J. M. Sur un cas insolite d’épilepsie nocturne, par Lehmann (Allg. Zeitschr, f. Psych., 1894). Extrait du « Bulletin de la société de médecine mentale de Gand » (Gand et Leipzig), 1894, pp. 659-662.
[p. 659]
Une jeune fille de 18 ans, atteinte depuis l’âge de trois ans d’accès épileptiques, se produisant chaque nuit, huit ou neuf en moyenne. La malade présentait au plus haut degré la perversion du sens moral spécial aux épileptiques, mais ses facultés intellectuelles étaient restées intactes. Les accès survenaient généralement la nuit, mais ils se produisaient aussi parfois le jour, s’il arrivait à la malade de s’endormir dans le courant de la journée. Jamais il n’y avait eu d’accès à l’état de veille. [p. 660]
Chaque accès était précédé d’une aura hallucinatoire dont la malade se rappelait et qu’elle prenait pour un rêve. Elle consistait en la vision subite d’un ou de plusieurs hommes voulant se coucher dans le lit à côté d’elle. Bientôt après la malade se réveillait et s’apercevait qu’elle avait eu un accès.
Voici les phénomènes habituels pendant l’accès : au plus profond de son sommeil, la malade ouvre brusquement les yeux, regarde fixement devant elle, puis roule par terre. A ce moment, son corps est rigide, un ou plusieurs membres sont tenus élevés en extension. Les pupilles sont dilatées et ne réagissent pas k la lumière ; il y a souvent émission d’urine. Au bout de cinq à dix secondes l’accès est terminé. La malade n’en conserve généralement qu’une obnubilation passagère de la conscience, mais parfois aussi cette obnubilation
persiste pendant plusieurs heures. Les chutes pendant les accès amènent fréquemment des lésions traumatiques superficielles, mais, jamais on ne constate de morsure de la langue. En somme, on peut dire que les accès observés sont des accès épileptiques fragmentaires, se bornant à la phase des convulsions toniques et offrant une certaine ressemblance avec la période des attitudes passionnelles de l’attaque hystéro-épileptique. Cependant la malade a présenté quelques accès dans lesquels des convulsions classiques se sont produites. De temps à autre elle a aussi un, accès à forme procursive : elle se lève soudainement au milieu de son sommeil, fait rapidement quelques pas en avant, puis tombe dans une convulsion tonique. Ces faits montrent que dans ce cas il s’agit bien d’épilepsie et non pas d’hystérie. En outre, il est facile d’évoquer chez la malade, en la plongeant dans un sommeil hypnotique, la vision qui joue le rôle d’aura; mais il est impossible de lui suggérer un accès de convulsions toniques, ce qui est un autre argument contre la nature hystérique de la maladie.
Il y a dans cette observation plusieurs particularités intéressantes : le caractère incomplet des accès, se bornant à la phase tonique de l’attaque épileptique; l’existence d’une aura hallucinatoire qui ne parait pas avoir encore été signalée dans l’épilepsie nocturne ; enfin, l’intégrité de l’intelligence, malgré la longue durée de l’affection et la grande fréquence des accès.
Pour ce qui concerne ce dernier point, on sait que l’épilepsie nocturne se distingue précisément de la forme diurne de la même affection, en ce qu’elle affecte beaucoup moins les facultés intellectuelles que ne le fait le mal comitial classique. Cela tient probablement à ce que dans l’épilepsie nocturne les accès sont généralement rares. Or, chez la malade les accès étaient fréquents et cependant l’intelligence est restée intacte. Pour expliquer ce fait, L. admet [p. 661] qu’il s’agit ici d’une épilepsie à forme relativement légère, malgré la fréquence des accès. En effet, dans les cas graves d’épilepsie nocturne les accès se produisent aussi à l’état de veille, ce qui n’avait jamais lieu chez la malade.
On sait que le sommeil est un état qui favorise l’apparition des divers phénomènes épileptoïdes : l’incontinence d’urine, terreurs nocturnes des enfants, rêves terrifiants chez les adultes et accès de somnambulisme. Un individu chez lequel un de ces phénomènes se montre fréquemment peut être considéré comme étant en imminence d’épilepsie. En effet, on voit souvent dans ces cas se produire avec le temps de véritables accès épileptiques d’abord nocturnes, qui, à la longue, peuvent aussi devenir diurnes. Les accès d épileptiques survenant à l’état de veille sont donc la manifestation d’un mal comitial arrivé à son complet développement, tandis qu’une épilepsie à accès exclusivement nocturnes peut être considérée comme une forme incomplète et relativement bénigne.
J. M.
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