Joseph Frank. — De la Catalepsie. Suivi d’un supplément contenant l’étonnante histoire d’une catalepsie composée. Extrait du « Traité de pathologie interne » (Bruxelles), 1842, Tome 2. Chapitre XIV, pp. 43 – 55.
Joseph Frank (1771-1842). Médecin allemande, qui laissa dans sa langue d’origine un important travail : Praxeos medicæ universæ præcepta, Leipsick, 1821-43, 13 vol.. Ses traductions en français se résumant en 1 ou 2 volumes. Également sur notre site :
— DU RONCHIUS, de l’agitation, des crampes, de la chaleur et des frayeurs nocturnes. — Des songes effrayants. De l’incube (cauchemar). Extrait du « Traité de pathologie interne », (Bruxelles), tome II, 1842, pp. 23-28. [en ligne sur notre site]
— L’INCUBE (cauchemar). Extrait du « Traité de pathologie interne », (Bruxelles), tome II, 1842, pp. 26-28. [en ligne sur notre site]
— DE L’EXTASE. Extrait du « Traité de pathologie interne » (Bruxelles), 1842, tome 2. Chapitre VIII, pp. 43. [en ligne sur notre site]
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les images, ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
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CHAPITRE XIV. — DE LA CATALEPSIE.
§. I.
DÉFINITION. BIBLIOGRAPHIE.
- Définition. — Un repos subit des sens et des mouvements volontaires, le malade restant dans [p. 44, colonne 1] la même position , dans laquelle il était placé au début de la maladie, et se prêtant à recevoir et à conserver toutes les inflexions ; le pouls et la respiration restant à l’état normal : voilà ce qui constitue la catalepsie vraie (1).
- Bibliographie. — Plusieurs médecins se sont efforcés de décrire cette maladie très-rare (2) ; mais, comme l’ont très-bien démontré Hercule Saxiona, Vogel, Ludwig, et Tissot, qui l’ont réellement décrite, il est douteux si Hippocrate a parlé de la vraie catalepsie. Le cas de Galien présente cette affection à un faible degré. Au contraire, c’est de la véritable catalepsie que parlent Cælius Aurélianus, N. Le pois, Dodoncus, Fernel, Forestus, Buchanan, Tulpius , Bonet, Wepfer, Albinus, Camerarius, Henr. ah Heer, Marcellus Donatus, Rondelet, Reynell, F’r. Hoffmann, Vedel, Bendelius, Dionis, Rœder, Sauvages, Hirschel, Delius, Cosnier, Baumer, Lamberger, Latour, Schilling, Frank de Frankeneau, Targioni, Vandermonde, Weber, Grundamm, Schraff, Borsieri, Fabri, Drressig, La Lan, Gerson, Osius, Illgner, Behrends, Henry, Petetin, Baude, Laurent, Sarlandière, Stearns, Meckel, Renard, et Mallersdorf.
§. II.
SYMPTÔMES. NÉCROSCOPIE.
- Symptômes. — Si la catalepsie, ce qui est très-rare, est annoncée par des prodromes, voici quels ils sont : l’anxiété, le tintement des oreilles, des songes inquiétants, des vertiges, la douleur de tête, les bâillements, la rougeur de la face, la rigidité du cou, la stupidité, un aura, s’élevant de la région précordiale vers la tête, des douleurs d’abdomen et des lipothymies. Lorsque le paroxysme commence, le malade garde absolument la même position qu’il [p. 44, colonne 2] avait au moment de l’invasion. Ainsi, un des malades de Fernel, occupé à lire et à écrire au moment de l’attaque, semblait encore lire, et avait gardé sa plume à la main ; un autre, qui s’était déjà couché, resta tellement immobile, qu’il paraissait mort. On le sortit du lit, puis on le mit sur ses pieds, et il se tint comme une statue. Ces malades peuvent-ils marcher si on les pousse?? Nous en doutons avec Tissot ; ils semblent bien plutôt glisser en avant. Le capucin dont parle Heer était fixe comme une statue de marbre, un genou en terre et l’autre courbé, comme s’il allait le fléchir. Le bras gauche pendait le long de son genou ; le droit était élevé en l’air, les doigts écartés. Parmi les histoires de cataleptiques qui ont gardé la position qu’ils avaient au moment de l’attaque, on cite : celle d’un comédien qui ôtait de sa tête, pour la placer ailleurs, une couronne qu’on lui avait décernée ; un second jouait aux cartes ; un troisième montait sur une échelle ; un quatrième suspendait un sac à la muraille ; un cinquième mangeait ; un sixième faisait rôtir des châtaignes ; et un septième saluait son médecin qui s’en allait. La dernière phrase que le malade a prononcée avant l’accès, est la première qu’il prononce lorsque celui-ci est passé. Que si le paroxysme commence lorsqu’un mot est commencé, le malade l’achève lorsque le paroxysme est fini. Les membres acquièrent une étonnante souplesse, comme s’ils étaient en cire, et gardent, jusqu’à la fin du paroxysme, quelque situation qu’on leur donne, pourvu qu’elle ne détruise pas le centre de gravité (3), Quelquefois le pouls est lent (4) ; plus souvent il est petit et d’une fréquence normale. La respiration est à peine sensible, quelquefois elle ne diffère en rien de l’état sain ; parfois il y a une constipation opiniâtre. Les muscles de l’abdomen, et quelquefois la mâchoire inférieure, sont dans un état convulsif. La température du corps est froide, la face est rouge, au moins dans le commencement du paroxysme. Les yeux sont presque toujours ouverts, et la pupille ne se contracte point du tout à la lumière. On a cependant vu des cataleptiques avec les yeux fermés, et, dans ce cas, lorsqu’on élevait les paupières, elles retombaient d’elles-mêmes. Dans tous les cas, les yeux sont immobiles, fixes, et privés de la faculté de voir. Nous avons observé une pupille contractile. On a beau crier dans les oreilles des malades, faire du bruit, les brûler (5), on ne les réveille pas. Lorsque [p. 45, colonne 1] qu’on leur met quelque chose dans la bouche, ils finissent, quoique lentement, par l’avaler ; quelquefois ils le rejettent. Quelquefois l’odorat est très-développé. On a beau irriter la peau, la piquer avec une aiguille, il n’en résulte aucun indice de perception. Au contraire, de douces impressions, surtout si elles ont lieu à la région épigastrique, à la pulpe des doigts et des orteils, ou au sommet de la tête sont, dit-on, perçues par les malades. Quant à la durée des paroxysmes, on en a observé depuis quelques minutes jusqu’à dix-huit heures. Le plus ordinairement ils durent de trois à quinze minutes. L’accès se termine, en général, par un soupir, un bâillement, l’extension du bras, une loquacité qui finit par le délire. Il ne reste au malade aucun souvenir de tout ce qui s’est fait pendant le paroxysme, soit sur lui, soit autour de lui, et quelquefois il parait bien portant. Les paroxysmes reviennent tantôt à des jours ou à des heures déterminés, tantôt à l’occasion de la cause la plus légère ; par exemple, d’une odeur désagréable, d’un geste particulier (6), d’un lavement irritant. On a vu dix paroxysmes se montrer dans un jour. Dans l’intervalle du paroxysme, les évacuations sont à peine différentes de l’état normal ; tantôt le désir des aliments est languissant ; tantôt il est normal, tantôt il dégénère en voracité.
- Nécroscopie. — Les cadavres des cataleptiques ont présenté un sang noir distendant les vaisseaux du cerveau et du cervelet, ainsi que du sang extravasé, des concrétions polypeuses dans le sinus longitudinal, avec lésion du poumon et du foie, des ulcères du cerveau ; ce viscère, plus dur à la partie postérieure ; les nerfs grêles et secs à leur origine.
§. III.
CAUSES. DIAGNOSTIC.
- Causes. — La catalepsie est plus commune chez les femmes, elle attaque surtout celles d’un âge moyen ; quelquefois aussi elle se montre chez les enfants ; elle n’est particulière à aucun temps de l’année, à aucune nation (7) ; elle est ordinairement [p. 45, colonne 2] produite par une longue méditation sur un seul et même sujet, principalement sur un sujet religieux (8), par l’application de l’esprit, par de longues souffrances nuit et jour, par l’attente du résultat d’une chose douteuse, par un long chagrin, comme celui qui résulte d’une maladie grave d’un époux, de la crainte de la prison, de l’espérance déçue d’un prochain mariage, d’un voyage qu’un frère chéri allait entreprendre, d’une triste nouvelle arrivant tout à coup (9), de la terreur provoquée par un incendie, de la colère, d’une antipathie (10), de l’amour, de l’imagination (11), de l’abus des liqueurs fermentées, des vers, du défaut ou du cours irrégulier des menstrues, de lésions des ovaires, de l’onanisme, et enfin d’une blessure à la tête. Quant aux hypothèses sur la cause prochaine de la catalepsie, on peut les trouver dans Plater, Rivière, Forestus, Thonerus, de la Tour, Home, et Petetin.
- Diagnostic. — La catalepsie a été quelquefois simulée (12) ou volontaire (13). Elle se distingue [p. 46, colonne 1] facilement de l’apoplexie (14), de la congélation (15), de la sidération (16), de la lipothymie, de l’asphyxie el de l’anesthésie. Il n’en est pas ainsi de la somniation, de l’extase.
-
Somniation.
- Elle ressemble au sommeil.
- Il peut y avoir des mouvements.
- Le malade parle.
- Les membres ne gardent pas la situation qu’on leur a donnée.
Catalepsie.
- Dans la catalepsie, le plus souvent les yeux sont ouverts.
- Le corps est semblable à une statue.
- Le malade ne peut pas parler.
- Les membres gardent la situation qu’on leur donne.
- Extase.
- Le malade est très-animé.
- li parle ou chante à haute voix.
- Les gestes montrent l’objet de la contemplation.
Extase
- Le malade est semblable à une statue.
- Sa bouche est muette.
- Il n’a aucun mouvement volontaire.
Outre la catalepsie vraie, que nous avons définie, [p. 46, colonne 2] et qu’on nomme aussi catalepsie parfaite, il existe encore plusieurs degrés moindres de la même maladie, ou catalepsie imparfaite, que nous avons désignée sous le nom d’affections cataleptiques, prenant pour guide en cela, Rolfink, et surtout Hercule Saxonia. On a vu quelques affections de ce genre dans l’hystérie, dans les fièvres soit continues, soit intermittentes, et par suite de lésions des ovaires. Cependant, il ne faudrait pas mettre de suite sur le compte de la catalepsie tous les mouvements automatiques qui se montrent dans ces maladies : l’influence du sommeil, comme dans l’hydrocéphale, ou à l’occasion des vers. Si les symptômes cataleptiques se montraient seulement dans un seul côté, ou dans une seule partie, mais avec les autres caractères de la maladie, il ne faudrait pas les exclure de la catalepsie vraie. Enfin, il ne faut pas ignorer que la catalepsie peut marcher de compagnie avec le cataphora, avec la somniation, l’extase (17), et, ce qui paraitra surprenant, avec la danse de St-Guy mëme (18). Dans ces cas, on dit qu’elle est composée.
IV.
PRONOSTIC. TRAITEMENT.
- Pronostic. — On trouve assez rarement des exemples funestes de catalepsie ; il est donc étonnant que cette maladie ait été déclarée très-dangereuse. Quelquefois, elle disparaît à la suite d’une hémorrhagie du nez ou de la menstruation ; mais lorsqu’on la fait disparaître, elle reparait facilement, et le plus souvent, elle se répète pendant toute la durée de la vie. La catalepsie est plus grave dans les maladies aiguës que tians les maladies chroniques. Cependant, dans ce dernier cas, on l’a vue se changer en manie (19), en mélancolie, en épilepsie et en atrophie. [p. 47, colonne 1]
- Traitement. — D’après les diverses hypothèses que les auteurs se sont faites sur la cause prochaine de la catalepsie, ils ont recommandé tel ou tel mode de traitement. Pour nous, guidés par les indications générales, et procédant avec douceur, comme Tissot le conseille, nous proposons, suivant les circonstances, les sangsues, les bains froids, les émétiques, les lavements et les suppositoires, les anthelmintiques, l’opium, le sous-sulfate de cuivre et l’ammoniaque, l’électricité, le magnétisme animal, la musique, si l’on peut, le coït, les frictions, le chatouillement de la plante des pieds, le lait et le sucre. Nous surveillons avec grand soin la région épigastrique, et nous écartons bien loin la colère, la terreur et les soucis.
SUPPLÉMENT AU CHAPITRE XIV.
CONTENANT L’ÉTONNANTE HISTOIRE D’UNE
CATALEPSIE COMPOSÉE.
Louise Baerkmann, agée de vingt-deux ans, fille d’un menuisier de Kiesling, de la religion protestante, avait épousé un horloger catholique. Elle avait des yeux noirs vifs et des cheveux roux ; son éducation était convenable pour une personne de son rang. Elle se servait ordinairement de l’idiôme polonais et possédait l’allemand, mais nullement l’italien, bien qu’elle eût demeuré plusieurs années chez sa sœur qui était mariée à un Italien. Elle n’était pas musicienne, mais elle avait autrefois fréquenté le théâtre. Elle était à la fin de la première année d’un très-heureux mariage, et sa grossesse s’était très¬bien passée, lorsqu’elle accoucha, le second jour de décembre 1815, d’un enfant qui mourut bientôt. La mère éprouva une hémorrhagie assez considérable. Comme elle était dans un heureux état de convalescence, après s’être servie d’eau froide pour nettoyer ses parties génitales, le 23 décembre, elle tomba dans une fièvre brûlante, accompagnée d’une de ces tuméfactions que l’on nomme phlegmasia alba dolens, qui se montra à la cuisse droite, On employa les saignées, les sangsues, les légers évacuants, les vésicatoires, les diapnoïques, les diurétiques, le [p. 47, colonne 2] calomel, les scarifications sur la partie affectée, et plusieurs autres moyens locaux, les uns après les autres, et tous sans aucun résultat. L’autre cuisse même se tuméfia également. Ces tumeurs devinrent d’une telle dimension, que les cuisses et même les pieds triplèrent de volume. Ces parties étaient tellement sensibles au toucher et au mouvement, que la malade était obligée de rester couchée immobile sur le dos, et était, nuit et jour, tourmentée de douleurs si atroces, qu’elle pouvait à peine, dans l’espace de vingt-quatre heures, avoir une demi-heure de sommeil. Elle resta ainsi non pendant une ou deux semaines, mais pendant plusieurs mois, clouée sur son lit, en proie à une fièvre violente, accompagnée de sueurs copieuses. Épuisée par tant de chagrins, et réduite au désespoir , elle perdit toute confiance dans les médecins, les congédia le 4 de mars, et suivit les conseils des charlatans et des bonnes femmes. L’un deux lui prescrivit des poudres de crème de tartre, du nitre, de la magnésie et du castoreum, qui produisirent de fréquentes et copieuses évacuations alvines, suivies d’une grande prostration des forces. Il arriva par hasard, à cette époque, que la malade fut très-effrayée par la chute d’un petit enfant. Peu de temps après, le 19 de mars, elle tomba dans un délire durant lequel elle affirmait qu’elle se portait bien : elle voulait quiller la maison, demandait à s’habiller, et ainsi de suite. Cette scène s’était terminée au bout d’une heure par quelques symptômes de catalepsie, du moins à en juger par le récit du mari. Cette malheureuse, devenue semblable à un squelette, si l’on en excepte les parties tuméfiées, éprouvait de nouveau les anciens tourments. Méprisant désormais tout secours humain, et n’attendant plus de consolation que de la toute-puissance de Dieu, nuit et jour elle lui adressait les prières les plus ferventes, et quittant la foi évangélique, elle embrassa la religion catholique. Cependant, au bout d’une semaine, le même délire reparut accompagné, à ce que dirent les assistants, de chant et de symptômes cataleptiques, comme auparavant. Ces symptômes disparurent encore pour un temps, et furent suivis d’un abattement de forces qui augmentait de plus en plus, et des indices avant-coureurs de la mort. Maintenant, deux paroxysmes avaient lieu par semaine, constamment entre quatre et cinq heures du soir, dans lesquels (toujours d’après le récit des assistants) elle était d’abord cataleptique, ensuite tombait dans l’extase, et à la fin se mettait tout à coup à chanter, elle déplorait son malheureux sort et implorait le secours du ciel : elle se servait de l’idiome polonais, y mêlant en entier quelques phrases italiennes. Toutes ces choses étaient regardées par le mari et les parents de la malade comme le délire qui annonçait une mort prochaine. Aussi appelait-on les prêtres et nullement les médecins. Il arriva par [p. 48, colonne 1] hasard que le frère du mari, Jean Baerkmann, docteur en médecine, qui avait voyagé pendant plusieurs années en France et en Allemagne, arriva à Wilna. Il visita la malade, mais comme il la trouva dans un état qu’on croyait désespéré, et comme d’ailleurs, il avait beaucoup d’affaires, il ne lui donna pas un soin particulier. Cependant, il arriva que le 13 mai, il fut, par hasard, témoin d’un paroxysme. Reconnaissant aussitôt qu’il n’y avait pas de délire, mais un phénomène extraordinaire, sans perte de temps il m’apprit ce qui s’était passé. Le jour suivant, je me rendis chez la malade à cinq heures après midi. Je fus effrayé de l’aspect horrible de la malade, que je n’avais point rue depuis quatre mois, et qui présentait l’image de la mort. J’aurais même cru qu’elle était morte si ses joues un peu rouges, ses yeux ouverts et fixes, sa respiration sonore et lente, et son pouls donnant plus de cent pulsations à la minute, ne m’avaient assuré qu’elle vivait encore. En vain j’appelai la malheureuse par son nom et je la tirai par les bras, Tout me disait qu’elle était sans connaissance. Cet état ne dura pas longtemps ;
PAROLES DE LA MALADE EN POLONAIS. |
TRADUCTION |
Ach Ty Boze wielki litosciwy! | Dieu grand et plein de miséricorde ! |
Ach ratuyze nieszezesliwa. | Hélas !secours-moi, je suis malheureuse ! |
Pocieszycielu utrapionych, | O loi le consolateur des affligés ! |
Uzhroy mie cierpliwoscia. | Rends-moi forte de la vertu de patience, |
Ty tylko jesles nadzieja moja, | Car toi seul es mon espérance, |
W Tobie ma ufnose pokladam, | En toi je mets ma confiance, |
O wy mol ukocbani ! | O vous, mes amies, |
Patrzcie na me udreczenia. | Voyez mon affliction! |
Widzicie ; jak czlek jeat nikczemny, | Comprenez combien l’homme est peu de chose, |
Jac malo rozny od prochu. | Combien il diffère peu de la poussière. |
Boze wielki, Boze dohry ; | O Dieu grand et plein de bonté, |
Ty moja nadzieja, | Mon unique espérance, |
Skroc me cierpienia, | Mets fin à mes douleurs, |
Lub powroc mi zdrowie. | Ou rends-moi la santé. |
Niech ci zyc przestaja, klorzy zyli diugo na sw cic, | Que ceux qui ont longtemps joui de la vie cessent de vivre |
Lecz ja nedzna poczynam usycbac w bwiecie. | Mais moi, hétas ! je me dessèchbe dans ma fleur ! |
Nie kars panie szermrania mego, | Ne punis cependant pas mes plaintes, |
Wszakzem sie jux dawno Twcy swietey woli oddala. | Car depuis longtemps je m’abandonne à ta sainte volonté. |
Racz tylko pocieszyc kochanego meza, | Ah ! console mon époux chéri |
Ktory ze mna rownic cicrpi, | Qui partafe mes douleurs. |
wy siostry i bracia zblizcie sie do cicrpiaccy, | Et vous, mes sœurs et mes frères, assistez-moi dans mes combats. |
Ona was opuszeza i zegna na wleki. | Voici que je vous quille, cl vous dis un éternel adieu ; |
Lecz nie rozpaczaycie, predzey lud pozniey | Mais je ne veux pas que vous vous désespériez, tôt ou tard |
Zlacza naa Nieba stalecznie. | Dieu nous réunira pour ne plus nous séparer. |
Precz okrorny szalanie, wszak nie masz domnie prawa. | Éloigne-toi, démon, tu n’as aucun droit sur moi ; |
Klo sie Bogu oddal, nie ulega twey wlaclzy, | Qui se confie en Dieu, ne t’est pas soumis ; |
Oddat aie z mysli moich, poczwaro piekielna, | Ote-loi de mon esprit, monstre infernal, |
Bo dusza moja ma innego Pana. | Car mon âme se réjouit dans un autre maitre. |
De temps en temps, elle cessait de déclamer pour chanter sur ce que les Italiens nomment un mode récitatif, sans négliger ce qu’ils appellent forte et piano. [p. 49, colonne 1]
Elle accompagnait son chant d’un mouvement des bras, surtout du bras gauche. Ce mouvement était modéré, significatif, et joint à une certaine dignité. Je pris ses bras, et ils gardèrent sans difficulté le mouvement que je leur imprimai, quel qu’il fût, et la situation que je leur donnai même quoique incommode. Après avoir assisté pendant une demi-heure à ce phénomène étonnant, je tentai de l’éveiller par des cris que je rendis de plus en plus forts, mais ce fut en vain. Les yeux étaient, il est vrai, ouverts, mais fixes, et la pupille immobile ; Ie doigt, approché des paupières, ne produisait pas de clignotement, il n’y avait aucun indice de vision. On pouvait piquer la peau arec une aiguille, sans que la malade manifestât de douleur. En ce moment, les observations de Petetin me vinrent à l’esprit : j’approchai ma bouche très-près de l’épigastre, et je me mis à parler à la malade d’une voix si basse qu’aucun des assistants ne pouvait m’entendre. Aussitôt, comme revenant à elle-même, la malade répondit à mes questions à peu près dans cet ordre. Interrogation. Dormez-vous ? Réponse. J’ai dormi, mais maintenant je ne dors plus. Interrogation. Éprouvez-vous quelque douleur ? Réponse. Comme toujours, aux cuisses et aux lombes. Ayant accordé un peu de repos à la malade, elle redevint cataleptique, et après quelques minutes, comme auparavant, elle se mit à chanter. J’essayai alors de l’éveiller de la manière ordinaire, mais je ne pus nullement y réussir. Au contraire, en recommençant à lui parler à l’épigastre, elle répondait de suite. La chose arriva encore deux fois ainsi, les intervalles entre les moments lucides étant remplis par la catalepsie et par des chants. Je prononçai que cette maladie était une extase jointe à la catalepsie. Comme je me proposais de faire encore diverses expériences, je voulus avoir pour associé et témoin, un homme assez incrédule, et admettant difficilement les choses surprenantes ; c’était André Sniadecki, professeur de chimie, et en même temps médecin habile. Le lendemain, en sa présence, vers cinq heures de l’après-midi, toute la scène de la veille eut encore lieu.
18 mai. Elle chanta hier jusqu’à dix heures du soir ; la nuit fut plus tranquille que les précédentes. Vers les quatre heures de l’après-midi, elle se montra d’abord gaie, puis elle eut de l’exaltation et du délire, se disant bien portante et voulant prendre ses habits ; enfin elle eut un nouveau paroxysme en présence du docteur Sniadecki, du professeur de chirurgie Niszkowski, et un peu plus tard de moi-même. Elle chantait d’une voix moins sonore et se servait davantage de la déclamation (recitativo). Les pensées de son chant furent les mêmes. Selon sa coutume, elle faisait beaucoup de gestes du bras gauche. En lui parlant au-dessus de la région épigastrique, elle se réveillait et répondait, bien que l’interrogation [p. 49, colonne 2] eût été faite â très-basse voix. Mais ayant été interrogée par le docteur Sniadecki d’une voix aussi très-basse, près de son oreille, bien qu’éveillée, elle répondit. Son attention n’était point excitée , et elle ne répondait pas lorsqu’on parlait sur l’oreiller sur lequel reposait sa tête. Au contraire, elle était éveillée et parlait, lorsqu’on approchait de son oreille droite une extrémité d’une verge de fer d’une aune et demie de longueur, tandis qu’à l’autre extrémité de la verge le docteur Sniadecki parlait d’une voix très-basse. Le docteur Niszkowski recommença la même expérience avec le même succès, en appliquant la verge sur l’os du front. Toutes les fois qu’on lui laissait quelque repos, elle retombait en extase et quelquefois en catalepsie. De l’une comme de l’autre, on put la faire sortir par le même moyen. Entre l’une et l’autre attaque, elle éprouvait, sans en avoir la conscience, des mouvements convulsifs de la face et branlait la tête. Une fois je mis une de mes mains sur la région épigastrique et l’autre sur l’occiput, elle se réveilla aussitôt ; je l’interrogeai alors : Dès que je parle, comment le sentez-vous ? Elle répondit : Lorsque vous me parlez autour de la tête, je l’entends ; mais lorsque vous m’appelez près de l’épigastre, je perçois un sentiment de chaleur, qui gêne ma respiration, ce qui fait que je m’éveille, D. Mais comment se fait-il que vous entendez ? R. Je n’essais rien, mais j’aurais pensé qu’il en était comme auparavant. Comme les paroxysmes arrivaient â une heure fixe dans l’après-midi, et que la malade mangeait assez bien, dans le but de voir s’ils étaient liés au travail de la digestion, par le conseil de Sniadecki son repas fut prescrit pour une heure plus tôt. Les selles et l’urine étaient toujours dans un état normal.
17 mai. Hier, à peine la malade avait-elle été laissée seule, qu’elle était retombée dans un paroxysme de délire, qui dura jusqu’à dix heures de la nuit. Pendant sa durée, elle disait qu’elle était guérie, elle demandait ses vêlements ; cependant elle reconnaissait et nommait les assistants. La nuit fut bonne. Le matin, à huit heures, elle eut une extase dans laquelle elle était joyeuse ; ses chants roulaient sur de beaux anges, avec lesquels elle jouait et pour lesquels elle croyait cueillir des fleurs. A onze heures elle dina. Vers les quatre heures après-midi, nouvelle extase avec beaucoup de larmes provoquées par une augmentation de douleurs dans les pieds, comme la malade le rapportait plus tard. De cinq à sept heures, en présence des docteurs Sniadecki, Niszkowski, Baerkmann et de moi, pendant qu’elle était dans un état de catalepsie, on lui mit sur l’oreille droite une baguette de verre de deux aunes de long, tandis que Sniadecki parlait à l’autre extrémité. Au bout d’une minute, elle se réveilla, disant qu’elle sentait près de l’oreille de la chaleur, mais rien autre [p. 50, colonne 1] chose. Comme elle retomba bientôt en catalepsie, on appliqua le même tube de verre, en faisant passer par son milieu un fil de fer ; alors elle s’éveilla plus tôt accusant une sensation de chaleur ; mais comme on lui demanda si elle avait entendu, elle avoua qu’on avait parlé si bas qu’elle n’avait pu rien comprendre. On approcha de son oreille une baguette en charbon de la même longueur, elle s’éveilla aussitôt et comprit tout ce qu’on lui avait dit. Désireux de savoir si les yeux étaient sensibles à la moindre lumière, de même que les oreilles l’étaient au plus petit son, nous fîmes fermer les fenêtres, mais ce fut en vain. En effet, elle ne se réveillait pas spontanément, et lorsqu’on l’eut éveillée, elle ne put voir dans l’obscurité. Ma montre, qui battait d’une manière insensible, ayant été approchée de son oreille, elle fut éveillée à l’instant. Il en était de même lorsqu’on touchait ses pieds malades. Durant l’extase, sa figure était sereine et elle chantait qu’elle allait guérir, parce que Dieu ayant exaucé ses prières, avait envoyé vers elle des hommes qu’elle regardait comme des dieux, et qu’elle espérait que par leurs efforts sa maladie se dissiperait, mais non sans avoir à éprouver encore des douleurs. Elle intercalait souvent ces mots à ses discours :
Barkmanowa bedzie zdrowa.
L’épouse de Baerkmann guérira.
18 mai. Bientôt après mon départ, uon délire gai vint mettre fin à la scène ; quelques gouttes de laudanum liquide rendirent sa nuit fort tranquille. Le matin, elle chanta quelque peu comme la veille. Le docteur Niszkowski fit des incisions aux jambes assez profondes. Il en sortit une humeur lymphatique et Ia tumeur s’affaissa un peu, A trois heures après-midi, la catalepsie reparut. Pendant sa durée, le docteur Sniadecki fit les expériences suivantes : Il touchait légèrement la peau avec la barbe d’une plume pour voir si le moindre toucher, comme le plus petit son, produirait un effet évident. Aussitôt la malade tendit le bras vers la plume et la saisit avidement de la main ; mais comme on la lui arracha de force, elle étendait les mains vers elle et dans toutes les directions où on la portait. Ces mouvements ne ressemblaient pas à des mouvements volontaires, car ses bras paraissaient suivre machinalement la plume, comme deux corps électrisés qui se seraient attirés. Nous plaçâmes la plume sur la table, alors ses bras restèrent au repos ; mais l’ayant reprise dans nos mains, de nouveau son bras se dirigea vers elle. Ayant porté cette plume dans une autre chambre, la malade devint si agitée qu’elle sauta presque de son lit en tenant les bras dirigés vers la plume. De la cire à cacheter produisit le même effet sur la malade, je la tenais d’une main, de l’autre je tenais la [p. 50, colonne 2] plume. J’étais loin de la malade, et elle n’aurait pas pu me voir quand même elle aurait joui de la vue : cependant elle portait ses deux bras vers ces objets. De l’ambre lui fut présenté par le docteur Baerkmann, et agit comme la plume et la cire à cacheter. Mais tous ces objets ne produisaient leur effet que lorsqu’ils étaient mis dans les mains d’une personne, et non lorsqu’ils étaient posés sur la table. Le verre, approché de la malade, n’excita aucun mouvement des bras. Voyant ainsi les corps idiolectriques produire tant d’effet sur le corps de la malade, il me vint à l’esprit d’approcher d’elle un chat, comme étant un animal très-électrique. Je pris donc un petit chat d’une main ; et, me tenant à la distance d’un pied de la malade, de l’autre main je frottais légèrement le dos de cet animal. Aussitôt la malade tomba dans d’atroces convulsions, elle saisissait sa tête des deux mains et s’éloignait de cet objet qui lui faisait tant d’horreur. Pour l’éveiller nous fûmes forcés de lui murmurer son nom dans l’oreille : La malade, éveillée, affirma que peu auparavant elle avait éprouvé une grande anxiété. Interrogée si elle supportait les chats, elle répondit que cela lui était impossible. Pendant tout le cours de ces expérimentations, elle fut cataleptique et non extatique, comme aux autres fois, et ne chanta point.
19 mai. Hier soir, comme le mari, placé à trois chambres de là, et ne pouvant être vu de la malade, racontait à sa sœur l’histoire de la plume, et l’avait par hasard prise dans ses mains, la malade, qui était alors en pleine connaissance, tomba dans le délire et se mit à tendre ses mains vers la plume. On -t1p-pela le mari qui déposa la plume, el tout se calma. La nuit fut bonne. Le matin on fit son lit, ce que l’on pouvait faire seulement tous les dix jours, à cause des douleurs atroces que lui faisait éprouver le moindre changement de position. Dans cette occasion, Niszkowski trouva une tumeur fluctuante qui occupait les fesses et les cuisses. Des incisions faites la veille il s’écoulait une grande quantité de sérosité. Les genoux s’étaient un peu désenflés. Elle chanta de nouveau comme il y avait trois jours ; elle prit son repas avec peu d’appétit. A trois heures, elle tomba en catalepsie et en extase. Un chien étant entré par hasard dans la chambre, elle devint très-inquiète jusqu’à ce qu’il fût chassé. L’expérience de la plume fut répétée avec le même succès et à trois chambres de là. Après cette expérience, elle eut un grincement de dents. Sniadecki expérimente avec de la soie, et le résultat fut le même. Après ces expériences elle chantait, mais toujours d’une voix plus profonde et plus faible. Lorsque nous eûmes fait plusieurs expériences sur les sens de la vue, de l’ouïe et du tact, je voulus aussi examiner le goût. Je mis donc une solution de sucre dans de l’eau froide, sur un linge, et je l’appliquai sur cette région [p. 51, colonne 1] épigastrique par laquelle la malade entendait si facilement, et ayant placé ma main très-près de cette région, j’interrogeai ma malade sur la tête d’une voix très-basse. Elle ne fut point éveillée, mais jetée dans un état magnétique durant lequel elle répondait à mes questions. D. Dormez-vous ? R. Non, je rêve. D. Est-ce que vous voyez ? R. Je ne vois ni n’entends. D. Cependant vous entendez ma voix ? R. Je l’entends ; mais je n’entends que la vôtre. D. Combien y-a-t-il de personnes ici ? ( Il y avait les docteurs Nïskowski, Barankiewicz, Hamolicki, Herberski , plusieurs parents et amis de la malade.) R. Je n’en sais rien ; je sais, d’après leur haleine, qu’il y a plusieurs personnes ; mais je ne les vois ni ne les entends. D. Me connaissez-vous ? R. Oui. D. Qui suis¬je ? R. (Après quelques instants.) Joseph Frank, mon bienfaiteur, et mon sauveur, etc. D. Voulez-vous que je vous magnétise ? R. Je n’en vois pas la nécessité, car moi-même je vois ce qui est nécessaire pour me rendre à la santé. D. Quoi donc ? R. Avant tout de l’onguent pour mes genoux. D. Lequel ? R. Je n’en sais rien. D. Est-il blanc ou noir ? B. Plutôt noir. D. Combien de fois dans le jour ? R. Trois fois. D. Des incisions sont-elles encore nécessaires ? R. Le temps nous l’apprendra ; mais je pense qu’elles seront nécessaires. D. Quoi ensuite ? R. Une fois les cuisses délivrées de la sérosité, il faudra faire usage des bains. D. Est-ce que les remèdes intérieurs sont aussi nécessaires ? R. Également. D. Lesquels ? R. L’écorce de quinquina. D. Comment faut-il qu’elle soit préparée ? R. (ici elle répondit qu’il fallait la faire infuser dans l’eau froide, exactement comme nous en avions parlé la veille entre médecins.) D. Vos os sont-ils malades ? R. Non ; mais ils sont affaiblis de mon long décubitus. D. Les voyez-vous ? R. Je ne les vois pas ; mais, hélas ! je ne les sens que trop. D. L’usage du phosphore serait-il indiqué ici ? R. Je pense que le phosphore est une chose brûlante, il ne me soulagerait pas. D. Et la garance ? R. Pourquoi non. D. Et l’eau de chaux avec du lait ? R. Je doute beaucoup que mon estomac puisse supporter le lait, car à l’état sain il le rejette. D. Mais peut-être après le quinquina ? R. Peut-être : dans tout autre moment je craindrais la diarrhée qui m’a beaucoup nui. D. Quels sont les aliments qui vous conviendraient ? R. Les aliments acidulés et la viande de poulet. D. Et le chocolat ? R. Nullement : il m’échauffe trop. D. Et la musique ? R. Elle serait utile pour récréer mon esprit ; mais la société de mes amis m’apporte ce soulagement, car je suis très-mal lorsque je suis seule en proie à mes douleurs et à mes pensées. La musique ferait beaucoup de frais, et nous avons déjà tant dépensé pour les médicaments. (Elle ne disait pas les médecins, tant était grande sa politesse.) D. Est-ce que je vous fatigue par mes interrogations ? R. Bien loin, je me réjouis [p. 51, colonne 2] de ce que je puis beaucoup parlé de ma santé. D. Quand aurez-vous vos règles ? R. Guère avant que je ne me lève et que je ne prenne des bains ; car il est difficile qu’une femme couchée, et qui ne remue que la tête et les bras, ait ses règles. D. Croyez-vous que vous aurez encore des enfants ? R. Je le crois ; mais je n’en puis déterminer le nombre. Alors le docteur Barankiewicz fit une question à la malade. Pas de réponse. Je le priai de me donner sa main. Pendant que je continuais à tenir mon autre main posée sur l’épigastre de la malade, il l’interrogea de nouveau. D. Qui suis-je ? R. le docteur Barankiewicz. (Auparavant elle n’avait pas vu ce médecin entrer dans la chambre.) Je repris alors moi-même mes questions. D. Qu’avez-vous sur la région précordiale ? R. De l’eau sucrée. D. Comment le savez-vous ? R. Je perçois la sensation d’une chaleur humide qui monte de cette région vers la langue, puis celle-ci éprouve une légère sensation de douceur. D. Est-ce que cette sensation vous est agréable ? R. Beaucoup ; elle augmente un peu ma fièvre, mais cela ne nuit pas ; cela m’excite même à parler. D. Me permettrez-vous d’approcher quelque autre chose de cette région ? R. Je vous le permets ; mais rien autre chose ne me sera aussi agréable. D. Existe-t-il un moyen par lequel je puisse vous faire voir ? R. Il faut que je pense. — Oui, si l’on me mettait trois sangsues à la tête , je vous verrais et peut-être je vous entendrais tous. Alors j’ordonnai qu’on enlevât le linge trempé dans l’eau sucrée. Aussitôt elle s’éveilla ; elle affirmait qu’elle avait très-bien dormi et qu’elle avait joui d’un agréable songe. D. Qu’aviez-vous sur la région épigastrique ? R. Quelque chose d’humide. D. Quoi ? R. Je n’en sais rien. Le pouls a été aujourd’hui plus fréquent et plus faible.
20 mai. Nuit bonne ; douleur du genou moindre, On peut même toucher cette partie. A quatre heures après midi, catalepsie. Lorsque quelqu’un des assistants remue le bras ou la tête un peu fort, la malade fait le même mouvement. La même chose arrive, quand une personne placée à trois chambres de là fait à dessein quelque mouvement. Mais si la main est introduite dans un vase en verre, on peut remuer le bras sans que la malade fasse le même mouvement. Une de mes mains étant appliquée sur la région épigastrique et l’autre sur la tête, la malade se réveillait. Mais lorsqu’on lui eut mis, comme hier, une solution sucrée sur la région épigastrique, et que je touchai cette région en l’interrogeant, elle tomba dans l’état magnétique. Par cette solution, elle reprit d’elle-même la faculté de parler, en expliquant comme la veille son action, et dit d’elle-même que la solution de sucre produisait sur elle ce que le magnétisme produisait sur d’autres. Or, éveillée, elle disait ne pas connaître le magnétisme. Sniadecki, Niszkowski, Mianowski et Baerkmann, [p. 52, colonne 1] interrogèrent séparément la malade, et n’en obtinrent aucune réponse. Mais du moment qu’ils eurent tous fait la chaîne avec leurs mains, et que j’eus donné ma main droite à Sniadecki, elle répondit à toutes ms interrogations, et nomma tous les assistants dans l’ordre dans lequel ils étaient, soit assis, soit debout, Elle se trompa seulement (et peut-être plus par le nom que par la chose) en ce qu’elle disait que Niszkowski était debout, et que Maniowski était debout, tandis que c’était tout le contraire. Si j’éloignais ma main gauche de son épigastre, elle ne répondait plus à personne ; mais sitôt que je la remettais, elle parlait de nouveau. Est-ce que nos questions vous sont incommodes ? lui demandai-je. R. Au contraire, elles me délassent, car j’ai beaucoup de choses à dire sur mon état. D. Voulez-vous émettre seule vos idées, ou vous ferai-je des interrogations ? R. Il m’est beaucoup plus facile de répondre à des questions. D. Dites-nous comment vous tombez dans l’état dans lequel vous êtes maintenant ? R. La violence de la douleur me prive de la faculté de voir et d’entendre, ce qui me fait perdre la connaissance, sans que ms idées soient confuses. D. Est-ce que vous ne pouvez percevoir le goût et du sens que par la région précordiale. R. Je perçois le goût de l’eau sucrée seulement par la région précordiale ; mais je pourrais aussi percevoir les sons par le sommet de la tête. J’enlevai le linge sucré de la région épigastrique et je le mis sur d’autres endroits ; mais, en effet, elle ne répondait plus à mes interrogations. La même chose arriva eu appliquant sur cet endroit une infusion froide d’écorce de quinquina. Sur ces entrefaites, le docteur Baerkmann, assisté par le docteur Sniadecki, plaça une solution de sel sur l’épigastre. Elle continua de parler ; mais sa figure d’aord sereine, devint sévère peu après. Alors je lui demandai : sur souffrez-vous ? R. Je ressens un grand poids près de l’épigastre ; il y a quelque chose là qui pèse fortement, que je supporte avec peine ; mais que je ne puis indiquer. D. Qui vous l’a mis sur cette région ? R. Baerkmann avec l’aide de Sniadecki ; mais j’en ressens une grande gène. Alors je fis remettre de nouveau sur l’épigastre la solution sucrée. D. par moi : Est-ce que vous vous trouvez mieux ? R. Pas encore tout à fait. D. Voulez-vous de l’eau sucré ? R. Oui. D. Et de l’eau magnétique ? R. Non. D. Voulez-vous boire vous-même ? R. Je ne vois pas le vase, donnez m’en quelques cuillerées à café. J’approchai à peine la cuiller de ses lèvres, elle vint au-devant et l’avala avidement. D. Eh bien, est-ce que vous êtes mieux maintenant ? R. Oui, certainement ; il est assurément ridicule qu’une chose de si peu d’importance puisse produire tant d’effet. D. Ai-je de l’argent sur moi ? R. Les métaux comme l’argent et l’or n’agissent pas sur moi (Sniadecki me suggérait en [p. 52, colonne 2] secret). D. Qu’est-ce qui vous affecte le plus ? —Aucune réponse. D. Pourquoi ne répondez-vous pas ? R. Je ne comprends pas la qestion qui vous a été suggérée. D. Quelles choses vous causent du malaise ? R. Lorsque les personnes remuent les bras ou la tête, et tandis qu’on remue une plume de l’aile d’un oiseau. D. Que vous fait le verre ? R. Je le supporte bien. D. Et la cire à cacheter ? R. (En contractant les traits) : Ah ! je ne peus la supporter, je voudrais la briser en mille morceaux. (En colère) Son nom seul me tourmente. D. Voulez-vous de l’eau sucrée ? R. Oui, j’en voudrais, car je me sens mal. D. Voulez·vous que nous chantions ? R. Volontiers. — Alors j’invitai à chanter un acteur italien nommé Tarquinio, qui assistait par curiosité, sans que la malade le vit, ou qu’elle sût qu’il était à Wilna. Il y avait deux ana qu’il était parti et il n’était de retour que depuis un mois, lorsque la malade était déjà au plus mal. Je chantai avec lui le commencement du duo de l’opéra intitulé Deboa et Sisaro, qui commence par ces mots : « Al mio contento in seno. » — Le visage de la malade exprimait le plaisir. D. Est-ce que notre chant vous plait ? R. Tout à fait. D. Qui a chanté avec moi ? R. Je puis le deviner. D. Qui donc ? R. Tarquinio. D. Devons-nous recommencer notre chant ? R. Je le désire beaucoup. Nous chantâmes alors le commencement du duo de l’opéra de Giulietta e Romeo : « Dunque mio bene. » D. Connaissez-vous cet air ? R. Il est d’un opéra italien ; mais il est trop triste, et il me rend trop mélancolique. D. Voulez-vous un air plus gai ? R. Je vous en supplie. Alors Tarquinio chanta le commencement du duo de l’opéra la Molinara : « Nel cor più non mi sento brillar la gloventu. » Le visage de la malade redevint serein et riant, elle remuait de la tête et suivait la mesure avec ses mains. A peine le chant était-il fini, qu’elle même chanta le même air. Mais, dit-elle, je ne puis pas chanter en italien ; mais ce ne sera pas mal en polonais. Alors elle chanta des paroles polonaises qui annonçaient l’espérance de sa guérison, et qu’elle adapta. à cet air. Cepndant le ciel, auparavant serein, s’était couvert de nuages, et la pluie tombait à verse : je lui demandai : Quel temps fait-il ? R. Une très¬grande pluie. D. L’entendez-vous tomber ? R. Non ; mais je le sais par la pesanteur de l’air. D. Ferait-on bien d’ouvrir les fenêtres ? R. Vers midi, mais pas en d’autre temps. D. Pourquoi cela ? R. Je suis plus forte le matin, car après le repas je tombe dans le paroxysme ; mais maintenant je me sens fatiguée. D. Comment faut-il vous éveiller ? R. En me soufflant de l’air sur la bouche ou sur le nez, en me parlant sur le cou. D. Quelle est la manière qui vous plait davantage ? R. Le souffle. J’ordonnai alors au mari de souffler sur la malade, ce qui la fit sourire aussitôt, et elle reprit connaissance. Interrogée alors [p. 53, colonne 1] si elle avait dormi, elle répondit : J’ai bien dormi. D. Avez-vous rêvé ? R. Je ne crois pas avoir rêvé ? D. Avez-vous entendu de la musique ? B. Pas du tout. D. Connaissez-vous Tarquinie ? R. Je l’ai vu il y a six ans. A la séance de ce jour, il y avait deux docteurs en médecine de plus : Abicht et Meyer.
21 mai. La malade a dormi d’un sommeil tranquille et non interrompu jusqu’à sept heures du matin. A dix heures, catalepsie. Déjà elle commençait ses chants, mais un vieillard étant entré et ayant mit près de son lit une canne avec une grosse pomme en métal, elle se tut aussitôt. Alors le mari éloigna la canne, mais la malade étendit les mains, rougit, et se mit à grincer des dents, et à montrer un visage indigné ; de sorte que le mari dut l’éveiller en soufflant légèrement sur elle. A deux heures après midi, comme l’on brûlait, par hasard, de fortes odeurs de succin, bientôt elle perdit connaissance, s’agita, rougit, et montra de grandes inquiétudes. Éveillée de nouveau par une insufflation, elle affirma qu’elle avait souffert une grande oppression de poitrine, et qu’elle en était presque morte. Bientôt après elle se mit à broder, mais après avoir achevé quatre dentelures (car le dessin de cette broderie était dentelé), elle perdit connaissance, et bien qu’elle eut les yeux hagards, et les paupières immobiles, elle poursuivit son ouvrage, de telle sorte qu’elle acheva encore quatre dentelures semblables aux premières, et qu’elle les fit tout à fait artistement ; cependant elle avait les yeux fixés sur un autre endroit, et ne s’aperçut point des cris assistants. Éveillée d’elle-même, elle s’étonna de ce que son ouvrage était si avancé, et soutint que c’était sa sœur qui l’avait fait ; disant que pendant son sommeil il lui avait été impossible de broder. A quatre heures de l’après-midi, occupée du même travail, elle fut prise d’extase, mais cependant pendant quelques minutes elle continua de coudre ; mais une portion de papier plus épaisse arrivant sous ses yeux, elle ferma bientôt les paupières, et, la figure bouleversée et indignée, elle rejeta loin d’elle sa broderie. Ensuite, étant devenue plus tranquille, elle se mit à chanter à peu près ces paroles : « Il est temps que j’interrompe mon ouvrage, car j’ai besoin de penser beaucoup à ma santé. » Alors entra un individu, qu’à l’état de veille elle disait lui être désagréable : elle se tut aussitôt, rougit et grinça des dents. A six heures, ayant repris l’usage de ses sens, elle se montra d’une gaité inaccoutumée, elle s’entretint agréablement avec les assistants, riant presque continuellement, Après une demi-heure elle retomba en catalepsie. Alors le docteur Baerkmann, ayant mis une de ses mains sur l’épigastre et l’autre sur la tête, lui parla ainsi : A quoi pensez-vous maintenant ? — Après un petit délai, d’une voix basse et avec quelque difficulté, elle [p. 53, colonne 2] répondit : Je pense à ce qui pourra être le meilleur contre ma maladie. D. Est-ce que vous le connaissez déjà ? R. Je ne puis pas bien vous l’indiquer, parce ce que je n’ai pas de sucre placé sur l’épigastre. D. En désirez-vous ? R. Beaucoup, car aussitôt je deviendrais gaie, et je parlerai plus promptement et plus facilement. Un linge plié trempé dans une solution de sucre fut placé sur l’épigastre, et aussitôt la joie et le contentement se montrèrent sur son visage. D. Cela vous est-il agréable ? R. Très-agréable certainement, mais approchez aussi votre pouce du linge, si vous voulez que je vous parle plus facilement. Il approcha son doigt de l’épigastre et l’interrogea :
Que sente-vous maintenant ? R. Je sens la chaleur augmentée et une douce saveur. Maintenant interrogez-moi. D. Est-ce que vous pourriez distinguer les couleurs des objets que l’on place sur votre épigastre ? R. Peut-être je le pourrais. D. Est-ce que vous pourriez lire un livre que j’en approcherais ? R. Très-difficilement. D. Vous pourriez sans doute distinguer quelques grandes lettres ? R. On ne saurait faire cela sans une grande contention de force. D. Permettez-vous de l’expérimenter ? Alors, au lieu d’une réponse, sa face devint profondément rouge, et elle montrait une grande indignation, tandis que ses dents claquaient et frémissaient. D. Désirez-vous de l’eau sucrée ? R. J’en désire, mais une petite cuillerée seulement. D. Est-ce que vous prendriez de la nourriture ? R. J’en désire bien. D. Que désirez-vous donc tant< ? R. Du fromage, du pain, avec du beurre frais et de la bière. D. Voulez-vous que je vous fasse sortir de votre sommeil ? R. Oui, car j’ai grand’faim. D. Comment pourrai-je vous réveiller ? R. Soufflez sur moi de près, car si vous le faisiez de loin je devrais me lever de mon lit. Une fois éveillée, elle ne se souvenait plus de ce qui s’était passé.
22 mai. Elle a passé une nuit agitée ; le matin elle a sa connaissance et pleure. Rien ne s’écoule des plaies de ses pieds, A quatre heures après midi elle tombe en catalepsie. Elle éprouve deux paroxysmes d’extase avec chant. A cinq heures je trouvai la malade simplement cataleptique, d’un air plus triste que de coutume, en présence des docteurs Barankiewicz et Baerkmann. Aussitôt je pris un petit morceau de drap rouge que j’avais apporté avec moi, sans en rien dire, je le trempai dans une solution de sucre, je l’appliquai sur la région épigastrique, et ayant mis dessus la main gauche, je m’entretins ainsi avec la malade. D. Vous me paraissez plus triste que de coutume ? R. Je suis en effet plus triste. D. Pourquoi ? R. Je souffre beaucoup, parce que la matière a cessé de couler de mes jambes. D. Que faut-il donc faire ? R. Il faut pratiquer de nouvelles incisions. D. Où cela ? R. Au-dessous des endroits déjà incisés. D. Qu’avez-vous sur l’épigastre ? [p. 54, colonne 1] R. Du sucre ; c’est ce qui me donne la faculté de parler. D. Quoi de plus? R. De l’eau. D. Quoi encore ? R. Un morceau de linge. D. De quelle couleur ? R. Blanc. D. En êtes-vous sl’.lre? R. Je ne le vois pas, mais je me le représente ainsi par la pensée. D. Dois-je exposer mes pensées par des paroles ou pouvez-vous les comprendre encore renfermées dans mon esprit ? R. Cela m’est bien plus facile, si vous les exprimez. par des paroles. D. Me permettez-vous de vous poser une seule interrogation par l’esprit seulement ? R. Monsieur, mon étal ne durera plus longtemps : je ne puis plus supporter une aussi grande contention d’esprit. Mes idées commencent à se confondre. Les veines de ma tête sont distendues, et si on ne me secourt pas de suite, la rupture de l’une d’elles est imminente. Cela me rendra maniaque sans espoir de recouvrer la raison. Quel avantage m’offrira alors la vie dans mon infortune ? car je vivrai, mais maniaque. Dans un songe de la nuit passée, quelqu’un m’a rapporté tout cela. D. Qui cela ? R. Un esprit. D. Qu’a-t-il dit ? R. Il a dit : « Que fais-tu ? Crois-tu que tu pourras durer longtemps dans cet état ? Point du tout, mais implore un prompt secours, autrement tu deviendras imbécile. » D. Que faut-il faire pour empêcher un aussi grand mal ? R. Il faut m’appliquer trois sangsues de chaque côté du sommet de la tête. D. Quand cela ? R. Demain à dix heures du matin. D. Combien de temps faut-il que le sang coule. R. S’il coule largement, pendant une heure seulement ; s’il en était autrement, pendant deux heures. D. Est-ce que cela ne vous affaiblira pas ? R. Point du tout. D. Faudra-t-il faire l’incision de la jambe le même jour ? R. Non, car bien que je ne doive point être affaiblie par les sangsues, cependant je le serai un peu ; il vaudra donc mieux renvoyer l’incision au jour suivant. D. Après l’incision que faudra-t-il faire ? R. La matière s’écoulera, la tumeur diminuera, et alors il sera temps de mettre de l’onguent. D. Qui doit prescrire cet onguent, Sniadecki, Niszkowski, ou Frank ? R. C’est égal, c’est ou l’autre pourvu qu’il soit bon. D. Ne pourrait-on pas faire passer cette matière par les urines ? R. Déjà on l’a tenté (en effet, dès le commencement de la maladie on avait employé d’après mon avis des diurétiques), mais en vain, car cette matière est fixé et tenace. D. Vous souvenez-vous des moments où vous chantez ? R. Je m’en souviens, le chant me soulage. L’état dans lequel je suis est trop violent ; il ne durera pas longtemps sans confusion d’idées (en effet elle suait de toute la tête). D. Pensez-vous avec tout votre cerveau, ou seulement avec une partie ? R. Je pense avec tout mon cerveau, et je suis très-fatiguée. D. Dois-je vous réveiller ? R. Oui, il sera bon de chasser mes idées tristes. D. Une fois éveillée, ne tomberez-vous pas dans une plus grande [p. 54, colonne2] tristesse ? R. Si quelqu’un me parle, je n’y tomberai pas. Alors en soufflant j’éveillai la malade. Son premier mouvement fut d’essuyer sa sueur avec son mouchoir. D. Avez-vous dormi ? R. Oui, mais d’un sommeil pesant. D. Avez-vous rêvé ? R. Je ne m’en souviens pas. D. Avez-vous rêvé la nuit passée ? R. Oui, je le crois, mais je l’ai oublié. D. Pourquoi êtes-vous si triste ? R. Je souffre beaucoup. Ce matin pour la première fois j’ai éprouvé un grand vertige. La matière a entièrement cessé de couler. Je parlai ensuite des sangsues à appliquer, et des incisions à faire aux Jambes, et la malade me demanda avec soin quel devait être le nombre des sangsues et à quel endroit on les appliquerait ; je m’efforçai de la consoler par l’espoir d’une prompte guérison, et en effet je laissai cette malheureuse plus gaie.
23 mai. Hier, à peine eut-on quitté la malade, qu’elle eut des vertiges, puis le délire et voulut attaquer son mari et les assistants. Puis elle devint de plus en plus troublée, tomba dans une somniation tout à fait spontanée, et répéta plusieurs fois : Si on ne m’applique pas les sangsues de suite, et avant le coucher du soleil, je suis à jamais perdue, Puis, après avoir réfléchi : J’ai dit que l’on ne m’appliquât que demain à dix heures les sangsues, mais je me suis trompée, car je vois maintenant qu’il les faut appliquer avant le coucher du soleil. On apporta les sangsues et on les plaça à la tête ; la malade demandait toujours si le soleil était encore sur l’horizon. Lorsqu’on le lui eut affirmé, elle se félicita et-devint plus tranquille. Les sangsues pendant une heure tirèrent assez de sang. La nuit ne fut pas très-bonne. Cependant le matin la malade était gaie, et· affirmait que jamais sa tête n’avait été aussi libre que ce jour. A cinq heures après midi, je visitai la malade, et si jamais je lui trouvai un air serein. et de la raison, ce fut à cet instant. Sniadecki, Niazkowski, Barankiewicz et Baerkmann, trouvèrent la même chose. Les yeux et le pouls surtout s’étaient changés en mieux. La tuméfaction des cuisses, la, tension, et la douleur au toucher étaient beaucoup diminuées. La malade, qui n’avait point été affaiblie par les sangsues, continua l’usage du quinquina.
Du 24 au 30 mai. Il n’y eut aucun paroxysme. La face ainsi que les autres phénomènes s’étaient changés en mieux, si l’on excepte le pouls qui était encore à 130. On avait fait plusieurs incisions aux cuisses, d’où il s’écoulait une grande quantité de sérosité. Le 31 mai, elle eut d’abord une lipothymie, puis un paroxysme de catalepsie simple qui se prolongea pendant une demi-heure, et se dissipa spontanément. Depuis ce jour jusqu’au 12 de juin, son état fut de mieux en mieux. On posa des cautères à ses cuisses, il s’en écoula une grande quantité de sérosité, sans pour cela que ses cuisses diminuassent [p. 55, colonne 1] beaucoup ; cependant la malade reprit des forces, et devenue grasse elle se félicitait de son sort. Le 14 août, à la suite de fièvre et de vomissements, un érysipèle se montra sur les cuisses, descendit peu à peu jusqu’aux pieds, et fit disparaitre la plus grande partie de la tuméfaction. Il fut suivi de l’apparition des règles ; elles se passèrent bien, et la malade se trouva tout à fait guérie, sauf une rigidité dans les genoux qui gêne sa marche, et encore aujourd’hui (le 30 mai 1817), elle jouit d’une santé florissante. Plus tard elle est devenue enceinte , et a fait une fausse couche. En 1823, je l’ai laissée très-bien portante.
Notes
(1) Syn. Catoche, catochus de Galien, morbus attonitus de Celse, prehensio, congelatio, aphonia de Dioclès, anaudia d’Antigène, de Cléophante, congélations des Arabes ; en allemand, Starrsucht ; en français, catalepsie ; en anglais, catalepsy, trance ; en polonais, Katalepzya.
(2) J’ai observé quatre exemples de catalepsie : une fois dans l’hospice de Milan, a, 1791 ; deux fois dans la clinique de Vienne, savoir chez un enfant dans l’année 1799, er ensuite chez un étudiant en droit, et à Vilna en 1816. Les exemple, en sont si rares, que Tissot, dans un passage que nous citerons plus tard, avoue que sur mille médecins à peine peut-on en cirer un qui ait observé cette maladie ; et Iui-même, qui a exercé pendant tant d’années. n’en a pas vu. Pendant les années 1802 et 1803, je parcourus la plus grande partie de l’Europe, et parmi des milliers de malades que je vis dans les grands hopitaux de l’Allemagne, de la France et de l’Angleterre, je n’ai trouvé aucun cataleptique.
(3) Un cataleptique de l’hospice de Vienne restait dans des positions théâtrales qu’on aurait pu seulement apprendre à force d’art.
(4) Sauvages a compté 50 pulsations par minute.
(5) Dans l’Histoire de l’académie des sciences de Paria, 1738, on lit le cas d’une femme cataleptique qui ne pouvait [p. 45, colonne 1] pas être éveillée même lorsqu’on lui mettait du feu sous les pieds.
(6) Une jeune fille, que j’ai vue à l’hôpital de Milan en 1791, tombait dans le paroxysme toutes les fois qu’elle faisait le signe de la croix ou qu’elle le voyait faire par d’autres. Il en résulta qu’elle devint toujours cataleptique toutes les fois que l’on apportait le Saint-Sacrement dans la salle, parce que les autres malades faisaient le signe de la croix.
(7) Dreyssig prétend que les Juifs sont surtout sujets à la [p. 45, colonne 2] catalepsie, et il soupçonne avec Sprengel (Handb. d. Patholo., 3, Th. § 507, p. 803) qu’il faut surtout l’attribuer à l’onanisme auquel, dit-on, ils sont très-adonnés. Pour ma part, je n’ai jamais observé de catalepsie chez des Juifs, et j’ai trouvé l’onanisme beaucoup plus rare parmi eux que parmi les autres nations.
(8) Les observations de Ab Heers, de Capo de Vacca, cité par Forestus (Obs., t. I, obs. 42, notes) démontrent que la catalepsie est une maladie de cloîtres. Cela résulte aussi de la célèbre histoire des religieuses de Loudun (dans vol. XX du Mercure de France). L’image d’un prêtre nommé Urbain Grandier apparut à ces religieuses dans leurs paroxysmes de catalepsie extatique, sous une forme horrible ; on regarda cela comme un maléfice opéré par ce prêtre, et l’infortuné fut brûlé vif le 18 août 1634. Dans l’année 1815, comme j’étais à Minsk, je fus appelé en consultation pour une jeune religieuse cataleptique ; mais je ne la vis pas dans le paroxysme. Voyez Zimmermann von der Erfahr. 14. B. 12. C. et Lieutaud, Synops. P. I, p. 153.
(9) Dans les Actes de l’académie de Paris, on parle d’un menuisier qui, en apprenant qu’un autre qu’il avait battu était mort, fut pris de catalepsie.
(10) Rondelet (lib, I, cap. XX, p. 98) rapporte le cas d’une femme qui tombait en catalepsie lorsqu’on prononçait devant elle le nom de son mari, et lorsqu’il arrivait à la maison, même avant de l’avoir vu ou de l’avoir entendu.
(11) Un prêtre devenait cataleptique chaque fois que, dans l’histoire de la passion, Il arrivait à ces paroles : Toul est consommé. La jeune fille de Milan dont nous avons parlé plus haut éprouvait un paroxysme de catalepsie en entendant le nom de Jésus.
(12) Marx parle d’une femme de Londres dont la fraude fut découverte, parce qu’elle gardait son bras étendu après qu’on y eut suspendu un poids, ce qui ne fût pas arrivé dans une catalepsie.
(13) Un prêtre, nommé Restitutus, pouvait à volonté s’arracher à l’empire de ses sens, et devenir tellement semblable [p. 46, colonne 1] à un mort, que non-seulement il ne sentait pas ceux qui le piquaient et le pinçaient, mais même quelquefois il ne témoignait pas le moindre sentiment de douleur lorsqu’on le brûlait avec du feu, à moins qu’on l’eût d’abord coupé (saint Augustin, lib. XIV, De civitale Dei, c. XXIV, p. 158),
(14) La malade d’Attalin dont parle Tissot passait pour apoplectique.
(15) Au retour de l’armée de Napoléon par Vilna, en 1812, les Juifs, pour s’amuser sur les places publiques, donnaient différentes positions aux soldats gelés, positions que retenaient longtemps les cadavres. Déjà Sennert avait remarqué que la rigidité provenant du froid est tout à fait différente de la catalepsie.
(16) Cardan parle de huit moissonneurs qui étaient assis et mangeaient sous un chêne, lorsqu’ils furent frappés de la foudre. Ils restèrent dans la même position où ils avaient été surpris : l’un paraissait manger, l’autre rapprocher son verre de ses lèvres (lib. de fulgur, c. 7, t. II, opp. p· 726).
(17) Voyez Arpendix. Quelques cataleptiques , dit R. A. Vogel (Prælect, de cognes. et curand. præcip. corp. human. affect, Lausan, 1781. — Ed. Tissot, P. II, § 570, p. 157), deviennent en même temps extatiques pendant la durée du paroxysme, et racontent des choses étonnantes, des visions divines, des assemblées d’anges, parlent des langues qu’Ils n’ont point apprises, et même, s’il en faut croire ce qu’on raconte, semblent prédire l’avenir
(18) Le cas rapporté par Sauvages d’après les Actes de l’académie d’Upsal de l’an 1742, p. 41, sous le nom de catalepsie délirante, ne nous parait rien autre chose qu’une catalepsie compliquée de somniation, puis de chorée.
(19) Marcell. Donat, Un homme de trente ans, dont la vie était tout à fait vicieuse et déréglée, étant entré dans une église de Vilna, dans l’année 1815, pendant le carême, entendit un sermon très-austère. Comme il était fortement [p. 47, colonne 1] agité par les remords de la conscience, à la porte même du temple il tomba dans une attaque de catalepsie. Bien que cette attaque disparût après un quart d’heure, il devint triste et rêveur, et au bout de quelques jours il tomba dans une manie qui se faisait surtout remarquer par le désespoir, par la crainte d’un supplice éternel, et surtout par les efforts pour fuir on démon qui le poursuivait. Cet homme fut livré à nos soins et guérit après deux semaines.
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