Abel Rey. Rassegna di psicologia. La psychologie et la métaphysique. Extrait de la revue italienne « Scientia », (Bologna), volume VII, 1910, pp. 197-205.

Salvador Dali.

Abel Rey. Rassegna di psicologia. La psychologie et la métaphysique. Extrait de la revue italienne « Scientia », (Bologna), volume VII, 1910, pp. 197-205.

 

Abel Rey (1873-1940). Philosophe.

Autre publication :
L’origine et le développement de la psycho-analyse, par FREUD (Sigmund). The american Journal of psychology. Vol. XXI, n° 2, pp. 181- 218. Worcester, Avril 1910. Extrait du « Journal de psychologie normale et pathologique », (Paris), huitième année, 1911, pp. 466-467. [en lige sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’ouvrage. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. — Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 197]

RASSEGNA DI PSICOLOGIA

La psychologie et la métaphysique.

Le VIe Congrès de psychologie tenu à Genève au mois d’Aôut de cette année arrivait à un moment, je n’oserais pas dire décisif, mais certes marquant, dans l’histoire des efforts que la psychologie fait depuis un demi-siècle pour se constituer comme science. Elle aussi, comme tant d’autres sciences, comme la science en général d’ailleurs, vient de subir et est encore en train de subir une crise profonde. Notre époque pourra se vanter d’avoir été révisionniste, même révolutionnaire en matière scientifique. Les principes qu’on croyait les mieux établis, ont été mis en discussion. Ils ne s’en sont pas toujours tirés sans dommages. Les théories qu’on croyait les mieux assises ont été rejetées sur le métier. Elles n’en sont le plus souvent pas sorties indemnes. En psychologie, science en formation, (les psychologues les plus orthodoxes n’y contrediront pas ; d’ailleurs quelle science n’est pas en formation perpétuelle ? plus que partout ailleurs on pouvait s’attendre à une crise de croissance. Elle n’a pas manqué.

Cette crise peut se définir à un double point de vue. Elle a été due à la foi à des causes internes et à des causes externes. A des causes internes d’abord: la psychologie avait eu, comme science, tous les défauts de la jeunesse. Elle avait multiplié les affirmations arbitraires. Elle avait été dogmatique et intransigeante. Elle s’était cru constituée sur des bases presque définitives, alors que les mathématiques remanient encore les leurs: l’association, la méthode physiologique et son concomitant, le parallélisme physio-psychologique, la psychométrie, voilà quels furent les plus importants et les plus incontestés de ces dogmes, parmi ceux qui prétendirent faire la science, et uniquement la science, de l’esprit. Nous pouvons y ajouter la définition — confrontée d’ailleurs aux métaphysiques vétustés — de la psychologie comme science du [p. 198] conscient, et par suite, le rejet par les meilleurs esprits, de l’inconscient dans le domaine de la pure physiologie: l’inconscient, simple combinaison de mouvements réflexes, étude accessoire et même un peu vaine en psychologie. C’était aller vite. C’était même aller partout beaucoup trop vite. Et à mesure que le champ de l’observation s’enrichissait, à mesure aussi ces affirmations commençaient à paraître plus que hasardeuses. On voyait peu à peu une complexité inattendue dans les questions qu’on avait crues les plus simples. Le domaine de l’observation s’enrichissait, le domaine des faits aussi. Et par là s’imposait la nécessité de recourir à des méthodes, à des théories nouvelles et plus fécondes. Ce n’est plus dans les laboratoires de psychométrie qu’on allait pouvoir poursuivre la science psychologique. Ceux-ci restaient comme sources assez étroites d’information ; mais à côté d’eux les cliniques d’hôpital, les documents d’histoire sociale allaient solliciter de plus en plus l’attention des chercheurs.

Il n’est que juste ici de rendre à César ce qui est à César et de payer notre tribut d’hommages à un français, le créateur de la chaire de psychologie au Collège de France, M. Ribot dont les premiers travaux datent de bientôt un demi-siècle. Nul plus que lui n’a cru à l’avenir de la psychologie scientifique, nul plus que lui n’est partisan des méthodes positives. Les admirables préfaces à la « Psychologie anglaise »et à la « Psychologie allemande contemporaine » le disent assez. Elle furent en leur temps de retentissants manifestes. Et ceux de ma génération qui s’éprirent des méthodes positives, savent avec quelle ferveur ils lurent ce bréviaire et quelle influence il eut sur leur esprit. Mais la largeur d’esprit de M. Ribot, et peut être son éducation philosophique, lui défendirent un dogmatisme étroit. Dès ces préfaces, il dénonçait les limites nécessaires des laboratoires de psychophysique. Il voyait la méthode psychologique dans une enquête autrement complexe. Et de suite le génie du chercheur devinait la richesse des renseignements que la pathologie devait fournir. N’était-ce pas là la véritable psychologie physiologique, puisque la physiologie elle-même ne fait guère, pour appliquer la méthode expérimentale, qu’introduire dans l’organisme ou qu’utiliser des troubles pathologiques? L’un des premiers aussi il voyait toute l’importance de l’inconscient. L’un des premiers encore, — parmi les psychologues positifs, j’entends, — il dénonçait le simplisme et l’insuffisance de l’associationisme. Enfin en montrant toute l’importance de la vie affective, en établissant ses rapports, son unité réelle, avec la vie motrice, il rompait avec la tradition intellectualiste, par trop simpliste, elle aussi, de ses prédécesseurs directs. L’ouvrage capital de Taine s’était intitulé « L’intelligence » : les trois quarts des psychologies scientifiques roulaient sur la  [p. 199] sensation et la perception : (voyez, St Mill, Bain, Wundt, Spencer, etc.) Le plus gros ouvrage de M. Ribot s’appelle « La psychologie des sentiments », et il est accompagné de « La logique des sentiments » de l’ »Essai sur les passions », et de quantité d’études, dans l’ »Attention », les « Maladies de la volonté » l’ »Imagination », etc., qui roulent sur l’inconscient et les faits affectifs.

Salvador Dali.

A peine amorcée, la réforme commencée par lui subit une déviation étrange. Et c’est là qu’agirent les causes externes. Pour M. Ribot et son école, (M. M. Pierre Janet, G. Dumas et tant d’autres) il ne s’agissait que d’élargir le champ de la psychologie expérimentale, de la science positive des faits psychologiques. Il ne s’agissait que de la faire progresser, comme Huyghens ou Newton avaient fait progresser la science positive des faits matériels sur Descartes et Galillée. Ainsi se constituait en France, comme du reste par ailleurs autour d’autres savants illustres, une école de psychologie scientifique, bien décidée à faire rester la psychologie dans l’esprit positif et expérimental que lui avaient insufflé les Mill, les Bain, les Lewes, les Taine, les Wundt, le Ferri, les Sergi, etc. Mais elle était bien décidée aussi à la faire progresser, à élargir son domaine, autant qu’il se pourrait, en utilisant toutes les méthodes profitables, pourvu qu’elles fussent rigoureusement contrôlables, qu’elles répondissent à toute les exigences de la logique scientifique.

Seulement, et nous arrivons ici aux causes externes qui déchaînèrent la crise, ces modifications nécessaires dans toute science qui marche, étaient par ailleurs considérées à un tout autre point de vue. Elles dénonçaient, pour certains, la faillite complète de la psychologie scientifique. C’est que nombre d’esprits, métaphysiciens ou religieux, (je m’empresse de dire que je n’entends pas par là tous les esprits métaphysiciens ou religieux: qu’il n’y ait pas d’équivoque) n’avaient pas vu d’un très bon œil, ou si l’on veut, sans une arrière-pensée ou un regret, se constituer la psychologie comme science positive. Très sincèrement beaucoup d’entre eux, dans ce groupe, croyaient et croient encore qu’il est impossible de faire des choses de l’esprit une science qui s’inspire des mêmes idées directrices que les autres sciences déjà constituées. Une psychologie, ou une sociologie calquée sur ces modèles, utilisant, en les adaptant sans doute, mais utilisant la même inspiration méthodologique, leur semblent un mythe. L’esprit, par sa nature même, est rebelle à des méthodes de ce genre. La science de l’esprit ne peut s’effectuer qu’à l’aide des méthodes mêmes que les savants rejettent partout ailleurs comme métaphysiques. « La véritable science de l’esprit est la métaphysique » ont écrit sous une forme ou sous une autre des penseurs comme Lachelier, Lagneau, Bergson,  en France. La psychophysiologie [p. 200] c’est en somme encore la science de l’organisme, du corps. C’est de la physiologie. Ils admettent bien dans certaines limites ou dans certaine sphère l’emploi des méthodes dites scientifiques ou positives. Mais ils affirment en même temps que ces méthodes ne peuvent pas, à propos de l’esprit, épuiser leur objet. Loin de là! Elles ne peuvent que donner sur certains faits des indications utiles, ou servir à certaines applications, éclairer certaines conséquences, l’action du corps, par exemple, comme intermédiaire nécessaire de l’action du milieu sur l’esprit et des réactions de celui-ci sur le milieu. La connaissance de l’esprit doit être parachevée par d’autres moyens. La vraie psychologie est une recherche spécifique à côté et au-dessus de la psychologie dite physiologique, positive, ou expérimentale. Et c’est au nom même de l’expérience, mais d’une expérience plus directe et plus immédiate, plus concrète, plus réelle en un mot que l’expérimentation scientifique, qu’on formule cette affirmation. W. James, Schiller, Dewey, Dewelshauvers, Leroy, Baldwin   (avec des restrictions) etc., pourraient à des titres et des degrés divers se ranger dans ces groupes. Je ne parle pas, bien entendu, des philosophes qui admettent, comme Hannequin par exemple, et nombre de Français de marque, une dualité des points de vue scientifique et philosophique. Comme ici la philosophie entretient avec la psychologie les mêmes rapports qu’avec les autres sciences, cette dernière est au même titre, dans le même sens qu’elles et sous les mêmes limitations, une science positive. Il n’y a pas à s’occuper par suite de cette opinion dans le cas que nous examinons. Celui-ci est tout autre: ce n’est pas la légitimité d’une méthode philosophique à côté des méthodes scientifiques, dont il s’agit, mais bien de la légitimité de la méthode dite scientifique, à propos de l’esprit. Cette légitimité, on la nie purement et simplement. Et après tous les efforts faits depuis cinquante ans pour instaurer la psychologie comme science positive, nous nous sommes trouvés, depuis quelques années, chez nombre de penseurs de mérite, devant un retour complet à l’ancienne position, et un revirement d’idées absolu: la psychologie sera métaphysique ou elle ne sera pas. Plus exactement, (car ce mot métaphysique, c’est nous qui l’employons au sens que les positivistes donnent à ce mot, mais il serait repoussé par les adeptes des vues nouvelles, — ou soit-disant telles) a psychologie doit faire appel, pour expliquer la vie de l’esprit, à des notions transcendantes, à celles qu’on a coutume d’employer dans les sciences et en particulier dans la psychologie dite scientifique, à des notions d’ordre et d’aspect tout à fait différents : liberté, finalité, personnalité, qualité pure, virtualité et tension pures, puissance, création, commencement absolu, acte de l’esprit, intuition immédiate, tendance, force occulte de l’inconscient, méthodes [p. 201] réflexive, intuitive, etc.. Toute la terminologie des anciennes métaphysiques (depuis Platon et Aristote) enrichie de métaphores et de termes nouveaux y passe. Les méthodes d’analogie métaphorique qui leur étaient aussi chères qu’aux anciennes magies y sont presque uniquement employées. Je n’aurais donc pas tort, bien que tout cela nous soit apporté au nom d’une expérience directe, d’employer pour les désigner le mot de métaphysique, — du moins aux yeux des esprits positifs. C’est bien à un retour offensif (et quelle vigoureuse offensive!) de la métaphysique, pour employer le vocabulaire d’usage, que nous voyons exposée la psychologie.

Qu’allaient penser de tout ceci les psychologues, les six-cents personnes qui, s’intéressant aux titres les plus divers à la psychologie, s’étaient réunies au Congrès de Genève ? Voilà, sous les discussions de détail, ce qu’il était intéressant de noter, moins dans les affirmations littérales que dans les tendances sourdes qu’on allait pouvoir surprendre durant cinq journées de discussions parfois vives.

Notons que les Congrès de psychologie avaient déjà affirmé l’abandon de l’ancienne attitude trop étroite des psychophysiologistes purs, en changeant le titre primitif de Congrès de psychologie physiologique. Il y avait là l’influence certaine de l’élargissement du champ de la psychologie, tel que nous l’avons noté plus haut. Mais on pouvait y voir aussi un encouragement aux vues nouvelles. Et de fait le Congrès de psychologie comptait cette année quelques-uns de leurs partisans. D’autre part les questions mises à l’ordre du jour — suivant une excellente méthode —, comprenaient précisément les principales questions sur lesquelles s’étaient faites les plus importantes modifications de la psychologie scientifique, et partant qui avaient servi de prétexte au retour offensif de la métaphysique. Citons immédiatement la question de la méthode en psychologie des faits religieux, celle de la psychologie des sentiments, celle du subconscient et enfin celle des tropismes. La question de la mesure de l’attention aurait pu, elle aussi, fournir un débat intéressant, car elle mettait directement en cause les laboratoires. Elle a été laissée au second plan par suite de l’absence regrettable des rapporteurs. Et puis les autres concentrèrent l’attention et prolongèrent la discussion aux dépens du reste.

On conçoit tout de suite le parti qu’on a pu tirer depuis quelques années de la psychologie des faits religieux, surtout à la suite des livres sur l’expérience religieuse. Pour certains esprits, il est incontestable que la mise en évidence d’un facteur inconnu qui se présenterait comme un inconnaissable au titre purement scientifique, serait une aide inouïe apportée à la plus chère de leurs causes. Or, il s’est trouvé précisément que, tandis [p. 202] que la sociologie religieuse, surtout dans l’école de M. Durkheim « humanisait » et rendait susceptible d’examen purement scientifique, le fait religieux, la plupart de ceux qui abordaient le problème s’élevaient contre la psychologie simpliste dont avait abusé la tradition anticléricale. Des esprits sans parti-pris philosophique (je n’irai pas, malgré tout le respect que j’ai pour le talent de W. James, à le ranger sans restrictions parmi eux) durent noter la complexité très grande, la sincérité manifeste, la normalité, et en même temps la puissance de certains états mystiques. Il parut bien qu’il y avait là parfois une attitude psychologique d’une personnalité très forte dont les racines plongeaient au meilleur de l’être, du plus sain de son activité biologique. Il parut aussi que la matière était d’accès difficile à l’investigation scientifique, que l’inconscient ou le subconscient y jetait fréquemment son mystère, qu’il y avait là quelque chose d’original et de spécifique, d’irréductible à d’autres attitudes dont on avait voulu trop souvent en faire une simple déviation (voir l’ouvrage de M. Delacroix (1) par exemple. Voir surtout les études de M. Boutroux (2).

Ces conclusions furent facilement exploitées dans le sens d’un facteur transcendant manifeste dans l’étude du sentiment religieux. Et c’est bien de ce côté qu’a porté l’effort de quelques membres du Congrès de Genève. Il me paraît bien difficile de ne pas dire que cet effort a été absolument vain. Les deux rapporteurs M. Leuba et M. Höffding (bien que la pensée si nuancée de ce dernier ait souvent été tirée, elle aussi, en dehors et au delà de son sens scientifique strict) se sont attachés à montrer le bien-fondé et l’excellence du point de vue scientifique dans l’étude des faits religieux. Et pourtant ils partaient de conceptions fort différentes de la religion, puisque M. Leuba défendait une conception biologique, tandis que M. Höffding prenait son point d’appui dans les idées philosophiques qu’il avait développées à propos de la religion. Il n’en a pas moins conclu que toutes les manifestations religieuses relevaient d’une étude scientifique et positive, en concédant que le principe religieux en lui-même devait être réservé comme question philosophique. C’est à peu près dans le même sens qu’a parlé M. l’abbé Pacheu. Reprenant une comparaison que j’avais déjà rencontrée dans le livre de M. Dewelshauvers sur la synthèse mentale, il a considéré l’organisation physio-psychologique comme un clavier enfermant tous les moyens d’expression qu’utilise l’activité [p. 203] psychologique, quelle que soit la nature de ce dernier facteur; (pour lui, évidemment, elle est transcendante). La science a donc juridiction légitime et seule elle a juridiction sur tous ces moyens d’expression. Et l’entente la plus complète peut régner sur ses méthodes et ses conclusions. Il n’y a que la cause première qui soit écartée du débat. Et avant qu’on l’atteigne, même pour ceux qui, comme nous, pensent avec M. Leuba que rien n’est transcendant à la science, il y a un large terrain d’accord, pour longtemps. L’école de Louvain d’ailleurs s’est fait remarquer dans nombre de questions secondaires par son esprit positif, ses méthodes scientifiques, dans l’étude des faits. Son catholicisme ne répugne nullement à un rationalisme scientifique dont la grande tradition scolastique était du reste absolument imprégnée. Car ne l’oublions pas, la vraie, la grande philosophie de la qualité depuis Socrate jusqu’à la Renaissance, et surtout avec Aristote fut absolument rationaliste, voire intellectualiste pour employer le mot — un peu méprisant — par lequel on désigne cette tendance chez ceux sur qui a soufflé l’esprit nouveau.

La conclusion du débat sur ce point c’est donc que la psychologie positive et scientifique a vraiment triomphé à Genève: j’entends par là, en face de la nouvelle expérience immédiate à laquelle les métaphysiciens pourront toujours faire dire ce qu’ils veulent, l’expérimentation contrôlable. En face de la poésie, si élevé qu’elle soit, la sévère, mais universelle leçon des faits. De cette victoire, le dernier vote du congrès sur la question est bien significatif. La majorité a adopté le vœu que la question de la psychologie des faits religieux ne fût pas remise à l’ordre du jour du prochain congrès. Pourquoi? C’est qu’on a jugé avec raison que la question de la méthode était résolue. Il ne pouvait plus y avoir place que pour les professions de foi individuelles purement méthaphysiques, et celles-ci ne pouvaient qu’embarrasser la discussion comme on l’avait vu à Genève. Car elles peuvent continuer à perte de vue, sans qu’elles puissent jamais arriver à un résultat positif ou utile. La cause, dans tout le domaine où l’on pouvait s’entendre, était donc entendue.

Mais la méthode positive qui avait triomphé n’était nullement la méthode du rationalisme étriqué qui prolongea la critique du XVIIIe siècle. Ce n’était pas non plus la méthode simpliste des premiers psychologues positivistes. C’était une méthode de haute impartialité, considérant les faits religieux comme des manifestations importantes et normales de la vie psychologique les examinant sans parti-pris, et accueillant toutes les sources de renseignement, la physiologie et la pathologie d’une part, l’histoire des religions, les témoignages des individus (des mystiques par exemple) d’autre part, faisant entrer dans son champ [p. 204] d’expérience, tout ce qui était contrôlable et sincère, la supercherie n’étant d’ailleurs en ce domaine qu’exceptionnelle et négligeable. Une psychologie positive, sans «a priori», purement, mais scientifiquement expérimentale, voilà celle qui a rallié les suffrages de l’immense majorité, (que l’on considère le nombre ou la qualité d’ailleurs).

Il en a été de même dans la question du subconscient et dans celle du sentiment. Il n’y a pas eu là de discussion. On n’aurait jamais cru, à entendre ou à lire les rapports de Pierre Janet, de Dessoir, de Morton Prince, de Külpe, du Dr Sollier, les remarques de Bernard-Leroy et de tant d’autres, qu’on avait pu s’appuyer sur la psychologie de l’inconscient ou de la vie affective pour restaurer et légitimer le point de vue métaphysique et la transcendance d’une activité spirituelle. Partout au contraire nous avons vu proclamer non seulement qu’il n’y avait là rien de mystérieux, mais encore les progrès considérables faits par l’étude positive depuis quelques années, dans ces domaines.

La dernière question que nous retenons c’est celle des tropismes. Ici devaient se heurter les restaurateurs du vitalisme ou du finalisme avec Jennings, et les partisans de la causalité au sens de ce mot dans les autres sciences, en particulier dans les sciences physico-chimiques, avec Loeb et Bohn. On peut dire que le combat n’a même pas eu lieu, faute de combattants du côté finaliste. Jennings lui-même, absent d’ailleurs, avait conclu en voyant surtout sous le débat une question de mots, et en acceptant au fond le déterminisme biologique, au sens usuel du mot. Là encore la cause de l’attitude scientifique que nous sommes accoutumés à voir dans les autres champs de l’investigation a triomphé. Peut-être la théorie de Loeb-Bohn avait, dans certains exposés, fait trop bon marché de l’organisation interne et de l’hérédité. Les discussions de MM. Piéron et Raphaël Dubois ont dissipé tout malentendu. Ce n’est pas le milieu seul qui est la cause de toute l’activité animale. La personnalité animale, c’est à dire l’ensemble du déterminisme qui a abouti à sa constitution actuelle s’interpose dans le déterminisme complet de son activité. Mais il n’y a là aucune brèche faite au principe du déterminisme scientifique. Il n’y en a qu’une application de plus.

D’autre part, le principe de continuité entre les manifestations psychologiques animales et humaines a été affirmé tout au long de ces études.

Un fait s’impose donc: au congrès de Genève, psychologues et philosophes se sont accordés à la presque unanimité sur un point, la légitimité de la psychologie scientifique, élargie et en voie de progrès, (heureusement!) mais continuant l’inspiration [p. 205] de ses fondateurs. Les seules méthodes sont bien, sous des adaptations nouvelles, les méthodes d’expérimentation auxquelles nous devons partout ailleurs le succès de nos recherches scientifiques. On est même allé plus loin, je crois, qu’une attitude positive le permettrait, en affirmant avec Höffding qu’il n’y avait pas de casualité psychique, avec Höffding et Claparède, sans aucune protestation de l’assemblée, qu’on devait se placer au point de vue du parallélisme psycho-physiologique. Il y a là, me semble-t-il, un souvenir de l’associationisme et de l’état de la psychologie il y a une vingtaine d’années. Le parallélisme ne me paraît qu’une hypothèse de travail qui, légitime encore, doit laisser debout à côté d’elle d’autres hypothèses et notamment l’hypothèse de l’interférence. Pour moi du moins, la critique du parallélisme faite par la philosophie nouvelle n’est pas sans valeur. Elle pourra servir la psychologie positive, en la rendant moins étroite et plus vivante. De même, pourquoi la conscience ne serait-elle pas fonction d’adaptation ? Nier la causalité psychique revient à en faire un épiphénomène, ou une activité transcendante au monde matériel. C’est peut-être exact, mais rien ne nous autorise à l’affirmer dans l’état actuel de nos connaissances, ou plutôt de nos ignorances. Au fond toutes ces affirmations vont plus loin que les faits. Toutes ces suppositions ne sont peut-être pas indispensables, même comme hypothèses de travail. Ne vaudrait-il pas mieux considérer simplement les manifestations psychologiques dans leurs rapports entre elles et avec l’organisme et le milieu, en attendant que l’expérience vienne éclairer la nature de ses rapports (concomitants ou interférents) et envisager la conscience comme une fonction de certains vivants, en en cherchant simplement les conditions d’exercice, c’est à dire les relations dont elle dépend, et qui, peut-être, la constituent ? (3)

Dijon, Université.
Abel Rey

Notes

(1) Études d’histoire et de psychologie du mysticisme — Paris, Alcan, 1908.

(2) Science et Religion — Paris, Flammarion 1908.

(3) Voir, en ce sens dans une certaine mesure, l’article de M. E. Rignano  sur la Conscience dans cette Revue.

 

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