Foville. Aliénation mentale. Extrait du « Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques », (Paris), tome premier (A-ALIEN), 1827, pp. 484-586.
Achille-Louis François Foville (1799-1878). Médecin-directeur de l’Asile publique des Aliénée de Quatre-Mares, prêt Rouen. Ex Médecin adjoint de la Maison nationale de Charenton. Lauréat de l’Assistance Publique et de l’Académie de médecine de Paris.
Quelques publications :
— Manie, Lypémanie, Hypochondrie, Folie à double forme, Folie instinctive, Dipsomanie, Kleptomanie, Nymphomanie, Paralysie générale, Démence; Ifiotie et imbécillité, du Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques.
— Influence des vêtemens sur nos organes. Déformation du crâne résultant de la méthode la plus générale de couvrir la tête des enfans. Paris, Madame Prévost-Crocius, et Just Rouvier et C. Le Bouvier, 1834. 1 vol. in-8°, 2 ffnch., 69 p., 11 planches hors texte, dont une dépliante.
— Étude clinique de la poli avec prédominance du délire des grandeurs.
— Traité complet de l’anatomie, de la physiologie et de la pathologie du système nerveux cérébro-spinal. Atlas par MM. Emile Beau et F. Bion. Paris, 1844. 2 vol. dont 1 Atlas.
— Du delirium tremens, de la Dipsomanie et de l’alcoolisme. Notice historique et bibliographiques. Extrait des Archives générales de médecine, 1867.
— Les aliénés. Études pratiques sur la législation et l’assistance qui leur sont applicable. Paris 1870. Un volume, 210 p.
— Les Aliénés aux États-Unis. Législation est assistante. 1873.
— Du goitre et du Crétinisme, d’après les travaux récents. Extrait des annales hygiène et de médecine légale, Paris, 1876.
— Les aliénés voyageurs ou migrateurs. Étude clinique sur ces de lypémanies. Extrait des annales médicaux psychologiques, 1875.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – hHors le tableau in texte, l’images a été rajoutée par nos soins. – Nous avons respecté l’orthographe et la grammaire de l’orignal, mais avons rectifié les nombreuses fautes de composition du document. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
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ALIÉNATION MENTALE (folie), vésanie de quelques auteurs, stultitia, vesania, furor, morbi mentales, alienatio mentis , est un terme générique qui comprend plusieurs états particuliers, dont les symptômes principaux sont des dérangemens dans l’exercice des facultés intellectuelles, morales et affectives. A ces symptômes se joint, dans un grand nombre de cas, une altération variable des sensations , des perceptions et des mouvemens volontaires.
En d’autres termes, les phénomènes essentiels observés dans l’aliénation mentale portent sur les principales fonctions du système nerveux, l’intelligence, la sensibilité et les mouvemens.
Le désordre des mêmes fonctions se rencontre souvent porté au plus haut degré de violence, dans un certain nombre de phlegmasies qu’on a distinguées des maladies mentales, la méningite, l’encéphalite : il est possible que la principale différence consiste dans l’intensité des symptômes et la gravité des altérations qui causent ces dernières.
Il est certain que souvent ces affections si graves, si aiguës dans le principe, se modèrent bientôt et dégénèrent en véritable aliénation dont elles ont formé la première période.
Quelques fièvres dont la véritable nature n’est pas encore fixée offrent aussi parmi leurs symptômes le désordre de la sensibilité, de l’intelligence et des mouvemens volontaires ; elles diffèrent essentiellement de la folie par l’altération profonde des fonctions organiques. Personne ne confondra ce qu’on appelle fièvre ataxique avec l’aliénation mentale ; il arrive pourtant quelquefois encore que les symptômes généraux les plus alarmans de ces fièvres étant dissipés ,elles se transforment ou se terminent en véritable aliénation mentale.
Ce qui caractérise donc essentiellement l’aliénation mentale, c’est le trouble des facultés intellectuelles, compliqué ou non de celui des sensations et des mouvemens, sans altération profonde et durable des fonctions organiques.
Des recherches historiques sur l’aliénation montrent que son étude a Iong-temps été influencée par les préjugés. Plus souvent que la plupart des autres maladies, elle a été attribuée à des influences surnaturelles ; on retrouve d’ailleurs dans les travaux publiés à diverses époques sur l’aliénation mentale les deux caractères principaux qu’on remarque dans tous les écrits sur la médecine ; les uns dictés par l’esprit d’observation nous offrent des tableaux exacts, et qui ne pourront cesser de l’être que lorsque la nature ne sera plus constante à ses lois : l’utilité de ces ouvrages ne peut périr ; [p. 485] les autres, au contraire , tristes fruits de l’esprit de système, contiennent toutes les folies qu’il peut réaliser, et qui, à l’honneur de notre siècle, ne pourraient être rappelées aujourd’hui sans provoquer le rire ou la pitié.
Que penser, en effet, de la couleur noire ou au moins très-obscure des esprits animaux par suite de laquelle l’âme ne peut plus voir à travers eux, comme à travers une eau limpide ou une glace bien polie ? Que dire de l’altération de ces mêmes esprits passés à l’aigre ou devenus aussi âcres que les eaux du Styx ? bien entendu que ces eaux contiennent du nitre, du vitriol, de l’arsenic et du vert de gris. Quel fruit tirer des travaux qui expliquent comment les parties salino-acides du sang s’échauffent au point de contracter les propriétés de la poudre à canon, d’où l’explosion du délire ?
Le seul avantage véritable qu’on puisse tirer de ces tristes monumens de l’esprit de système, est de se surveiller avec sa plus sévère attention pour s’en garantir, de se borner à décrire ce qu’on voit et de n’obéir qu’avec une extrême réserve à l’envie d’expliquer ; on pourrait en y cédant imaginer des théories mieux conformes aux idées du temps, aux progrès de la science ;leur utilité n’en serait pas plus grande.
Dans la description que je vais tracer, je m’en tiendrai rigoureusement à ce que démontre l’observation.
J’exposerai les symptômes de la folie, les divisions déduites de ces symptômes, les formes particulières et diverses de cette maladie, ses causes, sa marche, ses terminaisons ; là. proportion des guérisons, des cas incurables et de la mortalité ; l’histoire des altérations observées chez les fous, ou l’anatomie pathologique de l’aliénation, son diagnostic, ses pronostics, son traitement ; et si’ j’essaie dans le cours de ce travail de montrer le rapport qui existe entre les désordres fonctionnels et l’altération des organes, ce ne sera pas certainement pour expliquer ce qui sera sans doute toujours inexplicable, le mécanisme du délire.
Ce travail devant être surtout pratique, je ne traiterai pas avec le même développement tous les articles que je viens d’énumérer ; j’accorderai plus d’importance et d’extension à ceux qui me semblent d’une application plus immédiate au traitement.
Symptômes de l’aliénation mentale. — Toutes les divisions de l’aliénation mentale en classes, espèces, etc., etc., proposées jusqu’à présent, portent, exclusivement sur les formes symptomatiques ; dans tout établissement spécial le classement des aliénés, objet de première importance pour le bon ordre et le succès du traitement, doit être fixé d’après l’espèce de l’aliénation ; l’étude des [p. 486] symptômes de cette maladie est donc un objet de première importance pour le classement et le traitement des malades.
Pour mettre quelque ordre dans cette étude , je parlerai séparément, 1° des symptômes fournis par la sensibilité, c’est-à-dire, relatifs aux impressions, aux sensations et aux. Perceptions ; 2° des symptômes relatifs aux facultés intellectuelles, morales et affectives ; 3° enfin des symptômes fournis par l’appareil locomoteur.
PREMIER ORDRE DE SYMPTÔMES FOURNIS PAR LASENSIBILITÉ.
Ces symptômes très-nombreux et très-variables consistent le plus souvent en perceptions fausses ; mais tantôt ces fausses perceptions dépendent d’un dérangement dans les organes affectés à recevoir les impressions, tantôt ces organes sont anatomiquement et physiologiquement dans leurs conditions normales, mais les nerfs conducteurs des impressions, les parties plus profondes destinées à les percevoir ont subi un dérangement en vertu duquel, sans l’action d’aucun excitant extérieur, de fausses perceptions ont lieu. Il faut encore signaler cette différence dans les fausses perceptions, qu’elles se rapportent aux sensations spéciales, ou bien à la sensibilité générale.
Fausses perceptions relatives aux sensations spéciales. — Les auteurs contiennent des exemples de toutes ces espèces de fausses perceptions ; je parlerai d’abord de celles qui , relatives aux sensations spéciales, dépendent du dérangement des organes affectés à recevoir les impressions.
Fausses perceptions avec altération des organes affectés à recevoir les impressions. — Il n’a fallu dans quelques cas que couvrir les yeux de malades qui voyaient des spectres, des monstres, et entraient par suite dans un délire couvulsif, pour faire cesser à l’instant même le délire qui reparaissait aussitôt que les yeux étaient ouverts. Reil et M. Esquirol citent des exemples de ce genre. Ils se présentent souvent lorsqu’un organe des sens est le siège de quelque maladie. L’ophthalmie, l’ozène, l’otite en sont bien souvent la principale cause ; néanmoins les perceptions fausses qui arrivent dans ces cas supposent le plus souvent une certaine altération dans l’organe de l’intelligence ou au moins une très-grande susceptibilité à s’altérer sous l’influence d’une cause excitante ; car beaucoup de personnes peuvent, par suite des mêmes maladies des organes des sens, éprouver des impressions fausses, mais elles en reconnaissent aisément l’illusion.
Plusieurs malades qui sont poursuivis de propos injurieux, d’invectives outrageantes se bouchent d’eux-mêmes les oreilles pour goûter [p. 487] quelque tranquillité. Un de ces malheureux, que j’ai observé, avait, fait entrer avec effort dans chaque oreille un gros noyau de prune. Il garda ces corps étrangers pendant plusieurs mois sans se plaindre ; le même aliéné, poursuivi d’odeurs infectes, avait l’habitude de se boucher les narines avec de l’herbe, du linge, des pièces de monnaie.
Lorsqu’il suffit de boucher les yeux, les oreilles, les narines pour faire cesser les perceptions fatigantes qui avaient lieu pendant l’action de ces parties, il est bien évident que c’est aux organes extérieurs de la vue, de l’ouïe, de l’odorat qu’il faut rapporter ces symptômes. Il n’est pas toujours aussi facile de distinguer si les fausses perceptions relatives à l’organe du goût dépendent ou non de l’organe lui-même : car, lors même que nous ne mettons en contact avec lui aucune substance extérieure, un enduit morbide de la langue, la fongosité des gencives, la carie des dents peuvent nous procurer des sensations bien réelles ; cependant, lorsque les dents, les gencives sont en bon état, la langue nette, la poitrine et l’estomac sains, chez un aliéné qui se plaint qu’on lui fait avaler de l’arsenic, du verre pilé, il est difficile de ne pas rapporter ces fausses sensations à celles qui, étrangères aux organes extérieurs des sens, ont lieu sans leur concours et sans celui d’aucun excitant extérieur.
Fausses perceptions sans altération des organes affectés à recevoir les impressions. — Ce second genre de fausses perceptions a été soigneusement étudié et distingué du précédent par M. Esquirol, qui a proposé de lui réserver le nom d’hallucination. Il définit ce mot, sensation perçue alors que nul objet extérieur propre à l’exciter n’est à portée des organes des sens.
Ce second genre de désordres, beaucoup plus commun que le précédent, se présente sous toutes les formes possibles. On a vu plusieurs fois des aveugles, des sourds offrir des hallucinations relatives à l’ouïe, à la vue. La plupart des individus qui ont des hallucinations en souffrent ordinairement plus dans la solitude, dans les ténèbres, au sein du silence, lorsque tous leurs sens sont dans un état complet de repos, que dans les circonstances opposées. Sans doute les distractions, les sensations véritables qu’ils éprouvent dans la société d’autres hommes peuvent modérer ces accidens, mais les distractions les plus fortes, la conversation la plus animée ne diminuent pas toujours leur intensité : l’aliéné qui vous parle s’interrompt, troublé par les hallucinations ; il répond aux voix qui l’interpellent, il contemple un objet qui n’existe pas cherche à fuir des odeurs, des saveurs importunes ; quelques-uns se sentent frappé de corps invisibles, d’autres sentent fuir de leurs mains un corps qu’ils croyaient y tenir. [p.488]
Tantôt les hallucinations sont relatives à un seul genre de sensation, tantôt elles en comprennent plusieurs, quelquefois toutes. Les plus communes me semblent celles qui sont relatives au sens de l’ouïe ; viennent ensuite celles de la vue, puis celles de l’odorat et du goût, qui se trouvent souvent réunies ; enfin celles de l’organe spécial du toucher sont sans contredit les plus rares.
Darwin pense que les hallucinations proviennent de l’inflammation de l’origine du nerf de la sensation. Suivant M. Esquirol, « les prétendues sensations des hallucinés sont des images, des idées, reproduites par la mémoire, associées par l’imagination et personnifiées par l’habitude. L’homme donne alors un corps aux produits de son entendement ; il rêve tout éveillé ; mais chez celui qui rêve, les idées de la veille se continuent pendant le sommeil ; tandis que celui qui est en délire achève son rêve pendant qu’il est éveillé. » (Dictionnaire des Sciences médicales : HALLUClNATION.) Malgré le respect et la déférence que je professe pour les lumières et l’autorité de M. Esquirol, je ne puis partager cette manière d’envisager les hallucinations. Plusieurs raisons m’empêchent de les considérer comme un travail de l’imagination qui reproduirait des idées anciennes et leur donnerait de la réalité.
1 °. Souvent les hallucinations ne fournissent pas de sensations précises et déterminées comme celles que nous rappelle la mémoire : l’halluciné voit seulement des objets confus ; des sons vagues frappent son oreille.
2°. Chez beaucoup d’hallucinés, quelles que soient la diversité, la succession rapide des écarts de l’imagination, les hallucinations restent bornées à une seule sensation, se reproduisent constamment les mêmes ; le malade entendra toujours la même voix, verra la même figure, souffrira de la même odeur, etc. , etc.
3°. Tout le délire des malades roule exclusivement dans bien des cas sur la fausse sensation. Tons les écarts de l’esprit n’en sont que la conséquence ; lorsqu’ils sont guéris ces malades vous disent : j’ai vu, j’ai entendu aussi distinctement que je vous vois, que je vous entends, tandis qu’en même temps ils savent bien rendre compte des erreurs de leur imagination.
4°. Chez quelques aliénés, les hallucinations ont précédé le délire, elles ont été dans le principe reconnues par les malades pour de fausses perceptions ; combinées plus tard avec le dérangement intellectuel, elles ont été regardées comme réelles.
5°. Enfin ou trouve assez souvent dans les cas d’hallucination une altération du nerf destiné à transmettre les impressions, et [p. 489] quoiqu’on ne puisse concevoir comment l’altération du nerf optique, par exemple, détermine des perceptions fausses relatives à la vision, pas plus qu’on ne conçoit comment la maladie d’un nerf du mouvement, une névralgie détermine des mouvemens musculaires sans l’influence de la volonté, on peut bien croire que l’altération du nerf est la seule et véritable cause de l’hallucination, quoique dans l’état sain la volonté soit la seule cause des mouvemens volontaires, comme les excitans extérieurs, les impressions sur les organes des sens sont dans l’état sain et pendant la veille les seules causes naturelles de toute sensation, de toute perception. Il y a encore cette analogie dans ces deux cas, que la névralgie d’un nerf du mouvement n’empêche pas ordinairement l’influence de la volonté sur ce nerf, et par suite sur les muscles, et que l’altération d’un nerf sensitif qui produit les hallucinations n’empêche pas davantage la perception des impressions sensoriales, quoique souvent elle les trouble et les traverse.
Ainsi, pour moi, les hallucinations sont liées à la lésion des parties nerveuses intermédiaires aux organes des sens et au centre de perception, ou à l’altération des parties cérébrales auxquelles aboutissent ces nerfs des sensations. Elles sont chez les aliénés ce qu’elles sont chez quelques personnes qui les éprouvent, quoique jouissant de toute l’intégrité de leurs facultés intellectuelles, des effets d’une lésion indépendante de l’intelligence ; mais une intelligence saine les apprécie pour ce quelles sont, une intelligence malade les confond avec la réalité.
Au reste, quelque soit le point de départ organique des hallucinations, elles sont gaies, tristes, capables d’inspirer des sentimens de bienveillance ou d’armer d’un instrument homicide la main de l’insensé. Leur effet sur l’esprit de ces malades est tout aussi réel, tout aussi positif que les impressions que nous percevons sous l’influence d’excitans extérieurs.
Un ecclésiastique confié à mes soins a des hallucinations de l’ouïe : il entend sans cesse des voix qui le menacent de le chasser de la maison, de le mettre à la porte. Cet homme a reçu une éducation soignée. Il a cultivé les sciences naturelles. Je cherche, en lui rappelant ce qu’~il a pu lire sur les erreurs de nos sensations, à lui inspirer des doutes sur la réalité des injures, des menaces qu’il croit entendre ; à tout ce que je lui adresse dans ce but, il répond : Hé ! Monsieur, je dois donc douter aussi de tout ce que vous me dites, je dois douter que je vous vois, que je vous entends.
Je ne multiplierai pas les exemples particuliers de ces [p. 490] nombreux désordres ; ce que j’ai dît suffit sans doute pour en donner une idée exacte. Je passe aux fausses perceptions étrangères aux sensations spéciales, et relatives à la sensibilité propre de toutes nos parties.
Fausses perceptions relatives à la sensibilité générale. — Ces désordres, depuis les plus simples et les plus circonscrits jusqu’aux plus compliqués et aux plus généraux, se rencontrent à chaque instant dans la pratique des maladies mentales. Sans doute les aliénés qui croient avoir dans la tête, la poitrine, le ventre, un animal qui les dévore, doivent être rangés parmi ceux qui souffrent de perceptions fausses aussi bien que ceux qui croient n’avoir plus de tête, d’estomac, de cœur, et qui éprouvent d’ailleurs les sensations les plus étranges. Sans doute, ceux qui croient avoir le diable dans le corps sont encore victimes de sensations fausses.
Dans bien des cas, ces fausses perceptions, résultent évidemment d’un état de souffrance des parties auxquelles elles sont rapportées. Il existe des symptômes locaux du dérangement qui les cause ; on trouve à l’ouverture du corps les traces de ce dérangement, Ce sont plutôt alors de faux-jugemens sur des perceptions véritables que des perceptions fausses. Il me semble convenable néanmoins d’en parler ici, attendu que sans cet état de douleur de quelques parties, le délire de l’insensé prendrait une autre direction, pourrait, plus aisément, s’apaiser, et qu’un des moyens les plus puissans d’arriver à ce but est de faire cesser, quand on le peut, les douleurs qui en imposent aux malades.
Dans d’autres cas, ces fausses perceptions ont lieu sans aucun changement appréciable dans les parties auxquelles elles sont rapportées, et peuvent dépendre, à en juger, par analogie, d’une altération dans les nerfs chargés de transmettre les impressions dans les parties qui les perçoivent. L’exemple si connu des douleurs rapportées à une partie enlevée par l’amputation ne laisse pas de doutes à cet égard.
Ainsi, nous diviserons les fausses perceptions relatives de la sensibilité générale comme nous avons divisé celles relatives aux sensations spéciales. Les premières correspondent à une altération des parties auxquelles elles sont rapportées ; les secondes à l’altération des nerfs chargés de transmettre les impressions.
Fausses perceptions avec altération des parties auxquelles elles sont rapportées. — M. Esquirol (art. DÉMONOMANIE du Dict. des Sc. Méd.) rapporte plusieurs cas de cette espèce ; chez une de ces malades il existe une tension considérable des muscles de l’abdomen, qui lui-même est très-sensible au toucher… Le [p. 491] diable, dit-elle, a placé une corde depuis le pubis jusqu’au sternum , ce qui l’empêche de rester debout ; le démon est dans son corps, la brûle, la pince, lui mord le cœur, déchire ses entrailles, etc. Parmi les altérations notées à l’ouverture du cadavre, on remarque : sérosité dans le péricarde, avec lequel adhèrent l’oreillette droite et la pointe du cœur ; épiploon atrophié et parsemé de points noirs ainsi que tout le péritoine. Tous les viscères abdominaux, adhérant fortement entre eux, ne formaient qu’une masse d’un aspect brunâtre , etc., etc.
Il semble évident que la femme dont il est question dans cette observation ne crut avoir le diable dans le corps, le cœur rongé par lui, une corde tendue du sternum au pubis, que parce que les sensations douloureuses causées par la péritonite, la péricardite se combinant avec son délire dans lequel domine la superstition, elle attribue au diable les douleurs, la tension qui résultent de l’altération chronique du péricarde et surtout du péritoine.
La plupart des observations suivantes du même article offrent des détails d’un haut intérêt. Dans l’une, la démonomaniaque croit qu’elle n’a plus de corps, il a été emporté par le diable ; elle dit qu’elle ne sent plus rien. M. Esquirol a traversé la peau de son bras avec une épingle sans qu’elle parût éprouver de la douleur. Une autre croit que le diable couche avec elle ; elle éprouve habituellement des douleurs de matrice. N’est-ce pas l’absence de sensibilité qui persuade à l’une de ces aliénées qu’elle n’a plus de corps ? les douleurs de matrice, les douleurs générales qu’éprouve l’autre, ne sont-elles pas encore les germes des idées particulières qui composent le délire ? C’est de la même manière que nous avons vu précédemment une altération de l’œil, du nez, de l’oreille troubler les impressions relatives à ces organes et déterminer des perceptions fausses. Toutes ces perceptions seraient jugées pour ce qu’elles sont par un homme sain d’esprit : un esprit superstitieux malade les métamorphose en œuvres du diable.
J’ai sous les yeux un homme qui se croit mort depuis la bataille d’Austerlitz, à laquelle il a assisté et reçu une blessure grave. Son délire est fondé sur ce qu’il ne reconnait plus, ne sent plus son corps ; lorsqu’on lui demande des nouvelles de sa santé, il a coutume de répondre : Vous demandez comment va le père Lambert, mais le père Lambert n’y est plus ; il a été emporté d’un boulet de canon à la bataille d’Austerlitz. Ce que vous voyez, là n’est pas lui , c’est une machine qu’ils ont faite à sa ressemblance et qui est bien mal faite ; faites-en donc une autre. Jamais, en parlant [p.492] de lui-même , il ne dit moi, mais cela. Cet homme est plusieurs fois tombé dans un état complet d’immobilité et d’insensibilité qui durait plusieurs jours. Les sinapismes, les vésicatoires appliqués contre ces accidens n’ont jamais déterminé le moindre signe de douleur. Souvent il a refusé de manger, disant que ça n’en avait pas besoin, que d’ailleurs ça n’avait pas de ventre.
J’ai souvent exploré la sensibilité de la peau chez cet homme, je lui ai pincé les bras, les jambes sans qu’il manifestât la moindre douleur. Pour être plus certain qu’il ne la dissimulait pas, je l’ai fait piquer vivement par-derrière, tandis que je lui parlais : il ne s’en est pas aperçu.
Cet homme n(offre-t-il pas un exemple bien remarquable de délire le plus étrange, influencé manifestement par l’absence de sensibilité de fa peau, l’absence ou modification marquée de la sensibilité viscérale ?
D’autres lésions de la sensibilité se présentent assez souvent chez les aliénés ; on en voit se déchirer à belles dents, s’entamer les chairs avec les ongles sans manifester la moindre douleur. Quelques-uns mangent leurs excrémens avec avidité, d’autres mangent de la paille, de l’herbe, etc. M. Esquirol cite l’exemple d’une idiote qui, ayant un bouton à la joue, se mit à le gratter et continua cette opération jusqu’à ce qu’elle ait troué la joue. Ce trou fait, elle l’agrandissait en le tiraillant continuellement avec le doigt.
Un de mes malades, plongé dans un état profond de démence, mangeait souvent de la paille ; je le trouvai un jour , l’index profondément introduit dans la bouche et tellement serré entre ses dents qu’il fallut des efforts pour le retirer. Ce doigt était mordu jusqu’aux os dans plusieurs places ; le malade n’en témoignait aucune douleur.
C’est ici sans doute qu’il convient de parler de la faculté que possèdent quelques aliénés de supporter, sans en souffrir, les extrêmes du chaud et du froid. Quelques auteurs l’ont alléguée comme générale aux insensés ; ceci est une erreur et le plus grand nombre n’offre pas sous ce rapport de différence sensible avec les autres hommes. D’autres l’ont niée tout-à-fait ; mais il est certain que plusieurs de ces malades supportent, sans paraître en souffrir et sans en éprouver le moindre dommage, le froid le plus excessif. Rush cite, d’après le docteur Currie, l’exemple d’une jeune femme qui dormait tout une nuit sur le plancher de la chambre par un froid assez intense pour geler l’eau et le lait qui étaient sur sa table. [p. 493]
J’ai vu moi-même un jeune homme d’une fureur aveugle coucher nu sur le plancher de la chambre plusieurs nuits de suite par les froids les plus rigoureux. Jamais il n’a éprouvé la moindre indisposition, pas même un coryza. Plusieurs s’exposent nus aux ardeurs du soleil ; on en voit fixer leurs regards sur cet astre.
J’ai observé, à des époques différentes, ce dernier phénomène chez -deux de mes malades ; l’un d’eux se promenait des heures entières sur la longueur d’une cour, les yeux constamment fixés sur le soleil sans les détourner même lorsqu’il était obligé de revenir sur ses pas. La vision n’est nullement affaiblie chez ce malade ; immédiatement après avoir fixé le soleil le plus ardent du mois de juillet, il a lu aussi facilement qu’il lui est possible dans un livre imprimé en caractères très-fins.
La plupart des insensés aiment passionnément le tabac. Ils fument, chiquent et surtout prisent avec fureur. J’ai vu une jeune imbécile prendre tout ce qu’on voulait lui donner de tabac ; lorsqu’elle ne pouvait plus en introduire dans ses narines, elle mangeait avec délices ce qui lui restait.
Les fausses perceptions relatives à la sensibilité générale indépendantes d’une altération des parties auxquelles elles sont .apportées, me semblent plus rares que celles dans lesquelles cette altération existe. Nous avons vu que c’était le contraire pour les fausses perceptions relatives à la sensibilité spéciale.
Il n’est pas rare que ces divers genres de désordres se trouvent réunis chez le même malade. La plupart des aliénés qui éprouvent de fausses perceptions les attribuent, suivant leur degré d’instruction, leurs préjugés, la tournure de leur esprit, les impressions particulières qu’ils peuvent avoir reçues, aux sorciers, au démon, à la police, à la physique, à la chimie .
Un de mes malades, d’un esprit faible, superstitieux , croit avoir le diable dans le ventre ; long-temps il a cherché comment il pouvait y être entré et s’est enfin arrêté à l’idée que son père l’a vendu au diable, par devant notaire, moyennant la somme de 1/200 francs. Il est vrai qu’avant de tomber malade ce jeune homme a accompagné son père chez un notaire, où ils trouvèrent un étranger qui remit au père du malade la somme de 1. 200 fr. et disparut ensuite en cabriolet. C’était par un temps fort chaud ; ce jeune homme prit, en sortant de l’étude du notaire, quelques verres de mauvais cidre, éprouva dans le ventre des douleurs qui ne l’ont pas quitté depuis ; ·c’est à ce sujet qu’il crut ce que j’ai dit précédemment.
Je n’étendrai pas davantage la description de ces divers [p. 494] désordres ; j’ajouterai seulement qu’on ne saurait, à mon avis, dans la pratique des maladies mentales, accorder trop d’importance à l’étude des lésions variées de la sensibilité, faire trop d’attention aux fausses perceptions de toute espèce.
On peut être aisément convaincu en lisant les écrits des meilleurs observateurs, que les aliénés les plus dangereux pour eux-mêmes et pour les personnes qui les soignent sont ceux qui éprouvent quelqu’une de ces fausses perceptions ; la entends une voix qui lui dit : Tue le ! Tu les ! Il résiste quelques temps à cette impression, fini par croire que c’est un ordre suprême ; il veut y obéir. Un autre n’est porté au suicide que pour se soustraire au supplice de ses hallucinations. Celui-là a entendu Dieu lui-même lui imposer la défense de manger, il se laisse mourir de faim. Je ne crains pas d’être démenti en affirmant que, toutes choses égales d’ailleurs, on doit beaucoup plus se défier d’un aliénés qui éprouve de fausses perceptions, et par conséquent exercer sur lui une surveillance plus immédiate et plus constante.
On doit encore tenir compte de ces accidens pour établir un traitement convenable. On sent de quelle importance qil doit être de détruire, s’il est possible, une des causes fomentent et fertilisent le délire, qui, dans certains cas, suffit à elle seule pour le déterminer. Par conséquent, toutes les fois qu’un malade éprouvera de fausses perceptions, on devra étudier avec le plus grand soin l’état des organes auquels il les rapporte et faire tous ses efforts pour remédier au dérangement qu’ils peuvent offrir.
DEUXIÈME ORDRE DE SYMPTÔMES. — DÉSORDRE DES FACULTÉS
INTELLECTUELLES, MORALEQ ET AFFECTIVES.
Ces désordre, aussi nombreux que les combinaisons possibles de la pensée, aussi diversifiés que nos passions, notre éducation, nos préjugés, nos penchants, nos affections, se présentent sous deux formes principales : tantôt ils sont relatifs à un seul genre d’idées, tantôt ils en tantôt ils sont relatifs à un seul genre d’idée, tantôt ils comprennent un plus grand nombre en comprennent un plus grand nombre.
C’est surtout à ce genre de désordre qu’on a appliqué le mot délire, et c’est d’après la considération des limites ou de l’étendue du délire qu’ont été fondées les divisions des dérangement intellectuel ou du délire en partiels ou exclusifs ou et en vagues ou généraux, d’où délire partiel ou exclusif, délire vague ou générale.
Le délire peut d’ailleurs se rapporter principalement aux facultés intellectuelles, aux facultés morales, ou bien enfin aux facultés affective. [p. 495]
C’est d’après la nature de ces désordres qu’ont été fixées les divisions des maladies mentales. Dans les unes, quelles que soit l’étendue ou les limites du délire, il n’y a que perversion, qu’aberration de nos facultés ; dans les outres, ces facultés sont complètement oblitérées, et cette oblitération est primitive ou congéniale, acquise ou accidentelle. « Quel est celui, dit M. Esquirol, qui pourrait se flatter d’avoir observé et de pouvoir décrire tous les symptômes de la manie, même dans un seul individu ? » C’est surtout aux symptômes particuliers dont nous nous occupons que cette réflexion est applicable. Comment, en effet, saisir les nuances fugitives, multipliées, d’un délire général ? Comment approfondir les subtilités infinies d’un délire partiel ? Dans un délire général, les idées les plus extravagantes, les images les plus bizarres, les rapprochemens les plus disparates, les passions les plus opposées se succèdent avec une rapidité électrique .L’insensé confond dans son esprit le ciel, la terre et l’enfer, ses affaires domestiques, ses affections, la politique et la morale. Il parle en vers, chante, rit, pleure, débite des sentences d’un ton d’emphase ; se fait entendre tour à tour dans les diverses langues qu’il peut savoir ; il vient à vous ; il veut vous parler, mais soudain Il retourne sur ses pas, lève les mains au ciel, les jette à droite et à gauche, danse, saute, pousse des cris menace, il va s’élancer sur ses compagnons d’infortune, déchire, tout ce qui s’offre à lui, se met tout nu, se roule à terre, etc., etc. Dans ces cas, l’action de l’organe de la pensée n’est pas détruite ; mais son activité déréglée n’est pas plus analogue aux opérations régulières de notre esprit que les convulsions effrayantes d’un épileptique ne ressemblent à la promenade paisible d’un homme en santé.
Quelle différence dans le délire partie ! Supposez Newton appliqué à la solution d’un grand problème, rassemblant toutes les forces de son génie pour en étayer de raisons puissantes la démonstration, et vous n’aurez pas une idée forcée de-l’imperturbable fixité d’attention de certains délires partiels et des ressources infinies que déploient les malades pour justifier leur erreur.
Le délire général est plus souvent relatif aux passions ; ce qui le distingue le plus est le désordre des facultés intellectuelles proprement dites. Le délie partiel est plus souvent relatif aux affections ; les facultés intellectuelles peuvent sembler dans ces cas tout-à-fait intactes sous bien des rapports. Quelques exemples feront mieux sentir ces difficultés lorsque nous parlerons des différentes espèces d’aliénations.
C’est dans le délire général qu’on observe ordinairement la plus [p. 496] grande agitation. Beaucoup de malades vocifèrent jour et nuit, et ne tardent pas à avoir la voix si altérée que, malgré leurs efforts pour crier, on ne les peut entendre à quelques pas de distance.
Tous ceux qui ont visité des maisons de fous ont observé cette espèce d’aphonie.
Quoiqu’elle dépende en grande partie des cris, elle paraît souvent aussi soumise à une influence nerveuse spéciale, car quelques aliénés la présentent dès les premiers momens de leurs accès.
Quelques aliénés offrent dans les manifestations de leur délire une particularité que je ne puis passer sous silence.
Tous leurs gestes, tous leurs discours , plusieurs actions particulières se répètent un nombre plus ou moins considérable de fois.
J’ai vu à la Salpêtrière une jeune fille qui ne pouvait rien dire sans le répéter immédiatement après, exactement dans les mêmes termes, avec les mêmes inflexions de voix, etc. Ceci n’avait pas lieu seulement pour quelques paroles, mais pour des phrases très-longues. Elle se mouchait deux fois, crachait deux fois, et toutes ces actions doubles se ressemblaient exactement. On pouvait se demander si toutes ces actions soumises nécessairement à l’influence cérébrale n’étaient doubles que parce que l’action des deux hémisphères n’avait pas lieu simultanément ; mais j’ai actuellement sous les yeux une malade qui répète trois fois les mêmes- choses.
Il y a des délires érotiques, des délires de ce penchant si général qui attache les mères et les pères aux enfans, de ce sentiment précieux qui nous unit les uns aux autres par les doux nœuds de l’amitié. Il y a des aliénés querelleurs ; on en voit de féroces, de meurtriers. Il en est de rusés, de voleurs ; tons les grands établissemens contiennent des fous d’orgueil ; les grands dignitaires, les princes , les souverains, les dieux même n’y sont pas rares ; la vanité s’y rencontre avec tous ses ridicules. Ici vous trouvez des malheureux en proie à l’anxiété la plus déchirante ; ne voyant dans le présent et dans l’avenir que des sujets de désespoir, ils implorent la mort, ils veulent se la donner pour terminer leurs misères.
Quelques-uns, impatiens de rester en place, ne rêvent que voyages, que courses lointaines ; d’autres ont perdu la mémoire des personnes ; ceux-ci dans leurs accès ne savent plus parler leur langue, et font entendre à la place des sons confus et bizarres débités sur le ton d’un discours suivi.
On trouve chez les aliénés des musiciens, des peintres, des artistes de tout genre, parmi des hommes que leur éducation n’a pas préparés à la culture des arts ; on trouve des poëtes ou du moins des rimeurs parmi ceux qui ne savent pas même lire. [p. 497]
On rencontre des visionnaires de toute espèce ; on voit des malades sans cesse appliqués à la solution des plus grandes questions de la nature. Je possède un manuscrit fort long, composé par un jardinier, sur la formation du globe et ses révolutions ; les plus hautes questions de la métaphysique et de la religion, de l’astronomie s’y trouvent discutées et résolues. Enfin la perversion de ce penchant qui élève l’homme jusqu’à l’idée de son créateur se présente fréquemment dans l’aliénation ; les prophètes, les saints, les martyrs ne sont pas rares parmi les fous.
Faut-il conclure de toutes ces variétés, que peut affecter le délire, que chacune d’elles tient à la lésion isolée et distincte d’un organe particulier ? Faut-il admettre que l’organe de l’intelligence est composé de l’assemblage d’organes particuliers et distincts pour chaque penchant, chaque talent ? Faut-il, enfin, adopter dans toute son étendue le système psychologique d’après lequel cette grande question n’en serait plus une ?
Il serait déplacé, sans doute, de discuter dans un article sur l’aliénation mentale la valeur réelle et intrinsèque d’un système psychologique ; mais il est impossible de ne pas se prononcer sur l ‘exactitude de l’assertion de ces auteurs, qui prétendent que dans les délires partiels des formes particulières du crâne correspondent aux variétés du délire, peuvent même servir à reconnaitre, à deviner les penchans, les idées, les talens qui dominent chez le malade.
L’observation impartiale des aliénés ne donne pas une réponse favorable à ces propositions. Il est certain que le même délire partiel, chez plusieurs malades correspond souvent à des formes opposées de la même partie du crâne. Parmi les fous religieux, j’en pourrais montrer dont la partie supérieure et moyenne du crâne offre un développement remarquable, tandis que, chez d’autres, la même partie est au-dessous du développement moyen ; les rois, les empereurs, les princes sont loin d’offrir généralement un développement marqué des régions correspondantes, dans le système, aux organes de l’ambition, de la domination, de la vanité ;ils sont quelquefois inférieurs sous ce rapport au malheureux qui passe toute la journée à balayer les cours, etc. Il est vrai que s’il existe des organes distincts pour chaque faculté, chaque penchant, il n’est pas nécessaire que leur développement offre rien d’extraordinaire pour une que l’irritation, l’inflammation forcent leur activité et déterminent des phénomènes saillans, mais je puis dire par anticipation, qu’on trouve quelquefois, dans les cas de délire partiel, des lésions aussi étendues que dans ceux de délire général ; enfin on voit des délires partiels qui ne peuvent rentrer dans l’exercice régulier ou irrégulier [p. 498] d’aucune faculté fondamentale. A la lésion de quelle faculté fondamentale correspond le délire d’un homme qui se croit changé en femme, et vice versâ ;-d’un homme ou d’une femme qui se croit changée en chien, en prend les habitudes, aboie comme lui, marche à quatre pattes, mord, etc. ?
Ce qu’on peut dire relativement à ces délires partiels, c’est que tout ce qui, dans Je cours de la vie de l’homme, peut être pour lui l’objet d’un penchant particulier, d’un goût distinct , d’une passion dominante, toutes les idées bizarres qui peuvent passer dans son esprit, sont susceptibles de devenir dans l’état de maladie l’objet d’un délire partiel ; que beaucoup de délires partiels ne peuvent réellement être rapportés à la lésion d’une faculté primitive; et qu’enfin, lorsqu’il pourrait sembler raisonnable de les rapporter à une altération de ce genre, l’étude attentive de la conformation du crâne est loin, dans la majorité des cas, de correspondre aux données des auteurs du système psychologique en question.
Qu’on n’aille pas croire, d’après l’opinion que j’énonce, que l’observation attentive des formes du crâne ne soit pas utile chez les aliénés : non, sans doute ; un crâne régulièrement développé, d’un volume raisonnable, doit, toutes choses égales d’ailleurs, faire porter un tout autre jugement sur l’issue possible de la maladie qu’un crâne étroit, difforme ; ce que j’ai dit ne s’applique qu’aux formes particulières et locales qu’on a dit correspondre aux sièges des facultés fondamentales, exclusivement ou principalement altérées chez certains malades.
En résumé, les désordres de l’intelligence chez les aliénés sont généraux ou partiels, relatifs aux facultés intellectuelles proprement dites, ou bien surtout aux passions, aux affections.
Je dois ajouter que, dans la grande majorité des cas, les aliénés n’ont pas la conscience de leur délire, qu’ils s’indignent de voir qu’ on les prend pour des fous, qu’ils accusent souvent de folie ceux qui ne reconnaissent pas l’état d’intégrité de leur raison, tandis que quelques-uns sentent très-bien qu’ils déraisonnent et ne peuvent néanmoins s’empêcher de déraisonner. Ces exemples particuliers, assez rares, montrent quelle utilité on peut se promettre d’efforts de raisonnement employés pour convaincre un aliéné qu’il déraisonne.
TROISIÈME ORDRE DE SYMPTÔMES. — DÉSORDRE DU MOUVEMENT.
Ces désordres sont de plusieurs espèces : les uns consistent dans une altération passagère et locale, les autres dans une altération générale et persistante des mouvemens volontaires. [p. 499]
Chez beaucoup d’aliénés Ies mouvemens acquièrent une énergie, une vigueur extraordinaires ; un besoin irrésistible de courir, d’agir, de sauter se manifeste ; ces phénomènes, produits par l’irritation générale que détermine l’affection du cerveau, ne peuvent, sans doute, être regardés comme une altération importante et spéciale ; mais quelquefois, pendant les paroxysmes de l’aliénation, les muscles de la face, ceux d’un bras, d’une jambe, sont agités de mouvemens irréguliers, comme convulsifs, bien distincts pourtant des convulsions qu’on peut observer chez des insensés épileptiques, hystériques, etc., lesquels, le plus souvent, agitent l’ensemble du système musculaire ; ces désordres. sont toujours locaux, ils ressemblent davantage aux convulsions névralgiques. Une femme atteinte d’une aliénation intermittente éprouve constamment, dans ses accès, une agitation singulière du bras gauche ; soit qu’elle marche ou qu’elle reste en place, qu’elle soit distraite par des questions ou librement abandonnée à son délire, l’avant-bras, demi-fléchi sur le bras, est de temps en temps ramené vivement vers le corps, qu’il frappe de petits coups redoublés ; en même temps la main est pendante. Les accès passés, ce membre n’offre aucune irrégularité de mouvement ; il semble donc que son agitation désordonnée soit liée an travail morbide d’où résultent les accès de folie.
Quelque temps après un de ses derniers accès, cette femme a été frappée d’une attaque d’hémorrhagie cérébrale, dont le seul symptôme sur les mouvemens fut la paralysie du bras gauche, siège habituel de l’espèce de convulsion que j’ai indiquée.
J’ai observé des mouvemens analogues chez une jeune fille, toutes les fois qu’elle est reprise de ses accès de folie. Mais ce sont des accidens si rares, qu’ils n’ont peut-être pas été rencontrés par tous les observateurs. Il n’est pas étonnant qu’il n’en soit pas question dans les écrits sur l’aliénation mentale.
Il n’en est pas de même d’une altération autrement grave et très-commune, espèce de paralysie sur laquelle les auteurs anciens n’ont rien dit, que l’illustre Pinel a entrevue, et que M. Esquirol a étudiée avec beaucoup de soin, en s’appliquant surtout à reconnaitre son influence sur la marche ultérieure des maladies mentales. Depuis M. Esquirol, le docteur Delaye, dans sa thèse inaugurale, MM. Bayle et Calmeil, chacun dans un travail particulier, eu ont rapporté de nombreuses observations.
Cette altération, désignée par les noms de paralysie des aliénés, paralysie générale, incomplète, consiste dans l’affaiblisement général et graduel des muscles soumis à la volonté.
Elle se manifeste dans son principe par l’embarras des [p. 500] mouvemens de la langue ; les malades n’articulent pas distinctement : ils s’arrêtent long-temps sur quelques syllabes qu’ils ne franchissent qu’avec effort, ne peuvent plus prononcer quelques Iettres, les R. par exemple, ou les font rouler péniblement. Bientôt on observe un trouble analogue dans les mouvemens des jambes, des bras, enfin dans tout le système musculaire.
On a dit que cet état commence le plus souvent par la langue, il est possible qu’il commence aussitôt dans les jambes et dans les bras, et qu’il ne détermine pas encore dans les mouvemens de ces parties de changemens appréciables pour l’observateur, tandis que, aussitôt que les mouvemens de la langue n’ont plus toute leur précision, la prononciation est altérée, et l’attention du médecin fixée sur ce désordre.
Il faut de l’habitude pour reconnaître les premiers degrés de cet état ; toutes les maisons d’aliénés contiennent un certain nombre de malades qui n’offriraient, pour un homme neuf à les observer, aucun désordre dans les mouvemens , et qui , pour un médecin exercé, sont bien positivement frappés d’un commencement de paralysie générale.
Au reste, le diagnostic n’est difficile que clans le principe. Lorsque ce symptôme a fait quelques progrès, l’embarras de la prononciation est très-sensible, le malade ne peut parler sans que tous les muscles de la face n’entrent en contraction : la progression est incertaine , vacillante ; les mouvemens des bras peu assurés : la main maladroite ne peut conserver une position déterminée, elle tremble constamment.
Néanmoins ce n’est pas encore la force des mouvemens qui est perdue autant que leur précision. Si on demande à un de ces malades de serrer quelque objet, il le serre avec force : mais s’il veut exécuter un travail un peu délicat, tailler une plume, enfiler une aiguille, il n’en viendra pas à bout ; il pourra même à peine boutonner ses vêtemens. S’il veut courir, chacun des sauts dont se compose sa course aura une étendue assez considérable, mais irrégulière ; il déviera souvent à droite et à gauche avant d’arriver à son but. Il n’a aucune souplesse lorsqu’il court ; son tronc, sa tête, ses bras sont tendus ; il retombe lourdement sur la plante des pieds et cette tension existe aussi dans les muscles de la face ; les paupières sont largement ouvertes, les mâchoires serrées. Cependant la sensibilité s’émousse, les irritations exercées sur la peau ne sont perçues qu’après un certain temps. On observe quelquefois, au début de la paralysie générale, un besoin Irrésistible d’agir. Un de mes malades, lorsqu’il a commencé à être attaqué de [p. 501] cette complication, ne pouvait rester en place ; il marchait du matin au soir avec une extrême rapidité, et semblait entrainé à cet exercice forcé plutôt par un besoin machinal que par une détermination volontaire ; insensiblement sa marche est devenue plus lente, et enfin , aujourd’hui elle est tout-à-fait retardée. La paralysie générale est souvent plus prononcée dans un côté du corps que dans l’autre. Quelquefois même les deux côtés du corps offrent d’un jour à l’autre une différence inverse sous ce rapport.
Si l’on observe avec attention la marche de cette complication, on y reconnaît deux périodes bien distinctes ; dans la première, que j’ai seule indiquée jusqu’ici, les mouvemens, quoique incertains, ont encore une certaine vigueur, peut-être plutôt une certaine rigidité, qui fait place au bout de quelque temps à un relâchement, à un état de résolution, sans cesse augmentée , du système musculaire.
Alors les malades ne sont plus capables d’aucun effort, les traits de la face tombent, les paupières s’entr’ouvrent péniblement ; l’œil est éteint, les mâchoires écartées, les lèvres pendantes ; alors aussi, les déjections deviennent involontaires ; ces malheureux, qui ne peuvent se transporter qu’avec une fatigue excessive d’un lieu à un autre, restent habituellement couchés ; bientôt la peau s’excorie de tous côtés, et la mort termine enfin cette longue et déchirante agonie.
Il est très-fréquent d’observer dans le cours de ces désordres des attaques de congestion cérébrale, suivies de convulsions, de coma, qui durent plusieurs heures et se répètent fréquemment plusieurs jours de suite. Après ces attaques, l’affaiblissement intellectuel et l’altération des mouvemens, dont les progrès sont ordinairement proportionnels, se montrent plus prononcés. Chez plusieurs malades, des intervalles variables d’un état stationnaire dans la marche des symptômes sont interrompus par des attaques de ce genie, à la suite desquelles les désordres de toute espèce augmentent considérablement, sans jamais rétrograder, et atteignent enfin le dernier degré d’intensité.
Chez le plus grand nombre des aliénés qui présentent cette triste complication , elle ne s’est montrée qu’à la suite des désordres intellectuels, chez quelques-uns, le début de ces deux genres de désordres a été simultané ; enfin, chez un petit nombre, l’altération musculaire semble avoir précédé celle de l’entendement. Une observation, consignée dans la dissertation inaugurale du docteur Delaye, prouve que cette espèce de paralysie peut avoir lieu chez les sujets qui ne sont pas aliénés. [p. 502]
Symptômes accessoires. —Si l’on joint aux trois ordres de symptômes que nous avons passés en revue, une insomnie opiniâtre, presque constante dans toutes les aliénations récente, commune dans des aliénations anciennes qui ont conservé de l’acuité et qui revient d’ailleurs clans la plupart des paroxysmes ou accès de folie, quelles que soient sa forme et son ancienneté, on aura une idée à peu près complète des symptômes essentiels, des symptômes cérébraux, si l’on peut ainsi dire, de la maladie.
Ce dernier phénomène, l’insomnie, est quelquefois porté à un degré d’intensité à peine croyable ; on voit des malades passer, sans dormir, des mois entiers, des années même, au dire de quelques auteurs.
Quant aux symptômes accessoires fournis par l’habitude extérieure du corps et par l’examen des fonctions organiques, ils sont très-variables, suivant les malades et suivant les époques de 1a maladie.
Chez la plupart des aliénés, l’expression de la face est en rapport avec la nature des passions dominantes ; elles se peignent avec d’autant plus d’énergie et de vérité, que rien n’en contrarie la manifestation.
La conjonctive est le siège ordinaire d’une forte injection ; la conque des oreilles est souvent d’un rouge intense. La coloration des joues n’est pas dans un rapport constant avec celle de ces deux parties ; elles peuvent être d’un rouge écarlate ou pâles et livides, avec le même degré d’injection de la conjonctive et de la conque de l’oreille. La peau est chaude et sèche, ou chaude et humide : c’est surtout au front que la chaleur est constante ; elle coïncide souvent dans cette partie avec le froid des extrémités.
Le pouls est sensiblement accéléré chez le plus grand nombre des insensés. Il est singulier que la plupart des auteurs qui ont parlé de la folie aient dit que cette maladie n’est accompagnée d’aucun dérangement dans l’état du pouls. Chez le plus grand nombre des malades, cette accélération existe. Rush a trouvé le pouls accéléré chez les 7/8 des malades de son hôpital. J’ai fait compter, avec une montre à secondes, le pouls de 62 malade, hommes et femmes, pris au hasard parmi les plus anciens et les plus récens ; aucun de ces malades n’avait d’affection étrangère à la folie.
Le nombre des pulsations, par minutes, était,
Chez 5, individus, de 60 à 70 ,
Chez 18, individus, de 70 à 80,
Chez 23, individus, de 80 à 90,
Chez 6, individus, de 90 à 100.
Et enfin, chez 10, individus, de 100 à 120.
[p. 503]
La moyenne de tous ces résultats est à peu près 84 pulsations par minute; ce qui, sans doule, est supérieur au Lerme moyen normal des pulsations artérielles.
Ainsi , on peut établir qu’il existe communément une accéléra¬tion fébrile du pouls chez les insensés. Chez quelques-uns on observe une diminution sensible dans le nombre des pulsations artérielles ; chacune d’elles, grande et forte , est séparée des autres par un intervalle considérable.
La plupart des aliénés offrent aussi des altérations remarquables dans les battemens du cœur. Chez plusieurs ils se font sentir très-fort, soulèvent la main ou le cylindre qui les explore ; ils sont tumultueux, intermittens chez un petit nombre ; chez d’autres presque insensibles au toucher er à l’oreille ; enfin, quelques symptômes d’hypertrophie, de dilatation du ventricule gauche ou d’autres altérations organiques de l’organe central de la circulation existent chez le plus grand nombre des malades, et, parmi les autopsies que j ‘ai faites, surtout depuis trois ans, j’ai reconnu quelque altération de ce genre sur plus des cinq sixièmes des cadavres.
La digestion est ordinairement dérangée dans les premiers temps de l’aliénation, la bouche est pâteuse, la langue couverte d’un enduit blanchâtre, l’appétit nul, la soif intense, la constipation opiniâtre. Ces symptômes se dissipent ordinairement d’eux-mêmes sous l’influence d’un traitement simple au bout de quelques jours, et l’appétit revient à son état naturel, ou bien même le malade mange et digère beaucoup plus que dans son état de santé. La constipation persiste souvent pendant la durée de la maladie. Plusieurs aliénés offrent une sputation, une sorte de salivation habituelle. Diverses affections thoraciques ou abdominales peuvent compliquer l’aliénation,
La coexistence de quelque affection très-grave de ces parties lui imprime quelquefois une marche intermittente. Il n’est pas rare de voir une phthisie, déclarée pendant le cours de la folie, en suspendre la marche. Le malade revient à la raison pendant que l’affection des poumons fait des progrès : ces progrès sont-ils suspendus, l’aliénation reparaît ; et ces alternatives se succèdent jusqu’à la mort.
Souvent une affection aiguë qui survient dans le cours d’une aliénation mentale en interrompt la marche ; elle reparait avec tous ses symptômes, lorsque l’affection accidentelle est passée. J’ai plus souvent observé cet effet produit par les inflammations aiguës de la poitrine que par celles du bas-ventre. Quelquefois enfin, une affection aiguë, survenant dans le cours d’une aliénation , suspend [p. 504] complètement sa marche et amène une guérison parfaite. Je reviendrai sur ces faits en parlant des terminaisons de la folie.
J’ai passé en revue les symptômes principaux de l’aliénation mentale ; les seuls constans sont les troubles intellectuels ; ils existent chez des aliénés dont les sensations et les mouvemens s’exercent aussi régulièrement que dans l’état de santé.
D’autres fois, ils se trouvent combinés avec de fausses perceptions dans quelques-uns de ces cas, les actions, les discours des aliénés sont les mêmes que les actions et les discours d’un homme raisonnable qui éprouverait par l’effet de circonstances extérieures, les mêmes perceptions qu’éprouve l’aliéné par l’effet du dérangement de ses organes. Le désordre intellectuel ne semble vraiment alors qu’une conséquence de celui des sensations. Il n’en est pas de même des désordres du mouvement volontaire ; il est clair que, s’ils existaient seuls, il n’y aurait pas d’aliénation mentale : par conséquent cet ordre de symptômes est toujours une complication de l’un des autres ou de tous les deux. Il mérite néanmoins dans la pratique de l’aliénation mentale une très-grande attention ; en effet, presque toutes les fois qu’il apparaît, le désordre des idées ne consiste plus dans une simple perversion des facultés intellectuelles : il s’est manifesté une altération plus profonde et plus irréparable ; les perceptions sont émoussées, la mémoire perdue ou du moins très-affaiblie ; les associations d’idées, vraies ou fausses, n’ont plus lieu avec vigueur. L’altération intellectuelle est analogue à celle des mouvemens ; s’il est permis de parler ainsi, c’est une sorte de paralysie, tandis que les désordres précédens ressemblaient plutôt à des efforts convulsifs.
D’après les nombreuses observations de M. Esquirol, tout espoir de guérison est perdu lorsque la paralysie générale se manifeste. Si cette proposition a été infirmée dans quelques cas fort rares, on a si souvent eu l’occasion d’en vérifier l’exactitude, que le très-petit nombre d’exceptions ne suffit pas pour la. faire modifier.
On peut poser en principe que, toutes choses égales d’ailleurs, l’aliénation dans laquelle on n’observe que des dérangemens relatifs à l’intelligence, aux affections, aux passions, est moins grave que celle qui est compliquée de désordres dans les sensations ; que l’existence de désordres dans les sensations, quoique aggravant la maladie, laisse encore-beaucoup de chances de succès : tandis que la complication de désordres généraux du système musculaire est un caractère presque constant d’incurabilité.
D’après un relevé fait sur une population de trois cent trente-quatre aliénés, dont cent-quarante-quatre hommes et [p. 505] cent quatre-vingt-dix femmes, j’ai reconnu que deux cent quatorze, dont quatre-vingt-quatorze hommes et cent trente-huit femmes , présentent des désordres intellectuels sans complications ; quatre-vingt-neuf, dont cinquante-cinq femmes et trente-quatre hommes, offrent des désordres variés de la sensibilité ; enfin trente et un, dont vingt-deux hommes et neuf femmes, sont atteints de paralysie générale. On voit par ce relevé que le nombre des malades qui n’offrent ni désordres de la sensibilité ni désordres du mouvement est le plus considérable, que les désordres de la sensibilité sont dans la même proportion dans les deux sexes, et que ceux du mouvement sont beaucoup plus communs chez les hommes.
DIVISION DES MALADIES MENTALES.
Dans les divisions des maladies mentales en genres, espèces, etc., on n’a eu égard, en général, qu’aux formes particulières des dérangemens intellectuels, qu’à un ordre de symptômes par conséquent si l’importance que j’ai accordée à l’étude des deux autres ordres n’est pas illusoire, on ne sera pas étonné que j’en tienne grand compte dans la classification que j’adopterai. Mais, avant de la faire connaître, j’exposerai rapidement celles qui se sont succédées jusqu’à nos jours.
Les anciens divisaient l’aliénation mentale en manie et en mélancolie ; ils entendaient par manie un délire général, et par mélancolie un délire partiel.
Cette division est arrivée jusqu’à nous, recevant de temps en temps des modifications qui n’ont pas empêché qu’elle ne soit encore adoptée par des auteurs modernes.
Pinel a divisé l’aliénation mentale en 1° manie, qu’il définit un délire général avec agitation, irascibilité, penchant à la fureur ; 2° mélancolie, délire exclusif avec abattement, morosité, penchant au désespoir ; 3° démence, une débilité particulière des opérations de l’entendement et des actes de la volonté ; 4° idiotisme, une sorte de stupidité plus ou moins prononcée, un cercle très-borné d’idées et une nullité de caractère. B. Rush, professeur à l’Université de Pensylvanie, dans un excellent traité Des Maladies de l’Intelligence, divise ces maladies en partielles et en générales. Les premières sont subdivisées en tristimanie (hypocondriasis) ; il désigne par là l’espèce d’aliénation dans laquelle des idées fausses, sur sa personne, ses affaires, sa condition, plongent un malade dans le désespoir : et en aménomanie, celle dans laquelle le délire est gai.
Il subdivise les dérangemens intellectuels généraux en 1° manie, délire général, violent, avec penchant à la fureur ; 2° manicula, [p. 506] un diminutif de l’état précédent devenu chronique ; 3° manalgia, engourdissement général du corps et de l’esprit. Il nomme dissociation l’état appelé démence par M. Pinel, et fatuité l’idiotisme du nosographe français. M. Esquirol a divisé l’aliénation mentale en manie (délire général), et monomanie (délire partiel). Le mot monomanie fournit, sans doute, à l’esprit une idée plus claire et plus applicable à la diversité des cas du délire partiel, que le mot mélancolie. Cet auteur réserve le mot idiotisme ou idiotie à l’oblitération congénitale de l’intelligence, celui de démence à l’oblitération accidentelle.
- Spurzheim admet quatre formes de folie ! l’idiotisme, la démence, l’aliénation et l’irrésistibilité, Gall a cherché surtout à rattacher les détires partiels à la lésion de quelqu’une des facultés qu’il considère comme fondamentales. Le docteur Georget, adoptant les divisions de M. Esquirol, y ajoute un cinquième genre composé de la démence aiguë, décrite par ce médecin comme une simple variété .
La base commune de toutes ces divisions, la simplicité ou l’étendue du délire, et son caractère particulier, est-elle solide ? Sont-ce véritablement des espèces différentes de maladie, ces états qui se succèdent les uns aux autres, alternent si souvent chez le même individu, et qui, dans bien des cas, ont une physionomie si douteuse, si mobile , qu’ils ne rentrent exactement dans aucune division des auteurs ? Haslam ne leur accorde aucune importance ; frappé de l’insuffisance de la plupart des divisions et de la difficulté d’en créer une meilleure, il n’en suit pour ainsi dire aucune dans ses observations sur la folie et la mélancolie. Il s’abstient aussi de définir la folie parce qu’il trouve très-difficile d’en faire une définition convenable, et que, dit-il, un médecin appelé auprès d’un fou, reconnaît assez bien son état sans avoir besoin de le définir. S’il y a de l’inconvénient à multiplier les divisions, il y en a plus encore, sans doute, à ne rien distinguer : le travail d’Haslam laisse donc beaucoup à désirer sous ce rapport.
La division de M. Esquirol en manie, monomanie, idiotie et démence, est sans doute, parmi celles que j’ai indiquées, la plus complète et la plus .conforme aux faits. Cependant les différences propres à. chacune de ces espèces me semblent plus convenable pour caractériser des variétés que des espèces.
Si l’on possédait sur les différens états organiques qui constituent les maladies mentales des données exactes et complètes, il serait facile de faire disparaître toutes ces difficultés ; mais la science n’est pas encore arrivée à ce degré de perfection. Tout ce qu’on [p. 507] peut demander au point où nous en sommes, c’est que, faute de résulter de données anatomiques, une classification des maladies mentales soit au moins basée sur des considérations physiologiques assez exactes pour nous conduire ensuite plus loin, en dirigeant mieux les recherches anatomiques.
Je ne me flatte pas d’avoir réussi dans cette entreprise, mais je puis me rendre cette justice, que, si je me suis un peu écarté de la direction suivie par tous les auteurs, je n’ai eu d’autre motif que de contribuer de ma part d’efforts à l’étude d’une classe de maladies si fatales et en même temps si dignes d’intérêt.
Trois ordres de phénomènes, sensations, combinaisons intellectuelles, mouvemens, se succèdent dans l’action du système nerveux.
Trois ordres de symptômes exactement correspondans se montrent isolés ou réunis dans les maladies mentales.
En fondant sur l’existence des symptômes d’un seul de ces ordres, et sur l’apparition successive de ceux des deux autres ordres, les divisions principales de l’aliénation mentale, ne peut-on se flatter d’avoir pris une base physiologique de classification ? ne peut-on même espérer que celte base est en même temps anatomique, si l’on admet, avec la plupart des auteurs modernes, que la sensibilité, le mouvement, l’intelligence ont chacun leur siège organique à part, quoique dépendant d’un même système ?
Comme les désordres intellectuels sont les plus constans, les seuls vraiment essentiels des maladies mentales, les cas particuliers clans lesquels ils se présenteront seuls composeront une première division ; cette première division comprendra la manie, la monomanie, la démence, l’idiotie de M. Esquirol existant sans complication de fausses sensations ou de désordres dans Je système musculaire.
Dans la seconde division se trouveront rangés tous les cas caractérisés par la coïncidence de troubles dans les sensations et de dérangemens intellectuels.
Enfin dans la troisième seront rangés tous ceux qui offrirent la lésion particulière du système musculaire à laquelle les auteur ont donné le nom de paralysie générale, paralysie des aliénés. Cette troisième classe comprendra aussi les aliénés épileptiques, ainsi que les idiots qui ont des membres atrophiés et paralytiques. Le tableau suivant est destiné à donner une idée de cette classification. [p. 508]
En objectera peut-être que, dans cette distribution des maladies mentales, des cas différents se trouve rapprochés, et des cas analogues éloignés les uns des autres ; qu’une manie, par exemple, figure successivement à côté de la monomanie, de la démence, et se trouve séparée d’autres cas de manie, parce qu’un ordre de symptômes en plus ou en moins, le trouble des sensations ou celui des mouvements, ce sera offert à l’observateur. Mais c’est à mon avis de la présence ou de l’absence de ses symptômes relatifs aux [p. 509] sensations et aux mouvemens, que résultent les différences capitales ; les distinctions fondées sur les limites ou l’étendue du délire me semblent à côté d’une importance médiocre.
Qui pourrait assurer d’ailleurs que chaque forme principale du délire, la monomanie, la manie, qui se succèdent si souvent chez le même individu, qui sont si rares dans leur état de simplicité, la monomanie surtout, que je n’en ai jamais vu trois exemples bien caractérisés ; qui pourrait assurer, dis-je , que ces différentes formes du délire ne sont pas plutôt en rapport avec le caractère particulier de l’insensé, avec ses dispositions du moment, qu’ils ne sont en eux-mêmes des maladies distinctes ?
Que deux hommes d’un tempérament différent, l’un sanguin, nerveux , très-sensible, très-emporté, l’autre du tempérament dit mélancolique, d’un caractère froid et concentré, reçoivent en même temps une grave insulte : le premier entre de suite en colère, s’en prend à tout ce qui l’entoure, renverse et détruit ce qui s’offre à lui etc., etc. ; le second, sent péniblement son offense, en calcule les fâcheux effets ; mais aucune action violente n’exprime sa souffrance.
Que deux aliénés offrent les mêmes différences de tempérament, de caractère, éprouvent la même insulte par suite d’une fausse sensation, ou que, sans éprouver une fausse sensation, ils se croient tous deux insultés de la même manière, l’un va présenter tous les symptômes d’un violent accès de manie, l’autre va rester concentré sur son idée pénible : c’est un monomaniaque.
Ces comparaisons ne paraîtront pas forcées quand on se rappellera qu’il existe une analogie assez constante entre le tempérament des insensés et la forme particulière de leur délire ; que le tempérament sanguin nerveux est surtout commun dans la manie, le tempérament dit mélancolique fréquent dans la mélancolie (voyez Esquirol, Dict., des Sciences médic.) ; enfin, si l’on ajoute que dans la grande majorité des cas appelés du nom commun de monomanie, le délire est plutôt remarquable parce qu’une idée dominante revient sans cesse se présenter à l’esprit du malade que parce qu’il ne déraisonne que sur une seule idée, on verra bien que les caractères de ces différentes espèces se fondent les uns dans les autres et ne peuvent suffire pour établir des divisions principales. On peut donc croire que les formes différentes du délire dans ce qu’on appelle manie, monomanie, etc., ne sont peut-être que les expressions propres aux tempéramens et aux caractères différens des malades aliénés.
Enfin, que cette opinion soit exacte ou qu’elle soit forcée, la [p. 5-10] classification que j’adopte ne détruit pas ces divisions ; seulement ces différens états constituent, dans mon travail, des variétés de la même classe et non pas des classes à part.
- Première division de l’aliénation mentale. — Désordres intellectuels, moraux, affectifs. — Dans tous les cas qui composent cette classe, il existe des désordres intellectuels, sans complication de désordres dans les sensations ou les mouvemens ; mais, suivant les formes particulières du dérangement de l’intelligence, on peut établir des subdivisions assez distinctes. On sent bien que, dans la description générale que je trace, je dois plutôt me borner à une définition de chacun de ces états particuliers, que chercher à en tracer une description complète.
La première de ces subdivisions est la manie, dans laquelle le délire est général, les accès de fureur assez communs, l’agitation physique constante, l’insomnie fréquente, surtout au début.
La physionomie des maniaques offre toujours une expression forte, leurs yeux sont brillans, mobiles, leur figure animée, leur cou gonflé, leurs jugulaires distendues. Cet état du cou et des jugulaires est la suite des vociférations de ces malades. Pour peu que la maladie ait duré quelque temps, la voix des maniaques devient enrouée, voilée ; on a souvent de la peine à l’entendre.
Le pouls est fébrile, fréquent ; la peau chaude, sèche ou humide:: la température du corps est souvent inverse à la tête et aux extrémités inférieures ; celles-ci sont froides, lorsque la tête est brûlante
L’appétit est ordinairement perdu dans les premiers temps de la manie, la soif intense, la langue sèche et couverte d’un enduit blanchâtre peu épais, la constipation opiniâtre. Au bout d’un ou deux septénaires de durée, ces symptômes de dérangement des organes digestifs disparaissent, l’appétit redevient naturel ; asses souvent même la voracité est extrême : les malades mangent et digèrent en proportion de la force et de la multiplicité des mouvemens de toute espèce auxquels ils se livrent.
La manie offre souvent des intervalles d’une espèce de calme ; les malades, pendant ce temps, peuvent s’occuper plus spécialement d’une série d’idées relatives à leurs affaires , à leurs affections. Les paroxysmes d’une violente agitation succèdent ordinairement à ces périodes de calme.
La manie est souvent intermittente ; les intervalles de santé durent quelques jours, quelques mois, une année. Plusieurs maniaques retombent malades constamment aux mêmes époques de l’année. [p. 511]
La manie se termine par résolution, par un état chronique, par la démence, que nous étudierons bientôt ; elle est souvent, dans son cours, compliquée de dérangemens dans les sensations ou de désordres musculaires, et rentre alors dans la deuxième ou la troisième division que nous avons établie.
La monomanie consiste dans un délire partiel ou circonscrit à un petit nombre d’objets. La monomanie dans son état le plus simple est excessivement rare ; le nombre des malades qui ne délirent que sur un seul objet est infiniment petit, à côté du nombre de ceux que l’on appelle monomaniaques. On confond souvent dans cette dénomination tous les insensés qui ont une idée dominante habituelle. Je n’ai vu que deux monomaniaques qui méritassent rigoureusement ce nom, et encore ces deux malades éprouvaient par intervalles un délire plus ou moins étendu.
Tous les auteurs qui ont parlé de la monomanie l’ont distinguée suivant que l’idée dominante du délire était une idée gaie, excitante (aménomanie de Rush, monomanie proprement dite de M. Esquirol) , ou bien une idée désespérante (tristimanie de Rush, lypémanie de M. Esquirol). Le délire des premiers est en général plus vif, plus turbulent ; celui des derniers plus sombre, plus concentré. Les monomaniaques du premier genre se rapprochent beaucoup des maniaques. Leur délire consiste en idées excitantes ; ils sont puissans, riches, élevés au-dessus des autres hommes : ce sont les dieux, les rois des maisons de fous. Les lypémaniaques, ou tristimaniaques, au contraire, en proie à des idées tristes, sont craintifs, soupçonneux, recherchent la solitude, ils croient avoir perdu leur fortune, leur honneur, leur réputation.
Beaucoup de symptômes propres à la monomanie et surtout à la lypémanie ou tristimanie ont été long-temps regardés comme constituant la maladie désignée sons le nom d’hypochondrie.
Ces deux formes principales de monomanie se succèdent souvent l’une à l’autre, se confondent quelquefois avec la manie.
La marche de la monomanie est active ou lente ; la monomanie proprement dite se rapproche de la manie par la fréquence des paroxysmes, par la tendance à se terminer assez promptement par la guérison, etc., etc. La lypémanie, au contraire, est en général assez lente ; c’est peut-être de toutes les formes de maladies mentales, celle qui peut persister le plus long-temps sans devenir incurable.
La démence n’est autre chose que l’oblitération de l’intelligence, survenue graduellement lorsqu’elle succède à la manie ou à la [p. 512] monomanie , et alors presque toujours incurable, ou débutant d’emblée, démence aiguë, et susceptible de guérison.
Chez, la plupart des individus en démence, les fonctions organiques deviennent d’autant plus actives, que les fonctions intellectuelles le sont moins. Ces insensés ont beaucoup de disposition à l’obésité, ils sont sales, beaucoup ne sentent pas leurs besoins, et doivent être soignés comme des enfans.
L’idiotie consiste, comme la démence, dans l’oblitération, la destruction plus ou moins complète de l’intelligence ; elle en diffère, en ce que cette oblitération est primitive, congéniale chez l’idiot, tandis qu’elle est accidentelle; consécutive chez l’individu en démence.
Il existe encore cette différence entre l’idiotie et la démence, que le travail morbide d’où résulte la première est arrêté depuis long-temps, tandis que le travail morbide qui constitue la démence n’est, pour ainsi dire, jamais arrêté complètement, et tend sans cesse à faire de nouveaux progrès.
Quelques auteurs, Georget entre autres, ne comprennent pas l’idiotie dans l’aliénation mentale, se fondant sur ce que cette maladie est congéniale et dépend le plus souvent d’un vice de conformation du cerveau. Ces raisons me semblent insuffisantes. Est-ce que la cataracte congéniale, parce qu’elle est congéniale, ne doit pas être étudiée avec la cataracte accidentelle ? etc. Est-ce que le bec de lièvre, le spina-bifida, ne doivent pas, chacun, trouver leur place dans une distribution méthodique des maladies des lèvres et du rachis, parce ce qu’ils sont des vices de conformation ?
- Esquirol divise les idiots en idiots proprement dits et en imbéciles : les idiots sont ceux chez lesquels l’oblitération intellectuelle est portée au plus haut point d’intensité. Il y a plusieurs degrés d’idiotie : quelques idiots n’ont pas assez d’idée pour porter à leur bouche les substances alimentaires, mais il suffit d’introduire ces substances dans la bouche pour que l’idiot en exécute la mastication et la déglutition ; tandis que dans les degrés les plus prononcés de l’idiotie cela ne suffit pas encore : il faut pousser jusque dans le pharynx le bol alimentaire, qui, soumis alors aux contractions musculaires de la vie organique, est conduit dans l’estomac.
Les imbéciles sont ceux qui, sans avoir assez d’intelligence pour remplir les fonctions ordinaires de la société, sont néanmoins susceptibles d’une sorte d’éducation.
Tels sont très-sommairement les différens genres d’aliénation mentale qui composent notre ·première classe.
- Dans la seconde caractérisée par la complication de désordres [p. 513] dans les perceptions et dans les facultés intellectuelles, de nouveaux symptômes apparaissent.
Que le délire soit général ou partiel, qu’il soit marqué par la force, la variété des idées, ou que déjà la froide démence ait imprimé sur le front du malade son ineffaçable empreinte, tous les insensés qui éprouvent de fausses perceptions ne sont plus dans leur délire, seulement en rapport avec le monde extérieur ; mais sollicités par des voix dont ils ne découvrent pas les auteurs, par des objets effrayans qui s’offrent à leur vue, tourmentés d’odeurs infectes, sentant le poison dans leur bouche, ils réagissent chacun, suivant le nombre et la force des idées qu’il possède, contre ces fausses sensations.
- a. La fureur du maniaque et du monomaniaque ne connait plus de bornes ; les tribunaux, le fer, le feu sont invoqués pour punir la barbarie de leurs secrets persécuteurs ; on en voit mettre le feu à leur maison pour brûler les sorciers qui l’habitent ; d’autres massacrent les personnes· qui les approchent, et qu’ils prennent pour leurs ennemis. Rien n’est plus commun que d’en voir parmi ces malheureux s’en prendre à la magie, à la physique, enfin à tous les moyens dont les mystères peuvent leur expliquer comment ils entendent, voient, sentent, goûtent, sans apercevoir personne qui leur parle, sans que d’autres qu’eux voient, sentent et goûtent comme eux. On pourrait remplir bien des volumes, des scènes tragiques que réalisent si souvent les maniaques poursuivis de fausses sensations.
- Mais lorsque la sensibilité diminuée du malade a émoussé les sensations vraies ou fausses, lorsque la dégradation profonde de son intelligence ne lui permet plus d’actives combinaisons de la pensée, vous le voyez murmurant sourdement ses plaintes, ou s’entretenant à voix basse avec les voix qui lui parlent.
L’intensité de la réaction et du délire, provoqué, alimenté ou spécialisé par la nature particulière des fausses sensations, est toujours en rapport avec le degré d’activité intellectuelle et de force physique du malade.
- Je ne sais si jamais on a observé de désordres dans les sensations des idiots, je n’en ai jamais rencontré ni lu d’exemples, et je pense que cette altération ne pourrait survenir dans l’idiotie que par l’effet d’un travail morbide accidentel et étranger à l’affection primitive.
- Troisième classe des aliénations, compliquées de désordres musculaires. —C’est dans cette classe que viennent se fondre et disparaître la plupart des symptômes caractéristiques des divisions en manie ; monomanie, etc. L’uniforme démence caractérise le plus [p. 514] grand nombre des insensés devenus paralytiques ; ou si, dans le principe de ces affections, il ressort quelquefois des apparences de délire partiel, on peut toujours y reconnaitre le cachet de la démence profondément imprimé. Telle n’est pas l’opinion de M. Bayle, qui, regardant la paralysie dont nous parlons comme un symptôme de méningite chronique, assigne comme phénomènes propres aux différentes époques de cette altération méningienne une période de monomanie, une période de manie, et enfin, une période de démence. Les raisonnemens de M. Bayle, pour établir la solidité de ces distinctions, n’empêchent pas que dans tous les cas caractérisés par la complication de paralysie générale, il n’y ait jamais, pour ainsi dire, de monomanie, de manie caractérisées ; c’est la démence qui domine dès le principe. Le délire de ces malades, analogue à une rêvasserie sénile, activé quelquefois par un mouvement de fièvre, est toujours marqué par l’incohérence, la succession désordonnée et l’avortement des idées ; c’est d’un bout à l’autre un songe sans suite, mais jamais je n’ai observé dans ce cas la fermeté de conviction, l’opiniâtreté, les arguties des monomaniaques ; jamais la violence, l’activité, la succession rapide d’idées d’un maniaque. Le paralytique pleure plus souvent qu’il ne se croit un grand personnage ; et si quelquefois l’idée de richesses, d’honneurs, lui passe dans la tête (ce que je ne veux pas nier, car les exemples n’en sont pas rares), il l’exprime comme un homme en démence, et non comme un monomaniaque.
Les assertions de M. Bayle, à cet égard, me semblent très-exagérées, et fournissent, à mon avis, une preuve de plus de l’inconvénient de prendre pour bases de division les manifestations symptomatiques les plus inconstantes et les plus fugaces.
Je crois que tous ceux qui voudront observer sans prévention les aliénés paralytiques accorderont à dire que le délire, chez eux, est dix-neuf fois sur vingt celui de la démence, que jamais, pour ainsi dire, les périodes monomanie, manie, démence, ne s’enchaînent avec la moindre régularité, quoiqu’il soit vrai qu’un assez grand nombre de ces malades disent, par momens, qu’ils sont riches, qu’ils ont des places, des titres, etc.
CAUSES.
Les médecins ont généralement étudié avec d’autant plus d’attention les causes des maladies mentales, que, privés de données exactes sur la nature et le siège organique de la maladie, ils espéraient déduire de la connaissance exacte de ses causes, des [p. 515] inductions utiles, et que certaines formes de folie semblaient, par leur nature, pouvoir être des conséquences d’une suite d’impressions analogues aux idées dominantes des malades.
Il est sans doute fort important de remonter à la source des circonstances qui peuvent occasionner les maladies mentales. Cette connaissance peut fournir des données utiles pour en obtenir la guérison et en prévenir le retour.
Les causes des maladies mentales ont été distinguées en prédisposantes et en excitantes.
Causes prédisposantes. — Les climats chauds produisent moins de fous que les climats tempérés, et cependant nous voyons plus de folies éclater dans l’été que dans l’hiver. Il résulte de relevés faits sur un nombre considérable d’aliénés, que dans nos contrées les mois de mai, juin, juillet et août sont ceux qui produisent le plus de maladies mentales ; les mois de janvier, février, mars, ceux qui en produisent le moins. (Esquirol.)
Plusieurs maladies mentales intermittentes reviennent constamment dans les mêmes circonstances atmosphériques. Les saisons influent aussi sur le genre particulier de la maladie, les manies. sont plus fréquentes dans les saisons chaudes ; et la mélancolie dans les saisons humides et brumeuses. On en pourrait dire autant des climats. M. Esquirol m’a parlé d’un riche habitant des Pays-Bas, sujet à une folie intermittente, dont les accès revenaient régulièrement à l’automne ; M. Esquirol lui conseilla de faire pendant quelques années, aux approches de cette saison et pendant sa durée, un voyage en Italie. Ce moyen réussit complétement, et procura une guérison solide.
L’influence de la lune a long-temps été regardée comme très-puissante dans la production d »accès de maladie mentale, et surtout dans le retour périodique des accès ; on n’y croit plus guère aujourd’hui. Il est certain, néanmoins, qu’à certaines époques, on remarque dans les établissemens d’aliénés une agitation générale et insolite, Les malades de différens quartiers trop éloignés les uns des autres pour s’entendre, éprouvent en même temps une exacerbation marquée. Plusieurs de ceux qui ont du penchant au suicide sont plus tourmentés que de coutume. Dans ces mêmes jours, on voit un grand nombre d’épileptiques pris de leurs accès. J’ai vu quelquefois cette exacerbation générale correspondre à la nouvelle lune, mais plus souvent arriver à toute autre époque. S’il faut en croire M. Gall, c’est surtout avec les deux époques de chaque mois où l’on voit le plus grand nombre de femmes réglées que cette agitation générale coïncide. Cette opinion ne semble pas [p. 516] plus exacte, quoiqu’il soit bien vrai que la plupart des femmes aliénées sont plus agitées à leurs époques menstruelles ; mais pour ce qui regarde l’agitation générale dont il est question, j’ai vu souvent plus d’un mois se passer sans qu’elle se renouvelât ; d’autres fois son retour avait lieu plusieurs fois clans une quinzaine.
On observe réciproquement des jours où tout est tranquille dans une maison d’aliénés : on est frappé du calme, du silence qui règnent dans les quartiers peuplés de malades ordinairement très-agités. L’état particulier de l’atmosphère m’a semblé la cause la plus ordinaire de ces différences, qu’on voit survenir tantôt avec un ciel pur, une chaleur intense, tantôt dans les temps orageux, dans les temps de tempêtes. Le froid intense, ainsi que l’a observé M. Esquirol, commence par agiter les malades, et ne tarde pas à les calmer pour peu qu’il continue. Quoi qu’il en soit, la durée de cette agitation ou de ce calme accidentel, varie d’une demi-journée à un, trois ou quatre jours.
Tous les âges ne sont pas également exposés au développement de l’aliénation mentale ; toutes les espèces de folie ne sont pas propres à tous les âges.
L’enfance est l’âge de l’idiotie, de l’imbécillité ; les imbéciles et les idiots sont tels en effet, soit par suite d’une conformation vicieuse de l’organe de l’intelligence, soit par suite d’une altération accidentelle profonde survenue dans le sein de la mère, ou dans les premiers temps de la vie extra-utérine. Les aliénations accidentelles, au contraire, sont très rares chez les enfans. M. Esquirol en cite trois exemples. J’en ai vu un moi-même, chez un enfant de dix ans, que la lecture assidue des romans de chevalerie avait conduit à se croire un des héros de ces ouvrages. Il passait des journées entières à se battre contre les arbres, les murailles, qu’il prenait pour des infidèles. Enfin, nous avons reçu, il y a quelques jours, une-petite fille de sept ans et demi, aliénée depuis dix-huit mois à la suite de la rougeole.
La vieillesse se rapproche de l’enfance en cela que les maladies mentales aiguës y sont rares, quoique plus communes que dans l’enfance , tandis qu’elle présente souvent cette dégradation lente et graduelle de l’intelligence, qu’on nomme démence, état si analogue pour ses symptômes à l’idiotie, que M. Pinel ne les distinguait l’une de l’autre que par les épithètes de congénitale et acquise.
C’est depuis la puberté jusqu’à l’âge de soixante ans que se développe le plu grand nombre des maladies mentales. Suivant M. Esquirol, pendant cette longue période, « 1° L’aliénation est [p. 517] plus fréquente de vingt-cinq à trente-cinq ans dans les deux sexes et dans toutes les conditions de la vie ; 2° de cinquante à soixante ans, la proportion est plus forte que dans les quinze années antérieures et dans celles qui suivent ; 3° chez les hommes, un quinzième des aliénés le devient depuis la naissance jusqu’à l’âge de vingt ans, tandis que chez les femmes, il y en a plus d’un sixième avant l’âge de vingt ans, et chez les riches un peu plus d’un quart le devient avant cette époque ; 4° la proportion de folie est plus forte chez les femmes que chez les hommes, avant l’âge de vingt ans et après cinquante ans. »
En France, la proportion des femmes aliénées est supérieure d’un quart ou d’un tiers à celle des hommes. On dit qu’en Angleterre , en Italie, en Espagne, il n’y a pas une différence aussi grande, et qu’enfin, dans quelques contrées de l’Allemagne, la proportion des femmes a été trouvée beaucoup moindre que celle des hommes. On a cherché dans les mœurs, dans les vices de l’éducation de nos femmes la source de ces différences ; mais avant de chercher l’explication de ces faits, il faudrait bien constater leur exactitude ; et si nous avons, pour ce qui concerne la France, des données assez exactes, nous sommes loin de les posséder pour les pays que nous comparons au nôtre sous ce rapport. Et si l’on trouait partout une supériorité proportionnelle des femmes aliénées, on serait bien fondé à penser que cette supériorité tient plutôt à la constitution particulière de la femme, à l’influence souvent fatale pour sa raison de la suppression des règles et des lochies, aux affections morales si profondes, si fréquentes que les mères, les épouses, sont exposées à éprouver, etc. Il serait, je crois, plus physiologique et plus exact d’invoquer l’action de ces causes que de s’en prendre à l’éducation, aux mœurs des femmes, qui, sans être irréprochables, ne sont peut-être pas plus mauvaises et plus négligées en France que partout ailleurs. En outre, s’il est vrai que dans quelques endroits il y ait plus d’hommes aliénés que de femmes, on peut croire que cela tient à quelque cause générale qui agit sur les premiers comme le fanatisme religieux ou politique, etc., auxquels les hommes se laissent plus entrainer que les femmes.
Tempérament. — Les tempéramens paraissent avoir quelque influence sur la forme particulière des maladies mentales. Le tempérament sanguin est commun chez les maniaques, et ce qu’on appelle tempérament bilieux ou mélancolique se montre souvent chez monomaniaques ; enfin, le tempérament dit lymphatique est propre à beaucoup d’idiots et d’imbéciles.
Quelques médecins ont, attaché de l’importance aux couleurs, [p. 518] dominantes des yeux. Je n’ai pas vu parmi les malades confiés à mes soins, de différence avec les habitans du pays pour la proportion de telle ou telle couleur de ces organes ; mais une chose qui m’a frappé, c’est de rencontrer un certain nombre d’aliénés qui n’ont pas les deux yeux de la même couleur. Cette particularité si rare, en général, je l’ai observée chez plusieurs aliénées de la Salpêtrière. Elle existe sur quelques-uns des malades actuellement confiés à mes soins. Peut-être cette coloration différente des deux côté , indique-t-elle une inégalité correspondante dans l’influence nerveuse que chacun reçoit.
« On rencontre chez les fous les mêmes formes de tête que chez les gens sensés », a dit Georget. Cette assertion n’est pas tout-à-fait exacte ; on rencontre bien çà et là, chez les aliénés, les conformations de tête les plus régulières, les plus harmonieuses ; mais il est sûr qu’on trouve parmi la population d’une maison de fous beaucoup plus de conformations vicieuses du crâne qu’on n’en observe sur un nombre égal d’hommes pris au hasard. Il existe plus de cinquante conformations vicieuses du crâne sur les trois cent trente aliénés que je soigne ; celle qui domine le plus est l’étrécissement circulaire de cette partie suivant une ligne qui, partant de la région supérieure du frontal, se terminerait au-dessous de la protubérance occipitale en passant à droite et à gauche au-dessus de la conque de l’oreille.
Cet enfoncement circulaire est surtout prononcé au sommet du frontal et sur ses côtés. Peut-être ce vice de conformation résulte-t-il de l’habitude générale dans le pays, d’entourer la tête des nouveau-nés de ce qu’on appelle un bandeau, morceau de toile triangulaire au grand bord duquel on fait un pli de deux travers de doigt qu’on applique et qu’on serre précisément sur la ligne que j’ai indiquée comme siège de cet étrécissement.
L’étroitesse extrême du frontal, son inclinaison très-forte en arrière, se rencontrent aussi fréquemment.
Les maladies du cœur sont très-communes chez les aliénés ; parmi ceux qui ont succombé depuis trois ans dans l’asile départemental de la Seine-Inférieure, plus des cinq sixièmes offraient quelque altération de cet organe. Cette maladie du cœur est-elle une des causes de l’aliénation ? Est-elle est an contraire un effet de cette affection ? Ces deux propositions me semblent également vraies. Il n’est pas douteux que souvent l’hypertrophie du ventricule gauche ne favorise le développement de la folie, comme elle favorise celui de la congestion et de l’hémorrhagie cérébrale ; mais il arrive aussi, dans bien des cas, que les cris continuels, la [p. 519] violence, l’agitation désordonnées des malades, leurs mouvemens forcés dans le cours de la folie, deviennent des causes d’altération organique du cœur,
Il n’y a pas de maladies dans lesquelles l’influence héréditaire soit mieux prouvée que dans l’aliénation ; la moitié à peu près des individus qui deviennent fous ont eu des aliénés dans leur famille. Cette influence est plus active s’il y a eu des aliénés du côté paternel et maternel. Elle l’est moins lorsqu’il n’y a eu des aliéné que d’un côté. Dans quelques cas, le plus grand nombre des enfans de la même famille deviennent aliénés au même âge que l’ont été leurs parens.
Quelquefois l’aliénation se manifeste chez les enfans avant d’avoir frappé leurs pères. J’ai observé un jeune homme devenu aliéné à la suite de libertinage et de traitemens mercuriels répétés sans direction de médecin. Le frère aîné de ce jeune homme avait déjà été aliéné. Le père et la mère, âgés de 60 à 65 ans, n’avaient jusque-là présenté aucune atteinte de folie : dans une même année, la mère succomba à une attaque d’apoplexie précédée des symptômes d’une mélancolie profonde ; le père, après quelques jours d’une monomanie bien caractérisée, trouva le moyen de se donner la mort.
On ne pouvait, dans ce cas, avant la maladie du père et de la mère, soupçonner aucune influence héréditaire. Il est vraisemblable pourtant que la même prédisposition existait chez les parens et les enfans ; elle fut de bonne heure favorisée chez ceux-ci par des causes excitantes qui avaient respecté leurs pareils jusqu’à une époque avancée de leur carrière.
Il y a parmi les fous plus de célibataires que de personnes mariées.
L’influence des professions sur la production de la folie est très-obscure, sinon peut-être celle des profession qui exposent à respirer des vapeurs malfaisantes, celles du charbon par exemple ; aussi trouve-t-on toujours une forte proportion de cuisiniers, de repasseuses dans les hôpitaux de fous.
Relativement aux autres professions, on peut dire d’une manière générale que celles qui sont le plus propres à exciter fortement l’ambition, à nous exposer aux vicissitudes de la fortune, fournissent le plus de fous ; mais dans toutes ces circonstances encore, on reconnaît souvent que le caractère ambitieux, l’esprit aventureux de celui qui devient fou, ont eu plus de part que la nature même de ses occupations habituelles dans la production de la maladie.
Les travaux intellectuels excessifs ont été accusés de produire [p. 520] souvent l’aliénation mentale. Il n’y a rien d’absolu à cet égard. Un individu d’une intelligence médiocre, qui, sollicité par une passion violente, se livre sans suite, sans mesure, sans régularité, à un travail supérieur à ses forces, celui-là court grand risque de perdre la raison ; mais un homme bien organisé peut, sans danger, supporter des travaux intellectuels long-temps soutenus. Combien n’a-t-on pas vu de savans poursuivre une longue carrière dont chaque jour était marqué par une application nouvelle au travail, et conserver jusqu’à leurs derniers momens une force d’esprit remarquable !
Le passage d’une vie active à une vie inoccupée a été, chez beaucoup de négocians devenus riches, chez beaucoup de militaires retirés du service, une cause puissante de maladie mentale, lorsqu’ils n’ont pas su introduire dans leur nouveau genre de vie des occupations nouvelles assez fortes pour détourner les tristes effets de l’oisiveté.
La folie est plus fréquente dans les pays dont la civilisation est le plus avancée ; est-ce comme on l’a dit, parce que les mœurs sont moins dépravées dans ces pays ? N’est-ce pas plutôt la conséquence de l’activité plus grande de la vie intellectuelle, des revers de fortune si fréquens au milieu des mouvemens rapides d’une civilisation avancée, et si rares au milieu des sociétés jeunes encore, et dans lesquelles, les besoins physiques satisfaits, l’homme, insouciant comme l’animal, dort d’un profond sommeil jusqu’à ce que de nouveaux besoins se fassent sentir ? Cette raison n’est-elle pas aussi plausible que celle d’une démoralisation qui n’est pas du tout prouvée, et que beaucoup d’auteurs de tous les temps ont prise pour texte commun de leurs déclamations ? Le passage suivant de l’illustre Pinel ne s’accorde guère avec l’opinion que la démoralisation est une cause si puissante de folie. « Les personnes de l’un et de l’autre sexe, douées d’une imagination ardente et d’une sensibilité profonde , celles qui sont .susceptibles des passions les plus fortes et les plus énergiques, ont une disposition plus prochaine à la folie, à moins qu’une raison saine, active et pleine d’énergie, n’ait appris à contrebalancer cette fougue impétueuse ; réflexion triste, mais constamment vraie et bien propre à intéresser en faveur des malheureux aliénés. Je dois sans doute faire des exceptions, et reconnaître qu’il existe quelquefois dans les hospices de malheureuses victimes de la débauche, de l’inconduite et d’une extrême perversité de mœurs ; mais je ne puis en général que rendre un témoignage éclatant aux vertus pures aux principes sévères qui se manifestent souvent à la guérison. Nulle [p. 521] part, excepté dans les romans, je n’ai vu des époux plus dignes d’être chéris, des pères et mères plus tendres, des amans plus passionnés, des personnes plus attachées à leurs devoirs, que la plupart des aliénés heureusement amenés à l’époque de la convalescence. »
Quoi qu’il en soit, il suffit d’avoir constaté que le nombre de fous est dans tous les pays en raison directe de la civilisation, pour résoudre par l’affirmative une question débattue depuis quelques années, savoir, si le nombre des fous est augmenté en France depuis la révolution. Mais il faut bien remarquer avec M. Esquirol que cette augmentation n’est pas aussi considérable que pourraient le faire croire les relevés des établissemens publics et particuliers : il faut tenir compte de l’augmentation générale de la population, des améliorations si grandes introduites dans les maisons d’aliénés, des progrès de la science dans l’étude de la folie ; et d’autres circonstances encore, par suite desquelles beaucoup d’aliénés, qui autrefois seraient restés dans leurs familles ou bien auraient été enfermés dans des couvens, dans des prisons, sont actuellement confiés aux soins de la médecine dans des établissemens publics ou particuliers, et figurent ainsi sur les relevés qu’ils grossissent.
Beaucoup de ceux qui deviennent aliénés ont eu toute leur vie un caractère singulier : tantôt, c’est une imagination déréglée que rien ne peut fixer, une présomption ridicule, une ambition démesurée qui n’est soutenue par aucune force d’esprit, aucune persévérance. Enfin, on voit devenir aliénés des hommes qui n’ont jamais présenté de particulier que l’extrême régularité de leur conduite, leur attachement scrupuleux à remplir tous leurs devoirs, leur éloignement pour les plaisirs et les distractions les plus licites.
Pinel et M. Esquirol ont signalé des cas d’éducations vicieuses qui ont conduit à la folie : ces cas ne sont pas très-rares. Des enfans habitués à faire toutes leurs volontés, à maîtriser leurs parens et leurs supérieurs, ne peuvent guère manquer de rencontrer, dès leur entrée dans le monde, des obstacles qu’ils ne peuvent surmonter ; leur vanité s’irrite, leur faible raison s’égare.
Causes excitantes. — Des coups, des chutes sur la tête, l’exposition de cette partie à l’ardeur du soleil ont souvent déterminé l’aliénation. La suppression des règles, des lochies chez les femmes, celle des hémorrhoïdes, des dartres dans les deux sexes, sont des causes assez communes de folie.
Diverses maladies du cerveau, la méningite, l’hystérie, l’épiIepsie surtout dégénèrent souvent en maladies mentales. Il est vrai de dire, avec Georget, que l’aliénation causée par l’épilepsie offre [p. 522] quelque chose de particulier, de plus grave ; la raison est toujours très-compromise ; les maniaques ont moins de connaissance ; la fureur est plus aveugle, etc. Mais les causes existantes les plus ordinaires des maladies mentales sont sans aucun doute les affections morales.
Frappé de leur fréquence, Georget, dans son premier ouvrage sur la folie, avait avancé que la part accordée par les acteurs aux cause physiques, dans la production de l’aliénation mentale, était fondée sur des apparences trompeuses ; que l’influence seule des causes morales n’était pas équivoque. J’ai cherché à réfuter cette proposition avec mon ami Delaye dans un mémoire sur les causes de la folie, publié dans le Nouveau Journal de Médecine, octobre 1821. Je ne reviendrai pas sur ce qu’elle a d’exagéré.
Ce serait une entreprise téméraire de vouloir tracer un tableau complet des causes morales de la folie. Il n’y a peut-être pas de circonstance dans la vie qui ne soit devenue pour quelques-uns une cause d’aliénation. Les plus fréquentes sont les émotions vives, la terreur, les chagrins profonds , etc. : on a divisé ces causes en excitantes et en débilitante. Le chagrin, la cause la plus ordinaire des folies, a été considéré comme cause débilitante.
Il est certain que Ies affections tristes prolongées amènent une débilité générale ; mais tous les organes participent-ils à cette débilité ? n’y a-t-il pas au contraire excitation violente de celui qui devient malade ? Prenons l’exemple d’un père de famille réduit à la misère par des événemens imprévus, celui d’une mère qui vient de perdre son fils unique. Ces malheureux, concentrés sur une idée désespérante, n’en conçoivent aucune autre qui ne s’y rattache ; jour et nuit ils y pensent, les besoins les plus pressans ne se font pas sentir, les sentimens les plus doux sont éteints dans leur cœur ; le sommeil ne répare pas leurs souffrances, ou, s’ils succombent un instant à la fatigue, des songes affreux les poursuivent ; ils se réveillent haletans, couverts de sueur, et se retrouvent en face du désespoir. Cependant les forces s’épuisent, leurs joues se flétrissent, les rides de leur front montrent en même temps la peine de leur âme et leur faiblesse physique ; mais aussi, la chaleur de la tête, l’opiniâtre insomnie, leurs yeux sanglans attestent la violente excitation du cerveau ; ils succombent enfin sous le poids du malheur ; la folie succède à leur long désespoir. Voilà un de ces cas de folie produite par une cause débilitante, et, dans ce cas, tout concourt à prouver l’irritation excessive du cerveau ; la chaleur de la tête , l’insomnie, l’exercice continuel et forcé de l’organe de la pensée n’en sont-ils pas des preuves irrécusables ? Beaucoup des autre causes de la folie agissent de la même manière, sont vraiment des [p. 523] causes excitantes au moins du cerveau. L’insolation, les coups sur la tête, la suppression des règles, des hémorrhoïdes, des dartres, sont des causes excitantes, des causes d’inflammation, tandis que quelques autres, des maladies longues, des couches laborieuses, la privation d’alimens, etc., peuvent être regardées comme causes débilitantes. Ainsi on peut établir que la plupart des causes de la folie agissent en excitant le cerveau.
Invasion, marche, de l’aliénation mentale. L’aliénation mentale est idiopathique, sympathique et symptomatique.
C’est surtout pendant la grossesse à la suite des couches, que l’aliénation sympathique se manifeste,
Si l’on veut appeler aliénation mentale l’oblitération lente et graduelle de l’intelligence à mesure qu’une tumeur accidentelle se développe et comprime le cerveau, cette aliénation est symptomatique.
On a vu quelquefois l’aliénation, régner d’une manière épidémique. Dans les différens exemples d’épidémies de ce genre, c’était à l’action d’une cause morale qui avait agi sur un grand nombre de sujets qu’était due la maladie.
L’aliénation accidentelle offre dans son développement, dans sa marche, dans ses terminaisons, des phénomènes importans à connaître Dans le plus grand nombre de cas elle n’éclate qu’après une série de changemens qui composent ce qu’on appelle la période d’incubation de la folie.
Quelques soins bien dirigés, appliqués à cette époque, peuvent suffire pour prévenir le développement de la maladie ; il est donc bien important de connaître les signes qui annoncent l’imminence d’une maladie mentale.
La très-grande majorité des sujets qui deviennent aliénés éprouven , avant de l’être, de la céphalalgie, de l’insomnie, de la chaleur, de la tension dans la tête ; un mouvement fébrile plus marqué le soir et la nuit que dans le jour ; de la soif, de la constipation, etc.
Le caractère est altéré ; quelques-uns deviennent indifférens, prennent du dégoût pout leurs occupations ordinaires ; ils sont d’une susceptibilité extrême avec leurs parens et leurs amis, repoussent avec aigreur les questions les plus innocentes, éprouvent des accès de colère à la moindre occasion.
Il arrive souvent que les individus chez lesquels ces changemens se manifestent s’en étonnent, croient et disent qu’ils vont perdre la tête. Ils interrogent avidement les yeux des autres pour y lire ce qu’ils pensent de leur état, Ils recherchent la solitude, [p. 524] sont disposés à commettre des excès de tout .genre pour faire diversion à leurs idées pénibles.
Cette période d’incubation dure un temps variable, quelques jours, un ou deux mois ; assez souvent, ces premiers phénomènes disparaissent quelque temps, reviennent avec plus d’intensité, et enfin le délire éclate plus souvent la nuit que le jour, à moins qu’une cause excitante, l’intempérance, un accès de colère, une querelle ne précipitent ce fatal moment.
Chez quelques malades l’invasion de la folie succède brusquement à l’action d’une cause excitante ; chez d’autres, un abattement profond, une stupeur léthargique, une somnolence continuelle, précèdent les désordres de l’esprit ; mais cette dernière forme est infiniment plus rare que l’insomnie.
Enfin, il en est chez lesquels il est impossible de signaler l’époque précise de l’invasion : les désordres intellectuels se sont fondus d’une manière si insensible avec des défauts naturels du caractère, qu’on n’en reconnait l’existence que lorsqu’ils sont arrivés à leur plus grande intensité. Ainsi un jeune homme très-orgueilleux a de la peine à se fixer sur le choix d’un état ; toutes les propositions que des parens éclairés lui adressent lui paraissent peu dignes de son mérite ;· il recherche la carrière qui doit lui procurer le plus d’illustration et d’importance ; il l’abandonne bientôt ; il n’avance pas assez rapidement au gré de son ambition ; un second, un troisième essai ne le mènent pas plus loin ; moins il est avancé , plus le sentiment de son mérite s’exalte ; il s’indigne en secret de l’aveuglement des hommes qui ne savent pas mieux lui rendre justice ; mais il va se faire connaître par quelque production remarquable.
Capable de tout perfectionner, il compose un mémoire sur les améliorations à faire dans la ville qu’il habite ; mais c’est un sujet trop étroit pour son génie. Il va proposer aux gouvernemens les projets les plus vastes ; il ne s’agit de rien moins que de réformer les empires. Mon génie, mes lumières, voilà mon état, dit-il dans ses écrits ; mon âme, comme un océan de feu, va éclairer et embraser l’univers.
De pareils exemples ne sont pas rares, surtout lorsqu’à l’existence d’un amour-propre déréglé se joignent des habitudes funestes. Ces exemples prouvent combien l’exaltation de certains défauts de caractère nous rapproche de l’égarement complet de la raison, et combien, dans ces cas, il est difficile de fixer avec précision le début de l’aliénation mentale.
On peut dire d’une manière générale que la marche et le caractère [p. 525] propre de la folie sont en rapport avec la promptitude de son développement ; la période d’incubation de ~ manie est ordinairement plus courte que celle de la mélancolie : il faut convenir aussi qu’il est impossible de méconnaître la première aussitôt qu’elle est déclarée, tandis que la seconde peut durer des mois, des années avant que les parens du malade s’en aperçoivent : il faut quelque scène affligeante pour leur ouvrir les yeux.
Toutes les espèces de folie, l’idiotie et la démence consécutive exceptées, peuvent offrir une marche continue ou intermittente. C’est surtout dans les manies, les monomanies et quelquefois aussi dans la démence aiguë qu’on observe des intermittences complètes. Je ne parle pas de ces momens lucides passagers que les mêmes maladies offrent à différentes époques de leur cours, et qui durent quelques heures ou même quelques jours, mais pendant lesquels la chaleur de la tête, l’état des yeux, une certaine exaltation montrent bien que ce n’est qu’un soulagement passager ; dans les intermittences réelles tout est rentré dans l’état normal : la température de la tête, l’état des yeux sont naturels ; la raison est aussi saine, le jugement aussi fort, le sentiment, des convenances aussi sûr que dans l’état parfait de santé.
La manie offre souvent cette marche périodique ; on pourrait citer beaueoup.de personnes qui tous les ans à la même époque éprouvent un accès de manie dont la durée est ordinairement la même, si la maladie reste abandonnée aux efforts de la nature. Les monomaniaques, et parmi eux les mélancoliques, sont moins sujets aux intermittences que les maniaques ; et enfin les démences aiguës offrent plus rarement cette marche, quoique, dans un certain nombre de cas, elles offrent les intermittences les plus complètes.
J’ai vu pendant plusieurs années, à la Salpêtrière, dans le service de M. Esquirol, une jeune fille qui passait une quinzaine de jours dans un état profond de démence. Quinze autres jours dans un état parfait de raison ; elle était alors d’une vivacité extrême et d’une application soutenue au travail : les accès revenaient toujours par des éclats de rire prolongés ; enfin elle tombait dans un engourdissement profond, ne pouvait plus dire un mot, regardait d’un air stupide, les personnes qui lui parlaient. Tous les moyens employés pour prévenir le retour de ses accès, quinquina, sulfate de quinine, saignées, purgatifs, bains, n’ont jamais procuré un soulagement durable. Une autre femme de la Salpêtrière passait plusieurs mois presque immobile, et dans une insensible complète en apparence ; placée sur une chaise à son lever, elle [p. 526] restait toute la journée dans la même position, se laissait pincer, piquer sans se plaindre ; on l’aurait brulée qu’elle n’eût pas changé de place. Après plusieurs mois passés dans cet état, elle était prise d’une salivation abondante, et revenait aussitôt à un état parfait de raison. Elle pouvait rendre compte alors de tout ce qu’elle avait éprouvé dans son accès ; elle se plaignait que quelques personnes l’avaient pincée sans ménagemens pour explorer sa sensibilité ; elle souffrait beaucoup de ces essais, disait-elle, mais était empêchée, par une force insurmontable, de se plaindre et de se soustraire à la douleur. Un pareil état n’appartient-il-pas autant à la catalepsie qu’à la démence ?
Chaque accès d’une folie Intermittente présente le plus souvent, (comme une folie continue) les périodes d’accroissement, de diminution d’intensité des symptômes, et enfui de retour graduel à la raison.
Il ne faut pas confondre avec les folie, intermittentes celles qui reviennent souvent dans le cours de la vie sous l’influences ces mêmes causes excitantes. On reçoit chaque année, dans tous les établissemens d’aliénés, des ivrognes qui reviennent à la raison aussitôt qu’ils abandonnent leur excès, et qui ne retomberaient pas malades s’ils renonçaient à leur pernicieuse habitude. Rush considère comme aliénés tous les ivrognes de profession, quand même ils n’offrent aucun autre dérangement dans leur conduite. Il voudrait qu’ils fussent renfermés dans un hôpital. On pourrait confondre avec ceux que l’ivrognerie fait souvent retomber fous, des sujets vraiment affectés de folie intermittente, et qui, habituellement sobres, éprouvent, pour premiers symptômes de leurs accès, un besoin irrésistible d’alcooliques ; mais dans ces cas particuliers, la marche ultérieure de la maladie n’est pas la même que celle des accès réellement occasionnés par l’ivrognerie. Il ne suffit pas d’un régime régulier Pour que les accidens se dissipent.
La plupart des folies offrent dans leur cours des rémissions passagères, marquées seulement par la diminution d’intensité du délire ou le retour brusque et subît de toutes les apparences de la raison sans coïncidence de phénomènes critiques ; ces lueurs passagères, qui n’ont rien de régulier dans leur retour, leur durée, ne doivent pas être confondues avec les intermittences véritables ; on les a nommées intervalles lucides.
Dans les aliénations continues, les symptômes diminuant ordinairement d’intensité après un ou deux septénaires à partir de l’invasion, reviennent ensuite plus intenses et suivent une marche assez uniforme, exaspérée quelquefois par des sortes de [p. 527] paroxysme ; irréguliers, ou tempérée par des rémissions incomplètes ou de vrais intervalles lucides qui n’offrent pas de régularité dans les époques de leur apparition ; enfin l’agitation l’apaise, le délire s’affaiblit peu à peu, et la raison, reprenant par degrés plus de force, recouvre enfin tout son empire. C’ est ainsi graduellement que s’opère le plus grand nombre de guérisons.
Très-souvent on observe successivement, dans le cours de la même maladie mentale, l’ensemble des caractères donnés comme propres à la manie, à la monomanie, à la démence. Ainsi , dit M. Esquirol, un aliéné passe trois mois dans la mélancolie, trois mois dans la manie, et en lin trois mois chus la clémence, et ainsi successivement, tantôt d’une manière régulière, tantôt avec de grandes variations ». Souvent ces différences correspondent aux changemens des saisons ou à des causes excitantes particulières. J’ai déjà parlé de ces changemens pour montrer l’insuffisance des distinctions principales déduites de quelques formes symptomatiques, et dans bien des cas de ce genre, le passage de la monomanie à la manie n’est qu’un surcroit d’agitation, et la démence qui succède un affaissement déterminé par l’agitation précédente.
Quelquefois l’agitation des aliénés ne subit pas de diminution depuis le moment de son invasion jusqu’à celui de la guérison : dans ces cas, la guérison coïncide avec l’apparition de phénomènes particuliers appelés critiques. Tantôt c’est une salivation abondante, l’apparition d’une parotide, le développement d’une énorme quantité de furoncles à la surface du corps, le retour d’un écoulement hémorrhoïdal, celui des règles, un dévoiement abondant, des sueurs copieuses. M. Esquirol a publié un certain nombre d’observations de ce genre : tous ceux qui observent de près les aliénés en rencontrent assez souvent d’analogues.
Après ces faits, que personne ne peut contester, je ne conçois pas quels scrupules ont pu porter MM. Ramon et Georget a révoquer en doute les phénomènes critiques dans la folie.
Lorsqu’ on voit une femme pendant six mois immobile, muette, étrangère à tout ce qui se passe autour d’elle, sortir .tout à coup de sa léthargie, manifester la raison la plus saine en même temps qu’une salivation abondante s’établit, peut-on s’empêcher de regarder cette salivation comme critique ? Lorsqu’on voit une aliénée qui a passé plusieurs mois dans une agitation continuelle, être prise d’une sueur abondante, fétide, pendant quelques heures de sommeil, se réveiller avec toute sa raison, peut-on révoquer en doute la réalité d’une crise ? Enfin, lorsque le développement [p. 528] d’innombrables furoncles à la surface du corps se manifeste, qu’en même temps le délire s’apaise et que la suppuration de tous ces furoncles est suivie du retour complet de la raison, n’est-on pas encore fondé à considérer ces furoncles comme critiques ? Est-il possible, dans ces différens cas, d’attribuer la guérison à autre chose qu’aux phénomènes qui ont coïncidé avec elle ? Ne doit-on pas par conséquent les regarder comme de véritables crises ?
Lorsque l’aliénation mentale ne se termine pas par le retour à la raison, on s’aperçoit, à mesure que l’agitation s’apaise, que le mémoire diminue ; en même temps, le délire n’a plus d’activité ni d’énergie ; ce sont les premiers signes du passage à la démence, compliquée ou non de ceux de la paralysie générale ; il y a, par rapport à l’époque où se manifestent les premiers indices de cette terminaison fâcheuse, des différences extrêmes puisqu’on a vu des aliénés guérir après dix, vingt, trente ans de maladie, tandis que chez d’autres les caractères de la démence et de l’incurabilité se prononcent dès le principe. La durée de la folie doit être examinée dans les cas de guérisons et dans les cas incurables : dans ces derniers , il n’y a pas d’époque précise à fixer, beaucoup d’aliénés incurables n’ont pas moins de chances de poursuivre une longue carrière que les autres hommes. On a vu des individus mourir très-vieux, après avoir été attaqués d’aliénation dans l’âge consistant et même dans la jeunesse. Tous les cas chroniques compliqués de paralysie générale doivent être exceptés de cette longue durée possible. M. Calmeil, d’après ceux de ce genre qu’il a observés, estime que la durée moyenne des folies compliquées de paralysie générale est de treize mois ; M. Bayle la porte d’un an à un an et demi. Le docteur Delaye, dans sa Dissertation inaugurale, regarde cette durée comme très-variable. Quelques malades, dit-il, succombent au bout d’un an d’autres vivent encore dix, et même quinze ans. Le plus grand nombre des aliénés paralytiques que j’ai vus mourir sont restés paralytiques pendant plus d’une année, quelques-uns le sont depuis plusieurs, et ne semblent pas menacés d’une fin prochaine. Je suis porté, d’après mes résultats particuliers, à penser, que, dans des localités salubres, la durée moyenne des cas compliqués de paralysie générale est plus longue de plusieurs mois que ne l’ont dit MM. Bayle et Calmeil.
Quant à la durée moyenne du traitement dans les aliénations qui guérissent, elle a été estimée différemment par les auteurs ; les uns ont pris la moyenne de la durée de tous les cas particuliers de guérison ajoutés et divisés par le nombre des malades guéris. [p. 529] On conçoit l’inexactitude à laquelle conduit cette méthode ; que sur vingt guérisons dix soient obtenues dans les trois premiers mois, et que, sur les dix autres, une, deux ne soient arrivées qu’après cinq, dix ans, la moyenne obtenue, en divisant par vingt la somme du temps de traitement de tous les malades guéris, sera beaucoup plus considérable que trois mois, terme dans lequel la guérison de la moitié des malades avait été obtenue. Il me semble donc plus convenable de fixer l’époque à laquelle la moitié des guérisons se trouve obtenue. « C’est souvent, dit M. Esquirol, dans le premier mois qu’on obtient le plus grand nombre de guérisons ; c’est ce que confirme un mémoire lu à l’Institut, par le respectable Pinel, en 1806. Le terme moyen de la durée de la folie a été fixé, dans ce mémoire, entre cinq et six mois. M. Pinel n’a compris, dans les relevés qui l’ont conduit à ce résultat, que les aliénés qui n’avaient subi ailleurs aucun traitement.
« Le docteur Tuck donne une extension plus grande à la durée de la folie dans le compte qu’il rend de la maison de retraite près d’York.
« Les données de M. Esquirol le forcent à se ranger de l’avis du docteur anglais. Il a été conduit à cette opinion en faisant le relevé des femmes aliénées, admise à la Salpêtrière pendant dix ans. Sur ce nombre, six cent quatre ont été guéries dans la première année, cinq cent deux dans la seconde, quatre-vingt-six dans la troisième, quarante et une dans les sept années suivantes ; d’où l’on doit conclure 1° que l’ on obtient le plus grand nombre de guérisons possible dans les deux premières années ; 2° que le terme moyen des guérisons est d’un peu moins d’un n ; 3° que, passé la troisième année, la probabilité des guérisons, n’est plus que d’un trentième. »
Les résultats obtenus dans l’asile des aliénés de la Seine-Inférieure ne portent pas sur des quantités assez fortes pour avoir une valeur décisive ; je les produirai néanmoins tels que je les ai offerts au conseil-général du département, à son assemblée du mois d’août 1827. Pendant deux ans jusqu’à cette époque l’asile des aliénés avait reçu quatre-vingt-onze malades jugés susceptibles de traitement. A la même époque, sur ce nombre, cinquante et une guérisons avaient été obtenues aux époques ci-indiquées. Dans le premier mois, huit ; dans le deuxième, douze ; dans le troisième, onze ; dans le quatrième, deux ; dans le cinquième deux ; dans le sixième, sept ; dans le huitième, deux ;dans le neuvième, trois ; dans le onzième, une ; dans le douzième, une ; dans le [p. 530] quinzième, une, et enfin. dans le vingtième, une ; c’est-à-dire qu’un sixième des guérisons avait été obtenu dans le premier mois, les deux cinquièmes dans le second, et enfin les trois cinquièmes ou plus de moitié dans le troisième.
« Le plus grand nombre des guérisons s’obtient au printemps et à l’automne ; l’âge le plus favorable est depuis vingt jusqu’à trente ans ; passé cinquante ans les guérisons sont rares. » (Esquirol.)·
Les rechutes ont assez souvent lieu : dans les maladies mentales, il est assez difficile d’en apprécier l’exacte proportion ; quelques médecins ne comptent pas parmi les rechutes les nouveaux accès de folies intermittentes ; les autres ne disent du nombre d’aliénés guéris et retombés malades. Dam le compte rendu par M. Desportes au conseil-général des hôpitaux et hospices civils de Paris, sur le service des aliénés traités dans hospices de la vieillesse (hommes et femmes ), Bicêtre et la Salpêtrière, pendant les années 1822, 23 et 24, la proportion des rechutes était d’un cinquième.
L’existence de l’asile des aliénés de la Seine-Inférieure est encore trop récente pour que les résultats que je pourrais fournir à cet égard eussent la moindre valeur. Deux rechutes seulement avaient eu lieu, sur nos cinquante et un malades guéris à l’époque où j’ai fait le relevé précédemment cité.
La mortalité des aliénés a varié beaucoup aux différentes époques où on l’a examinée.
En 1749, Raymond l’établissait d’un à quatorze. Tenon, eu 1786, la fx d’un à onze. (Esquirol.)
- Pinel, faisant abstraction des démences séniles, la porte d’un à vingt, et même d’un à vingt-trois. M. Esquirol la croit plus forte ; mais, pour fournir des idées plus précises, il la considère dans les divers genres de folie. Voici ce que lui ont fourni ses relevés :
Mortalité de la manie : est d’un sur vingt-cinq ;
Mortalité de la monomanie : est d’un sur seize ;
Mortalité de la démence : est d’un sur trois.
La proportion des décès dans les hôpitaux de Paris, d’après l’extrait que j’ai cité plus haut, a été, dans les trois années qu’il comprend, d’un huitième. Sur la totalité de population de l’asile de la Seine-Inférieure, sur laquelle j’ai fait le rapport cité plus haut, la mortalité totale était d’un douzième, et sur les malades en traitement elle était d’un vingt-troisième. La cause première de ces proportions plus favorables dans l’asile des aliénés de la Seine-Inférieure [p. 531] est sans contredit la salubrité les ses localités. C’est donc aux hommes dont la carrière a été consacrée à l’amélioration du sort des fous, à Pinel, à M. Esquirol, qui a fourni les plans de l’asile départemental de la Seine-Inférieure, aux administrateurs qui ont su faire tourner au profit des malades les méditations de ces médecins illustres, qu’il faut rendre hommage de ces résultats consolans pour l’humanité.
Il est rare que les fous meurent de leur maladie cérébrale ; le plus grand nombre succombe à des affections variées de la poitrine ou du bas-ventre. Presque tous ceux qui sont susceptibles de guérison et qui meurent d’une affection de poitrine ou de bas-ventre ont recouvré la raison avant de mourir ; ceux même qui sont atteints d’une démence incurable offrent souvent, avant leur mort, des idées plus saines et plus nombreuses qu’ils ne semblaient capables d’en produire. Ceci , d’ailleurs, correspond à l’observation que nous avons faite en parlant de l’influence des maladies accidentelles sur les maladies mentales.
Anatomie pathologique. — Les symptômes essentiels de l’aliénation mentale sont des troubles de l’intelligence, compliqués ou non de dérangemens dans les sensations et dans les mouvemens volontaires.
Les manifestations de l’intelligence dépendent de l’action du cerveau ; c’est à cet organe qu’aboutissent les sensations ; c’est de lui que part l’influence qui dirige les mouvemens volontaires. C’est donc en lui qu’on doit supposer les désordres d’où résultent tous les symptômes de l’aliénation mentale.
Cette conjecture, formée dès la plus haute antiquité, n’a pas reçu de démonstration tant que l’anatomie pathologique est restée dans son enfance. Cependant il y a toujours eu des hommes qui ont recherché dans le cerveau, la cause de l’aliénation mentale ; ceux même qui regardaient le foie, la rate ou les intestins comme le siège primitif de la maladie, pensaient que les désordres intellectuels n’avaient lieu que par le transport au cerveau de la bile, de l’atrabile ou des autres humeurs altérées.
Cependant quelques esprits ont cherché à détourner de la recherche des causes matérielles organiques de la folie, se fondant sur ce que cette maladie n’est pas une maladie physique, une maladie matérielle, mais bien une maladie de l’âme.
Cette proposition singulière est de toute évidence une absurde profession de matérialisme et n’est-ce pas en effet dépouiller l’âme de ses plus nobles attributs, la dégrader et la ravaler au niveau de la matière, que de la supposer susceptible d’altération ? [p. 532]
L’âme doit rester étrangère à nos recherches ; mais, considérant le cerveau comme l’instrument matériel de ses manifestations, comme l’organe de l’intelligence, nous chercherons dans cet organe la cause des dérangemens survenus dans ses fonctions.
Les altérations observées dans le cerveau des aliénés sont de plusieurs espèces, affectent différens sièges, ne sont pas les mêmes suivant l’état de simplicité ou de complication de la maladie.
Ces considérations peuvent expliquer la différence des résultats obtenus par des hommes qui n’ont souvent eu qu’un petit nombre d’occasions de répéter leurs recherches.
Morgagni a noté l’endurcissement du cerveau, sa mollesse, des épanchemens séreux dans les ventricules ou dans les réseaux de la pie-mère, l’adhérence des membranes à la surface de l’organe, le ramollissement de la voûte à trois piliers, l’injection des méninges et des plexus choroïdes.
Greding a signalé l’épaisseur partielle ou générale du crâne, la fétidité, la mollesse du cerveau, l’atrophie des couches optiques, l’abondance ou l’absence de sérosité dans les ventricules, l’affaissement des tubercules quadrijumeaux, la présence de concrétions osseuses dans le cervelet.
Haslam a remarqué l’adhérence solide ou lâche du péricrâne et de la dure-mère aux os du crâne, l’épaisseur de ces os, l’état opposé, la fermeté, la mollesse du cerveau, des collections séreuses dans les ventricules ou les méninges.
Prost s’est efforcé de prouver que la folie est l’effet d’une maladie des intestins.
Rush place la cause de la folie dans les vaisseaux sanguins du cerveau, et pense qu’elle consiste dans la même espèce d’action morbide et irrégulière qui constitue les autres maladies artérielles. Il comprend par l’action morbide et irrégulière des vaisseaux sanguins dans les maladies artérielles, le travail particulier de ces vaisseaux dans les phlegmasies.
- Esquirol a signalé, parmi de nombreuses ouvertures de corps, des crânes épais ou minces, compactes ou éburnés, poreux ou diploïques, injectés ou exsangues, un assez grand nombre de crânes irréguliers ; l’épaississement, l’injection des méninges, I’ossification des artères basilaires ; des cerveaux denses, des cerveaux mous, des kystes séreux dans les plexus choroïdes. Aucune de ces altérations ne lui a paru constante. M. Esquirol a rencontré quelquefois des tumeurs accidentelles. Ce médecin possède une riche collection de crânes d’aliénés, amassés dans le but de vérifier si les formes du crâne correspondent aux données du système [p.53] physiologique de Gall. De toutes les altérations qu’il a observées, M. Esquirol conclut que chacune d’elles en particulier, ayant été rencontrée aussi dans des cas étrangers à l’aliénation, n’a pas rapport à la production du délire des aliénés.
Beaucoup d’autres médecins rejettent tout-à-fait les résultats de l’anatomie pathologique appliquée à l’aliénation mentale. Un de leurs grands argumens est que ces résultats sont différens suivant les sujets, qu’on ne peut par conséquent rien conclure.
J’avoue que les différens résultats que j’ai passés en revue me semblent trop vagues pour qu’on en puisse rien conclure de précis ; cependant, Haslam, Rush, Lawrence, regardaient déjà tous les changemens qu’ils ont observés comme consécutifs à un travail inflammatoire.
Mais si les résultats de l’anatomie pathologique sont encore aussi vagues, n’est-il pas permis de chercher si l’on a convenablement étudié les altérations du cerveau des aliénés dans la majorité des cas ; si l’on a toujours mis dans des recherches aussi délicates, aussi importantes, tout le soin qu’elles méritent, pour être fondé à dire que l’anatomie pathologique n’apprend rien sur la nature organique de la folie ? Non sans doute, des médecins profondément versés dans l’étude de l’anatomie pathologique, des hommes dont les travaux ont puissamment contribué aux progrès de cette belle partie de la science, ont souvent apporté dans les recherches relatives aux lésions cérébrales une négligence incompréhensible. J’ai vu faire l’examen pathologique du cerveau avec une fourchette et un couteau grossier ; on enfonçait profondément la fourchette à travers les membranes dans la masse cérébrale, on divisait assez profondément l’organe pour pénétrer dans les ventricules ; et après avoir regardé s’ils contenaient une quantité notable de sérosité, l’examen était terminé, à moins qu’on ne jugeât convenable de faire encore quelques larges incisions dans sa substance.
En procédant ainsi, on aura toujours raison d’assurer que les recherches de ce genre n’apprennent rien, ou du moins bien peu de choses. Ne faut-il pas autant de soins pour reconnaître les conditions morbides d’un organe que pour apprécier ses conditions normales, Or, est-on généralement d’accord sur la véritable structure du cerveau ? n’y a-et-il pas encore des hommes du premier mérite qui ont nié sa structure fibreuse, quoique depuis Willis, Malpighi, Fracassati, Vieussens, tous ceux qui ont voulu se donner la peine d’interroger convenablement sa nature, ont reconnu positivement cette structure ?
Comment donc serait-ou d’accord sur des apparences morbides [p. 534] si délicates, lorsqu’on ne l’est pas encore sur les conditions normales de l’organe altéré ?
Depuis le temps où j’ai commencé à étudier les altérations organiques des aliénés, c’est-à-dire depuis l’année 1826, je me suis appliqué à tenir compte, dans les ouvertures de corps, des circonstances symptomatique les plus importantes, telles que complications de paralysie générale, etc. Mes premières recherches ont été faites en commun avec mon collègue et ami de Delaye, dans le service des aliénés de la Salpêtrières, alors confié aux soins de M. Esquirol. La plupart des résultats que je produirai appartiennent donc autant au docteur Delaye qu’à moi-même. Le docteur Grandchamp, notre amis, s’est ensuite associé à nous quelques temps, pour les recherches sur d’autres points des maladies cérébrales qui se rapportent à nos premières données. Enfin, éloigné depuis plusieurs années des secours et des lumières de mes deux amis, j’ai poursuivi seul ce genre de recherches, faisant tous mes efforts pour tirer partie des riches matériaux que le bel établissement des aliénés de la Seine-Intérieure m’était à ma disposition.
Pours apprécier avec le plus d’exactitude possible les changements survenus dans le cerveau des aliénés, pour les faire mieux ressortir, nous avons, autant qu’ il nous a été possible, rapproché et examiné concurremment des cerveau d’individus morts sans aucun dérangement des fonctions intellectuelles.
On ne saurait croire combien il y a d’avantages à s’aider lorsqu’on le peut de ce secours : des altérations d’une intensité médiocre et que des yeux peu exercer pourraient révoquer en doute, ressortent alors de manière à ne laisser aucune équivoque.
Pour mettre- quelque ordre dans l’exposition des résultats de nos recherches, je parlerai successivement 1° des altérations de la substance corticale, 2° des altérations de la substance blanche ou fibreuse, 3° des altérations des nerfs des sens ; 4°j’exposerai ensuite les changemens qui se présentent dans les méninges ; 5° les os du crâne, le cuir chevelu ; 6° enfin, je terminerai cette partie de mon travail par la description des altérations observées chez les idiots.
1°. Les altérations de la substance grise sont aiguës et chroniques. Il est naturel de commencer par l’exposition des premières.
Altérations aigües. — Dans les cas les plus aigus, aussitôt qu’on a enlevé les membranes qui recouvrent les circonvolutions, la substance corticale présente une couleur rouge très-intense, approchant de celle d’un érysipèle ; cette couleur est encore plus prononcée clans l’épaisseur de la substance corticale.
Quelques fois la superficie des circonvolutions dépouillées de leurs [p. 535] membranes peut sembler peu différente de l’état normal ; mais, si l’on pratique de légères excisions de la substance corticale, si l’on en sépare dans plusieurs points des couches assez minces pour ne pas mettre à découvert la substance blanche, on remarque alors une teinte rouge plus ou moins foncée, quelquefois uniforme très-intense, mais plus ordinairement inégale, offrant l’aspect de marbrures nombreuses, dont la couleur propre varie du rouge de sang artériel au rouge lilas. De petits points plus foncés, des sort de piqueture de sang se rencontrent très-souvent au milieu de ces marbrures, et donnent l’idée d’épanchemens sanguins d’un très-faible volume ; le plus ordinairement la consistance de cette substance semble augmentée à la surface, diminuée dans son épaisseur. C’est toujours dans son épaisseur que j’ai vu l’altération de couleur et la diminution de consistance plus prononcées.
Les régions frontales des hémisphères sont celles où l’altération que je décris se trouve le plus prononcée ; viennent ensuite les lobes temporaux, puis les régions supérieures, et enfin les régions postérieures du cerveau.
J’ai vu quelquefois, dans des cas très-aigus d’aliénation mentale, des épenchemens du volume d’une petite tête d’épingle parsemer la substance grise des circonvolutions.
Il arrive souvent que les vaisseaux si ténus qui, dans l’état sain, pénètrent la substance corticale, ont acquis un volume assez considérable pour qu’une section bien nette laisse voir béans des canaux nombreux, dans lesquels pourrait pénétrer sans effort une épingle ordinaire. Quelquefois aussi la consistance de ces vaisseaux semble augmentée en raison inverse de celle de la substance corticale elle-même, et le bistouri qui la divise pousse devant lui ces vaisseaux, qui se laissent plus facilement déraciner que diviser. C’est à peu près à cela que se bornent les altérations que j’ai observées dans les cas les plus aigus de maladies mentales : couleur rouge, uniforme, très-intense ; marbrures nombreuses, variant du rouge vif au rouge violacé, piquetures sangnines, petits épenchemens de sang ; diminution de consistance de l’épaisseur de la substance corticale, coïncidant le plus souvent avec une légère augmentation de consistance de la surface, dilatation des vaisseaux, résistance de leurs parois.
Dans les cas d’altérations aiguës, je n’ai jamais observé d’adhérences des membranes à la substance corticale.
Nous verrons plus loin que ces adhérences sont très-communes dans les cas d’affections chroniques. Cette différence mérite sans doute d’être signalée ; elle peut faire penser que l’altération qui coïncide avec les aliénations aiguës est en elle-même assez légère [p. 536] comme désordre organique, et peut être ensuite une raison qui explique l’incurabilité si ordinaire des cas chroniques de maladie mentale.
Altérations chroniques de la substance corticale. — La plus constante de ces altérations est à mon avis la suivante : La partie la plus superficielle de la substance corticale a acquis, dans une épaisseur uniforme et peu considérable, une consistance sensiblement plus forte que dans l’état sain : en même temps, la consistance des parties les plus profondes de la même substance est diminuée, de sorte qu’il est facile d’enlever à la surface une sorte de membrane d’une épaisseur uniforme, lisse en dehors, tomenteuse en dedans, d’une couleur plus pâle qu’à l’état sain. Les parties qui restent au-dessous sont, au contraire, beaucoup plus rouges, mamelonnées, molles, et représentent, s’il est permis d’employer une comparaison très-grossière, la surface d’une plaie, les bourgeons charnus, sur lesquels serait appliquée une sorte d’épiderme.
Si l’on racle avec le tranchant du bistouri la surface de la substance grise non entamée, on éprouve une certaine résistance, et lorsque cette résistance est vaincue, le bistouri pousse devant lui un lambeau de la partie endurcie : il en résulte une sorte d’écorchure. Si l’on racle à la surface de cette écorchure, on enlève avec la plus grande facilité la substance grise, ramollie, et sans plus de cohésion que la pulpe d’un fruit cuit. Ainsi des caractères bien tranchés distinguent en deux parties la substance corticale, dans ces cas. L’espèce de membrane dont j’ai parlé est-elle une production nouvelle ? est-elle un simple changement dans la texture des parties ? est-elle enfin seulement l’exagération d’une disposition normale ? La première supposition ne peut résister à un examen attentif, qui fait bien voir que la partie ainsi endurcie, quel que soit le degré de consistance qu’elle ait pu acquérir, conserve encore assez des caractères propres à la substance corticale pour n’être pas regardée comme une pseudo-membrane accidentelle.
La seconde supposition me paraît la plus vraisemblable ; car dans l’état normal, chez l’homme, je n’ai jamais vu la substance corticale des circonvolutions bornée en dehors par une pellicule de cette espèce. Tout ce que je puis présenter en faveur de la dernière supposition, c’est que quelques cerveaux d’animaux m’ont offert une disposition analogue : mais il n’est pas incontestable qu’elle soit normale chez eux. Je possède un cerveau d’hyène morte en captivité, dans lequel cette petite membrane existe très-prononcée. Je l’ai trouvée aussi dans un cerveau de blaireau mort en captivité. Cette hyène, ce blaireau, étaient-ils atteints d’une maladie [p. 537] chronique du cerveau ? Je n’entreprendrai pas de le déterminer d’après un si petit nombre de faits. Au reste, on reconnaitrait cette disposition comme normale chez quelques animaux, qu’il n’en resterait pas moins constant que chez l’homme elle est tellement rudimentaire, si elle existe, que dans l’état sain on n’en découvre pas la moindre apparence, même avec une forte loupe.
Toutes les fois que j’ai remarqué cette espèce de membrane, elle offrait une couleur plus claire que les autres parties de la substance corticale ; il n’est pas rare que cette altération dans la couleur soit assez prononcée pour que quelques parties naturellement grises soient devenues tout-à-fait blanches. Dans ces cas la surface générale des circonvolutions présente une nuance argentée ; les couches grises interposées aux pédoncules cérébraux, les lames de même substance situées derrière la commissure des nerfs optiques et bornant dans cet endroit le troisième ventricule, les deux larges circonvolutions symétriques qui correspondent à la grosse extrémité de la corne d’ammon, sont devenues tout-à-fait blanches. Il est très-ordinaire de trouver, dans l’état normal, ces deux circonvolutions plus pâles que les autres, et de remarquer à leur surface plusieurs points blancs, comme si de petits faisceaux fibreux s’y terminaient ; ce n’est pas cet état que je veux indiquer, mais bien réellement une couleur uniforme d’un blanc sale, qu’on n’observe jamais dans l’état naturel, et qui alors est très-prononcée et constamment accompagnée d’une augmentation variable de consistance toujours bornée à une sorte de pellicule particulière. Assez souvent la surface des circonvolutions a perdu cet aspect lisse qu’elle offre dans l’état sain, et est devenue rugueuse, chagrinée dans une certaine étendue. Un examen attentif fait alors voir une multitude de grains de volume variable, d’une saillie différente, d’un blanc sale ou jaunâtre. Cet état ressemble assez bien, en plus petit, à la surface de certains foies dont les grains glanduleux sont devenus çà et là plus gros et plus jaunes que dans l’état naturel.
Concurremment avec cette altération, le volume des circonvolutions a pu rester naturel ou diminuer ; cette diminution, quand elle arrive, produit, dans la forme naturelle des circonvolutions, des changemens variés qu’il faut décrire. Ce sont quelquefois des dépressions linéaires, des enfoncemens irréguliers qui laissent dans leurs intervalles des bosselures de différens volumes. Il n’est pas rare, dans les cas où la surface des circonvolutions est ainsi bosselée, de trouver dans l’épaisseur de la substance corticale une multitude de petites lacunes jaunâtres remplies d’une sérosité de même [p. 538] couleur ; il est bien probable que ces petites lacunes ont succédé aux épanchemens sanguins miliaires que nous avons signalés en parlant des altérations aiguës.
D’autres fois la diminution de volume, l’atrophie des circonvolutions, a eu lieu surtout vers leurs sommets : elles se terminent alors par une extrémité anguleuse qui semble avoir été pincée entre les doigts. Ou bien c’est surtout vers leur base que la perte de substance s’est fait sentir, et elles paraissent pédiculées. Dans tous ces cas les intervalles des circonvolutions sont agrandis et peuvent avoir acquis une largeur plus considérable que le diamètre des circonvolutions elles-mêmes. Cette altération correspond sans doute à ce que MM. Gall et Desmoulins ont décrit sous le nom d’atrophie des circonvolutions. C’est en effet une véritable atrophie quelquefois si avancée qu’on ne voit plus que de faibles vertiges de plusieurs circonvolutions.
Cette altération est très-fréquente dans les régions frontales des hémisphères.
Chose digne de remarque, elle occupe souvent d’une manière symétrique trois à quatre circonvolutions situées de chaque côté de la suture sagittale en dedans de la bosse pariétale ; on trouve à leur place une vaste lacune remplie de sérosité.
C’est à peu près au même niveau que commence l’espèce d’atrophie des os du crâne dans laquelle le diploé disparaissant, la lame compacte externe s’approche de l’interne de manière qu’il existe en dehors un enfoncement très-sensible. Y aurait-il quelque correspondance entre ces deux phénomènes ? tiendraient-ils l’un et l’autre à ce que les points où ils arrivent le plus souvent sont les plus éloignés de l’origine des vaisseaux. Nourriciers ? Dans bien des cas d’atrophie des circonvolutions, la diminution de leur volume tient surtout à la substance grise ; si l’on coupe en travers une circonvolution, on ne trouve plus quelquefois qu’une lame excessivement mince de cette substance ; il n’est pas rare même, avant d’avoir pratiqué aucune division, de voir la substance grise manquer presque entièrement au fond des circonvolutions.
Dans ces cas d’atrophie, ce qui reste de substance grise est généralement plus ferme que dans l’état naturel ; sa couleur est en même temps profondément altérée ; tantôt elle est si pâle que ses limites précises avec la substance blanche sont difficiles à déterminer ; tantôt elle offre à l’extérieur une teinte fauve, claire, et au-dessous une légère nuance rosée. Cette nuance rose suit tous les contours des circonvolutions ; il semble alors, quand on coupe en travers la substance grise, qu’elle est composée de deux [p. 539] membranes de couleurs différentes appliquées l’une sur l’autre et plissées parallèlement. Quelquefois toute l’épaisseur de la substance grise est endurcie d’une manière sensible. Dans ces cas, si l’on écarte l’une de l’autre, en commençant par la base, les deux moitiés de la substance fibreuse d’une circonvolution, et qu’on poursuive cette séparation jusqu’à ce que la substance corticale elle-même soit déchirée, elle offre une apparence fibreuse très-manifeste, comme cela arrive après la coction du cerveau dans l’huile ou son immersion prolongée dans l’alcool.
Un autre état de la substance corticale dans les cas d’aliénation chronique est son ramollissement. J’ai dit précédemment qu’au-dessous de la membrane endurcie de la surface se montrait souvent une diminution très-sensible de consistance qu’on peut bien appeler, si l’on veut, une espèce de ramollissement : ce que je vais décrire est d’un tout autre genre. Toute l’épaisseur de la substance grise est également altérée dans ces cas ; la surface des circonvolutions boursoufflée, gorgée de sucs séreux, plus brune que dans l’état naturel, est tellement molle, qu’elle s’attache au doigt qui la touche, que le linge appliqué pour en absorber l’humidité en emporte une partie,
J’ai observé cette altération au plus haut degré d’itntensité chez un jeune homme d’une constitution détériorée par des excès de tout genre ; une émotion vive détermina chez lui l’explosion d’une aliénation mentale compliquée, dès son début, de paralysie générale ; quelques semaines suffirent pout porter au plus haut point la dégradation morale et physique. Dans les derniers temps de la vie, la maigreur, déjà très-prononcée, fit de nouveaux progrès si rapides, qu’en trois jours les globes oculaires étaient véritablement retirés au fond des orbites, tandis que les paupières étaient restées tendues demi-ouvertes, quelques lignes au-devant des yeux. La substance corticale des circonvolutions, très-brune, très-humide, d’une mollesse difffluente, cédait au plus léger contact. La perte de substance, les inégalités produites par l’apparition de doigts ou d’un linge disparaissaient en un instant comme cela aurait lieu à la surface d’un corps qui entrerait en fusion. D’ailleurs chez ce malade la substance blanche était elle-même profondément altérée d’une manière analogue à la grise.
Cette-mollesse extrême et générale de la substance corticale n’accompagne pas nécessairement un état analogue de la substance blanche ; il coïncide quelquefois avec son endurcissement. La substance grise des circonvolutions s’enlève alors avec la plus grande facilité ; des lotions à grande eau suffisent pour cela ; il ne reste plus [p. 540] après cette opération, que la tige fibreuse des circonvolutions dont l’ensemble rappelle la disposition du mésentère dépouillé des intestins et l’analogie remarquée par Malpighi entre ces différentes parties.
Chez une aliénée de la Salpetrière, morte dans le dernier degré de démence, de paralysie générale et de marasme, l’ouverture du corps, faite vingt-quatre heures après la mort dans un temps assez chaud, me fit rencontrer la substance corticale ramollie, diffluente, verte et comme putréfiée dans une grande partie de son étendue, au sommet des circonvolutions comme dans le fond de leurs intervalles, tandis que la substance fibreuse avait conservé sa couleur naturelle et présentait une résistance voisine de celle du fibrocartilage.
Cette espèce de ramollissement de la substance corticale n’est pas toujours aussi général ; il se trouve quelquefois circonscrit dans une étendue peu considérable et brusquement limitée.
Dans ces cas le lavage fait écouler la portion ramollie, il reste à la place un enfoncement de la profondeur de la substance grise et dont le fond est la substance blanche.
Je crois qu’il faut considérer comme suite de ramollissemens patiels de cette espèce une altération que j’ai rencontrée quatre ou cinq fois, et qui consiste dans l’absence complète de la substance grise dans une étendue circulaire variable de la grandeur d’un demi-pouce à un pouce. Les bords de cette perte de substance sont taillés presque à pic ; le fond en est lisse, blanc, ferme, et ne semble pas autre chose que la portion fibreuse de la circonvolution. La membrane celluleuse qui la tapisse est aussi transparente, aussi fine que celle des ventricules. M. Calmeil, dans son ouvrage sur la paralysie des aliénés rapporte deux cas de ce genre.
Les altérations de la substance grise des renflemens centraux du cerveau, de couche optique et du corps strié sont, chez les aliénés, beaucoup moins communes que celles de la substance corticale des circonvolutions, et l’injection de ces parties, leurs marbrures violacées coïncident plus souvent avec les altérations de la substance fibreuse qu’avec celles de la couche corticale extérieure.
Il n’en est pas de même de la corne d’Ammon : la substance corticale de cette partie est malade, rouge, ramollie dans un grand nombre d’aliénations chroniques ; on trouve, en outre, très-souvent la grosse extrémité d’une dureté squirrheuse : dans ces cas les différentes couleurs qu’on aperçoit ordinairement entre les couches superposées de la corne d’Ammon ont disparu ; partout c’est une couleur grisâtre uniforme. [p. 541]
2° Altérations de la substance blanche. — Les altérations que la substance blanche ou fibreuse présente chez les aliénés sont relatives à sa couleur, à sa densité, à sa texture ; quelques changemens morbides, pour être appréciés, exigent les mêmes préparations particulières qui sont indispensables pour comprendre quelques circonstances de la structure normale de cet organe. Souvent chez les aliénés, la substance blanche est le siège d’injections sanguines. Dans quelques cas cette injection occupe surtout des vaisseaux d’un certain volume. Il en résulte à la surface des sections pratiquées dans l’organe une multitude de points rouges qui produisent ce qu’on appelle un aspect sablé.
On observe quelquefois un autre genre d’injection qui appartient surtout aux ramifications vasculaires les plus fines de l’organe. Dans ces cas ce n’est plus l’aspect sablé qu’offre la surface des sections, mais des marbrures d’un rouge vif ou d’un rouge foncé, obscur, violacé, assez analogues aux marbrures de quelques espèces de savon. Le sang parait combiné dans ces cas avec la substance même de l’organe ; la coloration qu’il produit ressemble au premier coup-d’œil à celle qui résulterait de l’imbibition d’un liquide coloré. Cependant un examen attentif à l’œil nu, et mieux à la loupe, montre qu’elle résulte d’une injection très-fine des dernières ramifications vasculaires.
Ces injections de la substance fibreuse ne coïncident pas nécessairement avec une injection égale de la substance corticale périphérique ; il peut exister sous ce rapport une différence inverse et réciproque, quoiqu’en général une très-forte injection de rune d’elles n’ait pas lieu sans que l’autre y participe, mais souvent à un degré moindre.
Il n’est pas rare de rencontrer chez les aliénés la substance fibreuse d’un blanc resplendissant, sans aucune injection vasculaire sensible. Cet aspect particulier correspond d’ordinaire à l’augmentation de consistance des parties.
Ce dernier état, l’endurcissement, ou, pour se servir d’un terme plus général, l’augmentation de résistance de la substance fibreuse, est une altération assez commune.
Il est difficile, lorsqu’on n’a pas eu l’occasion d’en observer quelque exemple, de se faire une idée du degré qu’elle peut atteindre. C’est trop dire que de la comparer à celle du fibrocartilage ; quelquefois, néanmoins, elle n’en est pas éloignée ; souvent elle surpasse la consistance naturelle de muscles bien frais. On se rappelle que c’est l’altération qui a le plus souvent frappé Morgagni dans les ouvertures de fous qu’il a faites.
Cette augmentation de consistance coïncide souvent avec la [p. 542] couleur blanche resplendissante dont j’ai parlé ; assez souvent une teinte jaunâtre, une teinte légère gris de plomb a envahi tout l’organe. Quoi qu’il en soit de ces changemens de couleur, l’altération que j’indique se présente sous plusieurs formes.
Tantôt l’augmentation de consistance est très-sensible au toucher, à la vue même, pour ainsi dire, attendu que le cerveau qui en est atteint, placé sur un plan horizontal, conserve parfaitement sa forme, ne s’affaisse nullement.
D’autres fois cet organe est plus flasque qu’à l’ordinaire ; il. se déforme, s’aplatit aisément; mais il résiste beaucoup au bistouri, et lorsqu’on en a enlevé une couche très-mince et qu’on la tire en sens opposé, elle ne se déchire qu’après un effort assez grand. Si on ne poursuit pas la traction jusqu’â produire la déchirure, le morceau de cerveau, abandonné à lui-même, reprend ses premières dimensions par un retour élastique.
Ce dernier état de flaccidité et de résistance considérable, je ne l’ai observé que dans les cas où l’organe avait perdu une grande partie de son volume ; à l’extérieur, les circonvolutions amincies laissaient entre elles de vastes intervalles ; d’un autre côté les ventricules étaient très-dilatés, et les hémisphères réduits aux deux tiers, à la moitié, au quart même de leur épaisseur normale. Au contraire, l’augmentation de fermeté dont j’ai parlé d’abord, celle qu’on peut préjuger à la forme vigoureuse que conserve le cerveau retiré du crâne, se rencontre tous les jours dans des cerveaux dont les membranes et les ventricules ne contiennent pas plus de sérosité que dans l’état normal, dont le volume , par conséquent, n’a subi aucune diminutions.
Dans ces différens cas, une section pratiquée avec un bistouri qui n’agit pas en sciant, mais seulement en pressant, peut être bien plane, bien régulière, si l’instrument a été pressé perpendiculairement à la direction des fibres cérébrales, tandis que s’il a agi obliquement rapport à leur direction, la division ne s’est opérée que par saccades ; sa surface est irrégulière et sillonnée.
La résistance éprouvée en coupant un cerveau ainsi endurci est difficile à exprimer : la plupart des personnes qui l’éprouvent l’a comparent à celle du caoutchouc ; elle ressemble mieux quelquefois à celle qu’on sentirait en coupant plusieurs morceaux de peau superposés.
Il ne faut pas croire, comme on l’a dit, que la structure fibreuse du cerveau soit plus manifeste dans ces cas ; bien au contraire, quelque considérable que soit la consistance acquise par l’organe, il est très-difficile, pour ne pas dire impossible, d’en séparer les [p. 543] fibres ; il semble, si l’on peut se permettre cette conjecture, que chaque fibre cérébrale a contracté des adhérences morbides avec les fibres voisines, de manière à rendre impossible leur séparation.
Je ne donne pas cette idée comme simple conjecture pour les plans fibreux principaux, qu’on peut très-aisément séparer sur des cerveaux sains ; cette séparation est de toute impossibilité, dans tous les genres d’induration dont je viens de parler ; mais comme elle existe aussi dans des cas où il n’y a pas d’augmentation de consistance ; dans des cas même où la consistance des parties est évidemment diminuée, il convient d’en parler à part : une courte digression sur la structure du cerveau est indispensable pour faire comprendre en quoi consiste cette altération,
Je crois avoir démontré que la substance blanche du cerveau, la masse fibreuse des hémisphères, résulte de la superposition de plusieurs plans distincts, différemment contournés dans la masse commune du cerveau, appliqués les uns sur les autres, et réunis au moyen d’un tissu cellulaire très-fin. Des manœuvres bien dirigées en produisent aisément la séparation avec une parfaite netteté. Ce n’est pas ici le lieu de décrire ces plans, d’en étudier les rapports ; faute de pouvoir, dès à présent, renvoyer à un ouvrage sur l’anatomie du cerveau, dans lequel ces dispositions seront soigneusement décrites, je renvoie les médecins qui n’en ont pas connaissance aux rapports de M. de Blainville, à l’Académie des sciences, et du professeur Andral, à l’Académie de médecine.
Les différens plans du cerveau faciles à séparer l’un de l’autre dans l’état sain, ne peuvent plus d’être chez beaucoup d’aliénés ; tous les efforts qu’on peut faire à cet égard n’aboutissent qu’à leur déchirure ; c’est à peu près de la même manière que, dans des adhérences très-solides des plèvres, il est plus aisé de séparer la plèvre costale des côtes de la plèvre pulmonaire des poumons, que de désunir les deux surfaces pathologiquement réunies.
C’est entre le plan que j’ai appelé du corps calleux et celui de l’hémisphère, que cette adhérence morbide se montre le plus souvent.
Parmi les aliénés affectés de paralysie générale, dont j’ai fait l’examen anatomique depuis trois ans, je n’ai observé que deux fois l’absence de ces adhérences entre les plans du cerveau, et dans ces deux cas exceptionnels, les nerfs dits cérébraux, la protubérance annulaire et la moelle allongée offraient une dureté excessive. Je dois ajouter que j’ai trouvé la même altération dans le cerveau de plusieurs vieillards dont les mouvemens étaient devenus incertains, vacillans, à peu près comme ceux des aliénés affectés de paralysie générale ; d’ailleurs je n’ai jamais observé la même [p. 544] altération chez les aliénés dont les mouvemens étaient restés libres jusqu’à la mort.
Il me semble d’autant plus important de répéter ces recherches, qu’il suffit, dans bien des cas, de se borner à pratiquer des coupes pour juger sain un cerveau dans lequel un autre mode d’investigation eût montré des traces évidentes de maladie.
Le cerveau de certains aliénés est tellement gorgé de sucs séreux , qu’on voit couler une sérosité abondante à la surface des incisions ; qu’on peut, en pressant l’organe, en exprimer une grande quantité.
J’ai trouvé quelquefois l’infiltration séreuse assez abondante pour qu’il fût permis d’appeler du nom d’œdème cérébrale ces cas particuliers.
Une autre altération plus rare, que M. Esquirol a déjà remarquée, est la présence dans le cerveau d’une multitude de petites cavités capables de loger un grain de millet, de chènevis, quelquefois même une noisette.
Dans tous les cas de cette espèce que j’ai rencontrés, le liquide contenu était aussi limpide que de l’eau, et les parois de ces petite cavités parfaitement lisses et blanches.
Une section pratiquée dans un cerveau ainsi altéré, présente une grande ressemblance avec l’aspect de certains fromages (je ne puis trouver une comparaison plus juste). Je n’ai pu parvenir à séparer des parois de ces cavités une membrane distincte, quoiqu’on en puisse raisonnablement supposer l’existence.
Ces petites cavités, ces petites collections séreuses, ont-elles succédé à de nombreux épanchemens sanguins ? Cela est possible ; mais jamais elles ne m’ont offert cette couleur jaunâtre, rouille clair, que les kystes apoplectiques, même anciens, offrent si souvent.
Je ne dois pas parler ici des altérations que les aliénés peuvent présenter, aussi bien que ceux qui ne le sont pas, telles que l’hémorrhagie cérébrale, le ramollissement ; quant aux productions qui n’ont pas d’analogues dans l’état normal, les tubercules, les masses encéphaloïdes, les entozoaires, les hydatides acéphalocystes, etc. , je n’en ai jamais vu beaucoup d’exemples chez eux.
Il convient de dire, sans entrer dans aucun détail au sujet de ces différentes altérations, qu’une tumeur accidentelle, comprimant les deux hémisphères, qu’un épanchement sanguin considérable dans chacun d’eux, peut produire tous les symptômes de la démence, et faire conduire dans une maison de fous des individus qui ne l’ont jamais été , assurément, on doit tâcher, dans l’intérêt des familles, d’éviter de semblables méprises. [p. 545]
Une femme dont ]’intelligence s’était graduellement oblitérée, et dont les deux jambes avaient perdu en même temps la faculté de se mouvoir, fut amenée à la Salpêtrière ; la paraplégie était complète alors, aussi bien que l’oblitération intellectuelle : elle mourut bientôt.
Les deux lobes antérieurs du cerveau étaient traversés par une tumeur encéphaloïde d’une forme allongée, irrégulière, ayant deux pouces et demi de long, et un pouce à peu près d’épaisseur. Cette tumeur, très-voisine de la superficie, avait déformé les circonvolutions supérieures du lobe frontal ; un ·épanchement sanguin de date récente existait supérieurement entre elle et la substance corticale du côté droit ; le reste du cerveau ; le cervelet, la protubérance et la moelle étaient dans l’état sain. Assurément cette femme n’était pas aliénée, pas plus que ne le sont des apoplectiques que des attaques réitérées d’hémorrhagie cérébrale privent de toutes leurs facultés intellectuelles,
Chez une autre femme envoyée dans fa division dru; aliénées de la Salpêtrière, dans un état comateux profond, le lobe antérieur de l’hémisphère droit était traversé de bas en haut par une exostose d’un pouce et demi de long, d’une épaisseur moyenne de quatre à cinq lignes, très-irrégulière et raboteuse, développée sur la voûte orbitaire.
Cette exostose était entourée de portions cérébrales ramollies, tout le reste du cerveau était d’un rouge intense par places. Cette femme encore était-elle véritablement aliénée ?
Je ne multiplierai pas davantage les exemples de ce genre ; je passe aux altérations des nerfs dits cérébraux.
Altérations des nerfs. — Ce genre de désordres ,a été fort peu étudié jusqu’à présent, et par conséquent fort peu connu. Il est vraisemblable que beaucoup de ces altérations sont. peu accessibles à nos moyens d’investigation ; plusieurs aussi sont tellement évidentes de leur nature qu’elles peuvent frapper tous les yeux.
J’ai trouvé plusieurs fois les nerfs olfactifs durs, coriaces et en même temps aussi transparens que la gélatine.
J’ai trouvé il y quelques mois, chez une aliénée tourmentée jusqu’aux derniers momens de sa vie par d’horribles hallucinations de la vue, les nerfs optiques, durs, demi-transparens dans la plus grande partie de leur épaisseur ; à travers cette masse demi-transparente se dessinaient des tractus blancs, très-distincts ; deux de ces principaux tractus, les plus intérieurs, s’entrecroisaient dans le cbiasma , tandis que les autres passaient au-delà de la commissure sans changer de côté. Après avoir remarqué cette altération dans [p. 546] la portion crânienne des nerfs optiques, je voulus voir l’état dit nerf dans l’intérieur de l’orbite, il était exactement le même jusqu’à son passage dans l’œil.
L’œil chez cette femme n’avait présenté d’autres changemens pendant Ia vie, que la contraction marquée des pupilles.
Je ne parlerai pas à part des altérations du cervelet qui, plu rares que ce1Ies du cerveau, sont d’ailleurs les mêmes.
Altérations des méninges. — Les altérations des méninges sont assez communes dans l’aliénation mentale pour que plusieurs personnes leur aient attribué tous les phénomènes propres à cette maladie.
Cette opinion ne me semble pas fondée, mais l’examen attentif de l’état des membranes, de la position des vaisseaux que l’une d’elles sert à propager, l’appréciation des effets qui doivent résulter dans certaines circonstances de la position de ces vaisseau, me semblent d’une haute importance.
Les altérations des méninges ne m’ont jamais paru exister sans celles du cerveau chez les aliénés, tandis que le contraire se rencontre assez son vent. Quoi qu’il en soit, je vais exposer ce que les recherches d’anatomie pathologique ont appris de plus positif sur l’état des méninges dans les cas d’aliénation mentale.
Dans les cas aigus on ne trouve autre chose, le plus souvent, que l’injection de la pie-mère. Cette injection est ordinairement proportionnée au degré d’inflammation de la substance corticale des circonvolutions ; les innombrables petits vaisseaux, qui plongent avec la pie-mère dans les anfractuosités cérébrales, ceux qui se contournent avec elle sur la convexité des circonvolutions pénétrées de sang d’un rouge vif, forment des arborisations qui rappellent les injections les plus heureuses ; les veines qui serpentent suivant la sinuosité des sillons cérébraux sont tendues et gorgées d’un sang noir. L’arachnoïde a conservé son aspect naturel.
Voilà tout ce que présentent les membranes dans la plupart des cas d’aliénation mentale d’une acuité ordinaire. Dans quelques cas d’une acuité extrême, l’injection capillaire de la pie-mère domine clans les anfractuosités cérébrales, et se trouve moindre à la convexité des circonvolutions qui ont perdu leur couleur et présentent une surface plane terminée par deux angles droits. Cet état est accompagné d’un engorgement veineux remarquable ; au lieu de quelques grosses veines allant çà et là gagner les sinus de la dure-mère, on voit un réseau veineux très-étendu, suivant exactement tous les contours des anfractuosités, en offrant çà et là, au niveau des anfractuosités les plus larges, une dilatation comme variqueuse, [p.547] preuve évidente que la turgescence du cerveau, la compression exercée par suite sur les membranes a gêné la circulation veineuse. On peut croire que la résolution n’est pas facile dans ces cas.
C’est à des altérations de ce degré de violence qu’on doit rapporter, à mon avis, la plupart des prétendus exemples d’hypertrophie du cerveau, etc.
On concevra aisément l’altération que je veux indiquer en se rappelant l’état des membranes, leur compression, leur sécheresse, l’absence de sang dans leurs vaisseaux à la surface des hémisphères devenus le siège d’une hémorrhagie .
Dans le plus grand nombre des ouvertures d’aliénation mentale aiguë on ne rencontre pas la preuve matérielle d’une compression de ce genre, mais si l’on réfléchit à la diminution de volume que la mort fait éprouver aux parties enflammées, si l’on se rappelle que peu d’aliénés, susceptibles de guérison, meurent sans avoir recouvré à peu près toute leur raison, on sera disposé à croire que, pendant la vie, cette compression doit exister jusqu’à un certain point dans la plupart des cas aigus. Cette remarque peut contribuer à expliquer la difficulté de la résolution des maladies mentales, et faire entrevoir les différences de la folie et du délire : aigu causé par l’inflammation des membranes et l’irritation concomitance du cerveau lui-même. C’est sans doute à la même cause qu’il faut rapporter les adhérences si fréquentes de la convexité du cerveau aux membranes, tandis que l’adhérence des parties profondes des circonvolutions sont beaucoup plus rares quoiqu’on en trouve des exemples bien positifs.
Je passe aux altérations chroniques des membranes.
Ces altérations consistent le plus souvent clans l’opacité, l’augmentation de consistance, d’épaisseur de l’arachnoïde, la. formation de granulations, de pseudo-membranes à sa surface, et enfin l’épanchement de sérosité dans le tissu cellulaire de la pie-mère et des ventricules.
Souvent les membranes ainsi affectées sont devenues adhérentes à la substance corticale. L’opacité de l’arachnoïde qui contracte dans ces cas une teinte Iactescente ou gris de perle, peut occuper presque toute l’étendue de la portion viscérale de cette membrane ou bien être bornée à quelques points de sa surface. Cette altération se manifeste le plus souvent sur le bord supérieur des hémisphères, le long du sinus longitudinal, sur les portions de cette membrane tendues au-devant de la scissure de Sylvius, en arrière de la commissure des nerfs optiques et en arrière du quatrième ventricule ; de ces différens points, elle s’étend aux autres parties de la [p. 548] membrane, suivant ordinairement le trajet des veines placées au-dessous d’elles, et se fond insensiblement dans les parties dont la couleur n’est pas altérée.
Je n’ai jamais vu cette opacité exister sans épaississement, au moins en apparence ; car l’augmentation d’épaisseur m’a toujours paru la suite du dépôt de couches albumineuses sur la face adhérente de la membrane.
C’est surtout dans les portions où l’arachnoïde n’a aucune contiguïté avec la pie-mère, en arrière du quatrième ventricule des nerfs optiques, qu’on peut bien apprécier cet effet. J’ai vu souvent dans ces points l’opacité et l’épaississement de l’arachnoïde former en quelque. sorte de petits nuages pommelés qui, examinés à la loupe du côté viscéral de la membrane, semblaient évidemment déposés sur cette face, tandis que l’autre face n’offrait aucune inégalité. J’ai pu quelquefois enlever de petits lambeaux de ces dépôts albumineux. Si j’ai bien observé ce fait, on peut comprendre pourquoi la surface libre de l’arachnoïde conserve dans ces cas l’aspect lisse et pali qui lui est naturel.
Dans les cas où l’ arachnoïde est épaissie et opaque, on cherchera en vain à la détacher de la pie-mère dans les endroits où ces membranes sont naturellement contiguës. J’ai plusieurs fois essayé de le faire, jamais je n’ai réussi ; ceci fortifie l’opinion d’une exhalation albumineuse à la surface adhérente de l’arachnoïde. C’est cette exhalation qui unit et confond les deux membranes. On conçoit d’après cela pourquoi il est si facile dans ces cas de dépouiller le cerveau tout entier de ses membranes, d’enlever celle-ci d’une seule pièce si l’on procède avec quelque patience. Lorsque les membranes sont enlevées, il est difficile, même en raclant avec un bistouri, de détacher la pie-mère de l’arachnoïde.
La consistance de ces parties peut être augmentée d’une manière extraordinaire leur adhérence au sommet des circonvolutions est une circonstance très-commune.
Ces adhérences ont lieu presque toujours avec la convexité des circonvolutions dont la substance corticale, dans presque tous les cas que j’ai examinés, avait subi l’altération que j’ai décrite précédemment, et qui consiste dans l’endurcissement et la pâleur de sa couche la plus superficielle. J’ai vu aussi quelquefois ces adhérences prolongées jusqu’au fond des anfractuosités, quoique dans ces endroits la pie-mère soit réduite à une bien faible épaisseur. Ceci prouve que ces adhérences n’ont pas lieu avec l’arachnoïde qui ne pénètre pas dans les profondeurs des circonvolutions, et permet de penser que la compression résultant de la turgescence inflammatoire [p. 549] du cerveau favorise surtout les adhérences aux soin mets des circonvolutions, parties les plus exposées aux effets immédiats de cette action .
Si l’on ajoute qu’il faut une certaine épaisseur pour favoriser ces adhérences, qu’au sommet des circonvolutions l’arachnoïde en troublant la pie-mère fournit cette condition, tandis que, dans les anfractuosités Ies vaisseaux épars de la pie-mère, écartés encore par la sérosité qui s’y trouve, ne la présentent pas, et que néanmoins les adhérences y existent quelquefois, on sera pleinement convaincu que ces adhérences ne sont pas de simples effets de l’inflammation de l’arachnoïde.
On trouve quelquefois une grande abondance de sérosité épanchée dans le tissu, cellulaire sous-arachnoïdien ; le plus souvent cette sérosité est claire, incolore ; d’autres fois elle offre une légère teinte jaunâtre et peut présenter une sorte de consistance gélatineuse.
C’est dans ces cas d’épanchement séreux abondant qu’on a souvent trouvé les circonvolutions amincies, comme atrophiées., etc.
Faut-il croire que l’amincissement des circonvolutions est alors un effet mécanique, résultant de la compression exercée par l’épanchement séreux, comme on voit le poumon réduit à un petit volume par un épanchement dans la cavité de la plèvre ?
Faut-il penser, au contraire, que l’épanchement séreux s’est opéré à mesure que les parties intégrantes des circonvolutions ont été résorbées partiellement par un travail morbide ? Je penche davantage vers cette dernière opinion d’après les motifs suivans.
Cette atrophie n’est jamais générale, elle est toujours bornée à quelques régions du cerveau. Très-souvent deux ou trois circonvolutions voisines sont réduites à une minceur extrême et ont presque disparu ; les circonvolutions correspondantes, symétriques de l’autre hémisphère, ont subi la même altération ; les autres circonvolutions ont conservé leur volume naturel. Enfin si l’on ajoute que dans ces cas d’atrophie des circonvolutions, le crâne est presque toujours revenu sur lui-même, ainsi que l’a vu M. Gall et que je l’ai souvent observé moi-même, chose dont ne permet pas de douter la rentrée ordinairement symétrique des os de cette cavité, leur surface convexe et rugueuse en dedans, sans aucune trace de ces impressions et de ces saillies qu’on regarde comme moulées sur le cerveau, on croira bien que ce n’est pas à la compression exercée par l’épanchement séreux qu’est due l’atrophie du cerveau. En effet, si cette force était plus puissante que la résistance du cerveau, elle soutiendrait au moins aussi bien que lui son enveloppe osseuse. Si la [p. 550] compression exercée par l’épanchement séreux était la omise de cette atrophie, pourquoi serait-elle dans bien des cas bornée à quelques circonvolutions symétriques ?
Il faut donc croire que dans la majorité des cas d’atrophie cérébrale, l’épanchement séreux est un effet consécutif.
Je veux dire quelques mots de la présence de gaz entre l’arachnoïde et la pie-mère, circonstance que quelques personnes ont notée comme une altération, et qui me semble un simple accident postérieur à la mort dans la grande majorité des cas.
Toutes les fois qu’il existe une certaine quantité de sérosité dans le tissu cellulaire sous- arachnoïdien, et que l’arachnoïde s’est trouvée entamée pendant l’ablation de la voûte du crâne, de manière à laisser écouler une certaine quantité de sérosité, il entre de l’air à la place de cette sérosité ; on en voit alors sous la membrane des bulles plus ou moins nombreuses. Cet effet arrive surtout constamment si l’on a séparé la tête du tronc avant d’en faire l’ouverture ; la sérosité s’est écoulée librement par le rachis, l’air est entré, et, soit dit en passant, c’est ainsi peut-être que l’on a souvent noté l’existence du gaz sous l’arachnoïde spinale. Si on fait précéder l’ouverture du rachis de celle du crâne, si on enlève le cerveau avant d’examiner la moelle, le liquide cérébro-spinal s’écoule, l’air prend sa place en partie ; ceci arrive-surtout, si pour ménager la moelle, on laisse le cervelet en place ; la portion, d’arachnoïde tendue derrière le quatrième ventricule ne peut s’appliquer aux parois de cette cavité lorsque la sérosité s’en écoule, l’air y pénètre aisément et s’infiltre ensuite jusqu’à l’extrémité de la moelle.
On observe souvent une augmentation de volume, des granulations blanchâtres répandues le long du sinus longitudinal supérieur. Souvent aussi, on observe aux surfaces de la membrane séreuse qui tapisse les ventricules latéraux et le quatrième ventricule, des granulations d’un volume variable, d’une couleur de cartilage, rares ou agglomérées en grand nombre.
Quelquefois on trouve sur la surface libre de l’arachnoïde des pseudo-membranes faciles à séparer.
J’ai vu aussi, mais bien rarement, des collections purulentes dans une partie de cette cavité, assez considérables pour avoir enfoncé et déformé le cerveau.
Ces dernières altérations dépendent d’une complication d’arachnoïdite, et ne doivent pas être ici l’objet d’une description particulière, on les trouve presque constamment chez les aliénés paralytiques sujets à tomber de leur lit, à se frapper la tête. Les [p. 551] parties qui ont reçu le choc dans ces chutes montrent une ecchymose du cuir chevelu, l’injection du péricrâne dont l’adhérence est affaiblie, enfin une teinte jaune sale de la face libre de la dure-mère et de la surface de l’arachnoïde qui la tapisse, une pseudo-membrane albumineuse ordinairement très-mince.
Cette observation a été faite par M. Esquirol; j’ai eu occasion de la répéter souvent.
La dure-mère a été quelquefois affectée de fongus. Cette altération encore étrangère à l’aliénation proprement dite, ne doit pas nous occuper ici (Voy. FONGUS DE LA DURE-MÈRE) ; enfin les os du crâne sont très-souvent altérés.
Altérations des os du crâne. —Greding, MM. Gall et Spurzhem et tous ceux qui ont fixé leur attention sur ce point ont noté ces altérations. Elles consistent tantôt clans l’épaississement des os devenus compactes, éburnés, etc.
Quelquefois les os sont excessivement amincis, et presque réduits à leurs deux lames compactes.
Quelquefois, au contraire, le tissu aréolaire prédomine ; il est injecté d’une grande quantité de sang. Ces os, qui ressemblent assez au tissu des côtes, sont enfoncés par un coup de marteau, au lieu d’être brisés en éclats.
Il n’est pas vrai que l’épaississement et la compacité du crâne, son passage à l’état éburné, coïncident avec le penchant au suicide. Cet état est très-fréquent chez les aliénés en démence, chez le idiots, les imbéciles, etc., et les aliénés avec penchant au suicide ont quelquefois présenté des os très-minces ou à l’état normal. Le péricrâne est souvent très-peu adhérent aux os du crâne ; ceci existe surtout avec le passage des os à l’état compacte et éburné. Il semble alors qu’aucun vaisseau, qu’aucun prolongement fibreux n’unissent le péricrâne au crâne. On peut le faire glisser sur les os avec la plus grande facilité.
J’ai vu plusieurs fois le cuir chevelu réduit à une minceur extrême ; il était en même temps très-lâche et très-mou.
J’ai vu cet état chez des individus qui, loin d’être réduits au marasme, avaient les chairs encore bien fermes et bien nourries. Au contraire, le cuir chevelu est d’une épaisseur extraordinaire, doublé d’une couche de graisse de plusieurs lignes chez beaucoup de sujets. Je ne dois pas oublier de faire remarquer, avant de passer à l’exposition des altérations propres aux aliénations congénitales, que dans certaines maladies mentales accidentelles, principalement dans celles qui succèdent à des causes débilitantes, comme couches ; etc., on ne trouve dans le cerveau rien de plus frappant que [p. 552] sa pâleur extrême et générale ; on remarque bien encore dans ces cas quelques marbrures d’un rose clair, dans la substance corticale ; mais cette altération est trop peu prononcée pour qu’il soit permis, je crois, de la considérer comme idiopathique. Dans le très-petit nombre de cas-de cette espèce que j’ai pu examiner, l’altération cérébrale m’a paru symptomatique d’un désordre plus profond de l’utérus ou de quelque autre organe du bas-ventre.
Idiots. — J’ai cru devoir rapporter à part les altérations rencontrées chez les idiots, craignant la confusion en les incorporant à celles qu’on observe, dans les aliénations accidentelles.
Les altérations observées chez les idiots peuvent être rapportées 1° à des vices de conformation, 2° à des altérations de texture.
Vices de conformation. —Chez beaucoup d’idiots, le volume de la tête et du cerveau est très-peu considérable. Des idiots adulte n’ont pas un volume de tête plus fort que des enfans bien conformés, âgés de quelques mois à un ou deux ans. La petitesse des parties n’est pas leur seul vice ; on trouve souvent en outre, dans ces cas, le crane épais, très-dense, éburné ; le cerveau assez dur, les circonvolutions très-minces, séparées par de larges intervalles. On a vu même les circonvolutions manquer dans une étendue considérable.
En 1825, M. Payen, alors interne à l’hôpital des enfans, a trouvé un cerveau d’idiot dont les circonvolutions inférieures étaient seules développées. Dans les régions supérieures, la substance grise très-mince formait, comme chez les rongeurs, une membrane parallèle à la courbure de la voûte du crâne,
On se rappelle qu’à une époque de la formation du fœtus, le cerveau n’offre pas de circonvolutions. L’altération dont je parle ici pourrait à juste titre être regardée comme la persistance de cet état, en d’autres termes, un arrêt, une suspension de développement. Du reste, il n’y avait dans l’apparence de la substance grise ou de la blanche aucune altération. La petitesse remarquable du cerveau, et surtout l’absence complète de ses circonvolutions dans une étendue considérable ne pouvaient être que des vices de conformation. Les autres altérations que je vais indiquer sont, au contraire, des maladies accidentelles, survenues dans le sein de la mère ou dans les premiers temps de la vie extra-utérine.
Altérations de texture. — Quelquefois on ne trouve chez le. idiots et les imbéciles que l’adhérence générale des membranes à la substance corticale des circonvolutions. J’ai vu plusieurs cas où cette adhérence était si intime et si générale qu’après l’ablation des membranes, le cerveau se trouvait véritablement dépouillé de sa substance corticale. [p. 553]
D’autres fois, sans que les membranes soient adhérentes, il existe une destruction très-étendue de la substance corticale extérieure ; d’où il résulte que les circonvolutions, au lieu de leur aspect ordinaire; ne présentent qu’une surface irrégulièrement frisée, comme la feuille de certains végétaux. Dans quelques endroits, on trouve encore des fragmens qui ont assez bien l’aspect normal ; mais la plus grande partie de la surface des hémisphères n’offre que de petites végétations jaunâtres, dures, coriaces, granulées.
Dans plusieurs cas de cette espèce que j’ai examinés, les circonvolutions de la base du cerveau n’avaient point participé à l’altération ; elles étaient petites, leurs anfractuosités peu profondes ; mais leur substance ne semblait nullement altérée, tandis que les traces de circonvolutions qui restaient dans les régions supérieures, n’avaient plus rien des caractères propres à l’état normal ; les végétations, les petites tumeurs agglomérées ou distinctes qu’on remarque dans ces parties étaient différentes de volume, de forme ; les unes, polygonées, d’une étendue de cinq à six lignes ; les autres, mamelonnées et dégénérant de la grosseur d’un pois à celle d’un grain de millet, offraient une couleur jaunâtre, qui, dans les, plus grosses, se rapprochait un peu du gris ordinaire de la substance corticale, et, dans les plus petites, se confondait avec celle de la substance blanche. Il semblait qu’un réseau celluleux général recouvrait cette altération ; du moins la consistance des parties, la résistance qu’éprouvait la pointe d’un scalpel promené à leur surface, pouvaient en donner l’idée. Je n’ai pu néanmoins, dans ces cas simples, séparer une membrane celluleuse évidente.
Quelquefois cette altération est bornée à la substance corticale ; d’autres fois elle fait partie d’une altération plus profonde, que M. Esquirol a nommée atrophie du cerveau, laquelle correspond constamment à quelque atrophie des membres.
Dans ces cas d’atrophie des membres, assez communs parmi les idiots, et dont on trouve quelques exemples chez des individus qui ne le sont pas, la substance grise présente, dans une étendue quelquefois très-considérable, d’autres fois, très-petite, l’altération que je viens d’indiquer. Cette altération forme le contour d’un trou plus ou moins vaste, pratiqué aux dépens de la substance blanche, s’avançant assez souvent jusqu’au ventricule latéral. Une membrane celluleuse bien distincte, parfaitement organisée, sépare ce trou du ventricule d’un côté, le ferme à la surface du cerveau de l’autre côté, tapisse ses parois et se perd insensiblement sur les portions de substance corticale altérée. La perte de substance ne s’étend pas toujours jusqu’au ventricule. J’ai fait, [p. 554] avec mon collègue Delaye, dans le service de M. Esquirol a la Salpêtrière, l’ouverture d’une idiote dont les membres était arrivés au plus haut degré d’atrophie, contournés dans tous les sens, incapables d’aucun mouvement ; chez elle le cerveau avait subi cette altération dans une grande partie de sa masse ; il ne restait qu’une portion de la base de l’organe et quelques fragmens irréguliers, qui s’élevaient dans différentes poches celluleuses, remplies de sérosité. On ne reconnaissait ni couche optique, ni corps strié. Le cas le plus intéressant de ce genre que j’aie vu, est celui d’une idiote qui mourut pendant la durée du cours de clinique de M. Esquirol, en 1823, et dont l’autopsie fut vue de tous les élèves qui suivaient ce cours.
Chez elle il n’y avait qu’un côté du corps, le droit, qui fût atrophié. Les deux membres de ce côté, réduits en quelque sorte à leurs os, à leur enveloppe, étaient plus courts de beaucoup que ceux du côté opposé, incapables du moindre mouvement. Les membres du côté gauche, au contraire, avaient un développement convenable et jouissaient de tous leurs mouvemens.
Le volume de la tête était petit ; les os du crâne n’offraient rien de particulier.
La plus grande partie de la substance corticale de la convexité des deux hémisphères offrait l’altération que j’ai décrite tout-à-l’heure. Au lieu de circonvolutions, on ne voyait que de petites granulations irrégulières, dures, jaunâtres, plus volumineuses à la circonférence de l’altération, et diminuant assez régulièrement en s’approchant de son centre. Cette altération existait seule à la surface de l’hémisphère droit dans le gauche, au milieu d’une semblable altération de la substance corticale existait une lacune considérable dans la substance blanche, en dehors et un peu au-dessus du corps strié et de la couche optique. Une membrane celluleuse, assez ferme tapissait cette cavité et la fermait de manière à constituer une poche assez considérable, remplie d’un fluide demi-transparent.
Toutes les autres-parties du cerveau avaient leur aspect normal.
Si la substance corticale des circonvolutions jouissait d’une influence indispensable dans la production des mouvemens, les membres du côté gauche n’auraient-ils pas dû aussi présenter chez cette idiote une altération proportionnée à celle de la substance corticale ?
Il est probable que des altérations de ce genre sont la suite de quelque travail morbide aigu, d’un ramollissement, par exemple, développé à une époque où le peu de résistance des os du crâne a pu céder assez au développement inflammatoire, pour prévenir une [p. 555] compression mortelle, et où la grande activité de l’absorption a pu enlever et éliminer les parties ramollies et détruites. Cette explication, que je trouve très-vraisemblable, est déjà donnée par M. Rostan dans son ouvrage sur le ramollissement ; mais si l’on peut rattacher à des maladies connues de pareils, désordres, il en est d’autres qui me semblent peu susceptibles d’explication.
M. le docteur Payen, lorsqu’il était élève interne à l’hôpital des enfans, m’a montré le cerveau d’une idiote dont les circonvolutions avaient la forme, le volume et la couleur ordinaires ; mais en passant la main à leur surface, on était frappé de rencontrer dans plusieurs places une résistance énorme.
Cette résistance était la même qu’auraient pu produire de gros tubercules crus placés très-près de la superficie des circonvolutions ; et cependant une incision pratiquée à travers ces parties si dures ne montrait rien de particulier dans leur couleur, ni dans leur texture.
Cet endurcissement cessait brusquement ; immédiatement à côté, la substance cérébrale avait la consistance ordinaire.
Le cerveau de cet idiot contenait un grand nombre de portions ainsi endurcies, on aurait façonné et appliqué avec art des circonvolutions de carton, qu’on aurait produit au toucher un effet très¬analogue à celui qu’il présentait.
Quelques idiots sont hydrocéphales ; cette altération n’offre pas toujours chez eux des différences essentielles à noter ; I’un d’eux, dont M. Belhomme a rapporté l’observation dans sa thèse, avait les deux membres du côté droit atrophiés, la couche optique et le corps strié n’existaient pas dans l’hémisphère gauche ; sans doute ils avaient été détruits par un travail morbide.
Telles sont sommairement les altérations principales que l’anatomie pathologique a permis de constater chez les idiots.
On peut dire d’eux comme des aliénés, que très-rarement ils succombent à leur affection cérébrale, la phthisie pulmonaire, les gastro-entérites chroniques, ou des maladies aiguës variées les emportent le plus souvent.
La proportion d’hypertrophies du cœur qu’on rencontre chez les aliénés est vraiment prodigieuse. Les cinq sixièmes de ceux dont j’ai fait l’examen anatomique depuis trois ans, offraient quelque affection organique du cœur ou des gros vaisseaux.
J’ai dit en signalant cette circonstance, à l’occasion des causes de l’aliénation, qu’elle était aussi souvent, à mon avis, un phénomène consécutif des cris, des mouvemens violens, de l’agitation continuelle de ces malades, qu’une cause prédisposante, une altération [p. 556] fort rare, en général, s’est souvent offerte à mon observation, en ouvrant le corps des aliénés qui avaient long-temps séjourné dans les quartiers réservés à ceux qui ne sentent plus leurs besoins et dont les déjections sont involontaires ; quels que soient les soins de propreté pris à l’égard de ces malades, ils séjournent une partie de la nuit dans la fange, et respirent presque continuellement un air chargé d’exhalaisons fétides. Ils meurent tous avec des escarres gangréneuses au sacrum.
Chez plusieurs de ceux qui sont morts dans ces quartiers, j’ai trouvé de petites cavités gangréneuses dans les poumons, surtout au bord antérieur de la base de ces organes ; aucun symptôme ne les avait fait soupçonner pendant la vie. Y-a-t-il quelques rapports entre la production de ces altérations et les circonstances au milieu desquelles ceux qui les ont présentées ont terminé leur carrière ? Serait-ce, au contraire, le transport et le dépôt dans le poumon d’une partie du fluide qui baigne les escarres du siège ? Les faits contenus dans la dissertation du docteur Maréchal me font pencher davantage pour cette dernière explication.
Quoi qu’il en soit, toutes ces altérations sont étrangères à la maladie principale ; ce sont les changemens organiques observés dans le cerveau qu’il convient de méditer pour pouvoir apprécier leur nature, leur influence sur la production des ordres principaux, de symptômes des aliénations mentales.
Les altérations que nous venons de passer en revue présentent beaucoup des caractères anatomiques de l’inflammation, rougeur intense, générale, disséminée, gonflement dans bien des cas, et enfin, en passant à l’état chronique, formation d’adhérences entre la substance corticale des circonvolutions et les membranes contiguës ; plus, adhérence des différens plans du cerveau entre eux dans un certain nombre de cas.
Si la simple rougeur, la tuméfaction sensible, si les ramollissemens généraux et partiels, l’augmentation de résistance que nous avons notés dans les cas aigus, laissaient des doutes sur la véritable nature du désordre organique, les adhérences observées si souvent dans les cas chroniques, n’en peuvent laisser aucun, et l’on est forcé en les reconnaissant d’admettre qu’il a existé un état véritablement inflammatoire, à moins qu’on ne cesse de regarder les adhérences accidentelles de nos organes comme des traces irrécusables d’inflammation, à moins que les adhérences des plèvres du péritoine, du péricarde, etc., ne soient plus des preuves de pleurésie, de péritonite, de péricardite, etc.
Comme ces différentes traces de phlegmasie sont plus constantes [p. 557] dans le cerveau que dans les membranes, il faudra conclure encore que l’altération essentielle a lieu dans le cerveau, et que l’altération des membranes est une complication accidentelle. Cette complication est très-fréquente, parce qu’il existe entre le cerveau et les membranes les connexions les plus étroites, parce que les vaisseaux qui animent le cerveau sont aussi ceux de ses membranes ; que la plupart de ces vaisseaux ne parviennent dans le cerveau qu’après s’être déjà ramifiés dans l’une de ses enveloppes.
C’est pour ces raisons que l’inflammation du cerveau, et surtout de la substance corticale des circonvolutions, coïncide si souvent avec quelque altération des membranes, et, réciproquement, que dans les phlegmasies des membranes, les symptômes de l’inflammation de la substance corticale des circonvolutions se présentent si fréquemment ; mais néanmoins cette coïncidence n’est pas nécessaire. On rencontre des cas de méningite avec suppuration (voy. Morgagni, édit. Chaussier, tom. 1er, pag. 87 et 344) ; j’ai moi-même rencontré des cas de ce gente, sans qu’il ait existé aucun trouble des fonctions cérébrales, et sans qu’à l’ouverture du corps on trouve la moindre altération dans le cerveau ; on trouve plus souvent encore des altérations des parties superficielles du cerveau, sans aucune altération des membranes.
Malgré ces faits, il règne beaucoup de confusion dans les données des auteurs. Ceux qui ont pris les maladies des méninges pour objet spécial de leurs recherches n’ont pas hésité à rapporter à ces altérations tous les symptômes qui se manifestaient dans leur cours ; ceux qui se sont occupés surtout des affections du cerveau, ont revendiqué, comme appartenant à cet organe, les symptômes attribués à la méningite.
On ne peut étudier tout-à-fait à part les maladies du cerveau et des méninges. Il faut reconnaitre qu’il existe entre les phénomènes pathologiques de ces deux genres d’affection des connexions aussi étroites que celles qui existent entre les vaisseaux de la pie-mère et les vaisseaux cérébraux. Or comme ce sont les mêmes vaisseaux, que ces vaisseaux sont spécialement affectés dans les maladies inflammatoires, il y aura presque constamment à la fois altération analogue dans le cerveau et ses membranes ; seulement les caractères anatomiques et physiologiques de l’inflammation prédomineront dans le cerveau ou dans les membranes, suivant que l’un ou les autres auront été le point de départ des accidens.
Je crois donc qu’on doit admettre pour premier fait, que c’est aux différentes altérations du cerveau précédemment décrites, que correspondent les symptômes variés de l’aliénation mentale. Ceci [p. 558] n’exclut pas l’influence des phlegmasies méningiennes sur l’état du cerveau et par suite sur ses fonctions, mais il me semble contraire aux données les plus précises de la physiologie, de mettre en première ligne cette altération des membranes, de lui rapporter le délire, la paralysie des aliénés, et enfin, d’appeler du nom de méningite aiguë ou chronique les maladies mentales.
Quant à chacun des principaux ordres de symptômes de l’aliénation mentale, peut-il être physiologique de les rapporter à une seule et même altération d’une partie du cerveau, lorsque l’observation les montre si souvent distincts et isolés pendant la vie ; lorsque l’anatomie pathologique montre des altérations bien distinctes les unes des autres, dont chacune coïncide toujours avec les mêmes phénomènes symptomatiques ?
Parmi les désordres anatomiques du cerveau, les altérations variées de la substance corticale sont sans contredit les plus constantes, comme les symptômes les plus constans sont les dérangemens intellectuels. Quelle que soit la réserve que M. Calmeil, dans son ouvrage sur la Paralysie des aliénés, apporte dans l’appréciation des altérations organiques, et leur influence spéciale sur les symptômes distincts de la maladie, il incline manifestement à rapporter aux altérations de la substance corticale des circonvolutions, la paralysie qu’il a prise pour objet particulier de ses recherches. Cette opinion de M. Calmeil pourrait sembler raisonnable, si les sujets de ses observations eussent été seulement paralytiques ; mais il n’aurait pas fallu oublier qu’avant tout ils étaient aliénés, que depuis le début jusqu’à la fin de la maladie l’aliénation mentale avait existé, et réclamait bien aussi sa part d’attention dans l’appréciation des désordres organiques.
Que devient cette opinion, que l’altération de la substance corticale des circonvolutions est la cause de la paralysie, dans les cas si nombreux d’altération de cette substance corticale, sans la moindre altération des mouvemens ?
Je ne parlerai pas seulement de plusieurs centaines d’observations de ce genre que j’ai pu faire seul ou avec mes collègues et amis Delaye et Pinel-Grandchamp, et dans lesquelles l’altération de la substance corticale ne correspondait à d’autres phénomènes qu’à des troubles intellectuels ; mais déjà Morgagni a publié des observations de ce genre ; M. Bouillaud, dans son Traité de l’encéphalite, en a rassemblé-un certain nombre, tandis que d’un autre côté les cas de paralysie sans trouble intellectuel, correspondant à des altérations situées dans la substance blanche ou les renflemens gris centraux du cerveau fourmillent dans les auteurs. [p. 559]
Chez tous ·les aliénés affectés de paralysie générale que j’ai observés depuis trois ans, et dont j’ai fait l’examen anatomique, j’ai toujours trouvé, outre l’altération de la substance corticale, une altération variable, endurcissement, infiltration, ramollissement de la substance blanche, et presque toujours en outre l‘adhérence des principaux plans cérébraux entre eux. Enfin l’observation si remarquable de cette idiote qui avait un côté du corps atrophié, l’autre. sain, jouissant de tous ses mouvemens, tandis que la substance corticale du cerveau était atrophiée dans les deux hémisphères, et la substance blanche seulement d’un côté, ne confirme-t-elle pas qu’une profonde altération, que l’atrophie, l’absence d’une grande partie de la substance corticale, n’ont pas d’effet sur les mouvemens, tandis que les altérations de la substance fibreuse entraînent nécessairement la perte ou l’affaiblissement des mouvemens volontaires ?
Je n’entrerai pas ici dans de plus longs développemens à ce sujet ; je résumerai seulement mes conclusions sur les effets des altérations distinctes observées dans le cerveau des aliénés, en disant que:
1°. Les altérations de la substance corticale sont directement liées aux dérangemens intellectuels.
2°. Les· altérations de la substance blanche sont directement liées aux altérations des mouvemens.
La substance corticale est donc la partie essentielle du cerveau ; la substance blanche ou fibreuse n’est, au contraire, dans le cerveau que ce qu’elle est dans les pédoncules, dans la moelle épinière et sans doute aussi dans les nerfs, conductrice de l’influence nerveuse, et enfin, s’il m’était permis de rappeler les conclusions auxquelles j’avais été conduit par mes recherches anatomiques, les parties centrales du cerveau, couches optiques, corps striés , etc., ne seraient qu’une prolongation développée de la moelle ; la vaste membrane corticale des circonvolutions serait la partie essentiellement active du cerveau, et le grand plan de substance fibreuse, étendu de cette substance corticale aux parties centrales (corps striés couches optiques, prolongemens de la moelle épinière), serait l’analogue des nerfs de la moelle épinière, le vrai moyen de communication de la substance corticale périphérique avec les parties centrales et réciproquement.
Diagnostic. —Le diagnostic de la folie n’est pas toujours exempt de difficultés. Lorsque le délire de l’insensé est intense et général, personne ne peut s’y méprendre ; mais il y a des cas de monomanie avec penchans pervers d’une extrême difficulté à reconnaitre. Le malade dans ces cas conserve assez de jugement pour comprendre [p. 560] quoique ses pensées et sa conduite lui semblent très-raisonnables, que les autres hommes les jugent autrement, et qu’il est de son intérêt de cacher le véritable état de son esprit. C’est alors qu’on peut le voir déployer toutes les ressources d’une logique étonnante pour éloigner l’imputation de la folie, et conserver la liberté et tous ses droits civils ; ce ne sera qu’à l’aide d’une observation soutenue , d’une observation de tous les momens, qu’on pourra surprendre des preuves de l’égarement partiel de sa raison. D’autres fois la folie est simulée : un malfaiteur, pour se soustraire au glaive de la justice, tâchera de se faire regarder comme fou ; ces cas peuvent encore présenter quelque difficulté, leur examen est d’un assez haut intérêt pour être fait avec tous les détails et les développemens qu’il comporte. C’est un des points importans de la médecine légale qu’on ne peut traiter avec assez d’étendue dans un article de généralités sur l’aliénation mentale.
Pronostic. — Le pronostic de la folie doit être établi sur l’examen des causes, des symptômes, de la durée de la maladie, du sexe, de la constitution des sujets. Toutes choses égales d’ailleurs, les folies qui ne reconnaissent pas au nombre de leurs causes une prédisposition héréditaire sont moins graves que les dernières.
Celles qui sont provoquées par des causes physiques moins graves que celles qui reconnaissent une cause morale.
Parmi les dernières, les affections tristes long-temps prolongées sont plus fatales que des émotions vives et subites.
Il guérit plus de femmes, proportion gardée, que d’hommes. Les folies de notre première classe, caractérisées par le désordre des fonctions Intellectuelles exclusivement, sont moins fâcheuses que celles de la seconde classe, qui comprennent en outre, les désordres des sensations ; et enfin celles de la troisième, qui offrent en même temps le désordre des mouvemens sont plus fatales que les deux précédentes.
Dans chacune des deux premières classes la manie guérit plus souvent que la monomanie, la démence aiguë peut être mise sur la même ligne que la monomanie. L’idiotie est toujours incurable.
Parmi les malades de la seconde classe, ceux qui n’éprouvent de fausses sensations que par l’effet d’un dérangement dans les organes des sens ou dans les autres organes, sont plus faciles à guérir que ceux chez lesquels l’altération qui est cause de ces désordres est plus profondément située. Dans cette série, ceux qui, par suite de leur sensibilité lésée éprouvent du goût pour les substances les plus sales, sont les plus difficiles à guérir.
II y a plus de chances d’une terminaison heureuse chez un [p. 561] sujet bien constitué, bien portant, que chez un individu débile, lymphatique dont la poitrine ou le bas-ventre est le siège de quelque travail chronique.
Une conformation régulière du crâne, un développement convenable en tous sens, sont plus favorables qu’un crâne irrégulier, qu’un crâne évidemment défectueux dans quelqu’une de ses principales régions.
Les têtes très-petites ou très-grosses sont moins favorables à la résolution que celles d’un développement moyen.
Il y a plus d’espérance de guérison solide à une première attaque, qu’a une seconde, qu’à une troisième, etc. ; en même temps, il y a plus de probabilité de voir terminé par le retour à la raison un accès de folie intermittente, fût-il le vingtième, qu’une -première attaque de maladie mentale.
Il est extrêmement rare de voir radicalement guérie une maladie intermittente qui a déjà offert plusieurs accès,
L’hypertrophie du cœur qui a précédé l’invasion de la maladie mentale, est une circonstance fâcheuse, si elle est portée à un certain degré d’intensité.
On peut tirer un augure favorable de l’influence marquée du traitement. Les malades dont aucun moyen ne calme ou au moins ne modifie les accidens laissent peu de chances de guérison.
Un certain amaigrissement pendant la période d’intensité est un bon signe ; le retour de l’embonpoint, la disparition des symptômes fébriles sans amélioration de l’intelligence, annoncent le passage de la maladie aiguë à une démence presque toujours incurable, Il n’est pas nécessaire de rappeler que la diminution marquée de la mémoire est un indice presque constant de démence commençante.
On ne saurait trop répéter que rien n’aggrave plus les maladies mentales que le retard du traitement ; le médecin devra donc, dans tous les cas où il sera consulté, faire tous ses efforts pour hâter l’administration des soins convenables.
TRAITEMENT.
Le traitement de l’aliénation mentale a subi toutes les vicissitudes des théories médicales. Les saignées ont été prodiguées par le grand nombre de ceux qui ont considéré comme cause principale des désordres intellectuels le transport du sang au cerveau. Les humoristes ont voulu, à force d’évacuans, éliminer la bile, l’atrabile, source de tous les désordres ; l’empirisme a prescrit tour à tour ces deux genres de moyens, plus les bains de surprise, les bains froids, etc. [p. 562]
On serait tenté d’attribuer à la plus brutale ignorance l’habitude de frapper les fous, de les charger de chaines, de chercher à les dompter à force de souffrances, si l’on ne trouvait ces conseils incorporés à un système de traitement médical dans les ouvrages de Celse. Cette routine barbare a traversé les siècles et n’est pas encore partout abolie.
Je crois que c’est dans une maison fondée par les quakers aux environs d’York, qu’on a tenté pour la première fois dans ces temps modernes l’influence d’un traitement plus humain. Les sucès obtenus par les estimables fondateurs de cet établissement montrèrent que la douceur était plus puissante que les fers. Toutefois les aliénés étaient encore généralement traités avec la dernière brutalité, quand l’illustre Pinel éleva la voix en leur faveur : son éloquence fit tomber leurs chaînes. Les administrations, éclairées par les écrits de ce grand homme, secondèrent de tous leurs efforts ses généreux desseins ; les grands établissemens de la capitale sentirent les premiers effets de cette révolution salutaire.
L’heureuse impulsion donnée par Pinel et continuée par M. Esquirol opère tous les jours de nouveaux bienfaits : sur tous les points de la France on voit s’élever de nouveaux établissemens pour les insensés. Un des plus beaux de ce genre, le plus parfait peut-être par ses localités, l’asile départemental de la Seine-Inférieure a été construit d’après les plans de M. Esquirol. C’est aux lumières de ce médecin qu’ont voulu s’adresser les sages administrateurs dont l’humanité n’a d’ailleurs ménagé aucun sacrifice.
Le temps est donc arrivé enfin où, dans tous les établissemens spéciaux, le traitement de l’aliénation dirigé avec douceur par des médecins formés à l’école des hommes les plus célèbres dans cette partie de la science, ne peut manquer de s’enrichir de précieux résultats.
L’anatomie pathologique et l’étude de la structure du cerveau cultivées concurremment se fourniront sans doute des lumières réciproques ; des expériences thérapeutiques sagement pratiquées pourront faire connaître quelques nouveaux moyens de combattre cette déplorable affection, ou du moins confirmer la supériorité de ceux qui, déjà connus et employés à diverses époques, en différens lieux, sont pourtant encore un objet de controverse.
Ce n’est-plus une question de savoir s’il convient de traiter un aliéné chez lui, ou de l’isoler de sa famille, de ses habitudes. L’expérience a prouvé combien d’inconvéniens sont attachés au premier mode, et combien d’avantages résultent du second ; je me dispenserai donc de reproduire en détail les raisons développées [p. 563] par M. Esquirol à ce sujet. (Voyez Dict. des Sc. Méd., art, FOLIE.)
C’est dans un établissement spécial qu’on doit traiter ces malades. Un établissement de ce genre bien organisé doit offrir des quartiers distincts assez nombreux pour que les malades turbuIens soient séparés des tranquilles, ceux en traitement des incurables, les convalescens de tous les autres ; les épileptiques surtout, lorsqu’on ne peut s’empêcher d’en admettre, doivent être soigneusement écartés.
Rien ne peut être plus pernicieux que de les entasser pêle-mêle avec les aliénés. Toutes les fois qu’on introduira ce fâcheux mélange, l’établissement le mieux conçu dans ses localités pourra devenir fort mauvais pour les malades. Outre ces divisions principales, il sera utile d’avoir des dortoirs séparés pour les malades qui ne sentent plus leurs besoins, salissent leurs lits ; de réserver quelques chambres très-fortes pour les plus furieux, et un quartier distinct pour les jeunes filles. C’est assez pour elles d’avoir perdu la raison, qu’elles ne soient pas exposées à être infectées des vices dégoûtans dont une réunion nombreuse d’aliénés offre toujours le hideux spectacle, qu’elles puissent au moins reporter dans leurs familles leur pudeur et leur innocence.
Les moyens qu’on a proposé d’employer dans le traitement de l’aliénation sont de deux genres :
Les uns tendent à modifier l’organe malade par l’exercice même de ses fonctions, et composent ce qu’on a appelé le traitement moral ; Les antres tendent à modifier l’organe malade par leur action directe sur nos parties ; Ieur ensemble constitue le traitement médical, physique, pharmaceutique, etc.
Je parlerai d’abord du traitement médical.
On peut réduire aux moyens suivans ceux qui ont jusqu’à présent composé le traitement médical.
1°. Saignées.
2° Bains.
3°. Purgatifs.
4°. Exutoires.
5°. Plusieurs médicamens spéciaux : l’opium, le camphre, la digitale, le quinquina , etc.
La saignée a tour à tour été préconisée comme le plus puissant moyen de guérison de la folie, et proscrite comme le plus pernicieux. Les opinions à cet égard sont encore tellement partagées, qu’il n’est pas permis de se prononcer pour ou contre sans motiver autant que possible sa préférence. [p. 564]
Je ne sais si jamais personne a parlé plus fortement contre l’abus des saignées que Pinel ; mais en examinant les raisons sur lesquelles il s’appuie, on peut croire qu’il est tombé dans un excès opposé à celui qu’il voulait combattre.
Suivant ce respectable auteur, la pratique de la saignée est fondée sur des apparences extérieures, telles que : rougeur de visage, yeux brillans, air animé et d’autres signes équivoques d’une surabondance de sang et de son impulsion violente vers la tête. On a toujours soin, dit-il, lors de l’admission des aliénés dans l’hospice, d’interroger les parens sur l’article de la saignée, et on demande si elle a été pratiquée, quel en a été le résultat. Les réponses les plus constamment faites attestent que l’état de l’aliéné a toujours empiré immédiatement après.
« Deux jeunes personnes du même âge et d’un tempérament analogue (dit cet auteur) arrivent le même jour ; une d’entre elles n’avait pas été saignée, et la guérison fut opérée en deux mois ; une saignée copieuse ayant été faite à l’autre, elle était réduite à une sorte d’idiotisme, et ne parvint à recouvrer l’usage de la parole que vers le cinquième mois ; son rétablissement, plein et entier n’a été opéré qu’à la fin du neuvième mois. Que conclure de ce fait, lorsqu’on sait que la plupart des auteurs fixent la durée moyenne de la folie à plusieurs mois, quelques-uns à plus d’un an ? Que conclure de deux autres cas que Pinel invoque contre l’emploi de la saignée ? Dans l’un, il est question d’une jeune fille de dix-huit ans, forte, présentant des signes de congestion vers la tête, qui fut prise d’une syncope, et dont le pouls descendit de quatre-vingts à soixante pulsations, quoiqu’elle n’eût perdu que quatre onces de sang. Dans l’autre, il s’agit d’une fille de trente-six ans, dont les règles avaient été supprimées par une frayeur ; elle était dans un état de manie avec cris continuels, face très-rouge, yeux brillans ; conjonctives injectées, une saignée modérée de pied est pratiquée, et bientôt après la malade tombe dans un état d’idiotisme dont elle ne guérit qu’au bout de deux ans.
C’est un événement très-rare, et qui, ajoute Pinel, fait époque dans l’hospice des aliénés, qu’une saignée depuis que je dirige le traitement.
M. Esquirol ne s’exprime pas de la même manière sur les dangers de la saignée ; cependant il est loin de regarder ce moyen comme généralement utile. Il a vu plusieurs fois la folie augmenter après des règles abondantes, après une, deux et même trois saignées. Il a vu, après la saignée, l’état de tristesse passer de la manie, à la fureur : [p. 565] il croit néanmoins que la saignée est indispensable aux sujets pléthoriques, et lorsqu’il y a quelque hémorrhagie ou évacuation sanguine habituelle supprimée. « Il a souvent fait appliquer avec succès des sangsues derrière la tête, aux tempes, à quelques aliénés chez lesquels le sang se porte tout d’un coup à la tête comme s’il s’élançait d’un piston : » il faut mettre alors, dit-il, un petit nombre de sangsues à la fois, les renouveler de temps en temps, et faire sur la tête des applications froides.
Haslam s’exprime en d’autres termes sur les effets de la saignée. « Quand le malade est fort, dit-il, d’une habitude pléthorique, quand la maladie est récente, la saignée est très-avantageuse, et, autant que s’étendent nos observation,, il est le remède le plus puissant qu’on ait employé. » Dans les cas de mélancolie, le même mode de traitement a produit les mêmes bienfaits. Cet auteur accorde aux ventouses scarifiées appliquées sur le cuir chevelu préalablement rasé la préférence sur la phlébotomie.
Il laisse à la discrétion des praticiens la quantité de sang à tirer, indique comme quantité moyenne huit à seize onces, et conseille d’y revenir toutes les fois que l’indication s’en présentera. HasIam a remarqué la couenne inflammatoire dans des cas de phébotomie pratiquée au début de la maladie chez des aliénés très¬violens.
Le célèbre Rush, surnommé par ses compatriotes le Sydenham des États-Unis, se prononce beaucoup plus fortement encore en faveur de la saignée, et donne pour raisons . 1° la force et la fréquence du pools, l’insomnie, l’agitation des malades ; 2° que l’appétit n’étant pas interrompu chez les insensés, étant même souvent plus fort qu’en santé parfaite, la pléthore sanguine survient aisément ; 3° l’importance de l’organe malade, la structure délicate du cerveau qui l’empêche de supporter long-temps un dérangement morbide sans être exposé à une désorganisation permanente : Ce danger, dit-il, est beaucoup augmenté par l’insomnie, les cris, les chants et les mouvemens violens des maniaques ; 4° l’absence d’issue dans le cerveau pour transmettre au-dehors les résultats ordinaires de l’inflammation, particulièrement la décharge séreuse des vaisseaux sanguins ; 5° les cures accidentelles qui ont suivi la perte d’une énorme quantité de sang ; il a vu plusieurs insensés qui ont essayé de se détruire en se coupant la gorge ou en s’ouvrant de gros vaisseaux, guéris par l’hémorrhagie abondante qui a suivi leurs tentatives ; 6° enfin, dit-il, la saignée est indiquée d’après le succès extraordinaire qu’elle a obtenu aux États-Unis, et particulièrement à l’hôpital des insensés de Pensylvanie. [p. 566]
Rush recommande de saigner largement à la première attaque de la maladie. Il prescrit de tirer à la fois de vingt à quanrante onces de sang, à moins qu’il n’arrive de syncope. Il conseille de saigner le malade debout, s’il est possible.
Les effets des saignées abondantes pratiquées, de bonne heure, sont surprenans, suivant lui, pour calmer les insensés ; il dispensent souvent d’employer d’antres moyens en guérissant en quelques heures. Il pense que les sangsues et les ventouses scarifiées ne doivent être employées qu’après la réduction du pouls au moyen des saignées générales.
Il recommande d’ailleurs un régime ténu, des boissons rafraichissantes, des bains et des demi-bains tièdes, et en même temps des applications réfrigérantes sur la tête.
Il conseille encore d’être plus avare de sang dans les aliénations causées par l’habitude de l’ivresse que dans tout antre cas.
Dans son ouvrage sur l’irritation et la folie, M. Broussais recommande l’emploi des mêmes moyens ; seulement il parait accorder la préférence aux saignées locales. Ce plan de traitement, suivant lui, découle nécessairement des données de la médecine physiologique, et n’a pu être employé que par ceux qui ont été éclairés de son flambeau. Mais, en vérité , il n’y a pas de maladie qui jusqu’à présent ait été étudiée plus indépendamment de l’influence de la médecine physiologique que les maladies mentales, et la plus grande partie des idées actuellement émises par M. Broussais l’avaient été à diverses époques par beaucoup d’autres. Est-ce l’idée dominante de l’auteur : L’irritation du cerveau, par exemple, qu’a fait découvrir la médecine physiologique ? mais Cullen regardait la folie comme le résultat d’un excès considérable et extraordinaire de l’excitement du cerveau, et certes cela ressemble bien à l’irritation de ce viscère. Est-ce le traitement que prescrit M. Broussais qu’il fallait attendre de la médecine physiologique ? Mais tous ceux qui ont vu dans le cerveau des aliénés un état inflammatoire, un excès d’excitement ou, comme Rush, l’action irrégulière et augmentée des capillaires artériels, ont tous prescrit un traitement antiphlogistique, et il est bien permis de croire que les médecins de notre époque, qui se livrent à la pratique des maladies mentales, ont pu agir aussi raisonnablement en consultant les bons traités spéciaux sur cette maladie, qu’en appliquant la médecine physiologique à l’aliénation mentale. C’est donc véritablement de l’élude directe de la maladie, des altérations cadavériques des fous, que tous les médecins ont déduit l’importance d’un traitement antiphlogistique très-sagement [p. 567] combiné par plusieurs. Ce sont ces données que la médecine physiologique s’approprie aujourd’hui ; elle peut avoir raison de les adopter, mais elle a tort d’en revendiquer l’invention.
Suivant Rush, les saignées doivent être plus abondantes dans la folie que dans toute autre affection aiguë ; chez un malade à soixante-huit ans, il a fait tirer deux cents onces de sang en moins de deux mois, et quatre cent soixante-dix onces, au moyen de quarante-sept saignées, dans l’espace de dix mois, chez un autre malade. J. Franck rapporte le cas d’une jeune fille maniaque guérie presque instantanément par une saignée de plus de quatre livres.
Sans avoir jamais poussé si loin que Rush et J. Franck l’emploi de la saignée, j’avoue que ce moyen me semble un de ceux sur l’efficacité duquel on doit le plus compter.
Pinel, M. Esquirol ont prouvé que la méthode expectante, aidée de quelques moyens simples et d’un traitement moral sagement dirigé, réussissent dans bien des cas ; mais s’il vaut mieux s’en tenir à l’usage de moyens simples patiemment continués que d’employer une méthode perturbatrice aveugle, je crois que le médecin, livré aux recherches de l’anatomie pathologique, peut tirer des résultats qu’elle fournit, comparés à l’observation des symptômes, de valables inductions thérapeutiques, croire à leur efficacité et les conseiller avec courage lorsque l’expérience lui en aura démontré les bons effets.
Or, les caractères anatomiques les plus constans dans les cas aigus, les adhérence , si fréquentes dans les cas chroniques, ne sont-ils pas des preuves évidentes d’inflammation, et dès lors n’est-on pas autorisé à espérer des avantages de l’emploi des moyens antiphlogistiques ?
Si l’on ajoute à cela que sur plusieurs centaines d’aliénés, dont ma position, depuis près de dix ans, m’a permis de pratiquer l’ouverture, je n’ai jamais trouvé d’adhérences dans les cas aigus, tandis qu’elles sont très-communes dans les cas chroniques, si l’on rapproche de ces faits les résultats consignés dans les ouvrages de MM. Bayle et Calmeil, on pourra penser, en voyant ces adhérences si fréquentes dans les cas chroniques, qu’elles sont incompatibles avec l’exercice régulier d’un organe aussi délicat que le cerveau, incompatibles par conséquent avec le retour à la raison, et l’on devra, dans tous les cas aigus, préférer les moyens les plus actifs pour prévenir cette fâcheuse terminaison de la maladie cérébrale.
Telles sont quelques-unes des raisons qui me font penser avec plusieurs médecins placés dans des circonstances heureuses pour [p. 568] l’observation, que les saignées ne doivent pas-être absolument proscrites dans le traitement des maladies mentales.
Ces raison , toutes fortes qu’elles me paraissent, je les aurai abandonnées depuis long-temps, si les résultats particuliers de ma pratique ne m’en avaient démontré la valeur. Mais avant d’en venir à l’exposition du genre de traitement que j’ai suivi le plus constamment avec succès, je me permettrai quelques réflexions relatives aux effets que doit produire la saignée sur le cerveau.
Chez les animaux qu’on fait périr d’hémorrhagie, on trouve tous les organes thoraciques et abdominaux pâles, exsangues, tandis que le cerveau contient encore une quantité notable de sang.
Pourquoi cette différence ?
Tous les organes, à l’exception du cerveau, sont renfermés dans des cavités à parois mobiles, et lorsque le sang contenu dans ces organes s’écoule au-dehors, ces parois se rapprochent et compensent par leur rapprochement la diminution de volume occasionnée par le sang soustrait, Pour les poumons, ce n’est pas seulement le rapprochement des parois de la poitrine qui compense la diminution de volume ; mais les bronches, leurs divisions peuvent se dilater, admettre plus d’air à mesure que plus de sang s’écoule.
Les organes abdominaux ont ces deux moyens de compenser la soustraction sanguine ; le rapprochement des parois. abdominales, qui peut aller très-loin, et la raréfaction des gaz intestinaux. Il n’en est pas de même dans le cerveau.
L’inflexible résistance des os du crâne, les dimensions invariables de sa capacité déterminent et, limitent le volume des parties contenues.
Par suite, 1° le cerveau ne peut recevoir une quantité Je sang plus grande que dans l’état- normal sans que l’augmentation de volume qui tend à être produite par cet afflux extraordinaire ne soit compensée par la diminution correspondante du volume de l’organe, et cette diminution ne peut avoir lieu sans une certaine compression (nous avons vu, dans les résultats d’ouverture, les preuves de cet effet) ; 2° un résultat non moins certain par rapport à l’effet des évacuations sanguines sur le cerveau, c’est que les saignées les plus abondantes ne pourront jamais le dégorger autant que les autres organes. En effet, à mesure qu’une certaine quantité de sangs écoule, la place qu’elle occupait, ne pouvant rester vide, se trouvera remplie, partiellement par le développement des parties comprimées, partiellement par l’arrivée d’une nouvelle quantité de sang. [p. 569]
Aussitôt que le premier effet, le développement des parties préalablement comprimée, sera opéré aussi complétement que possible, il faudra de toute nécessité qu’il revienne au cerveau une quantité de sang égale à celle qui en sort, et si l’on prolonge outre mesure la saignée, dans ce cas, on ne produira plus de rien ; il arrivera même qu’après l’avoir poussée très-loin, le cerveau contenant beaucoup plus de sang proportionnellement que les autres organes, puisqu’une force physique l’empêche de s’en vider aussi complètement qu’eux, son excitation proportionnelle sera toujours la même, peut-être même sera-t-elle augmentée.
On ne voit pas sans surprise, dit Georget, « des malades pâles, défaits et furieux en même temps, après avoir été saigné plusieurs fois de suite avec abondance ; » c’est le dernier effet dont je viens-de parler qu’on a produit sur eux.
Si les réflexions précédentes sont justes, on trouvera très-déterminante l’indication de la saignée dans la folie, toutes les fois qu’il existera des signes de turgescence sanguine et que les malades seront forts ; on trouvera aussi puissantes, d’un autre côté, les raisons de ne pas porter à l’extrême les évacuations sanguines dans ce genre de maladies ; que si l’on objectait, à l’exactitude de cette espèce de théorie de la circulation cérébrale, l’expérience dans laquelle un animal saigné jusqu’à la syncope reprend et perd tour à tour connaissance, suivant qu’on met alternativement sa tête en haut ou en bas, on peut expliquer cet effet sans croire que l’animal n’ait plus de sang dans le cerveau ; il suffit pour se convaincre du contraire d’examiner les têtes des moutons jugulés dans les boucheries ; mais dans le cas de syncope dont il s’agit après une saignée abondante, il ne se porte plus assez de sang au cerveau pour en entretenir la circulation, quoiqu’il en reste en stagnation dans cet organe autant qu’il en faudrait en mouvement pour entretenir la vie : Lorsque la tête est en haut, le cœur ne pousse pas vers le cerveau assez de sang pour entretenir le mouvement circulatoire ; l’animal paraît mort, lorsqu’il a la tête eu bas, au contraire, tout le sang se porte de ce côté ; le mouvement circulatoire se rétablit, les signes de la vie reparaissent.
Dans le plus grand nombre de cas de maladies mentales récentes que j’ai eu à soigner, j’ai employé des évacuations sanguines, locales ou générales, rares ou fréquentes, abondantes au médiocres, suivant les forces des sujets et l’état du pouls, la coloration des conjonctives, la chaleur de la tête, l’agitation, l’insomnie.
J’ai toujours préféré la saignée générale, lorsqu’il existait des [p. 570] signes de pléthore, que la force, la fréquence du pouls étaient prononcées. Dans les circonstances opposées, des sangsues au cou, aux tempes, derrière les oreilles ; les ventouses scarifiées sur les mêmes parties, sur le cuir chevelu rasé, m’ont procuré des avantages marqués. Les saignées locales m’ayant paru produire un effet très-marqué sur le cerveau, je les ai souvent prescrites, en même temps qu’une saignée générale, dans les cas où l’intensité des phénomènes généraux me semblait impérieusement réclamer celle¬ci ; mais jamais je ne me suis reposé exclusivement sur l’efficacité des évacuations sanguines, quoique, dans bien des cas, j’aie vu tous les accidens disparaître comme par enchantement à leur suite.
J’ai sous les yeux plusieurs malades sujets, depuis un grand nombre d’années, à des accès de folie intermittente qui, abandonnés à la nature, duraient trois à quatre mois ou plus.
Depuis trois ans qu’ils sont confiés à mes soins, ils n’ont pas éprouvé un seul accès d’un mois de durée. Souvent, dans l’espace de cinq à six jours, tous les accidens étaient dissipés. Des saignées générales ou locales proportionnées à l’intensité des symptômes, des bains tièdes et des applications froides sur la tête pendant leur durée, tels sont les moyens sous l’influence desquels j’ai presque constamment vu avorter ces accès.
Je les ai prévenus plusieurs fois en employant le même traitement aussitôt que la rougeur des conjonctives, la chaleur de la tête, l’insomnie se manifestaient, quoiqu’il n’y eût pas encore de délire.
Comme, à mon avis , il est rare qu’on doive s’en rapporter au seul emploi de la sainée, je parlerai des bains et des purgatifs que j’ai presque constamment employés chez les mêmes malades, persuadé qu’on ne pouvait trop faire pour obtenir une résolution prompte et durable de la maladie.
On a conseillé dans la folie les bains généraux, partiels, froids, chauds, d’eau simple ou chargée de substances médicamenteuses ; on a employé aussi pendant leur durée des applications froides variées sur la tête..
Les bains tièdes sont ceux dont on a fait le plus grand emploi ; on les a donnés d’une heure ou prolongés pendant un temps plus considérable, chez des sujets maigres, https://www.pinterest.fr/aimachat/chats-de-la-peinture-japonaise/ nerveux, très-irritables. Lorsqu’il y a une grande impulsion vers la tête, on a recommandé d’appliquer sur cette partie des linges imbibés d’eau froide, d’oxycrat ; enfin on a mis de la glace. C’est aussi pendant la durée des bains tièdes qu’on a le plus souvent administré les douches. Ce dernier moyen a été dirigé de plusieurs manières : tantôt l’eau [p. 571] tombe en pluie sur la tête à travers une lame de métal percée comme la pomme d’un arrosoir, tantôt un jet d’eau plus ou moins fort est projeté sur cette partie. D’autres fois, une masse plus considérable de ce fluide, un ou plusieurs seaux tombent brusquement de huit ou dix pieds de haut sur la tête du malade.
Tous ces moyens ont quelque analogie dans leur mode d’action ; ils réunissent l’influence tempérante du bain tiède à l’effet sédatif du froid sur la tête.
La douche en arrosoir est la plus convenable pour rafraichir cette partie : les autres douches produisent en même temps que cet effet des secousses qui la rendent très-pénible pour quelques malades. Il ne faut pas croire pourtant que ce soit un supplice comme l’ont écrit quelques auteurs. Le jet d’une douche assez forte peut être administré assez long-temps à un sujet d’une constitution moyenne sans lui causer de véritables douleurs. Plusieurs fois je me la suis fait administrer, et j’ai pu la supporter sans peine.
Quoique propre à rafraîchir la tête, ce moyen ne peut, en général, être continué assez long-temps pour produire un refroidissement soutenu. Des applications réfrigérantes d’un autre genre doivent être préférées et la douche réservée comme moyen de punition.
Les bains froids ont été conseillés par plusieurs auteurs. Ils sont rarement utiles, suivant M. Esquirol, à moins qu’on ne les ordonne à des sujets forts, robustes et qui sont dévorés de chaleur interne. J’ai quelquefois employé ce moyen, chez tous les malades soumis à son usage, il a produit la diminution de fréquence et de force du pouls ; mais il m’a semblé utile surtout chez quelques jeunes filles hystériques.
Les affusions d’eau froide, suivant la méthode du docteur Currie, ont été employées dans l’aliénation mentale, Rush fait grand cas de ce moyen pour en tirer le meilleur parti possible, il conseille d’en renouveler l’emploi deux à trois fois par jour.
- Esquirol en a retiré de l’avantage dans quelques cas, c’est surtout chez le jeunes sujets qu’il l’a prescrit.
J’ai été témoin de la guérison presque subite d’une jeune maniaque d’une constitution délicate, d’un tempérament nerveux, soumise par M. Esquirol aux affusions d’eau froide à la température de 14° th. cent ; elle fut placée eu chemise dans une baignoire vide, et on lui versa par petites quantités de l’eau sur la tête jusqu’à ce que le corps fût immergé, et qu’un frisson violent se déclarât. [p. 572]
La première fois, ce moyen ne produisit aucun effet appréciable, il fut recommencé deux jours après ; la jeune malade employa tous ses efforts pour s’y soustraire, mais, sa résistance fut inutile. Au bout de quinze minutes, elle fut prise d’un frisson très-fort, le pouls était petit, concentré, lent. Mise au lit elle s’endormit aussitôt ; son sommeil dura quatre heures, pendant lesquelles elle sua abondamment. A son réveil, elle jouissait de toute sa raison , et n’eut pas depuis un moment de délire.
Chez toutes les autres malades que M. Esquirol a soumises au même traitement, le retour de la raison n’est arrivé que graduellement.
J’ai quelquefois employé moi-même ce moyen avec avantage, mais il m’a paru inférieur en efficacité aux applications de glace sur la tête, le corps étant dans un bain tiède prolongé deux ou trois heures, et renouvelé deux fois, trois fois même par jour , suivant I’intensité des accidens.
Voici comme j’ai été conduit à cette pratique.
Lorsque j’ai commencé à diriger le traitement des malades de l’asile de la Seine-Inférieure , j’ai observé que la plupart de ceux auxquels je prescrivais un bain tiède avec application de glace sur la tête, ou simplement d’une éponge imbibée d’eau froide souvent renouvelée, étaient beaucoup plus calmes pendant les deux ou trois heures qui suivaient le bain ; puis l’agitation recommençait, allait toujours croissant jusqu’au soir, et augmentait souvent encore à l’intensité la nuit suivante. Le lendemain le malade remis au bain la tête couverte d’applications réfrigérantes, on observait la même succession de calme et d’agitation.
Je pensai qu’en prolongeant la durée du bain, qu’en renouvelant son emploi aussitôt que l’agitation reviendrait à paraître, j’obtiendrais un calme une plus durable ; je prescrivis donc deux bains par jour, un le matin, l’autre le soir, de deux ou trois heures ; quelquefois même, j’en ai prescrit jusqu’à trois par jour, la glace et l’éponge constamment appliquées sur la tête pendant leur durée.
Je puis assurer que ce moyen, qui n’est qu’une application du traitement généralement suivi dans les phlegmasies cérébrales aiguës, m’a réussi au-delà de toute espérance.
J’ai vu des aliénés dont rien jusque-là n’avait pu calmer la violence ni faire cesser l’opiniâtre insomnie, devenir tranquilles, dormir cinq à six heures après le premier jour d’un pareil traitement. J’ai vu plusieurs aliénations récentes très-graves, complétement guéries après un ou deux septénaires ; si l’on doutait dans ces cas de la véritable influence de ce genre de traitement , pourrait-on [p. 573] révoquer en cloute ses bienfaits plus évidens encore dans les cas de folie intermittente, dont les accès avaient une durée régulière de trois à quatre mois ou plus depuis plusieurs années , et qui, sous l’influence des évacuations sanguines, de bains ainsi administrés et de purgatifs suivant les occasions, se dissipent en quelques jours ? On concevra aisément que le traitement qui fait avorter les accès d’une maladie intermittente, dont les sujets ont en quelque sorte contracté l’habitude, doit jouir d’une efficacité-bien réelle.
J’ai vu guérir sous l’influence de ce traitement des manies aiguës, des démences aiguës, des monomanies aiguës compliquées d’hallucinations et de perversions diverses de la sensibilité. C’est donc, à mon avis, le genre de traitement qu’on doit appliquer de préférence dans la plupart des cas d’aliénation mentale récente, quelle qu’en soit la forme pour peu qu’il existe chaleur à la tête, rougeur des yeux, enfin quelques signes d’excitation cérébrale.
Le plus grand nombre des malades que j’ai vus guérir sous l’influence de ce traitement, m’assuraient après leur guérison que, dans le plus fort de leur violence, ils sentaient très-bien le soulagement que leur procurait l’application du froid sur la tête.
On ne doit pas craindre d’être minutieux lorsqu’il s’agit du soulagement des malades ; qu’il me soit donc permis d’entrer dans quelques détails sur les moyens d’appliquer la glace.
Les vessies que l’on emploie pour cet usage ne sont pas convenables dans la majorité des cas ; elles sont trop petites le plus souvent pour s’appliquer à toute l’étendue de la surface du crâne ; et si les personnes qui sont chargées de les appliquer n’ont pas eu soin de les vider exactement d’air après y avoir introduit la glace, elles ne peuvent s’étaler suffisamment, et ne touchent qu’une médiocre étendue de cuir chevelu ; enfin elles sont seulement déposées sur la tête, et le moindre mouvement les renverse. Je préfère un bonnet de taffetas gommé construit comme un bonnet de coton ; de manière que la portion qui rentre enveloppe et touche la tête dans toute son étendue, et que celle qui remonte en dehors soit largement ouverte eu haut pour l’introduction de la glace. Le contour de l’ouverture qui reçoit la tête doit descendre jusque sur les sourcils et les oreilles. On ajoute au-devant des oreilles une bride qui passe sous le menton, est arrêtée de l’autre côté, de manière que ce bonnet ne puisse être renversé. La glace appliquée de cette manière produit nécessairement un refroidissement plus étendu, plus uniforme, et par suite un effet sédatif plus marqué,
Mais j’ en ai dit assez sur cette matière ; je passe aux évacuans, qui sont peut-être les remèdes sur l’utilité desquels les auteurs de [p. 574] tous les temps se sont le mieux accordés dans le traitement des maladies mentales.
Je ne parlerai pas de l’hellébore si généralement célébré dans l’antiquité, et complètement abandonné de nos jours ; on n’attribue plus aujourd’hui d’influence spécifique à aucun purgatif, on conseille de préférence les plus doux et les plus sûrs.
- Esquirol fait observer que les évacuans ne conviennent pas dans tous les cas, que souvent ils ont augmenté le mal faute d’être administrés avec précaution.
La principale attention qu’on doit avoir dans leur emploi, c’est de consulter l’état de l’estomac et des intestins. S’il n’existe de ce côté aucune complication de nature à contre-indiquer l’emploi des purgatifs, on trouvera dans la majorité des cas, qu’administrés peu actifs et continués quelque temps, ou bien administrés plus forts, à des époques plus distantes, ils sont de puissans auxiliaires pour la résolution des maladies mentales.
On a vu souvent guérir la folie en même temps que survenait un dévoiement abondant et prolongé ; on a attribué avec toute apparence de raison la guérison, dans ces ca , aux évacuations alvines ; c’est le même effet qu’on cherche à produire au moyen des purgatifs, et souvent on réussit.
Quelques auteurs assurent que les doses des purgatifs doivent être très-fortes chez les insensés; d’autres prétendent que ces malades sont très-sensibles à l’action de ces moyens. Toutes les contradictions de ce genre sont sans fondemens solides : il en est de la sensibilité ou de l’insensibilité des insensés à l’action des purgatifs comme de leur aptitude prétendue à supporter le froid et le chaud, ce sont des dispositions individuelles qui ne peuvent permettre d’établir aucune règle générale .
Quelques auteurs recommandent par-dessus tout les émétiques. Cox est un des plus zelés partisans de ce moyen. M. Esquirol en a obtenu de l’avantage dans la plupart des mélancolies avec stupeur. Rush croit les vomitifs plus utiles dans la mélancolie hypocondriaque. Haslam reconnait leur utilité, dans les cas d’embarras de l’estomac, pour ces embarras eux-mêmes, mais il assure qu’après plusieurs milliers d’émétiques administrés à des insensés , il n’a vu aucun avantage en résulter pour la maladie mentale.
La crainte d’occasionner des congestions cérébrales par l’action de l’émétique n’est pas une chimère ; je pense donc que toutes les fois qu’il existera une impulsion marquée du sang vers la tête, il sera prudent de bannir ce moyen, tandis que, dans quelques cas de mélancolie avec stupeur où la langueur de toutes les fonctions [p. 575] semble réclamer des moyens excitans, les émétiques pourront être utiles.
On ne trouve pas toujours chez les aliénés beaucoup de penchant à avaler des drogues ; les purgatifs qui, sous un petit volume, possèdent une action énergique, sont donc précieux dans le traitement de ces malades. J’ai très-souvent employé l’huile de croton tiglium à la dose d’une, deux, trois, quatre et même cinq gouttes dans les cas où l’indication des purgatifs était très-prononcée, ou, dans ceux où l’affection du cerveau avait évidemment diminué la susceptibilité du canal intestinal.
Ces différentes doses d’huile de croton soigneusement mêlées dans une cuillerée de miel sont faciles à administrer. Un autre purgatif qu’on fait prendre aisément aux malades sans qu’ils s’en doutent, c’est le calomélas dont on saupoudre une tranche de pain recouverte de beurre.
L’expérience de M. Esquirol a constaté la grande puissance des purgatifs peu actifs, administrés pendant un certain temps dans les aliénations survenues à la suite de couches. Si l’indication de purger n’est qu’accidentelle, dans les aliénations produites par d’autres causes, on peut dire, toute théorie à part, qu’elle est constante dans celles-ci , et que les purgatifs doux, administrés avec suite, et secondés dans la plupart des cas par l’action des exutoires, sont des moyens puissans de guérison dans les folies à la suite de couches. Les exutoires réussissent encore, suivant M. Esquirol, lorsqu’il y a une métastase ; ils réussissent dans la monomanie avec stupeur, dans la démence lorsqu’elle n’est pas compliquée de paralysie ; en d’autres termes, ces moyens conviennent dans les cas où il n’y a pas de symptômes aigus.
Il vaut mieux en général appliquer les vésicatoires, les cautères loin de la tête que sur cette partie même ; appliqués aux extrémités inférieures, ils ont souvent réussi lorsque la violence des premiers symptômes avait été convenablement combattue par les saignées et les autres antiphlogistiques.
J’ai vu d’excellens effets d’exutoires aux extrémités inférieures ; dans les cas compliqués d’affection organique du cœur, et dans lesquels on observe en même temps le froid des extrémités inférieures et la chaleur de la tête.
Des frictions sur le cuir chevelu ou derrière les oreilles avec la pommade d’Auteurieth m’ont paru utiles dans quelques aliénations tendant à devenir chroniques.
Le docteur Valentin a publié des observations de manies guéries par l’application du cautère actuel à la nuque. M. Esquirol a [p. 576] employé le même moyen sans succès dans des cas compliqués de paralysie. Depuis, il a obtenu un certain nombre de succès dans des manies aiguës. J’ai vu les préparatifs de cette application causer une frayeur extrême à un jeune maniaque qui, jusque-là, n’avait pas en un instant de connaissance.
Lorsqu’elle se sentit touchée par le fer ronge, elle fit de tels efforts pour se soustraire à son action, qu’elle échappa aux mains de plusieurs personnes employées à la contenir. Pendant, cinq minutes, elle jouit de toute sa raison, demanda ce qu’on voulait d’elle, pria avec instance qu’on l’épargnât. M. Esquirol lui dit qu’il consentait à différer l’application du cautère actuel, à condition qu’elle se conduirait raisonnablement, qu’elle se mettrait au travail. Elle le promit et tint parole ; elle fut immédiatement transférée dans la division des convalescentes, où la guérison devint parfaite en peu de temps.
Elle avoua, quand elle fut guérie, que la frayeur causée par le for rouge avait plus que toute autre chose contribué à ramener sa raison.
Ce cas est donc plutôt une preuve du bon effet, d’une influence morale que de celle du cautère actuel ; mais dans plusieurs autres faits de la pratique de M. Esquirol, j’ai vu la raison revenir peu à peu, augmenter graduellement, à partir du moment où la suppuration commençait à s’établir. Parmi les malades assez nombreux auxquels j’ai vu appliquer et appliqué moi-même ce remède, je n’ai vu de guérison que parmi ceux qui en éprouvaient une impression forte, versaient des larmes, etc. Tous ceux qui l’ont supporté avec une complète insensibilité n’en ont éprouvé aucun soulagement. Il paraît donc que, tout actif qu’est ce moyen, il ne produit aucun avantage dans les cas où la sensibilité a reçu déjà une profonde atteinte, résultat tout-à-fait d’accord avec l’insuccès constant des tentatives de M. Esquirol sur des aliénés paralytiques.
Toutes les applications du cautère actuel que j’ai vu foire à M. Esquirol, ou que j’ai faites moi-même à son imitation, l’ont été sur la partie charnue de la nuque. Georget a observé une encéphalite mortelle à la suite d’une pareille application sur le cuir chevelu.
Tous les moyens thérapeutiques dont j’ai parlé jusqu’à présent me semblent devoir être employés dans les folies aiguës, dont la marche analogue à celle de la plupart des phlegmasies, présente dans les premiers jours son intensité la plus grande, puis diminue peu à peu, et tend à passer à l’état chroniqué. Lorsque cet état est confirmé, ou lorsque, dès le début de la maladie, l’on observe l’inertie [p. 577] de tous les organes, la langueur de toutes les fonctions, dans les cas qui correspondent à ceux où l’autopsie nous a fait voir le cerveau décoloré, gorgé de fluides séreux, il serait nuisible d’employer des antiphlogistiques actifs ; les révulsifs sur la peau, des bains frais, des bains tièdes, dans lesquels on aura fait dissoudre de la gélatine, pourront encore être utiles. Mais c’est surtout d’une médication tonique qu’on pourra espérer de bons effets. M. Esquirol a souvent observé des victimes de la plus affreuse misère, privées long-temps d’une nourriture suffisante, de tout moyen de propreté, arrivant à la Salpêtrière dans le plus déplorable marasme, et qu’un régime alimentaire, sain, régulier, quelques boissons amères, des bains de courte durée rendaient en peu de temps à la raison, dont les progrès coïncidaient d’une manière remarquable avec le retour des forces et de l’embonpoint.
Une décoction légère de quinquina, une quantité modérée de bon vin, une nourriture saine et fortifiante, sont les meilleurs moyens qu’on puisse conseiller dans ces cas et dans beaucoup de ceux qui succèdent à des maladies longues, à des couches laborieuses, à des causes débilitantes variées.
Le régime tonique convient aussi à la suite de quelques aliénations tellement aiguës, qu’aussitôt que l’acuité tombe, le collapsus le plus alarmant se prononce. C’est en relevant les fore qu’on peut alors se ménager le plus de chances de succès.
Indépendamment de ces deux médications opposées dans leurs manières d’agir, et qu’il est bien permis d’appeler rationnelles, puisqu’on voit de l’analogie dans leur manière d’agir et dans la nature des désordres auxquels elles sont opposées, on a essayé, à peu près dans toutes les espèces et dans tous les degrés de maladies mentales, quelques moyens doués de propriétés spécifiques, dont la véritable action est encore bien douteuse dans la majorité des cas. Ces moyens sont le quinquina, le camphre, le mercure, la digitale, etc.
Le quinquina est loin de jouir, dans les folies intermittentes, d’une efficacité pareille à celle qu’il possède dans les fièvres du même nom. Quelque méthodique qu’ait été son emploi chez bien des malades auxquels je l’ai vu prescrire, je n’ai pas été témoin d’un seul exemple de guérison : je crois que, hors les cas où il est indiqué comme tonique, on doit peu compter sur les bienfaits de ce puissant remède.
On en peut dire à peu près autant du camphre ; quoique ce moyen ait été très-souvent prescrit dans les maladies mentales, on ne sait à quoi s’en tenir sur son véritable mode d’action. [p. 578]
Je l’ai employé plusieurs fois et j’ai observé des effets opposés dans les circonstances les plus analogues en apparence.
Quant à la digitale, que quelques médecins allemands regardent comme un vrai spécifique dans la folie, je l’ai employée très-souvent sans pourtant la regarder comme spécifique ; j’en ai tiré des avantages marqués dans bien des occasions.
Chez une jeune personne d’un tempérament sanguin et lymphatique, qui présente des symptômes d’hypertrophie du ventricule gauche avec une impulsion marquée de sang vers la tête, la teinture de digitale, graduellement portée de quinze à trente ou quarante gouttes dans une potion de quatre onces, a toujours réussi à diminuer le nombre des pulsations du cœur et en même temps le délire. Ceci rappelle une observation de Cox, qui donna la digitale à un malade furieux, dont le pouls battait quatre-vingt-dix fois par minute. Aussitôt que ce médicament eut réduit le pouls à soixante-dix, la raison était revenue. En continuant l’usage de la digitale, le pouls descendit à cinquante, le malade devint mélancolique ; une dose plus forte le fit tomber à quarante, ce qui suspendit presque la vie. Le malade fut enfin guéri, en diminuant assez les doses de ce médicament pour élever le pouls à soixante-dix pulsations par minute (voyez Rush).
C’est sans doute d’après des observations analogues que des auteurs allemands prescrivent l’emploi de la digitale jusqu’à ce qu’elle produise des symptômes d’empoisonnement. Je laisse à penser si c’est là un conseil à suivre.
Il est possible que la digitale n’agisse sur le cerveau qu’en diminuant le nombre des pulsations du cœur, et si je ne me suis pas trompé en considérant les affections organiques- du cœur comme coïncidence fréquente de la folie, on concevra mieux encore son utilité dans ces cas. Je sais bien qu’on a nié la propriété de la digitale pour ralentir les battemens du cœur ; l’emploi que j’ai fait de ce médicament m’empêche de douter de cette propriété. J’ai administré en même temps la digitale à un grand nombre d’aliénés dont la maladie était stationnaire. Chez tous nous comptions, chaque matin, le nombre des pulsations artérielles ; elles diminuaient sensiblement chez le plus grand nombre et d’une manière graduelle, à mesure qu’on augmentait la dose du médicament. Cependant il y a des exceptions à cet égard. Au surplus, je n’ai jamais observé de cardialgie, de vomissemens par l’action graduelle de la digitale. Il est important de se mettre à l’abri de son inégalité d’action. Il suffit, pour cela, de faire une assez forte provision de ce médicament, et de recommencer à petites doses toutes les fois qu’on la [p.579] renouvelle. Je ne ferai pas connaitre ici les résultats que j’ai obtenus d’une série d’expériences sur l’action de la digitale ; ceci n’a pas de rapport immédiat au traitement de l’aliénation.
L’opium a été conseillé par plusieurs médecins dans le traitement de l’aliénation mentale. Suivant le célèbre Wepfer, c’est un des plus puissans moyens de guérison. Suivant M. Esquirol, les narcotiques sont plus nuisibles qu’utiles. On est généralement aujourd’hui très-réservé dans remploi de ces médicamens chez les aliénés ; on pense qu’ils sont plus propres à augmenter la congestion cérébrale qu’à diminuer l’intensité du mal.
Il est certain néanmoins que l’opium a plusieurs fois produit de très-bons effets. Le docteur Hodgkin a été témoin de ses avantages chez deux jeunes sujets aliénés depuis peu de temps, avec impulsion forte au suicide. Une dose assez forte d’opium procura un sommeil profond, les idées sinistres ne reparurent plus au réveil ; la guérison fut bientôt parfaite.
Ces deux exemples, et l’on pourrait en citer plusieurs autres, prouvent sans doute qu’il ne faut pas rejeter l’emploi de l’opium ; mais les cas particuliers dans lesquels on doit recourir à ce médicament ne sont pas encore bien déterminés.
Le mercure a produit quelquefois des effets merveilleux : Rush conseille ce médicament continué jusqu’à la salivation. Il cite l’exemple d’une femme aliénée à la suite de couches, qui avait conçu pour lL’enfant, cause de ses souffrances, une insurmontable aversion. Soumise à un traitement mercuriel, elle retrouva, le jour que commença la salivation, toute sa tendresse maternelle.
Au nombre des moyens particuliers de traitement qui ne répondent à aucune indication thérapeutique rationnelle, il faut mettre la machine rotatoire de Darwin, espèce de fauteuil ou chaise longue placée sur pivot et susceptible d’éprouver une rotation très-rapide. On s’est peut-être proposé, en couchant le malade sut cette chaise, la tête au centre, et les pieds à la circonférence, de lui faire partir le sang de la tête, en l’amassant aux pieds par la force centrifuge de la rotation.
C’est l’effet qui arrive chez des lapins qu’on prend par les pattes de derrière et qu’on fait tourner rapidement au bout du bras ; ils sont bientôt plongés dans un étay comateux, qu’on fait cesser en les prenant par la tête et les faisant tourner de la même manière. Ils reprennent connaissance lorsque, par ces mouvemens, on fait amasser le sang dans les régions inférieures du corps. Malgré cette expérience, je ne croirai jamais raisonnable de soumettre un [p. 580] homme à une action aussi violente. Je ne suis pas surpris que des syncopes inquiétantes, des vomi-purgations horribles, soient résultées de son emploi.
Quelques indications particulières se présentent à remplir chez les aliénés. Beaucoup de femmes ont éprouvé la suppression des règles ; il faut faire tout son possible pour rappeler celle fonction, dont le retour est assez souvent suivi de celui de la raison. Le moyen qui réussit le mieux, pour obtenir cet effet, est l’application d’un petit nombre de sangsues, à la vulve, plusieurs jours de suite à chaque époque menstruelle.
Les aliénés qui refusent de manger sont nourris avec des bouillions, des potages injectés au moyen d’une sonde introduite par les fosses nasales jusque dans l’œsophage.
Enfin, des accidens qui réclament à mon avis une attention particulière de la part des praticiens, sont les fausses sensations, les hallucinations qui tourmentent tant d’insensés. On ne saurait faire trop d’attention à l’état des parties auxquelles l’insensé les rapporte, et combattre avec trop de soin et de persévérance les désordres dont ces parties peuvent être le siège. C’est, sans contredit, lorsqu’on y peut parvenir, le meilleur moyen de simplifier d’abord et bientôt de détruire complètement le délire.
J’ai vu M. Esquirol obtenir des avantages de l’introduction dans le canal auditif d’un bourdonnet de coton chargé de poudre de potasse caustique. L’inflammation, la suppuration provoquée par cette substance suspendaient les désordres sensitifs.
J’ai réussi chez une de mes malades à faire cesser les fausses perceptions relatives à l’ouïe, en maintenant dans les oreilles un bourdonnet de coton fortement imprégné de laudanum ; toujours le calme de l’esprit revenait, quand on était parvenu à faire taire les oreilles.
Il serait ridicule de vouloir établir un traitement particulier pour chacun des symptômes d’une maladie quelconque. Mais les symptômes dont je parle ont une telle influence sur la production du délire, qu’on est, sans contredit, fondé, dans bien des cas, à les regarder comme la source des autres phénomènes ; l’altération organique dont ils dépendent est donc bien importante à étudier et à combattre.
Quant à la complication de paralysie générale, je ne connais rien de particulier à conseiller que les moyens propres à ralentir la marche de la maladie cérébrale, les saignées générales ou locales, les purgatifs énergiques, lorsqu’il survient quelque congestion vers le cerveau ; les exutoires les plus puissans paraissent des [p. 581] moyens rationnels, et pourtant il n’est pas certain qu’une seule fouis ils aient réussi à procurer une guérison solide.
- Esquirol m’a parlé d’un aliéné paralytique, à la suite de la suppression d’un flux hémorrhoïdal ; l’application d’une sangsue à l’anus, tous les jours pendant un mois, ramena le flux hémorrhoïdal, qui fut suivi immédiatement de la guérison de la maladie.
Mais trop souvent les soins hygiéniques, une surveillance de tous les momens sont les seuls secours qu’on puisse donner à ces malades pour prolonger leur carrière et prévenir les accidens auxquels les expose leur faiblesse, etc.
Tel est d’une manière sommaire l’ensemble des moyens médicaux employés dans l’aliénation mentale. Pour en tirer le plus de parti possible, le médecin devra toujours tacher d’agir sur le moral de ses malades pour leur inspirer de la confiance, calmer leurs inquiétudes, réprimer leur violence.
La manière d’agir du médecin avec les insensés, la conduite de toutes les personnes qui les approchent et les soignent, sont donc de puissans moyens du traitement moral.
L’isolement des malades dans un établissement spécial est encore une des parties les plus importantes de ce traitement. Mais pour que les avantages de cet isolement ne soient pas illusoires, tout établissement spécial d’aliénés doit être un asile impénétrable aux regards des curieux. La permission de visiter ces sortes d’établissemens ne doit être accordée qu’avec la dernière réserve.
La tranquillité des malades, le secret des familles, toujours exposé lorsqu’on accorde trop aisément la liberté de visiter les maisons d’aliénés, sont d’assez puissans motifs pour faire observer la plus rigoureuse sévérité.
Les visites des parens doivent être rares, souvent nulles, tant que la maladie est dans sa période d’activité, et même dans les premiers temps de la convalescence. Combien n’a-t-on pas vu de rechutes causées par la négligence de cette importante précaution ! Enfin, elles deviennent d’une rigoureuse nécessité, lorsque le malade recouvrant la raison, sentant renaitre toutes ses affections, témoigne le désir de revoir sa famille. Ce sera toujours au médecin à fixer l’époque convenable pour ces visites.
La première chose que doit faire le médecin qui approche un aliéné est de fixer sur lui un regard assuré, de lui adresser quelques questions sur son état. Le plus souvent ces questions ne reçoivent pas de réponse favorable ; l’insensé ne convient pas qu’il est malade, mais il rappelle presque toujours des circonstances importantes à connaître et dont le médecin peut tirer grand parti. [p. 582]
L’influence de manières douces, bienveillantes, celle d’un regard ferme, sévère, compatissant, suivant les dispositions particulières du malade, ne peut être révoquée en doute. Pinel, M. Esquirol en ont senti toute la puissance. Rush en fait l’objet de son premier conseil dans le traitement des maladies mentales. Le tigre, le taureau furieux, le chien enragé, dit-il, ne peuvent supporter le regard de l’homme ; ce même regard de l’homme raisonnable intimide, arrête l’insensé.
Comment se fait-il qu’Haslam, qui a long-temps vécu -dans un vaste établissement de fous, tourne en ridicule les conseils que le vénérable Pinel donne à cet égard ? Les réflexions d’Haslam prouvent qu’il n’a compris ni les vues, ni le caractère de notre Pinel ; ou bien qu’il s’est laissé influencer par cette triste prévention nationale que les médecins de tous les pays devraient ne pas connaître.
La conduite du médecin doit toujours être grave, la plus scrupuleuse justice doit caractériser ses ordres. Jamais il ne doit plaisanter les malades sur les idées fausses qui les tourmentent, c’est un moyen sûr de les exaspérer. Jamais non plus il ne caressera leurs chimères ; mais écoutant avec patience les plus minutieux détails de leurs peines, il tâchera de convaincre ces malheureux qu’ils sont malades et que tous ses efforts ont pour but de les guérir.
Il conservera avec chaque malade les manières auxquelles il pouvait être habitué dans la société , et se gardera bien de prendre un ton familier qui peut blesser l’amour-propre de l’aliéné le plus indifférent en apparence.
Il cherchera à récompenser les malades de leur soumission à suivre ses conseils. Les faveurs qu’il pourra accorder dans ces ca seront utiles pour encourager à persévérer ceux qui les recevront, elles pourront engager les moins dociles à faire ce qui est demandé pour les obtenir.
Le travail manuel, le jardinage, tout exercice physique, régulièrement soutenu, est sans doute un des meilleurs moyens de soulager les insensés, autant peut-être par la distraction qu’ils en éprouvent que par les mouvemens organiques qui en résultent. Un établissement d’aliénés ne peut donc être pourvu de trop de moyens de travail physique. Il est juste de convenir que la plupart des établissemens sont imparfaits sous ce rapport, et qu’on ne s’occupe pas assez, en général d’astreindre les insensés à un travail régulier ; c’est là sans aucun doute une des parties du traitement qui attend le plus d’améliorations. [p. 583]
Jamais de mauvais traitemens ne devront être excusés à l’égard des malades ; les domestiques placés près d’eux seront sévèrement surveillés sous ce rapport ; c’est de leur part aussi qu’il faut exiger envers les insensés de la douceur, du respect. La meilleure leçon qu’ils puissent recevoir c’est l’exemple du médecin.
Les malades les plus violens, les plus furieux, tous ceux qui ne pourraient sans inconvénient pour eux ou pour les autres être laissés libres, seront contenus par le gilet de force. Ce moyen, la réclusion passagère dans leur chambre où l’on doit pouvoir à volonté produire une obscurité profonde, la privation de quelque faveur, sont les seules punitions qu’on doive se permettre d’infliger.
Devrait-on jamais, comme l’a fait avec succès le docteur Higgins, et comme Rush en répète le conseil, faire à un malade, dont tous les moyens ordinaires ne peuvent calmer l’agitation et la fureur, la menace de la mort, et lui en montrer les préparatifs ?
Un principe du traitement moral qu’on doit toujours avoir en vue, c’est de chercher à faite diversion aux idées dominantes des malades, ou à fixer les écarts désordonnés de leur esprit, en arrêtant leur attention sur un objet déterminé. C’est pour remplir cette indication que Celse conseille de les forcer à apprendre par cœur, cogendus est et attendere et ediscere aliquid, et meminisse. Il faut pour remplir convenablement cette indication connaître les goûts particuliers des malades ; on en a vu plusieurs guérir par une application soutenue à l’étude des mathématiques.
Plusieurs se sont bien trouvés de faire des lectures à haute voix, de copier des manuscrits. Rush cite l’exemple d’un aliéné que l’occupation de transcrire le cahier de leçons d’un élève rendit à la raison.
Tous ces moyens n’ont réussi le plus souvent que lorsque les malades déjà moins égarés sentaient le besoin de s’occuper pour faire diversion à leur délire ; au reste il est impossible de prévoir tous les moyens particuliers de distraction auxquels on peut recourir.
C’est à la sagacité du médecin à les déduire de la connaissance particulière du caractère et du genre de délire de chacun de ses malades.
Un simple changement de place, une visite inattendue, la société de personnes gaies, vives, spirituelles, ont souvent produit d’excellens effets ; des nouvelles tristes, l’annonce de la mort [p. 584] d’un proche, d’un ami, ont aussi produit une révolution salutaire dans l’esprit de quelques insensés.
C’est sans doute dans la même vue que tant d’auteurs ont recommandé la musique. M. Esquirol, qui a beaucoup employé ce moyen, l’a rarement vu produire un effet marqué. On m’a cité l’exemple d’une malade de la Salpêtrière, plongée depuis long-temps dans la plus sinistre mélancolie, que la musique excita au point de la faire danser et valser jusqu’à tomber de fatigue. Elle fut mise au lit, dormit profondément, fut prise d’une sueur abondante à la suite de laquelle elle devint raisonnable. C’est encore là un de ces événemens rares et heureux comme on en a vue quelquefois par une chute dans l’eau, une chute de cheval, un bain froid, etc., qu’on n’a pu jusqu’à présent reproduire que très-rarement par des combinaisons volontaires. Les véritables effets de la musique dans l’aliénation mentale ne sont nullement éclairés par ce fait particulier.
Toutes les fois que la convalescence est avancée, on se trouvera bien de procurer aux malades une suite de distractions sans cesse renaissantes ; en même temps qu’un exercice soutenu ; c’est dans ce but que M. Esquirol a conseillé si souvent avec avantage les voyages lointains.
J’ai dit en parlant de l’influence des saisons, l’heureux effet que l’illustre médecin, dont je parle, avait obtenu en conseillant des voyages en Italie à une malade des Pays-Bas, dont les accès revenaient périodiquement à l’automne.
Les voyages, toutes Les fois qu’on les peut prescrire, sont un des meilleurs moyens de confirmer la convalescence.
Que penser des conseils donnés par Cox, lorsque les moyens ordinaires de traitement n’auront procuré aucun changement favorable, de tenter l’effet d’impressions fortes sur les organes des sens , au moyen d’agens inattendus, inusités, soudains et en apparence surnaturels ; d’éveiller le malade en sursaut par le bruit artificiel du tonnerre, d’interrompre peu à peu son sommeil au moyen d’une musique douce et harmonieuse, de combattre ses idées erronées par quelque sentence tracée avec le phosphore sur les murailles de sa chambre, de lui faire raconter une histoire, entendre des paroles ou des raisonnemens propres à le rassurer, par quelqu’un déguisé en ange, en prophète ou en démon ? L’acteur d’un tel rôle, ajoute Cox, devra posséder beaucoup d’adresse et de talent pour son rôle.
Je ne serais pas surpris que sur un grand nombre de malades soumis à quelque inflnence de ce genre on en vît guérir un, comme on en a vu guérir en se coupant les testicules, en recevant un [p. 585] coup sur la tête, mais je crois que chez le plus grand nombre l’effet serait plus fâcheux qu’utile.
Les moyens de traitement les plus puissans qu’on possède ne sont pas déduits de tous ces effets du hasard.
A mesure que l’anatomie pathologique fera plus de progrès on s’occupera plus sérieusement de faire résoudre l’affection cérébrale et de préventr la formation d’adhérences et d’altérations indestructibles à la surface de l’organe le plus délicat de l’économie, que de rivaliser de prestiges avec l’Opéra , pour faire rentrer dans l’ordre normal des dérangemens organiques.
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(A. Foville.)
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