ornent son front. Si rien ne s’oppose plus à sa malheureuse passion, elle serre dans ses bras le cou du farouche taureau, pare ses cornes des fleurs du printemps et s’efforce de coller sa bouche à la sienne. Que l’amour inspire d’audace à ceux qu’il frappe de ses traits ! Elle s’enferme dans une caisse de

bois. ayant reçu la forme d’une génisse, et s’y livre à tous les égarements:

Et amoris pudibundi malesuadis
Obsequitur voti …

Cette étrange aventure ne fut pas sans inquiéter l’esprit luxurieux et dément des Romains de la décadence, Un commerce pareil était-il possible ? Le taureau serait-il abusé à ce point par une vache de bois ou de bronze ? On décida l’expérience, et Martial nous rapporte qu’en plein cirque, elle fut couronnée de succès:

Junctam Pasiphaem Dictceo credite tauro
Vidimus: accepit fabula prisca fidem
Nec te miretur, Coesar, longœva vetustas,
Quldquid fama canit, donat arena tibi.

« Croyez que Pasiphaé s’est bien unie au taureau de Dicté : nous avons vu ;ajoutons foi à l’antique fable. Que ces vieilles légendes cessent dont, César, de paraitre miraculeuses ; tout ce que la renommée chante, l’arène le reproduit pour toi. »

On peut juger, par cette citation, du genre [p. 11, colonne 3] de distractions, que, en dehors des combats de gladiateurs et des supplices de chrétiens, les jeux du cirque offraient aux Romains.

Au reste, la bestialité était d’une incroyable fréquence. Avec une surprenante candeur, Virgile nous initie aux mœurs infâmes de son temps. Non seulement le berger Corydon adorait le bel Alexis.

Formosum pastor Corydon ardebat Alexim,

mais encore Ménalque forniquait avec ses chèvres, sous l’œil jaloux des boucs et avec la complicité des nymphes amusées. Le Silène des Bucoliques trouve fort plaisante, lui aussi, l’aventure de Pasiphaé et il envie le bonheur de son taureau, Cyparisse pleurant la mort de son cerf aimé, et que les dieux changent en cyprès pour l’arracher au suicide, Cyparisse, patron des zoophiles, fut lui aussi un aberré de l’amour, dont pouvaient se réclamer les nombreux amateurs de bestialité. Aussi l’épigramme ne le ménage pas :

Charmantes filles de Mendès,
Quels amants cueillaient sur vos lèvres
Les doux baisers que je [prendrais ?
Quoi ! ce sont les maris des chèvres !

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Ne soyons pas trop sévère : la bestialité, que nous pouvons réprouver aujourd’hui, a été évidemment, une des formes passionnelles des temps primitifs, puis des temps antiques. Mais comment en pouvait-il être autrement ? Philosophies, religions, traditions, légendes, associaient étroitement l’animal à l’homme. On observe une confusion complète des espèces dans tous les récits merveilleux que les poètes transmettent fidèlement ; la tératologie y occupe le premier plan, car il n’y est question que d’êtres bizarres, satyres aux pieds de boucs, centaures mi-hommes mi-chevaux, monstres marins ou ailés empruntant, partie à l’homme partie à l’animal, leurs caractères distinctifs. On ne parle, dans la mythologie et la légende, que de métamorphoses surprenantes. La tradition populaire colporte les phénomènes de lycanthropie les plus invraisemblables. De l’ensemble philosophique, constitué par ces légendes et ces traditions, ne se dégage pas, comme plus tard, la souveraineté de l’homme, orgueilleusement jaloux de sa royauté. Au contraire, il se mêle volontiers à l’animalité, il y trouve ses meilleurs amis ; la vie pastorale, son isolement au milieu des troupeaux, tout le pousse, quotidiennement, à la bestialité, qu’il considère comme un jeu.

Hérodote raconte que dans l’ancienne Égypte la bestialité affectait une forme religieuse et [p. 12, colonne 1] que, très solennellement, en manière de sacrifice, une femme était livrée au bouc. Comment s’étonner que le peuple ait suivi la leçon qui lui était donnée au temple ?

NOTA. – Il y aurait à écrire comme complément de l’article de notre collaborateur, le Dr· Nass, un chapitre intéressant sur la bestialité au moyen âge et dans les temps modernes. Qu’il nous suffise de rapporter ici quelques cas empruntés au beau livre du Professeur Le Double sur Les Velus.

Ambroise Paré cite le cas d’un enfant engendré d’une femme et d’un chien et dont le corps participait de l’un et de l’autre :

Deux évêques [p. 12, colonne 2] d’Upsa!, dit Fortunius Licetus, se sont lamentés sur le sort d’une jeune Suédoise, d’une beauté remarquable qui, étant sortie accompagnée de ses suivants et pour se récréer l’esprit loin de sa ville natale, fut, à leur grande consternation, enlevée par un ours énorme et entraînée par lui dans une caverne située au plus profond d’un bois. Terrifiée et violée par l’ours en rut, vivant avec cet animal qui la nourissait de chair crue, cette jeune fille devint bientôt enceinte et mit au monde un monstre poilu, qui avait une figure et des membres humains.

L’ours ayant été tué à la chasse, elle transporta dans sa ville natale cet enfant qu’elle avait appelè « Ursus », en souvenir de son père. Dans la suite, Ursus, ayant pris femme, eut plusieurs fils, dont un, nommé Trégals Sprachaley, engendra Ulso, de qui naquit Suens, roi des Danois.

 

 

 

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