Charles Journet. Le point de vue théologique sur les sueurs de sang et les stigmatisations. Extrait des « Études carmélitaines, mystiques et missionnaires – Douleur et stigmatisation », (Paris), 20e année, tome deux, octobre 1936, Page 171-189.
Charles Journet (1891-1975). Théologien catholique, cardinal à compter de 1965. Fondateur de la revue Nova et Vetera en 1926.
Quelques publications :
— Le problème du mal, Revue des Jeunes (1924) 120-130.
— La légende du grand inquisiteur, Nova et Vetera 1 (1932) 77-100.
— Introduction à la théologie. Paris, 1947.
Les [] renvoient aux changements de page originaux de l’article. – L’image in texte est celle de l’article. Celle du portrait de l’auteur a été rajoutée par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
Le point de vue théologique
sur les Sueurs de sang et les
Stigmatisations.
[p. 171]
Nous voudrions exposer, aussi clairement que possible, quel est, relativement à deux phénomènes voisin, celui des sueurs de sang et celui des stigmatisations, l’attitude du théologien : comment il reconnaît d’abord des « faits scientifiques » et quelles sont les questions qu’il pose aux hommes de science ; comment il doit reconnaître en outre des « faits théologique », des questions qui en résulte, et les réponses qu’il est possible de leur donner ; quel est, enfin, la signification générale de ceux-là seuls de ces faits qui méritent à ses yeux le nom de « faits théologiques ». Notre intention n’est pas d’apporter de nouveaux matériaux. Elle est méthodologique. Elle est de présenter, au point de vue théologique, un bref état de la question relativement à ces deux sortes de phénomènes.
LES SUEURS DE SANG
I. Il y a des sueurs de sang qui se produisent sans aucune corrélation avec la sainteté. L’existence de tels hémathidrose et scientifiquement établie et n’est contestée par personne. Les théologiens les ont signalées avec complaisance. Ils ont cité Aristote déclarant que le sang peut devenir séreux au point de certains on sué une sueur sanglante (1). Dom Calmet (2), qui avait consulté sur ces questions le docteur Alliot de Mussey, de la faculté de Paris, rapporte de nombreux cas, vrais ou crus tels, de sueurs de sang, dues soit à des causes externes ou physiques : piqûre de serpent, absorption des herbes vénéneuses, changement de [p. 172] climat, soit à des causes internes et psychiques : « M. de Thou, dit-il, raconte que le gouverneur de Montmarin ayant été arrêté par Auguste, fils naturel du Prince de Saluces, et menacé de mort s’il ne rendait sa place, en fut tellement affligé qu’il en sua sang et eau. Maldonat raconte la même chose d’un homme plein de vigueur et de santé qui, ayant ouï la sentence qui le condamnait à la mort, parut tout couvert d’une sueur de sang.
Si nous relevons ces exemples parmi beaucoup d’autres, c’est qu’ils ont été rapportés par Benoît XIV dans son ouvrage sur la Béatification des Serviteurs de Dieu (3).Notre première conclusion sera donc qu’à placer le phénomène des sueurs de sang dans la simple lumière de la science expérimentale, à le considérer comme un fait purement scientifique (4), il serait insensé d’en rien déduire relativement à la sainteté des émotions ou de la vie d’un personnage (5).
2. Y-a-t-il des sueurs de sang qui se présentent comme en corrélation avec une œuvre de sainteté ? Certes. Nous en avons un cas éminent dans le récit de l’agonie de Jésus, Luc, XXII, 41-44 : « Et s’étant mis à genoux, il priait en disant : Père, si tu veux, éloigne de moi ce calice, mais que non ma volonté, mais la tienne, se fasse. Et il lui apparut un ange du ciel, qui le réconfortait. Et étant entré en agonie, il priait avec plus d’instance, et sa sueur fut comme des globules de sang [littéralement : des caillots, des grumeaux de sang] qui coulaient jusqu’à terre. » La sueur de sang est l’accompagnement, le symptôme d’une agonie résultant de la connaissance concrète, expérimentée, inouïe de deux abîmes, celui de la sainteté de Dieu et celui de la perversité du péché du monde, s’il est vrai que Jésus est Dieu et qu’il sauve le monde par sa Passion. Placée dans une telle lumière, elle est beaucoup plus qu’un simple fait scientifique, elle est, de plus, un fait théologique (6), un fait sotériologique, dont le contenu est insondable, et dont la valeur d’exemplarité reste mystérieuse.
Est-ce le seul cas de sueurs de sang qui méritent le nom de faits théologiques ? Peut-on rencontrer, dans la vie des membres du Christ, serviteurs de Dieu, bienheureux, saints canonisés, une [p. 173] participation à l’agonie intérieure du Sauveur, qui apparaisse indubitablement comme authentique, comme inspirée par une foi et une charité éprouvées, et qui s’accompagne, au dehors, de ces signes extraordinaires et exceptionnels que sont les sueurs ou les larmes de sang ? Il ne faut pas hésiter à répondre affirmativement. Nous pourrons les appeler des faits mystiques, des faits divins. On les rencontrerait, par exemple, dans la vie de Gemma Galgani. A plusieurs reprises, pour avoir entendu blasphémer Dieu, elle répandit des sueurs et des larmes de sang (7).
3. Est-il possible, à la lumière de l’observation purement scientifique, d’établir une distinction entre les sueurs de sang qui ne sont que des faits scientifiques et celles que nous regardons comme des faits théologiques ? En d’autres termes, les sueurs de sang qui se rencontrent dans les extases des saints, offrent-elles des particularités physiologiques qui permettent, à elles seules, d’opérer un premier classement, les distinguant des sueurs de sang physiopathologiques et psychopathologiques ? La fréquence des premières sueurs de sang, leur régularité, leur abondance, les conditions physiologiques dans lesquelles elles se présentent, tranchent-elles sur ce qu’on voit ailleurs ? Pour choisir un exemple concret, le fait d’une sueur de sang, considérée par ailleurs comme un fait théologique, dessinant sur les linges qui entourent la tête d’un extatique une couronne d’épines d’une grande netteté (8), trouve-t-il un équivalent dans les sueurs de sang profanes observées par les médecins ? Nous posons ici des questions. Quelque réponse qu’on leur donne, Il reste que la distinction des sueurs de sang en faits simplement scientifiques et en faits théologiques ne pourra se fonder, en dernière analyse, que sur d’autres considérations, faisant appel aux données de la foi et de la théologie.
4. Dire que la sueur de sang du Christ est un fait théologique, est-ce dire qu’elle doit s’expliquer par une intervention de caractère miraculeux ? Nullement. Est-il vrai qu’il y ait eu quelque théologien pour supposer que la sueur de sang du Christ ne résultait pas de son agonie intérieure par un processus physiologiquement explicable, et pour imaginer qu’elle était produite du dehors par une action miraculeuse ? En tout cas, ce serait là une opinion [p. 174] singulière et sans valeur. A la suite de Cajetan (9), de Suarez (10), de Benoît XIV, les théologiens sont unanimes à répudier un miracle si étrange. Pourtant, ils n’entendent pas diminuer le caractère mystérieux de la sueur de sang du Sauveur. C’est volontairement, rappellent-ils, que le Christ a ouvert les portes de son âme aux flots de l’agonie ; et Suarez, expliquant un texte de saint Hilaire, ajoute que cette agonie, d’où résultait la sueur de sang, peut être appelée miraculeuse, en ce sens qu’elle était au-dessus des forces d’un pur homme. Disons, pour parler avec toute la précision requise, qu’une fois admis le mystère de l’Incarnation, la sueur de sang du Christ est un fait mystérieux, non un fait miraculeux, ni même un fait de soi préternaturels. (11). A la manière du grand cri de Jésus : Eli, Eli, lamma sabacthani.
5· Si nous considérons comme faits théologiques les sueurs de sang que nous pouvons rencontrer chez certains serviteurs de Dieu, ce n’est pas non plus que nous découvrions en elles quelque caractère miraculeux, ni même préternaturel. Nous nous souvenons que Benoît XIV a écrit que de tels phénomènes , doivent être écartés de la catégorie des miracles (12). Mais s’il s’agit vraiment de faits théologiques, si les sueurs de sang sont par ailleurs en corrélation moralement évidente avec une éminente charité et une dévotion exceptionnelle à la passion du Sauveur, elles doivent être prises en considération: elles sont l’expression d’une intensité dans la douleur et dans la compassion qui trahit une charité exceptionnelle (13). Versées par amour, vaudraient-elles donc moins que les autres larmes dont on fait cas dans les vies de saints ?
Ainsi donc, sans regarder les sueurs de sang comme préternaturelles, comme de soi supérieures aux réactions du psychisme humain, nous sommes en droit cependant de distinguer celles
CHRIST, par SIMON MARION
vers 1470.
(Musée de Strasbourg)
[p. 175] qui se présentent simplement comme faits scientifiques et celles qui se présentent encore comme faits théologiques.
planchE 1
LES STIGMATES
S’il en fallait juger comme des sueurs de sang, on aurait donc à distinguer des stigmates qui seraient de simples faits scientifiques non divins, et d’autres stigmates qui apparaîtraient en outre, par leur relation avec la sainteté du sujet où ils se trouvent, comme des faits théologiques, des faits divins, plus impressionnants encore et plus extraordinaires que les sueurs de sang. Mais on n’en peut juger comme des sueurs de sang. Les stigmates présentent un cortège de faits nouveaux: déchirures histologiques subites, parfois rapidement refermées, parfois restant sanglantes, hémorragies abondantes, etc. Du point de vue soit scientifique soit théologique ces faits posent bien des questions.
I. La première n’est pas la moins délicate. Y-a-t-il des stigmates qui se présentent comme de simples faits scientifiques ?
Beaucoup l’ont tenu pour un postulat. C’est évidemment une. attitude peu scientifique. Nous sommes en droit de leur demander des raisons. Cependant, il nous semble que certains écrivains catholiques ont tendance à se montrer ici trop exigeants. Ils ne se. contenteraient pas de preuves suffisantes. Le P. Poulain demande qu’on lui prouve l’existence de stigmates profanes : « Si l’on veut établir d’une manière vraiment scientifique que l’imagination, c’est-à-dire l’auto-suggestion, peut produire les stigmates, il n’y a qu’un moyen: au lieu de nous proposer de simples hypothèses, il faut qu’on nous apporte des faits analogues, mais d’ordre profane, c’est-à-dire des plaies produites par suggestion, en dehors d’une idée religieuse. Or, on n’en a jamais rencontré… (14) ». C’est trop demander. Il suffirait, pour administrer la preuve requise, d’établir que l’imagination (ou quelque force psychique) réussit, fût-ce même avec le secours d’une idée religieuse, à produire des stigmates en des sujets où, par ailleurs, le théologien ne découvrirait ni signes démoniaques, ni signes de sainteté véritable. Le Dr van der Elst écrivait, de son côté, en 1911 : « Des stigmates naturels ne [p. 176] peuvent être scientifiquement acquis, péremptoires, que si on les produit à volent- en fonction d’une cause connue, au gré d’un facteur sensible constant, ou au moins habituellement maniable. A défaut de cette démonstration qui seule constituerait une preuve, les stigmates naturels pourraient être présumés, mais présumés seulement, pourvu que l’on conçût une relation plausible de cause à effet entre des faits connus et naturels et les dits stigmates (15). Sans doute l’expérimentation serait la preuve idéale. Mais une constatation bien faite ne peut-elle être une preuve suffisante ?
Voici comment on pourrait, nous semble-t-il, formuler la question. L’observation scientifique enregistre-t-elle des cas de déchirures histologiques produites subitement, sous l’influence de représentations soit profanes soit religieuses, et qui, à l’examen théologique, se révéleraient, par ailleurs, sans caractère soit divin soit diabolique ? Existe-t-il des stigmates qui seraient de purs faits scientifiques, sans être en même temps des faits ou mystiques ou démoniaques ? Ou, pour employer une expression qui ne nous paraît pas exempte d’équivoque (16), y-a-t-il des stigmates naturels ?
A cette question, reconnaissons que beaucoup parmi les anciens auraient répondu négativement (17). Ils regardaient les stigmates comme toujours préternaturels et comme relevant soit de Dieu, soit des bons ou des mauvais anges.
Bien des modernes sont du même avis. Ayant demandé s’il existe des stigmates naturels, le P. Poulain répond : « Chez les catholiques, les opinions sont partagées. Je n’essaierai pas de décider qui a raison parmi eux. Les sciences psycho-physiologiques ne me paraissent pas assez avancées pour qu’on puisse se prononcer nettement. J’adopterai une position intermédiaire, mais qui me semble inattaquable, c’est de montrer que les preuves apportées en faveur des explications naturalistes sont illusoires. Ce sont tantôt des hypothèses arbitraires, tantôt des raisonnements fondés sur des faits exagérés ou mal interprétés. Puisque les thèses contraires ont ainsi résisté à toutes les attaques, il s’ensuit que, jusqu’à nouvel ordre, elles sont de beaucoup les plus probables. Si toutefois le progrès des sciences médicales et de la psycho-physiologie apportait enfin des objections sérieuses, la religion et la [p. 177] mystique n’auraient pas à s’en troubler. Elles ne dépendent nullement de la solution de ces questions (18). , On peut résumer la pensée du Dr van der Elst (19) à deux propositions : 1° « Dans l’état actuel de la science, il y a lieu d’admettre… que les stigmates -naturels n’ont jamais été observés, ni produits artificiellement par expérience. 2° Dans l’état actuel de la science, nous croyons même que les stigmates naturels sont inconcevables. Mais, continue Dr Dr van der Elst, « la science peut changer : un fait nouveau, peut nous confondre, ou simplement, à défaut même de fait nouveau, nous pouvons concevoir demain ce que notre raison limitée (et par conséquent incompréhensible) nous fait paraître aujourd’hui un compréhensible.
Quelle sera notre réponse?
Si le cas de l’Élisabeth du Dr Lechler était hors de toute contestation, comme le pense le professeur Wunderle ; et si les stigmates de Louise Lateau ne relevaient ni du préternaturel divin, ni du préternaturel démoniaque, il nous faudrait répondre, qu’à l’encontre de ce qu’ont pensé la plupart des théologiens de la Renaissance; il y a des stigmates non divins, non préternaturels. Ce n’est donc qu’après élimination de deux hypothèses que nous pourrions conclure dans ce sens.
Nous sommes prêts à le faire, dès qu’il le faudra. Pour le moment sans croire encore positivement à l’existence de stigmates comme simples faits scientifiques, de stigmates non préternaturels, nous laissons néanmoins la question ouverte. A supposer leur existence donnée, nous demandons s’il serait possible, par les seuls moyens : de la science empiriologique, d’établir une première distinction entre eux et l’ensemble de ceux que nous regardons comme étant, en outre, des faits théologiques ? Trouverait-on, de part et d’autre, les mêmes phénomènes touchant simplement l’importance des plaies stigmatiques, leur mode de production ou de cicatrisation, l’absence de suppuration, l’abondance et la périodicité des hémorragies, l’état de santé du stigmatisé, etc.
2. Supposons l’existence de stigmates comme simples faits scientifiques, de stigmates non préternaturels. Ce qui est en tout cas hors de doute, c’est l’existence de stigmates qui apparaissent en rapport avec la sainteté véritable, lorsqu’on les examine à la lumière de la théologie, et que nous appelons, pour cette raison, des faits théologiques notables, des faits mystiques, des faits [p. 178] divins. Il est possible qu’ils se distinguent des faits précédents déjà du point de vue de la connaissance empiriologique.
Mais ce sont des caractéristiques plus profondes, d’ordre surtout moral, qui nous permettront de ranger avec certitude ces stigmates parmi les faits théologiques. Quelles sont-elles ? Nous n’avons pas à les énumérer ici, elles font l’objet des travaux qui seront lus tout à l’heure (20). Il suffit, pour les connaître quasi expérimentalement, pour les toucher en quelque sorte du doigt, de voir dans quel contexte de richesse, de générosité, de surabondance spirituelle, d’intelligence de la grandeur et de la sainteté de Dieu, les stigmates se produisent chez les saints authentiques, chez un François d’Assise, une Gemma Galgani (21). Leurs douleurs et leurs plaies sont les douleurs et les plaies d’un amour qui apparaît manifestement comme surhumain. Elles témoignent d’une réalité trop spirituelle, trop profonde, pour relever de la pure science empiriologique. Réalité perceptible non plus à l’aide du type de connaissance qui s’arrête à l’écorce des phénomènes, mais à l’aide du type de connaissance le plus élevé qui soit en l’homme, nous voulons dire de la sagesse, laquelle pénètre dans l’épaisseur de l’être et s’enfonce au cœur du mystère ontologique : qu’il s’agisse déjà de cette sagesse humaine, telle qu’on la trouve ,dans tout homme dont l’âme est grande, et peu importe qu’il soit ou ne soit pas philosophe ; ou qu’il s’agisse, plus encore, de la sagesse divine du croyant. Le savant, le médecin, peut posséder ces sagesses, et en user. Il parle alors non plus comme homme de science, mais comme sage, ce qui est mieux. Car la sagesse est meilleure que la science. C’est ainsi, par exemple, que le Dr van der Elst a pu écrire, sur les souffrances des stigmatisés, des pages fortes et pénétrantes.
Nous affirmons donc l’existence de stigmates qui sont des faits théologiques, des faits divins. De quelle nature particulière sont ces faits ? Comment devrons-nous les répartir ? C’est ici une nouvelle question, en réalité bien secondaire aux yeux du théologien, mais qu’il ne refuse pas d’examiner.
3. Si nous avons supposé la possibilité de stigmates non-divins dus à des réactions psycho-physiologiques et produits sous [p. 179] l’influence de représentations soit profanes soit religieuses, nous devrons, pour des raisons semblables, supposer la possibilité de stigmates divins, causés non ab extrinseco, mais ab intrinseco par voie psycho-physiologique, et résultant d’un cœur et d’une intelligence bouleversés par la contemplation du Sauveur crucifié.
Si de tels stigmates existent, et nous laissons ici encore la question ouverte, il en faudrait juger comme des sueurs de sang. Ils ne seraient pas préternaturels. Ils ne seraient pas non plus « naturels » au sens de « profanes ». Ils seraient les pauvres signes humains, les témoignages émouvants, plus significatifs encore que les sueurs de sang, d’une oraison et d’une contemplation qui, elles, sont au-dessus de la nature.
Des anciens comme Pétrarque et Pomponat ont cru à la possibilité d’une telle explication. Ils sont allés plus loin. Ils ont proposé de ramener à cette catégorie, à moins que l’Église ne s’y oppose, tous les stigmates, même ceux de saint François d’Assise (22). Il est possible, il est probable pour nous, au contraire, que nous soyons ici en présence d’une case inoccupée, d’un cadre théorique. Cela dépend, nous l’avons dit, de la réponse donnée à la question qui précède.
4. Pour porter jusqu’au scrupule le souci d’énumérer toutes les hypothèses possibles, disons que, parmi les stigmates qu’il retient comme faits théologiques (que ces faits théologiques soient, ou ne soient pas, préternaturels), le théologien pourrait, si le besoin s’en faisait sentir, distinguer deux catégories. Dans la première, il rangerait les stigmates dans la formation desquels n’interviendrait aucun processus morbide, physiopathologique ou psycho-pathologique. Dans la seconde, il rangerait les stigmates dans la formation desquels pourrait intervenir un processus morbide d’ordre physiopathologique, ou même d’ordre psychopathologique dans la mesure bien sûr où un processus psychopathologique n’est pas incompatible avec les exigences de la vie surnaturelle et de la sainteté (23).
5. Mais, tant qu’on n’a pas établi l’existence de stigmates, naturels», nous croyons devoir considérer les stigmates théologiques, les stigmates divins, comme préternaturels. Est-ce une faute de méthode ? une infraction au principe d’économie?? Non, pour deux raisons. Premièrement, le principe d’économie interdit le recours à une explication préternaturelle lorsqu’on possède une [p. 180] explication naturelle, ce qui, précisément, n’est pas le cas. Secondement, si les stigmates se produisent non dans un sujet quelconque, mais dans un sujet qui par ailleurs est absorbé en Dieu d’une manière extraordinaire, la présomption est en faveur de leur origine divine. Il est donc d’une exacte méthode d’affirmer qu’à la différence des sueurs de sang, tout stigmate digne de ce nom doit être rangé dans la catégorie des faits préternaturels.
Néanmoins, pour tout prévoir, ajoutons que, même s’il fallait concéder que les stigmates théologiques ne sont pas tous préternaturels, il resterait que certains le sont en raison, nous le verrons, des caractères particuliers qu’ils présentent.
Il y a deux manières d’expliquer les stigmatisations préternaturelles. On peut supposer que, dans la production des stigmates, l’agent préternaturel se sert des ressources psycho-physiologiques des sujets humains comme d’un instrument dont il surélève les pouvoirs. On peut supposer au contraire qu’il agit du dehors, sans utiliser ni les processus psychologiques conscients . ou inconscients, ni les processus physiologiques. Dans le premier
cas, les stigmatisations se produiraient comme du dedans, elles apparaîtraient comme le résultat d’une mystérieuse poussée intérieure : disons qu’elles seraient diapsychologiques et diaphysiologiques. Dans le second cas, les stigmatisations se produiraient plutôt de l’extérieur à l’intérieur : disons qu’elles seraient parapsychologiques et para physiologiques. Chose curieuse : cette distinction n’a pas été faite expressément par les anciens théologiens, du moins pour ce qui regarde les stigmatisations. Ils n’ont pensé qu’à l’explication parapsychologique. Nous ne la rejetons pas, on le verra tout à l’heure. Pourtant l’explication diapsychologique, nous paraît mériter l’attention.
Tout d’abord elle n’offre rien d’insolite. Les théologiens savent bien que les agents créés peuvent servir d’instruments dans la production des effets soit préternaturels, soit même miraculeux. Affirmons davantage, et essayons de montrer, par quelques raisons sinon apodictiques, du moins probable, que l’existence des stigmatisations diapsychologiques doit être reconnue.
I. Elles permettent, sans ,diminuer en aucune façon le caractère transcendant des stigmatisations, de tenir compte du rôle indéniable de l’imagination dans la localisation et la configuration des stigmates. Le fait que l’emplacement et le dessin des plaies stigmatiques imitent les plaies d’un crucifix regardé avec amour ou contemplé dans l’extase trouve alors une explication adéquate (24). [p. 181] (On constatera pareillement que beaucoup de visions authentiques des saints reproduisent, dans une lumière d’amour qui n’appartient qu’à eux, les conceptions des théologiens et des artistes qui leur étaient contemporains).
2° L’explication diapsychologique est amorcée par saint François de Sales au Traité de l’Amour de Dieu(25). L’âme du grand saint François contemplant l’image du séraphin crucifié se trouvait, dit-il, « toute transformée en un second Crucifix » et, « comme forme et maistresse du cors, usant de son pouvoir sur iceluy, imprima les douleurs des playes dont elle était blessee, es endroitz correspondans a ceux esquelz son Amant les a voit endurees. L’amour est admirable pour aiguiser l’imagination, affin qu’elle penetre jusques a l’exterieur ». C’est donc une explication diastigmatique que saint François de Sales donne de l’intensité et de la localisation des douleurs stigmatiques. Toutefois il ne la croit pas capable de rendre raison des plaies stigmatiques : « Mais de faire les ouvertures en la chair par dehors, l’amour qui estoit dedans ne le pouvoit pas bonnement faire : c’est pourquoy l’ardent Séraphin, venant au secours, darda des rayons d’une clarté si penetrante, qu’elle fit reellement les playes exterieures du Crucifix, en la chair, que l’amour avoit imprimees interieurement en l’ame ). Sur quoi l’on peut remarquer que les forces psycho-physiologiques pourraient faire, sous une influence préternaturelle, ce qu’elles ne peuvent faire toutes seules. On peut en outre ajouter qùe les récits relatant la stigmatisation de saint François ne l’attribuent pas à des « rayons de lumière » (26) Dans ces pages admirables du Traité de l’Amour de Dieu, saint François de Sales semble mêler deux récits de stigmatisation, celui de saint François et celui de sainte Catherine de Sienne.
3° Peut-être pourrait-on trouver un argument favorable à l’explication diapsychologique dans le fait que les stigmates de Gemma Galgani se reproduisaient habituellement par un processus allant de l’intérieur à l’extérieur ; parfois au contraire, « au lieu de se former peu à peu dans l’espace de 5 à 6 minutes, en commençant sous la peau ou l’épiderme, les blessures s’ouvraiel;lt instantanément, de l’extérieur, comme sous la poussée violente de [p. 182] clous invisible ; et c’est éteint leur un supplice de voir la chair martyr, ainsi frappé à l’improviste, trembler de douleur dans tous les muscles de ses bras, de ses jambes, de tout son corps (27). »
4° Objectera-t-on que l’explication diapsychologique devrait conduire logiquement à prétendre que l’amour étant héroïque chez tous les saint, tous devraient être stigmatisés ? Pour écarter tout rôle de l’imagination dans la formation des stigmates de Saint-François, Barthélémy de Pise, cité par Benoît XIV (28), écrit que « si la représentation véhémente de la passion du seigneur Jésus pouvait imprimer naturellement les stigmates, on l’aurait vu dans la bien heureuse Marie, mère du Seigneur rédempteur, et dans son corps, car plus que personne elle a aimé le Christ et a compati à sa Passion ». Mais nous ne disons pas ici que la stigmatisation est naturelle. Elle est un accompagnement prêter naturelle pourtant facultatif et contingent de l’amour. Comme les extase divine qui sont, dit Benoît XIV, des faveurs préternaturelles, extraordinaires, et qui, en raison de leur fréquence chez les saints, deviennent , Lorsqu’elles sont jointes à la pratique des vertus héroïque, une preuve supplémentaire est un signe nouveau de sainteté (29).
Peut-on concevoir l’existence d’une stigmatisation divine, avec ses douleurs et ses plaies, dans une personne qui aurait sans doute pour mission de rappeler au monde la nécessité de compatir aux souffrances rédemptrices, et qui, elle-même, serait dépourvu de santé, voire de sainteté élevée ? À la rigueur, peut-être ; mais cela paraît fort improbable. Saint-Jean de La Croix parle des stigmates de Saint-François comme de manifestations extérieures et contingentes d’une merveilleuse blessure d’amour, d’un séraphin ouvre dans l’âme parvenue à l’union transformante (30). Saint François de Sales les considère, lui aussi, comme l’accompagnement possible d’une dilection très élevée (31)
5° Si certaine que nous semble l’explication diapsychologique, elle est cependant impuissante à rendre raison de toutes les stigmatisations. L’explication parapsychologique parfois sera plus vraisemblable, parfois s’imposera. Essayons de l’établir. [p. 183]
Peut-on tirer un argument de la liturgie ? En tout cas, il est bien faible. Elle a approuvé une fête des stigmates de saint François pour l’Église universelle, une fête des stigmates de sainte Catherine pour l’Ordre dominicain, une fête de la transverbération du cœur de sainte Thérèse pour l’Ordre carmélitain. Mais ces fêtes seraient suffisamment justifiées dans l’hypothèse de stigmatisations diapsychologiques(32). Benoît XIV, qui était promoteur de la foi quand l’autorisation de célébrer les deux derniers de ces offices fut demandée à Benoît XIII, répondit favorablement « admissa veritate charismatis (33). » Expressément, Benoît XIV n’exige donc rien de plus que l’authenticité des faits signalés. Cependant, par ailleurs, il ne prévoit nulle part que l’imagination puisse avoir le moindre rôle, même instrumental, dans la production des stigmates. Voilà ce qui pourrait favoriser l’explication parapsychologique.
Le premier argument solide qu’on puisse apporter en faveur d’un recours à l’explication parapsychologique est tiré des particularités de certains stigmates qui tranchent sur les autres. Les stigmates de saint François, par exemple, ne sont pas de simples plaies. Ils imitent la forme des clous : « Ses pieds et ses mains semblaient transpercés en leur centre par des clous dont la tête apparaissait dans la paume des mains et le dessus des pieds, et dont la pointe ressortait de l’autre côté. La tête des clous était noire et ronde, et leur longue pointe, comme recourbée et rivée, ressortait des chairs (34) » D’autres stigmates s’accompagnent d’hémorragies qui se produisent en sens inverse de la pesanteur (35). Signalons encore les phénomènes de fragrance et de luminescence stigmatiques (36). On pourrait peut-être ajouter ici que parfois, comme nous l’avons dit de Gemma Galgani, les stigmates se produisent du dehors au dedans, comme sous la poussée violente de clous invisibles.
6. Le second argument qu’on puisse faire valoir en faveur de l’explication parapsychologique s’appuie sur les récits mêmes de [p. 184] stigmatisation. A les prendre à la lettre, ils témoignent indiscutablement, pour la plupart, d’une intervention divine extrinsèque. Dans le récit qu’elle fait de l’extase de Pise, sainte Catherine de Sienne raconte qu’elle voit venir, des plaies du Seigneur attaché en croix, cinq rayons de sang, dirigés contre son corps et qui, à sa merveilleuse demande, se changent en rayons de lumière (36). On connaît le passage célèbre où sainte Thérèse décrit un ange qui, dit-elle, « tenait à la main un long dard en or, dont l’extrémité en fer portait, je crois, un peu de feu. Il me semblait qu’il le plongeait parfois au travers de mon cœur et l’enfonçait jusqu’aux entrailles (37). » Gemma Galgani écrit : « Au même instant parut Jésus; ses plaies étaient ouvertes, mais il n’en sortait pas de sang; il en jaillissait des flammes ardentes. En un clin d’œil, ces flammes touchèrent mes mains, mes pieds et mon cœur. Je me sentis mourir et j’allais tomber (38)… »
Mais comment entendre ces apparitions ? Sont-elles dues à une immutation intérieure des yeux du voyant, immutation qui ne serait point mensongère puisqu’elle serait destinée à signifier un mystère réel et ineffable ? Viennent-elles d’une apparition extérieure, formée miraculeusement et réellement agissante ? Ce sont là, on le sait, les deux sortes d’explications proposées par saint Thomas (39). C’est seulement si l’on adopte la seconde que l’on doit conclure à la production parapsychologique des stigmates.
7° Nous n’avons parlé jusqu’ici que de stigmates préternaturels. Un point en effet est certain aux yeux des théologiens: à parler rigoureusement, les stigmates ne sont pas des faits miraculeux, dont la production dépasse les pouvoirs de toute nature créée ou créable. Ils peuvent être causés par les anges, bons ou mauvais. Cependant, certains phénomènes adjacents à la stigmatisation, comme la cicatrisation absolument instantanée de plaies profondes, nous semblent appartenir à la catégorie des vrais miracles, de ceux que les théologiens appellent miracles quant au mode de productions (40).
8° Si l’on tient compte de l’action des mauvais anges, il faudrait, [p.185] conformément à ce que nous avons dit, établir plusieurs catégories possibles de stigmates démoniaques. D’abord une catégorie qui renfermerait les sueurs de sang et les stigmates démoniaques non préternaturels ; mais l’existence de tels stigmates est hypothétique. Puis viendraient les stigmates démoniaques préternaturels, subdivisés en deux groupes, suivant qu’ils sont diapsychologiques ou parapsychologiques. En fait, les anciens rangeaient tous les stigmates démoniaques dans ce dernier groupe. Ils tenaient que les stigmates démoniaques peuvent imiter parfaitement, au dehors, les stigmates des saints. Benoît XlVI (41) demande qu’on prenne en sérieuse considération le fait suivant, raconté par Ribadeneira dans sa Vie de saint Ignace de Loyola, lib. V, cap. 10. Un homme grave, le P. Réginald, dominicain, rencontra saint Ignace à Rome et, en présence du P. Ribadeneira, lui exposa qu’il y avait, à Bologne, dans un couvent relevant de son obédience, une vierge remarquable par la vertu de son oraison, souvent ravie hors de ses sens au point de ne pas sentir la brûlure du feu, portant des stigmates aux mains et au côté, et dont la tête [p. 186] percée d’épines répandait le sang. Au dominicain qui lui demandait ce qu’il en pensait, saint Ignace répondit que, de tous les faits qu’on lui avait rapportés, un seul méritait d’être retenu, à savoir la très prompte obéissance avec laquelle cette vierge recevait les ordres de ses supérieurs. Quand le religieux se fut éloigné, le saint ajouta que, pour les autres signes, ils pouvaient être soit de Dieu, soit aussi du démon qui cherche à égarer la vaine curiosité des hommes.
Voilà pour les stigmates d’origine démoniaque. Comme tels, ils sont au-dessus des moyens d’investigation de la pure science. Si leur existence est établie par ailleurs, ils sont à ranger parmi .les faits supra-scientifiques. Nous distinguerons donc les faits supra-scientifiques en faits démoniaques et en faits divins ou théologiques.
9° Il reste à dire en un mot quelle est la signification des stigmates. Ils ont pour fin de nous rappeler d’une manière bouleversante les souffrances du Dieu martyrisé pour nous, et la nécessité où est l’Église tout entière de souffrir et de mourir avant d’entrer dans la gloire. Ils sont une prédication muette et pathétique, une prédication sanglante, à la fois tragique et splendide. Ils ne nous permettent pas d’oublier quels sont les vrais signes de la sincérité de l’amour.
C’est un principe certain que la vie de l’Église entière doit reproduire au cours des âges la vie temporelle du Christ qui est sa tête. Aussi la grâce qui est versée dans le cœur de l’Église est-elle sacramentelle. Ce n’est pas la grâce sanctifiante tout court, c’est la grâce sanctifiante enrichie des modalités qui façonnent, du dedans, le corps social du Christ à la ressemblance de son corps individuel. Le corps social du Christ, à l’instar de son corps individuel, a d’abord connu successivement l’âge de l’enfance, puis celui de la vie cachée, puis celui de l’affirmation publique. Quand fut venu, pour l’Église, le temps où elle devait commencer à reproduire collectivement la passion du Christ, Dieu, par le moyen de la grâce sacramentelle, suscita en elle un désir jusqu’alors inconnu. Sur la montagne de l’Alverne, le jour de l’Exaltation de la Sainte Croix, un petit pauvre qui, depuis longtemps, ne possédait plus que trois choses, sa tunique, une corde et des linges pour envelopper ses jambes, demanda deux grâces avant de mourir : la première, d’éprouver dans son âme et dans son corps, autant qu’il serait possible, la douleur que le doux Seigneur souffrit dans sa passion ; la seconde, d’éprouver dans son cœur, autant qu’il serait possible, cet excessif amour qui enflamma alors le Fils de Dieu. Sa prière n’était point présomptueuse. Elle était sainte. [p. 187] Mais elle fut exaucée d’une manière absolument imprévisible, merveilleuse, extraordinaire. Pour la première fois l’Église reçut alors les stigmates. Elle ne les perdra plus jamais.
ABBÉ CHARLES JOURNET, professeur de théologie
au Grand Séminaire de Fribourg ( Suisse).
Notes
(1) Historiæ Animalium, lib. III, cap. 19.
(2) Dissertation sur la sueur de sang de Notre Seigneur, entête du Commentaire sur Saint Luc, et Commentaires littéral deux XXII, 44.
(3) De la sueur de sang et des larmes de sang qui sortent du corps et des yeux des serviteurs de Dieu, lib. IV, pars 1, cap. 26, n° 5.
(4) Il va sans dire que les mots « science » et « scientifique »s ont pris ici au sens moderne, non pas au sens thomiste. Nous appelons faits scientifiques les faits appréciés, critiqués et retenus par la science empiriologique. Ce rapport a été écrit avant que nous ayons pu prendre connaissance du travail où M. Maritain essaie d’établir le caractère « ontologique » de la science médicale.
(5) Sur les sueurs de sang observées par Magnus Hüss et Parrot, en 1857 et 1859, voir Dr Robert VAN DER ELST, Les stigmatisations, Revue Pratique d’Apologétique, 15 décembre 1911, p. 433.
(6) Nous appelons faits théologiques les faits appréciés, critiqués et retenus par la « science sacrée ».
(7) R. P. GERMAIN, Gemma Galgani, adapté par le P. Félix de Jésus Crucifié, 1924, p. 76 : « Lorsque j’entends blasphémer, je vois Jésus souffrir beaucoup, et je souffre avec lui ; je souffre au cœur et le sang sort ». Il y a, dans ces derniers mots, plus de lumière sur le mystère de Gothsemani que dans les explications physiologiques des théologiens et des exégètes. Cf., pp. 87, 232. Le sang formait des grumeaux, pp. 92 et 232.
(8). Les couronnes d’épines résultent parfois de plaies stigmatiques, parfois de sueur sanglantes. Cf. Vie de Gemma Galgani, p. 91.
(9) Cajetan prend soin d’écarter de ce fait tout caractère pathologique : « Bien que la sueur de sang puisse se produire naturellement, et que, d’après Aristote, le fait se soit déjà présenté; cependant, chez Aristote, qui considère ce fait comme naturel, il s’agit d’un sang non digéré et de nature viciée, indigesti sanguinis et minus bonæ complexionis. Mais Jésus a sué un sang de qualité saine […]. Le corps de Jésus était épuisé, et la violence des passions, chassant au dehors la sueur, a chassé en même temps, à défaut d’elle, un peu de sang. » Comm. sec. Lucam.
(10) De mysteriis vitæ Christi, disp. 34, sect. 2. nos 3 à 7.
(11) Dans toute cette étude, nous appelons préternaturels les faits qui dépassent les forces de l’homme et de l’univers physique sans toutefois dépasser les forces de la nature angélique : ces faits sont surnaturels relativement à l’homme et à l’univers physique. Et miraculeux les faits qui dépassent, au moins quant au mode de production, les forces de toute nature créée, et même de toute nature créable : ces faits sont surnaturels absolument.
(12) Op. cit., lib. IV, pars 1. cap. 26, n° 7.
(13) Quand Gemma Galgani obtint la disparition des stigmates et des sueurs de sang « les douleurs, loin de s’évanouir, se firent plus vives. L’écoulement du sang procurait en effet, de son propre aveu, un véritable soulagement … A force de se débattre dans la poitrine, son cœur provoqua fréquemment la rupture de quelque vaisseau dont le sang affluait à la bouche par gorgées ». Vie de Gemma Galgani, p. 93.
(14) Souligné par l’auteur. Aug. POULAIN. s. J .Des grâces d’oraison, 9° édit., p. 589 On remarquera que la distinction entre stigmates profanes, produits en dehors d’une idée religieuse, et stigmates surnaturels ou divins, ne permettrait pas de faire une place aux stigmates des faux-mystiques qui sint loin de se produire « en dehors d’une idée religieuse ».
(15) Souligné par l’auteur. Dr Robert VANDERELST, Les stigmatisations, Revue Pratique d’Apologétique, 15 déc. 1911, p. 427.
(16) On peut appeler « naturels » des stigmates profanes, ou du moins sans rapport avec la sainteté: voilà un premier sens. Et l’on pourrait appeler « naturels » des stigmates non préternaturels, mais pourtant connexes à quelque œuvre de sainteté, au sens où par exemple les théologiens ont dit que la sueur de sang du Christ était « naturelle ».
(17) Voir, par exemple, BENOIT XIV, De imaginatione et ejus viribus, Op. cit. lib. IV, pars 1,. cap. 33. Cependant, Benoît XIV cite, au même endroit, des auteurs qui attribuent à l’imagination des pouvoirs absolument fantastiques.
(18) Op. cit., p. 582.
(19) Loc. cit., p. 426 ; et Stigmates de saint François, Critique scientifique et médicale, dans
le Dict. Apol. de la Foi Cathol., col. 1498 et suiv.
(20) Benoît XIV note par exemple que les circonstances permettent de distinguer les extases divines, non seulement des extases démoniaques, mais même des extases naturelles : « Les signes de l’extase naturelle sont ceux de la maladie d’où l’extase naturelle peut provenir… Les circonstances peuvent aussi révéler si l’extase est naturelle. Si quelqu’un, par exemple, entre en extase au moment où il désire un bien terrestre, ou parce qu’il est accablé par la crainte subite ou la tristesse de quelque événement, il n’y a pas de doute que l’extase ne soit naturelle … De mentis excessu, ecstasi, et raptu, Op. cit., lib. III, cap. 49.
(21) Que la sainteté soit incertaine dans certaines vies, cela n’empêche pas qu’elle soit ailleurs évidente.
(22) Cf. BENOIT XIV, Op. Cit., lib. IV, pars I. cap. 33, n° 19·
(23) Il emble quo ce doit le cas de Maria de Môrl. Cf. Dr J VINCHON, Une mystique du
Tyrol. Journal de Psychologie normale et pathologique. 15 oct. 19Z6. Cf. supra.
(24) Pour vous faire une idée de son état lamentable, représentez-vous le grand crucifix [p. 181] de notre salle à manger, au pied duquel elle aimait tant à prier. La ressemblance était parfaite : mêmes meurtrissures, mêmes déchirures de la peau et des chairs dans les mêmes parties du corps, même aspect émouvant. » Vie de Gemma Galgani, p. 88.
(25) Livre VI, chap. 15.
(26). « Son cœur était tout occupé de cette apparition, quand, dans ses mains et !es pieds commencèrent à apparaitre les marques des clous telles qu’il venait de les voir dans l’homme crucifié au-dessus de lui. » CELANO, Vita prima. « Puis la vision disparut, lui laissant au cœur une ardeur ineffable, et imprimant en sa chair des traces merveilleuses. En effet, apparurent dans son corps les marques des clous telles qu’il venait de les voir dans l’image de l’homme crucifié. » S. BONAVENTURE, Vie de saint François.
(27) Vie de Gemma Galgani, p. 66.
(28) Op. cit. lib. IV, pars I, cap. 33.
(29) Op. cit. lib. III, cap. 49, n° 14 : « Ipsa (ecstasis) per se, tametsi divina et a solo Deo immissa, non confert ad probandam sanctitatem; cum passio haec nec sanctificet, nec sit effectus gratiae sanctificantis, sed reducatur ad gratiam gratis datam. Quocirca, ut ejus ratio habcatur in judicio Beatificationis et Canonizationis, oportet ut in ecstatico probetur fuisse heroîcas virtutes ; tune enim erit sanctitatis signum. » L’extase n’est pas l’effet nécessaire de la grâce sanctifiant. Mais elle peut être son effet contingent, et c’est bien ainsi qu’elle apparait chez sainte Thérèse. Cf. Vie, chap. 20, Sixièmes Demeures, chap, 4.
(30) Vive les flamme d’amour, str. 2, vers. 2.
(31) Traité de l’amour de Dieu, livre VI, cha. 13 à 15.
(31) Allons plus loin. Même quand ces faits ne seraient aucunement préternaturels, la dévotion de l’Église, qui en prend occasion pour honorer l’amour et la passion du Christ, resterait légitime. Benoit XIV rappelle qu’on peut instituer une fête pour rendre grâce d’une victoire remportée sur les infidèles. Il justifie la fête de l’invention de la sainte Croix indépendamment des circonstances miraculeuses qui l’auraient accompagnée : « L’invention de la Croix n’est pas le fondement, mais l’occasion de cette fête. Son seul fondement est la Croix, en raison du Christ qui y est fixé. » De festis D. N. Jesu Christi, lib. I, cap. 14, n° 13.
(32) De servorum Dei beatificatione, lib. IV, pars 2, cap. 8, n° 3 à 8.
(33) Saint BONAVENTURE, Vie de saint François.
(34) Dans son ouvrage sur La stigmatisation, le Dr IMBERT-GOURBEYRE rapporte que ce phénomène a été observé à plusieurs reprises, notamment chez Catherine Emmerich. Tome II, p. 97.
(35) IMBERT-GOURBEYRE, loc, cit. pp. 88 et 95.
(36) J. Raymond de CAPOUE, Vie, 2e partie, chap. 6.
(37) Autobiographie, ch. 29. Le R. P. Gabriel de Sainte-Marie-Madeleine établit plus loin , cependant, que ce passage ne doit pas être mis en rapport avec la transfixion physique du propre cœur de sainte Thérèse.
(38) Vie de Gemma Galgani, p. 63.
(39) III, qu. 76, a. 8.
(40) Ces phénomènes de cicatrisation subite sont signalés plusieurs fois dans la vie de Gemma Galgani. Cf. op. cit., p. 79 et p. 81. Les plaies disparaissent sans laisser de traces p. 88. Une liberté mystérieuse semble présider, chez Gemma, à tous ces phénomènes.
(41) Op. cit., lib. III, cap. 49, n°6 : « Ex signis expositis, illius tantum habendam esse rationem, quod virgo, uti fuerat narratum, promptissimam exhiberet superiorum mandatis obedientiam. » Le résumé de Benoît XIV n’est qu’approximatif. En réalité, la religieuse en question présentait ce qu’on nomme aujourd’hui le phénomène du rappel : elle n’était réveillée de son extase que par la voix de ses supérieurs. Voici le texte intégral de Ribadeneira : « En l’an du Seigneur 1553, F. Réginald, moine de la famille dominicaine, homme grave, remarquable dans son Ordre par sa vie, son âge et sa prudence, et qui nous était très favorable, rencontra le 23 mai à Rome, où sa charge l’avait amené, Ignace, et, en présence de moi et du P. Benoît Palmius, il lui raconta, entre autres choses, qu’à Bologne, dans un couvent de femmes soumis à son obédience, vivait une vierge admirable et remarquable par la vertu de son oraison. Souvent elle était aliénée de ses sens et mise hors d’elle-même, en sorte qu’elle ne sentait ni la flamme qu’on approchait d’elle, ni les piqûres qu’on lui faisait sur le corps. Bref, elle était comme morte à toutes choses, sauf à la seule voix de l’obéissance. Sitôt qu’elle entendait la voix de la prieure du monastère qui l’appelait, elle revenait à elle, et sortait de son oraison, comme réveillée d’un très léger sommeil. On disait que cette vierge imitait les souffrances de Notre Seigneur Jésus-Christ, et qu’elle reproduisait si vivement les douleurs qu’il a subies dans son corps pour nous, qu’on l’aurait crue transformée par amour en le Christ lui-même. Elle avait en effet des stigmates dans les mains, une plaie au côté, la tête comme piquée et percée d’épines d’où coulaient des gouttes de sang, et d’autres phénomènes semblables. Ce bon Père disait les avoir vus de ses yeux et touchés de ses mains, refusant d’en croire les yeux et les mains des autres. Ayant raconté cela, il demanda familièrement à Ignace ce qu’il pensait de telles choses qu’il n’osait, lui-même, ni approuver pleinement, ni réprouver. Ignace lui répondit seulement : — De tout ce que tu viens de dire, Père, le signe le moins douteux est celui qui concerne la prompte obéissance, nihtl minus habet dubitationis, quam illud promptæ obedientiae simum. Réginald s’étant éloigné, je demandai à Ignace, seul à seul, quelle était sa pensée secrète sur la question qu’on venait de lui poser. Il répondit : « C’est le propre de Dieu, Pierre, de sanctifier les âmes des hommes, d’agir en elles, de les remplir de ses dons : et il le fait quelquefois si abondamment que la plénitude de l’âme pressée par la grâce divine se communique jusqu’au corps, et que ce qui se passe au dedans se communique au dehors, mais cela est très rare. Le démon, au contraire, qui n’a pas pouvoir sur l’âme, se sert souvent du corps pour égarer, par les simulacres et les ombres des choses, les pensées des mortels en quête de vanité et avides de nouveauté. Il confirma ensuite ces paroles par des exemples qui m’étaient connus à moi-même. Quant à cette religieuse de Bologne, que les hommes admiraient avec stupéfaction, j’entends dire qu’elle a très mal finit, que cette lumière a tourné en fumée. » Vie de saint Ignace par RIBADBNEIRA, Acta sanctorum, Juillet, t. 7. p. 778.
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