Pierre Janet. A propos de la Métapsychique. Extrait de la « Revue Philosophique de la France et de l’Étranger », (Paris), quarante-huitième année, tome XCVI, juillet à décembre 1923, pp. 5-32.

Pierre Janet. A propos de la Métapsychique. Extrait de la « Revue Philosophique de la France et de l’Étranger », (Paris), quarante-huitième année, tome XCVI, juillet à décembre 1923, pp. 5-32.

 

Pierre Marie Félix Janet nait à Paris le 30 mai 1859 et y meurt 27 février 1947. Philosophe, psychologue et médecin il occupe une place prépondérante dans l’histoire de ces disciplines. Il s’est fait remarquer également par une vive polémique avec Freyd contre la psychanalyse et l’origine de celle-ci. Il est à l’origine du concept de subconscient qu’il explicite en 1889 dans son ouvrage L’automatisme psychologique. Remarquable clinicien, il nous a laissé un corpus conséquent dont nous ne citerons que quelques travaux
— Les obsessions et la psychasthénie. 1903. 2 vol.
— De l’angoisse à l’extase.
— Etat mental des hystériques. Les stigmates mentaux. 1894.
— Etat mental des hystériques. Les accidents mentaux. 1894.
— L’automatisme psychologique. 1889.
— Les Médications psychologiques. 1925.
— L’état mental des hystériques. 1911. — Réédition : Avant propos de Michel Collée. Préface de Henri Faure. Marseille, Laffitte Reprints, 1983.
— La psycho-analyse. Partie 1 – Les souvenirs traumatiques. Article parut dans le « Journal de psychologie normale et pathologique », (Paris). 3 parties. [en ligne sur notre site]
— Un cas de possession et l’exorcisme moderne. 1. — Un cas de possession. — 2. Les rêveries subconscientes. — 3. Explication du délire et traitement. Par Pierre Janet. 1898. [en ligne sur notre site]
— 
Le sentiment de dépersonnalisation. Article paru dans le « Journal de psychologie normale et pathologique », (Paris), cinquième année, 1908, pp.514-516. [en ligne sur notre site]
— Une extatique. Conférence faite à l’Institut Psychologique international. Bulletin de l’Institut Psychologique International, 1ère Année – n°5. – Juillet-Août-Septembre 1901, pp. 209-240. [en ligne sur notre site]
— Dépersonnalisation et possession chez un psychasthénique. Article parut dans le « Journal de Psychologie normale et pathologique », (Paris), Ire année, 1904, pp. 28-37. (en collaboration avec Raymond). [en ligne sur notre site]
— Le spiritisme contemporain. Article paru dans la « Revue Philosophique de la France et de l’Etranger », (Paris), dix-septième année, tome XXXIII, janvier-juin 1892, pp. 413-442.  [en ligne sur notre site]
— L’amnésie et la dissociation des souvenirs par l’émotion. Extrait de « Journal de psychologie normale et pathologique », (Paris), première année, 1904, pp. 417-453. [en ligne sur notre site]
— À propos du « déjà-vu ». Extrait du « Journal de psychologie normale et pathologique », (Paris), deuxième année, 1905, pp. 289-307. [en ligne sur notre site]
— Un cas de vol de la pensée. Extrait des « Annales médico-psychologiques », (Paris), tome LXXXVI, 2, 1928, pp. 146 – 164. [en ligne sur notre site]

Au regard de l’importance épistémologique du personnage nous renvoyons aux nombreux travaux lui sont consacrés; en particulier à ceux  d’Henri Ellenberger, La vie et l’œuvre de Pierre Janet (1969) et de Claude Prévost, Janet, Freud et la psychologie clinique.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. — Nous avons corrigé plusieurs fautes de typographie. —Nous avons renvoyé la note de bas de page en fin d’article. — Les images ont été rajoutées par nos soins. — Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 5]

A propos de la Métapsychique

Charles RICHET, Traité de métapsychique, 1 vol.gr. in-8°, 811 p. Paris, F. Alcan, 1922.

M. Charles Richet en publiant ce gros livre sur « la métapsychique » a fait une œuvre courageuse et utile il a essayé de soumettre à la critique scientifique, de transformer en études sérieuses tous ces anciens récits légendaires qui ont commencé à se répandre dès la plus haute antiquité et qui sont encore perpétuellement répétés de tous les côtés à propos de certains phénomènes mystérieux, désignés sous les noms de sensibilité à distance, télépathie, lucidité, divination de l’avenir, prémonitions, mouvements des objets sans contact, télékinésies, matérialisations, etc. « J’ai tâché, dit-il, de faire sortir du chaos ces sciences dites occultes, jadis déclarées maudites, que nos sciences classiques fières de leur popularité et de leurs antiques démonstrations se refusent à respecter. Le moment me paraît venu de donner à la métapsychique une place parmi les vieilles sciences en lui imposant la rigueur, l’autorité et la logique qui font la force de ces vieilles sciences (page 556). J’ai voulu tenter d’écrire un livre de science et non un livre de rêve, exposer les faits, discuter leur réalité en mentionnant à peine les théories qui jusqu’à présent me paraissent d’une fragilité effrayante. Comme il s’agit de phénomènes peu habituels, le public et les savants ont pris le parti de les nier tout simplement sans examen. Cependant les faits existent, ils sont nombreux, authentiques, éclatants, on en trouvera dans le cours de cet ouvrage des exemples si abondants, si précis, si démonstratifs que je ne vois pas comment un savant de bonne foi, s’il consent à l’examen, oserait les révoquer tous en doute. »

C’est l’étude scientifique de ces faits que Richet a proposé en 1905 de désigner par le mot de métapsychique, car « il s’agit d’une étude au delà de la psychologie, comme la métaphysique [p. 6] était au delà de la physique ». La Revue philosophique se doit de publier une étude sérieuse sur ce livre sérieux et de bonne foi qui essaye résolument d’éclaircir des problèmes aussi graves.

I

Cet ouvrage un peu touffu renferme une foule d’études intéressantes disséminées, quelquefois mêlées les unes avec les autres; il me semble utile d’examiner les différentes questions séparément. Je me propose de résumer ce que M. Richet nous apprend sur la légitimité de ces études, sur leur histoire, sur leurs méthodes, sur leurs théories et enfin sur la réalité des phénomènes. Un grand obstacle aux études métapsychiques c’est l’opinion générale du monde scientifique à leur égard : « De tout temps on a constaté de ces faits singuliers, irréguliers, imprévoyables qui se mêlaient aux événements ordinaires de l’existence journalière. La science classique a pris à leur égard un parti commode, elle s’est bornée à les ignorer. On ne fait pas une science avec des commérages, et les récits épars que vous rappelez ne sont que des commérages. il s’agit d’aliénations mentales et de vulgaires escroqueries, les médiums sont des hallucinés ou des farceurs si on élimine les hasards, les fautes d’observation et les supercheries il ne reste de la soi-disant métapsychique qu’une immense illusion. »

Mais ces faits étranges, qu’ils soient niés ou acceptés, n’en réapparaissent pas moins on a beau les repousser, se moquer des auteurs qui les ont décrits, les observations, les descriptions de ces faits recommencent incessamment, plus précises, plus minutieuses, présentées par les plus grands noms de la science. A-t-on le droit de refuser toujours l’examen à des études qui s’imposent depuis des siècles et qui préoccupent aussi vivement l’opinion publique ? La résistance, la répugnance que l’on rencontre quand on veut aborder cette étude ne doit pas être considérée comme une preuve de la fausseté des observations L’histoire des sciences nous apprend que les découvertes les plus simples ont été repoussées a priori sous prétexte qu’elles étaient contradictoires avec la science. On pourrait écrire tout un volume en contant les billevesées qui furent dites au moment de chaque découverte contre cette découverte même. Ce sont les savants qui s’imaginent qu’ils ont tracé [p. 7] des limites que la science future ne saurait franchir. Selon le mot de Flammarion, passés à l’état de bornes, ils jalonnent la route du progrès (7). Toute vérité nouvelle est d’une extrême invraisemblance, or il s’en présente à chaque instant dans l’évolution des sciences et dès qu’un chercheur quelconque en émet une elle suscite toutes les indignations, au lieu de vérifier on nie. Tout ce que nous ignorons paraît toujours invraisemblable, mais les invraisemblances d’aujourd’hui deviendront demain des vérités élémentaires (8). Le téléphone, la bactériologie, les rayons X, les aréoplanes eussent paru en 1875 des découvertes monstrueuses, absurdes, inadmissibles (9). On a tort de dire a priori c’est impossible, les connaissances des chétifs humains sont assez incertaines, assez limitées pour que le mot impossible ne doive jamais être prononcé (597). »

Charles Richet

Cette résistance dont l’histoire nous montre l’absurdité s’explique par des dispositions psychologiques bien connues, mais qui ne sont guère respectables. Ce n’est pas parce que les phénomènes sont absurdes et inintelligibles que nous ne les admettons pas ; en réalité la plupart des phénomènes même les mieux admis sont inintelligibles et il ne faut pas croire que nous comprenions grand’chose ; si nous refusons ceux-ci c’est pour de tout autres raisons. C’est d’abord parce que nous n’estimons que les choses dont nous sommes maîtres et que nous sommes mécontents de voir que ces phénomènes ne sont pas à notre disposition. On n’a pas pu répondre à des paris, à des offres de prix pour le médium qui présenterait à un moment donné devant un aéropage un beau phénomène sur commande. « Mais qui donc, répond spirituellement M. Richet, va parier qu’il fera tomber un aérolithe dans son jardin à heure dite, devant un jury ? (539). » « Nous refusons surtout ces faits parce que notre intelligence routinière se refuse à admettre ce qui est inhabituel. Les choses habituelles ne nous étonnent pas, ni l’électricité, ni l’attraction, ni la reproduction, qui cependant sont absolument des mystères (9). Si l’aimant était un corps rare, personne ne croirait qu’un aimant puisse attirer du fer. Un fragment de fer est attiré par un aimant, une balle de plomb tombe par terre et nous ne sommes ni inquiets, ni étonnés. Ce sont des phénomènes habituels et alors nous nous abandonnons à l’illusion que nous avons compris (548). Et cependant, ajoute fortement Richet, il y a de l’inhabituel (753). Il faut [p. 8] avoir une âme assez haute pour admettre que l’inhabituel a le droit d’exister (598). »

On pourrait ajouter encore une autre raison c’est notre paresse et notre tendance au moindre effort qui nous font repousser l’inhabituel. L’admission de phénomènes nouveaux en opposition avec ceux qui sont déjà classés et plus ou moins expliqués par la science officielle va nous obliger à démolir nos cadres, à les transformer, et à chercher de nouvelles formules d’explication plus compréhensives. C’est là une perspective bien fatigante. Richet essaye de calmer ces appréhensions et de nous montrer que ces données nouvelles sont moins effrayantes qu’elles ne paraissent et qu’elles ne contredisent d’une manière absolue rien de ce que la science a bien établi « C’est un fait étrange et effarant si l’on veut, mais il n’y a pas là de l’absurde ; il n’y a que de l’inhabituel (597). »

Par des comparaisons ingénieuses et pittoresques il essaye de nous donner non une explication, mais une représentation qui diminue le caractère effarant des phénomènes dits occultes. « Supposons qu’aucun individu de l’espèce humaine ne possède le sens de l’odorat, personne n’aura la moindre idée de ce que peut être une odeur. En passant à côté d’un tas de fumier ou d’un champ de violettes nous ne sentirons ni le fumier ni les violettes, si le fumier ou les violettes sont cachés derrière une planche ou un mur, nous ne saurons absolument pas dire si nous passons près des violettes ou près du fumier. Si alors un individu exceptionnel est doué d’odorat, il nous surprendra tous énormément parce que, même lorsqu’il ne verra rien, il dira il y a là du fumier ou des violettes. En outre cet individu pourra par l’odorat connaître des faits très anciens. Si dans une vieille armoire a été placé il y a quelques dix ans un milligramme d’iodoforme, au bout de dix ans cette armoire sentira encore l’iodoforme. Alors quelle lucidité étonnante, au cas où toute la race humaine serait dépourvue d’odorat, si, après dix ans, cet individu doué de sensibilité olfactive transitoire venait dire il y a eu de l’iodoforme dans cette armoire! (254). Nos cinq misérables sens n’ont pas délimité le connaissable il y a dans le vaste cosmos des forces intelligentes humaines ou non humaines qui sont capables d’agir autrement sur la matière. Ce qui est téméraire ce n’est pas de supposer que ces forces existent, mais d’affirmer qu’elles n’existent pas (763)… Qu’il y ait des forces intellectuelles autres que celles de l’homme, [p. 9] construites sur un type tout différent, non seulement cela est possible, mais c’est extrêmement probable, on peut même prétendre que c’est certain. Il est absurde de supposer que la seule intelligence de la nature c’est la nôtre et que fatalement toute force est organisée sur le modèle animal ou humain (787)… Afin de rendre dans une certaine mesure acceptable cette hypothèse qui paraît monstrueuse d’esprits entièrement différents de nous, imaginons que l’homme n’en sait pas beaucoup plus sur l’univers qu’une république de fourmis n’en sait de la planète terre qu’elle habite. Les fourmis ne savent pas qu’il y a des êtres qui leur sont bien supérieurs comme force et comme intelligence; elles ignorent qu’il y a des mers, d<~ vaisseaux, des bibliothèques, des téléphones, des théâtres, des armées, des tribunaux, des étoiles. Elles vivent comme si tout se limitait dans l’univers à quelques brindilles de bois, des mousses, des vieux troncs d’arbres, des pucerons qui les nourrissent et des ruisselets d’eau qui inondent leur fourmillière. Si une fourmi plus sagace que les autres vient leur dire qu’il y a d’autres mondes que ceux-là, cette fourmi malgré sa sagacité sera sans doute taxée de folie et on n’aura pas de peine dans la république formicienne à prouver son incohérence intellectuelle. Et alors étant convaincus que tout compte fait nous sommes dans le cosmos beaucoup moins qu’une troupe de fourmis sur la planète terrestre, je penche sans preuves solides d’ailleurs à croire qu’il existe d’autres univers que notre petit univers physico-chimique. C’est une supposition qui est surprenante sans être invraisemblable (789). »

Dans ces conditions il n’est peut-être pas mauvais de protester un peu contre l’opinion commune des savants routiniers et paresseux et Richet a raison de nous rappeler à ce propos l’histoire des études sur l’hypnotisme. En 1875, quand, trois ans avant Charcot et avant Haidenhain, il publiait ses propres recherches, il commençait son mémoire par ces mots : « Il faut un certain courage pour prononcer le mot de somnambulisme » et il ajoute maintenant : « Peut-être aujourd’hui faut-il moins de courage pour prononcer le mot de fantômes (118). »

Si nous nous laissons entraîner à braver un peu l’opinion routinière, nous ne serons pas en trop mauvaise compagnie. Les hommes qui ont présenté des études sur ces faits ne sont pas tous des ignorants, des mystiques ou des mauvais plaisants. On compte parmi [p. 10] eux des savants illustres et probes, qui ont montré leurs facultés d’observation et de critique dans des découvertes, dans des théories célèbres, qui ont occupé une place dans la science ou dans la philosophie. Les William Crookes, les R. Wallace, les W. James, les F. Myers ne peuvent pas être rangés légèrement parmi les imbéciles ou les menteurs (6). Cet argument que nous aurons à critiquer plus tard est ici bien à sa place il ne doit pas être considéré comme une preuve de la réalité des faits, mais il fournit une bonne raison pour établir la légitimité de leur étude.

«  Un jour viendra qui n’est pas très loin peut-être où une découverte inattendue ouvrira des horizons nouveaux. Un savant génial, un médium puissant, un hasard heureux, en voilà assez pour que surgisse aussitôt toute une série de vérités nouvelles, d’où sortiront non seulement des solutions nouvelles mais aussi des problèmes nouveaux dont nous n’avions pas la moindre idée (790)… Nous étions parfois disposés à croire que les faits matériels étudiés par les savants étaient tout et déjà nous étions tentés d’assigner quelque limite pas très lointaine à toute notre actuelle science. Des microscopes, des thermomètres, des télescopes, des galvanomètres plus délicats et plus précis, tel était à peu près notre très médiocre horizon. Mais à présent notre espérance est beaucoup plus vaste voici que nous entrevoyons tout un monde inexploré, plein de mystères encore, devant lequel nous restons muets et stupides ainsi qu’un Hottentot devant les tourbillons de Poincaré, les ondes de Hertz, les microbes de Pasteur ou la relativité d’Einstein. Ce monde nouveau c’est l’inconnu, c’est l’avenir, c’est l’espoir (792)… Il y a là de grands mystères à approfondir, La tâche est si belle que même si elle doit échouer, l’honneur de l’avoir entreprise donne quelque prix à la vie (793). »

Tout cela, je l’avoue, me paraît très exact et très bien dit avec une éloquence entraînante. Le seul reproche que j’aurais peut-être envie de faire à Richet c’est qu’il se donne bien du mal pour enfoncer une porte ouverte. Je suis disposé à croire qu’aujourd’hui de telles idées sont fort répandues et qu’il y a bien peu d’hommes de science d’un esprit assez étroit pour nier complètement la légitimité et la nécessité de ces études. Richet me répondra qu’il en existe encore énormément plus que je ne le crois. S’il en est ainsi, la démonstration qu’il a faite en réduira le nombre et montrera une fois de plus [p. 11] que l’on a parfaitement le droit d’examiner sérieusement les faits en apparence merveilleux et inhabituels et que l’on fait une œuvre utile en cherchant à les vérifier.

II

Les recherches sur les phénomènes métapsychiques étaient jusqu’à présent difficiles, parce que les descriptions sérieuses de ces faits, écrites par des écrivains compétents, étaient disséminées de tous côtés. Richet a rendu un grand service en réunissant dans un même ouvrage les documents les plus intéressants, les classiques de la métapsychique.

Il distingue quatre périodes dans cette histoire la période mythique qui va jusqu’à Mesmer, 1778 ; la période magnétique de Mesmer aux misses Fox, 1847 ; la période spiritique des misses Fox à William Crookes, 1847-1872 ; la période scientifique qui commence à W. Crookes. 1872. Sur toutes ces périodes il réunit des documents intéressants, nous n’insisterons que sur la dernière. Les recherches énormément nombreuses qui ont été faites dans cette période sont d’abord et surtout des recherches sur des phénomènes purement psychologiques, sur des connaissances dépassant la portée de l’intelligence humaine ordinaire. La « Society for psychical research » fondée à Londres en 1882, dont les premiers fondateurs les plus célèbres furent F. W. Myers, Sidgwick, Gurney, Podmore, s’est surtout consacrée à ce genre d’études. Beaucoup de sociétés comme la Société américaine du même nom dont Hvslop a été le premier organisateur ont suivi son exemple. Les publications de cette société anglaise ont été le modèle qui a inspiré les diverses revues de métapsychique « qui essayent de tenir une juste balance entre la crédulité des journaux spirites et l’ignorance aveugle des recueils de psychologie officielle (37) ».

Richet extrait de ces publications les observations les plus intéressantes relatives à la télépathie, à la lucidité, qu’elles se manifestent dans l’état normal, dans l’écriture automatique, ou dans les états de somnambulisme. Des études curieuses sont consacrées à la divination des maladies, à la transposition des sens, à la vision par le cristal, à la connaissance des langues, à la baguette divinatoire, [p. 12] à ces expériences curieuses que l’on a désignées sous le nom de « correspondances croisées » (212).

On sera heureux de trouver ici réunis et traduits beaucoup de documents relatifs à la célèbre Mrs Piper qui a été étudiée à Boston partant d’observateurs remarquables comme R. Hodgson, W. James, Hyslop, F. Myers, Mrs Verrai, Sir Oliver Lodge (166). A propos des personnes qui venaient la voir et qui souvent lui étaient complètement inconnues, Mrs Piper semblait évoquer une foule de souvenirs, de révélations sur leur passé, sur leurs parents, sur les individus qu’ils avaient connus et donnait, à la grande surprise des assistants, une foule de renseignements dont on vérifiait plus tard l’exactitude. Il s’agissait souvent de noms et de dates de naissance plus de deux cents noms qu’elle ne pouvait pas connaître ont été indiqués exactement. « Tous les observateurs, disait Myers, s’accordent à affirmer que beaucoup des faits énoncés ne peuvent pas avoir été connus même par un habile détective et que pour les autres faits il eût été nécessaire de faire des dépenses de temps et d’argent invraisemblables. » « Je suis absolument certain, disait aussi W. James, comme je le suis de n’importe quel fait personnel, que Mrs Piper connaît pendant sa transe des choses dont il lui est impossible d’avoir eu connaissance à l’état de veille (166). Richet conclut «Pour affirmer cette puissance mystérieuse de notre intelligence les expériences faites avec Mrs Piper seraient largement suffisantes (172). »

Je signale le chapitre si curieux sur les monitions et les prémonitions, ce sont des avertissements le plus souvent accidentels qui semblent en relation avec un fait réel quoique celui-ci n’ait pas pu être connu du percipient par les voies ordinaires de la connaissance (307). « Dès qu’on n’aura plus peur d’être pris pour un visionnaire, les cas vont se multiplier… Il n’est pas possible, il est même extrêmement absurde que tous ces faits dont beaucoup sont authentifiés par des enquêtes et des contre-enquêtes soient faux ou erronés. Chaque personne non prévenue qui lira ces témoignages acquerra la certitude qu’il n’y a ni mensonges, ni exagérations, ni hasards multiples qui puissent expliquer toutes ces monitions (334).

Une autre partie de cette longue revue historique porte sur la métapsychique objective qui étudie, non des connaissances, mais des actions dépassant considérablement la puissance humaine [p. 13] ordinaire. «  Les mouvements d’objets sans contact, les télékinésies, constituent le chapitre le plus communément étudié de cette métapsychique objective… Il s’agit d’une action mécanique différente des forces mécaniques connues qui s’exerce sans contact à distance dans des conditions déterminées sur des objets ou sur des personnes. » On trouvera réunis tous les documents sur ce curieux problème depuis les premières observations du juge John W. Edmunds, 1851, et de A. de Gasparin, 1854, jusqu’aux dernières recherches de M. Schrenck Notzing sur le médium Stanislawa. Je signale en particulier le résumé des travaux de W. Crookes et de ses expériences sur D. Douglas Home 1869-70. « On a ri de l’héroïsme de ce grand savant; aux derniers jours de sa glorieuse et laborieuse vie il disait encore qu’il n’avait rien à retrancher de tout ce qu’il avait affirmé jadis (35). » Richet rend également service en réunissant tous les documents sur l’histoire d’Eusapia Palladino (528). « Pendant vingt ans, de 1888 à 1908, Eusapia a été soumise par les plus grands savants expérimentateurs de l’Europe et de t’Amérique aux épreuves les plus rigoureuses, aux investigations les plus perspicaces, et pendant vingt ans tous ces savants décidés à ne pas se laisser tromper ont pu constater que des objets même lourds et volumineux étaient déplacés sans qu’il y ait contact (539). » A ce propos Richet donne quelques indications sur la plupart des médiums célèbres qui ont joué un rôle de 1885 à 1920 Slade, Eglinton, Stainton Moses, Eusapia, Mrs Thomson, Marthe Béraud, Stanislawa Tomczky, Miss Golicher, Mme Léonard.

Richet aborde ensuite un autre phénomène de la métapsychique objective auquel il accorde une importance particulière, celui des matérialisations ou des ectoplasmies, de ces apparitions d’objets à distance des médiums, indépendants de lui quoiqu’ils semblent avoir été créés par lui, et qui disparaissent sans laisser de traces. Tantôt il s’agit de phénomènes lumineux (610), tantôt d’apparences bizarres que l’on peut voir et photographier qui prennent peu à peu la forme d’objets divers, de membres humains ou de figures humaines. « Ce sont des émanations lumineuses plastiques qui sortent souvent de la bouche du médium, quelquefois de sa poitrine, de ses aisselles, de son nombril, on dirait une substance blanche, rampante comme un être vivant, avec des prolongements protoplasmiques humides, qui sous les yeux des assistants se transforme en une main, des [p. 14] doigts, une tête, quelquefois une forme entière (652)… Dans quelques cas on observe une sorte de masse gélatineuse, nuageuse, émanée du corps du médium qui peu à peu s’organise en une forme mobile. en même temps que s’organisent autour d’elle des voiles qui servent à la couvrir et à dérober le mécanisme de sa condensation (627). » Ces objets se dématérialisent e Le phénomène le plus caractéristique est celui de la main du médium qui fond dans la main de l’observateur. Une fois, dit Crookes, j’ai retenu une des mains de Katie dans la mienne, bien résolu à ne pas la laisser échapper. Aucune tentative, aucun effort ne fut fait pour me faire lâcher prise, mais peu à peu cette main sembla se résoudre en vapeur et ce fut ainsi qu’elle se dégagea de mon étreinte (604). »

Enfin des chapitres sont consacrés au phénomène des apports : « Je ne nie pas les apports, il faudrait être d’une témérité inexcusable pour nier quelque chose en métapsychique, je dis seulement qu’on n’a pas pu les démontrer encore (608). »D’autres passages étudient les observations bizarres qui ont donné naissance aux croyances à la lévitation, à la bilocation, à la hantise, etc.

On voit d’après cette rapide énumération que ce gros livre contient la plus riche mine de documents sur tous les phénomènes étranges, vrais ou faux, qui ont depuis longtemps étonné, fasciné et inquiété les observateurs consciencieux.

III

On ne peut exposer des faits sans en faire si peu que ce soit la théorie les tentatives d’explication sont nécessaires pour rendre les faits vraisemblables et pour guider les recherches. Richet se montre très prudent et très réservé dans les quelques interprétations qu’il présente.

D’abord nous le voyons attaquer et supprimer les interprétations aventureuses qui dépassent les faits et les compliquent. Il se montre particulièrement sévère pour les théories spirites qui d’ordinaire sont intimement liées avec l’étude des phénomènes supra-normaux. « Les spirites ont voulu mêler la religion à la science et cela au grand détriment de l’une et de l’autre. Au lieu de faire œuvre scientifique ils ont fait œuvre religieuse ils ont entouré de mysticisme leurs séances, faisant des prières comme s’ils étaient dans une chapelle, [p. 15] parlant de régénération morale, se préoccupant avant tout de mystère, satisfaits de converser avec les morts et se perdant dans des divagations enfantines… L’au-delà lès a perdus, ils se sont noyés dans des théologies et des théosophies puériles… Il ne faut pas rêver aux mondes éthérés ni aux émanations animiques, il faut rester terre à terre, être sobre de théories et se demander humblement si tel ou tel phénomène que l’on étudie est vrai sans prétendre en déduire les mystères de nos existences antérieures ou ultérieures. La religion spirite est l’ennemie de la science (14). »

D’ailleurs si on examine les faits, « rien ne prouve que ces fantômes qui parlent et se meuvent aient une existence psychologique personnelle (626). Les paroles de ces prétendus esprits ont peu de valeur démonstrative. Si la survie doit consister à avoir l’intelligence que nous montrent ces désincarnés, j’aime mieux ne pas survivre; cette personnalité spirite n’est pas seulement incohérente, elle est médiocre (776)… Cette âme des désincarnés est énormément différente de l’âme réelle de nos amis (258) ».

D’autre part ces fantômes dépendent toujours plus ou moins de la fantaisie du médium. « Naïvement nous croyons entendre la parole d’un désincarné quand en fait nous assistons aux agitations de la subconscience qui se groupent autour d’une personnalité fictive (776)… Hélène Smith, de Flournoy, nous dit qu’elle est Marie-Antoinette, mais ce n’est pas assez pour nous faire croire que Marie-Antoinette revient en réalité sur terre (625)… Malgré quelques cas compliqués comme le Georges Pelham de Mrs Piper, le Raymond Lodge (259), ces divagations sont des manifestations de l’intelligence subconsciente des médiums qui est si souvent au-dessous de la médiocrité (87). »

Ces critiques de la théorie spirite n’ont pas été sans provoquer d’assez violentes réactions comme on peut le voir en particulier dans le Journal de la Soc. for Psychic. Res. Américaine, oct.-déc. 1922. Ces luttes ont amené des réflexions philosophiques intéressantes, mais elles ont inspiré des appréciations sévères dans les comptes rendus contre l’ouvrage de Richet et contre ses recherches sur l’ectoplasme.

Richet préfère une interprétation, du moins un résumé des faits beaucoup plus simple. II est difficile de donner une définition générale qui convienne à tous ces faits de la métapsychique leur caractère [p. 16] le plus général paraît être l’étrangeté et la révolte contre les lois connues du monde qui nous entoure. Mais on peut cependant préciser un peu ce qui paraît en eux si surprenant ces faits manifestent toujours une adaptation intelligente, analogue à celle que nous connaissons dans les conduites humaines ce sont des manifestations intelligentes. Quand il s’agit de télépathie, de pressentiment ou de lucidité, cela est évident; mais il en est de même dans des phénomènes en apparence plus matériels : « Les forces qui déterminent les mouvements d’objets sans contact, les apparitions, certains phénomènes mécaniques et lumineux paraissent ne pas être aveugles et inconscients comme le chlore, le mercure et le soleil: elles n’ont pas le caractère de fatalité attachés aux phénomènes mécaniques et physiques de la matière, elles semblent avoir des intelligences, des volontés, des intentions qui ressemblent aux volontés et aux intentions humaines (3). » Mais ces conduites intelligentes dépassent énormément la puissance que nous sommes habitués à accorder à l’esprit humain et à l’activité humaine. II s’agit de connaissances « qu’une intelligence humaine aussi perspicace qu’on la suppose est tout à fait incapable d’acquérir dans ces conditions (40)~ et de modifications physiques du monde extérieur qu’aucune activité humaine ne peut d’ordinaire produire de cette manière. Voir et décrire ce qui se passe en Australie, quand nous sommes dans une chambre à Londres, faire remuer un objet placé à dix mètres de nos bras sans nous déplacer et cela sans l’aide d’aucun de ces appareils, qui mettent à notre disposition des forces étrangères, c’est manifester une puissance psychologique tout à fait en dehors de celle que nous nous attribuons d’ordinaire.

Dans quelques cas on peut à peu près expliquer les faits en supposant une extension des facultés, connues : « Après tout il est assez simple de penser qu’Hélène a fixé dans son impeccable mémoire quelques phrases de sanscrit lues dans un, livre il y a dix ans (57, 200). Dans d’autres cas on a cru simplifier le problème en expliquant tout par la télépathie ou par la transmission des pensées d’un cerveau à un autre, ce que l’on considérait comme un phénomène plus simple que la lucidité (75). » Non sans raison Richet proteste contre cette pseudo-explication : « Lire dans ma pensée est tout aussi difficile que de lire une lettre sur mon bureau à deux kilomètres le mot télépathie n’explique rien du tout (76). » Au fond nous ne[p.17] constatons toujours qu’une seule chose, c’est que l’« intelligence humaine a dans certains cas une extension plus grande que celle que nous avons coutume de lui attribuer (60). La notion de faits inconnus et inaccessibles aux autres hommes a frappé l’esprit du médium (331, 746)… Tout se passe, comme si nous avions une faculté mystérieuse de connaissance que notre classique physiologie des sensations ne peut expliquer, je propose d’appeler cryptesthésie cette sensibilité dont la nature nous échappe (3) ». A chaque instant l’auteur revient sur cette nécessité de réviser nos notions sur les limites de l’intelligence humaine (55). « L’intellect est peut-être beaucoup plus profond que nous ne croyons. C’est notre ignorance qui limite à ces cinq sens toute connaissance possible du monde extérieur (61). Il faudra arriver à l’hypothèse qu’il y a des facultés de connaissance qui ne sont pas déterminées encore, qui sont irrégulières dans leurs manifestations encore mystérieuses (61). Pour peu qu’on y réfléchisse on n’a pas à en être surpris il est évident qu’il existe dans la nature, dans l’immense et féconde nature, des forces que nous ne connaissons pas. Il faudrait être dépourvu de toute trace de bon sens pour supposer qu’il n’y a pas d’autres forces dans le cosmos que celles qui sont analysées dans nos traités de physique… Elles existent ces vibrations inconnues, elles sont à de rares moments capables de toucher les éléments inconscients de notre intelligence et par là d’arriver ensuite jusqu’à ta conscience. C’est déjà beaucoup que de faire cette précise affirmation en présence des négations dédaigneuses de la science officielle et de l’incrédulité sarcastique du vulgaire (256). »

Il en sera de même si on cherche à comprendre les mouvements des objets à distance, les ectoplasmies, les faits de la métapsychique objective il ne suffit pas de dire qu’il y a là des faits qui relèvent de forces inconnues, il faut ajouter que ces forces ont un caractère intelligent, humain et qu’elles dépendent visiblement de l’activité du médium (15). Ces phénomènes se rattachent les uns aux autres ou plutôt ils dépendent tout du phénomène de l’ectoplasmie. « Telékinésie et ectoplasme, c’est la même chose, c’est l’objectivation, la projection d’une force mécanique intelligente hors de l’organisme. C’est toujours une extériorisation de motricité (623, 558). » « Il y a d’abord dans le mouvement sans contact un premier phénomène de matérialisation invisible avec action mécanique, puis une seconde [p. 18] phase de matérialisation visible également avec action mécanique (558). Nous ne serions pas énormément surpris si la découverte de la radiation humaine ou animale était faite rapidement (123). »

On a souvent répété que ces interprétations de Richet n’avaient aucune portée et qu’elles n’ajoutaient rien à la simple description des faits. Elles sont évidemment très prudentes et très restreintes et l’auteur dit lui-même : « En somme tout cela est fort peu de chose et même au point de vue scientifique ce n’est rien (126). » Je ne suis pas tout à fait de cet avis et je pense qu’il y a là une indication importante. Les phénomènes occultes ont été rapportés à des forces mystérieuses d’une nature quelconque. Richet soutient qu’il s’agit de forces vivantes et que les faits dépendent essentiellement t du médium. En somme depuis le début du spiritisme on a graduellement augmenté le rôle du médium primitivement on croyait que les phénomènes pouvaient se présenter sans lui, puis on l’a considéré comme un simple intermédiaire sans importance, maintenant il devient le véritable point de départ de tout ce qu’on observe. Cette notion n’est pas insignifiante elle donne une direction aux études qui doivent devenir avant tout des études de psychologie et de physiologie portant sur un individu particulier.

IV

C’est ce sentiment de l’importance du médium et de la nécessité de son étude qui inspire les indications sur les règles de la méthode nécessaire dans ces dangereuses études. Il y a, en effet, dans ce livre une partie importante que j’aurais aimé à voir mieux distinguée du reste et qui porte sur les règles de la méthode. Cette étude et ces conseils d’un grand expérimentateur en physiologie et d’un homme très expérimenté dans la pratique des séances de métapsychique a pour nous une grande valeur.

Dans beaucoup de ces recherches on est réduit à la méthode des témoignages. Or « les documents sont de valeur prodigieusement inégale et il faut savoir faire un choix difficile avec une critique sévère (12)… si on accepte tout, que d’illusions et que de sottises! Si on n’accepte rien, n’est-on pas exposé à laisser de côté des faits essentiels (592) ? » L’auteur insiste peu sur les règles de cette critique historique un peu spéciale qu’il faudrait appliquer aux récits des [p. 19] observations anciennes : il étudie surtout les méthodes qui permettent de recommencer les observations dans de bonnes conditions.

Il a le sentiment très net que toutes ces méthodes se concentrent autour de la conduite que l’on doit avoir vis-à-vis du médium. II faut commencer par reconnaître qu’il y a w parmi la foule des humains des individus exceptionnels (-13) et que nous avons besoin d’eux pour faire ces études. Par conséquent, nous devons avoir pour eux des égards et il est évident que jusqu’à présent on n’a pas été suffisamment équitable pour ces personnages (52). Nous serions très injustes si nous reprochions au médium de ne pas nous donner pour rien son temps et sa santé (592). Richet est même disposé à accepter les services des médiums professionnels ceux-ci cherchent certainement à exploiter leurs propriétés, mais cela est assez naturel, au début ils ont fourni des phénomènes naturels sans exagération et maintenant ils en fournissent encore si on sait prendre les précautions nécessaires.

En effet il faut prendre des précautions les médiums veulent tirer un profit monétaire de leurs facultés, et de là à la fraude il n’v a qu’un pas, et ce pas il faut reconnaitre qu’il est très souvent franchi (41). « Au début les phénomènes de télékinésie sont vrais, mais le médium qui les a produits spontanément d’abord, plus tard les simule (749). La tentation de fraude est presque irrésistible (517). Partout la crédulité du public tente la cupidité des escrocs (580). » La question est encore plus compliquée, l’état mental des médiums n’est pas du tout normal pendant le cours d’une expérience: ils perdent une partie de leur responsabilité et ils n’ont qu’une bonne foi atténuée (517). Ils ne se rendent pas compte de l’énormité de la faute. On veut des phénomènes, disent-ils, eh bien, on leur donne des phénomènes, puisqu’ils y tiennent tant (584). » Ajoutons que l’obscurité semble une condition de ces phénomènes (594). « Dans l’obscurité, entouré de personnes crédules et souvent ignorantes, ne sachant pas distinguer où sont vraiment ses membres et ce que peuvent faire ses muscles, le médium est tenté de tricher, c’est-à-dire de mouvoir des objets avec sa main tout en prétendant avec sincérité qu’il ne les a pas touchés (5)7). Ce qui rend spécialement difficile l’histoire des matérialisations expérimentales c’est que de toutes les expériences ce sont celles qui sollicitent le plus la fraude [p. 20] et en même temps celles qui sont le plus aptes à la fraude (593). » Richet raconte à ce propos une foule de supercheries célèbres, les préparations d’ustensiles et d’accessoires, les cachettes bizarres qui ont été découvertes (584). Ces insanités encouragées par l’aveuglement du public et par la crédulité de quelques savants honorables ont amené une réaction inévitable. En Angleterre et surtout en Amérique toute une littérature s’est évertuée à démasquer l’étrange naïveté des spirites et la perverse fourberie des médiums professionnels (581). Ce fut pour les savants d’Amérique et d’Angleterre un article de foi aussi aveugle peut-être que la foi des spirites qu’il n’y a pas de phénomènes matériels (582). La Soc. anglaise for Psych. Res. est partie de cet énoncé que tout était subjectif Richet ajoute cependant que depuis quelque temps les idées ont évolué et que l’on a reconnu la nécessité d’étudier aussi les phénomènes physiques.

Mais il résulte de ces difficultés qu’il faut toujours songer à la fraude, «les autres sciences n’ont pas à souffrir de cette plaie… Une seule préoccupation intense et angoissante, envahissant toute ma pensée, fut toujours de n’être pas dupe, je ne pensais pas à autre chose… Il faut toujours avoir présente à l’esprit cette idée dominatrice, obsédante, que le médium fait effort pour tromper (593)… Qu’il s’agisse des professionnels ou des autres, dans tous les cas les mêmes précautions doivent être prises contre la fraude possible. Si j’avais par moi-même quelque pouvoir médianimique j’exigerais que toutes les précautions fussent prises contre une fraude possible, commise ou à commettre par moi (512). Toute expérience exige le plus constant et le plus sévère contrôle, quel que soit le médium c’est à ce prix seulement qu’une expérimentation est valable. Richet indique dans de longues études toutes les précautions que l’on a prises dans telle ou telle expérience et celles que l’on doit prendre dans certaines recherches, en particulier dans les séances de mouvements sans contact et de matérialisation (587, 650).

Après avoir pris des précautions contre le médium il faut savoir prendre des précautions contre soi-même. Il est plus difficile qu’on ne le croit de ne pas se tromper soi-même en collaborant sans le savoir avec le médium : « Si l’on paraît mieux réussir avec la transmission mentale qu’avec la lucidité pure, c’est bien souvent parce que, connaissant la réponse qu’on veut obtenir, on opère avec moins de rigueur (156)… Quand nous savons le mot qui doit être donné, [p. 21] quand nous attendons pleins d’espérance une réponse, nous sommes assez peu maîtres de nous et assez maladroits pour laisser voir quand la réponse a commencé, qu’elle commence bien ou qu’elle commence mal (521)… Une bonne expérience de métapsychique subjective est d’une extrême difficulté. On ne pourra l’obtenir qu’en se méfiant de tout et de tous et surtout de soi-même Notre désir extrême de voir réussir l’expérience ne doit pas nous pousser à nous tromper nous-mêmes (72). » Les meilleures expériences de lucidité seront toujours celles dans lesquelles la réponse est complètement inconnue de tous les assistants aussi bien que du médium.

Il faut se méfier également de la mémoire : « La bonne foi est dans l’immense majorité des cas absolue, mais l’inexactitude est tout aussi absolue ; on ne trompe jamais, mais on se trompe presque toujours (308)… Le nombre de ceux qui racontent mal une histoire et l’arrangent involontairement, modifiant, altérant les phrases, les réponses, les détails, les heures, est vraiment énorme (69). Une prémonition quand elle n’a pas été racontée ou mieux écrite ante eventum ne peut pas être regardée comme probatoire (455, 496)… Pour éviter beaucoup d’erreurs il faut noter par écrit et sur le moment même tous les incidents de la séance, tout est à noter. on ne note jamais assez de détails et on pèche toujours par la concision (70). »

L’interprétation des faits doit être également sévère il ne faut pas se hâter de conclure à la nature métapsychique d’un fait quand il peut trouver son explication dans les lois des phénomènes normaux. « Dès qu’il est possible d’expliquer normalement un phénomène, c’est l’explication normale que j’adopterai pour peu qu’elle ne soit pas radicalement impossible. Au risque d’exagérer mon scepticisme je dirai que toutes les fois que les mains des assistants ou du médium touchent la table, même légèrement, il faut supposer que les mouvements sont uniquement des mouvements musculaires conscients ou non (516)… Des prémonitions de maladie ou de mort peuvent dépendre de sensations organiques subconscientes (448). Pour qu’une prédiction soit intéressante, il faut que le fait annoncé soit absolument indépendant de la personne qui a eu la prémonition, sinon il pourrait s’expliquer par des influences suggestives, ou par la sagacité plus ou moins consciente (443, 454). » II est bon de garder [p. 22] toujours présent à l’esprit ce principe « L’inconscient est capable de tout ce que peut faire le conscient (56). Grâce à la pantomnésie et au travail inconscient de l’esprit, certains individus sont capables de construire rapidement des édifices poétiques, romanesques, scientifiques, très complexes qui excitent l’admiration, mais qui ne doivent pas nous surprendre plus que s’ils étaient conscients (59).

Enfin il faut prendre des précautions contre le hasard et je signale les chapitres intéressants sur le hasard et le calcul des probabilités dans les études de métapsychique. Une précaution essentielle est de ne tenir compte que des réponses précises en rapport exact avec la question posée et d’éviter l’enthousiasme pour des réponses à côté qui semblent manifester une merveilleuse lucidité sur des points dont on ne parlait pas : « Une réponse, quand elle n’est pas une réponse directe à la question posée, a une valeur probative toujours faible, c’est comme une réponse à un examen qui est juste en elle-même, mais qui ne répond pas à la question posée et dont l’examinateur ne tient pas compte (63). »

Toutes ces méthodes sont excellentes et il est difficile de les exprimer mieux tout au plus aurais-je le désir d’y ajouter quelques précisions dans certains cas particuliers. A mon avis l’étude du médium ne doit pas consister uniquement dans l’examen de sa fourberie et dans la recherche de procédés plus habiles que les siens pour la déjouer. Il ne suffit pas de surveiller le médium pendant la séance, il faut surtout le bien connaître avant la séance au point de vue physiologique et au point de vue psychologique. L’étude de sa constitution, de sa santé, de ses diverses fonctions, la connaissance précise de sa vie antérieure, de son caractère, de ses troubles de diverses espèces, des motifs qui l’ont amené à se conduire de telle ou telle manière expliqueraient bien souvent des phénomènes qui semblent mystérieux et rendraient la surveillance plus facile. C’est un peu dans cette voie que je me suis engagé et c’est le désir d’expliquer par l’analyse du sujet des phénomènes en apparence merveilleux qui m’a conduit à l’étude psychologique du névropathe. Mais il est évident que cette méthode est bien longue et qu’elle nous écarte des vérifications immédiates de la métapsychique. Si l’on veut étudier rapidement les phénomènes occultes eux-mêmes, on est obligé de se borner à surveiller étroitement, comme [p. 23] l’indique très bien Richet, un médium que l’on n’a pas eu le temps de connaître encore complètement.

A propos de la séance elle-même je dois avouer que je redoute toujours un peu les séances à grand orchestre, celles qui sont bien organisées devant un certain nombre de témoins. Quoiqu’il admette que l’on peut faire de bonnes observations quand on est seul (586). Richet semble en général, du moins dans les exemples qu’il donne, accepter assez volontiers les séances sérieuses où plusieurs observateurs se réunissent autour du sujet. Il dit bien que l’assistance ne doit pas être trop nombreuse et que les assistants doivent être sévèrement choisis (587). Si je ne me trompe, cette assistance, cette petite cérémonie crée toujours des conditions psychologiques particulières qui sont souvent fâcheuses. Dès qu’il y a plusieurs personnes réunies autour du sujet, celui-ci change d’attitude, il devient plus entêté, plus réticent, plus vaniteux, plus disposé à la fraude. Les pédagogues nous ont bien appris que pour gronder un enfant, pour l’amener à reconnaître une faute et à la regretter, il faut lui parler seul à seul. Il en est de même pour l’étude du médium qui, sur bien des points, est un grand enfant. Il devient plus confiant, plus simple, plus naïf quand il est seul avec nous et il est le premier à vous expliquer comment les choses se passent, à vous dire ce qui l’a amené à croire à des phénomènes extraordinaires, à se tromper lui-même plutôt qu’à tromper les autres. J’ai raconté autrefois dans mon étude sur un « cas du phénomène des apports comment les choses paraissaient étranges quand le médium était accompagné par les membres de sa famille et combien les choses se simplifiaient quand on avait éloigné du médium des admirateurs plus croyants que lui-même (1). Sans doute les témoins peuvent aider à la surveillance dans certains cas, mais en général ils n’apportant que des gênes et des complicités plus ou moins conscientes. Il y a en particulier un personnage que Richet paraît accueillir assez facilement et dont instinctivement, peut-être à tort, je me défie beaucoup. C’est celui que j’appellerai le barnum du médium et qui joue un rôle analogue à celui de manager du boxeur. C’est lui qui a découvert le médium, qui l’entretient, qui l’exhibe, avec une parfaite bonne foi, bien [p. 24] entendu et simplement dans l’intérêt de la science, mais avec un certain enthousiasme, un peu de vanité et un secret désir de son succès. Une chose difficile, délicate et fâcheuse, j’en conviens, c’est qu’il est bon pour étudier le médium de le séparer pendant un certain temps de son barnum, de même que pour comprendre et pour traiter une jeune fille névropathe il est bon de l’isoler pendant quelque temps de sa famille.

On me répondra immédiatement que je demande là des choses fort difficiles, qui ne sont pas toujours réalisables, car le médium n’est pas à notre disposition dans ces conditions d’isolement. Cela soulève un gros problème de méthode que Richet ne me semble pas avoir traité suffisamment. Faut-il accepter de faire cette étude dans des conditions mauvaises ou du moins médiocres, ou faut-il renoncer à l’étude d’un médium qui semble intéressant? Richet semble répondre de la première manière il croit bon de constater des faits intéressants, même si cette constatation doit être faite dans des conditions qui ne sont pas parfaites. Par exemple après nous avoir expliqué les règles d’une surveillance rigoureuse, il nous dira que « toutes ces précautions, encore- qu’elles soient indispensables, tendent à diminuer l’intensité des résultats. Si l’on veut avoir de brillantes séances il faut laisser le médium assez libre au début, la surveillance viendra plus tard (518) Peut-être sera-t-il trop tard. Un autre détail m’a frappé Richet a eu sous les yeux, tout près, à quelques centimètres de magnifiques ectoplasmes et il n’a pas touché, il n’a pas crevé ses baudruches, il n’en a pas coupé un morceau pour l’analyser C’est qu’il avait promis, solennellement de ne pas toucher ces ectoplasmes qui sortaient du corps du médium il paraît qu’une atteinte à ces. productions bizarres n’était pas sans danger pour le sujet (585, 660). Sans doute il a eu raison de tenir sa parole; mais fallait-il donner cette promesse et accepter cette condition ? D’abord la question du danger pour le médium est discutable il y a eu des esprits comme Katie King, qui ont donné des mèches de leurs cheveux. Phrygia que Richet a vue lui a permis de prendre un cheveu. sur sa tête, madame d’Espérance a fait cadeau aux assistants d’un morceau de sa draperie et les médiums n’en sont pas morts (608). Et puis quand même il y aurait eu danger de crise de nerfs, le problème méritait qu’on s’y exposât. Mais la question n’est pas là une étude sur l’ectoplasme, la vérification de sa [p. 25] réalité, la simple protection contre la fraude est-elle possible, si on ne doit ni toucher, ni prendre ces prétendues matières ? Évidemment non. Alors à quoi bon faire une expérience qui ne peut servir à rien dans les conditions où on l’a fait ? Sans doute il a pu être utile autrefois de constater grossièrement les formes variées de ces apparences métapsychiques, mais aujourd’hui un récit merveilleux de plus ne sert à rien. Ce qu’il nous faut avant tout ce sont des constatations précises qui suppriment le doute. Si par différentes raisons, par l’organisation de la séance, par la présence de personnes suspectes, par des interdictions diverses qu’on nous impose on supprime la possibilité de faire des vérifications définitives, il vaut mieux à mon avis renoncer à de soi-disant examens inutiles et dangereux.

Ces réflexions sont évidemment théoriques; dans la pratique il faut souvent se soumettre aux circonstances Richet espère conserver a l’expérience sa valeur par une surveillance plus grande, par une surveillance parfaite aux autres points de vue. Quand toutes les précautions ont été bien prises, quand il est absolument impossible que le médium ait rien emporté avec lui, qu’importe la présence de témoins fâcheux, de complices possibles tenus à distance et surveillés, de vérifications incomplètes. « Je sais bien que les phénomènes sont extraordinaires, et si monstrueusement extraordinaires qu’au premier abord on est tenté de regarder comme plus probable l’hypothèse de la fraude énorme, répétée, constante. Mais est-elle possible cette fraude ? Je ne le crois vraiment pas quand je pense aux précautions que nous avons tous prises vingt fuis, cent fois, mille fois, il est inadmissible que nous ayons tous vingt fois, cent fois. mille fois été trompés (596). » En un mot Richet corrige ces quelques défauts par la perfection de ses autres méthodes et il a une grande, une absolue confiance dans les critiques, dans les surveillances, dans les vérifications qu’il a faites. A-t-il réussi dans ce grand travail à nous communiquer cette confiance, c’est ce qui nous reste à examiner.

V

Richet ne se borne pas, en effet, à mettre en évidence l’importance et je dirais presque l’urgence des études de métapsychique, à montrer l’interprétation vraisemblable de ces faits et à indiquer les [p. 26] méthodes qu’il faut suivre, les précautions qu’il est nécessaire de prendre dans leur étude. Il a certainement une autre ambition il veut démontrer que, dès à présent, nous devons considérer comme établis un certain nombre de faits très importants et très étranges et il consacre la plus grande partie de ce gros volume à mettre en évidence la réalité de ces faits. « Une conclusion se dégage de tous ces faits tantôt graves, tantôt minuscules, une conclusion que des critiques de détails ne peuvent pas entamer, c’est que la prémonition est un fait démontré, fait étrange, paradoxal, d’apparence absurde enfin, mais que l’on est forcé d’admettre (509). N’y eût-il que Home et Eusapias, la télékinésie devrait être admise ; il n’y a pas dans toute la physique et dans toute la physiologie de phénomène ayant été soumis à un contrôle plus répété et plus sévère (602). Les ectoplasmes comme les télékinésies sont des faits démontrés (699). Je prétends que la science, la sévère et inexorable science doit admettre ces étranges phénomènes qu’elle s’est refusée jusqu’à présent à reconnaître (11). » Cette partie de l’œuvre est évidemment la plus délicate et sur laquelle il est le plus difficile d’exprimer un jugement. Le grand intérêt que je porte à ces études, mon admiration et mon affection pour l’auteur me permettront, je l’espère, d’exprimer mon impression en toute sincérité.

Richet semble avoir écrit son livre pour deux catégories de lecteurs auxquels il fait sans cesse allusion ;d’un côté, il s’adresse à des savants d’esprit un peu étroit, admirateurs de la science officielle, qui accueillent de telles études avec un sourire méprisant et qui condamnent le livre sans même l’avoir lu entièrement. D’un autre côté il s’adresse aux spirites enthousiastes et naïfs qui admettent pêle-mêle n’importe quels racontars et qui mêlent leurs croyances religieuses avec l’interprétation des faits. Pour ces deux catégories de lecteurs auxquels Richet pense particulièrement le livre est très bien fait il intéresse et inquiète les premiers, il arrête et calme les seconds. Mais il me semble qu’il y a une troisième catégorie de lecteurs, parmi lesquels je demande la permission de me compter, qui peuvent se plaindre d’avoir été un peu négligés. Ce sont des personnes qui connaissaient déjà la plupart de ces faits, qui les avaient déjà étudiés avec un grand intérêt, qui de temps en temps avaient cru constater eux-mêmes des phénomènes analogues. Malheureusement [p. 27] les descriptions qu’ils avaient: lues ne leur avaient paru tout à fait démonstratives, leurs propres observations leur avaient paru incomplètes par quelque endroit et insuffisantes et quelle que fût leur inclinaison à admettre quelques-uns de ces faits, il avaient conservé des doutes sur la réalité actuelle des phénomènes métapsychiques. Des esprits de ce genre plus nombreux que Richet ne le croit se sont précipités sur ce livre, ils l’ont lu jusqu’au bout avec une grande sympathie car ils espéraient y trouver la conviction qui leur manquait. Ont-ils trouvé tout à fait ce qu’ils souhaitaient, se sont-ils sentis après cette lecture plus convaincus qu’ils ne t’étaient auparavant ? Je suis obligé de dire pour être sincère, que, si j’en crois mon propre sentiment et celui de quelques personnes qui m’ont communiqué avec tristesse leurs impressions, il n’en a pas toujours été ainsi et que quelques-uns de ces lecteurs sympathiques et hésitants sont sortis de cette lecture étourdis, mécontents et, sans bien savoir pourquoi, un peu plus sceptiques qu’auparavant. Ce résultat est déplorable et, sans faire de critiques à l’ouvrage, je voudrais simplement chercher à l’expliquer : je me pose simplement une problème de psychologie et je me demande de quoi dépend cette fâcheuse impression qui a été produite certainement sur un certain nombre de lecteurs.

D’abord Richet emploie assez souvent un argument fâcheux qui fait une mauvaise impression sur le lecteur dont je parle, c’est l’argument d’autorité. Il peut se résumer ainsi tant d’hommes illustres, Crookes, Myers, James, Lodge, Flammarion et M. Ch. Richet lui-même ont cru à la réalité des phénomènes métapsychiques et vous, chétif, vous vous permettez d’avoir des doutes (165, 174). Est-ce que vous osez considérer tous ces grands personnages comme des menteurs ou des imbéciles ? (761). Cet argument cher à toutes les religions n’est pas absolument sans valeur je l’ai admis au début de cette étude quand il s’agissait simplement de montrer l’intérêt et la légitimité de ces recherches. Nous pouvons suivre un exemple qui vient de haut quand il s’agit de considérer sérieusement ce qui a excité l’intérêt de plusieurs grands esprits, mais nous ne devons pas aller plus loin. Nous ne devons considérer comme vrai que ce qui nous parait évidemment être tel et l’exemple des grands hommes ne doit jamais tenir lieu de démonstration. D’ailleurs cet argument est-il ici bien correct? Richet cite avec complaisance le [p. 28]témoignage de W. James ; je l’ai beaucoup connu, j’ai parlé de tout cela avec lui, et M. M. Baldwin vient de confirmer les souvenirs que j’avais conservés. W. James s’intéressait passionnément à ces problèmes, mais il est toujours resté très hésitant, et il exprimait sans cesse des doutes, même sur la célèbre Mrs. Piper, comme on peut le voir d’ailleurs dans ses lettres qui ont été publiées récemment par son fils (2). Mais peu importe, quand même ces auteurs n’auraient pas eu de doutes, nous avons bien le droit, tout en les respectant et en les aimant, de nous défier de leur sentimentalité, de leur émotivité, de leur mysticisme ils seraient les premiers à nous en remercier. Cet argument d’autorité laisse au lecteur une impression pénible, c’est que l’auteur n’a pas confiance dans ses preuves, puisqu’il est réduit à se servir de celle-là.

Une autre impression fâcheuse me paraît dépendre de l’accumulation des exemples de même fait répété jusqu’à la satiété sans que l’on sente de progrès dans la démonstration. Richet ne procédait pas ainsi quand il présentait un fait biologique il se bornait à exposer avec précision une seule expérience bien faite, celle qu’il jugeait la meilleure. « Certes, quand on considère isolément chacun de ces récits, dit l’auteur, on en trouve qui sont imparfaits et qui ne fournissent qu’une vague démonstration, mais c’est la condition des sciences d’observation. qu’elles ont besoin d’être multipliées pour autoriser une conclusion (335). des cas faibles peu probants qui sont peu démonstratifs profitent des cas qui sont plus démonstratifs (312, 354). » Cela fait penser à la plaisanterie célèbre sur le commerçant qui se ruine sur chaque article, mais qui se rattrape sur la quantité il est singulier de la voir transformée en une preuve scientifique. A chaque instant Richet, avec sa parfaite honnêteté, nous fait observer que l’observation n’est pas bien concluante (312, 354). Mais alors pourquoi la rappeler aussi longuement que les autres, pourquoi en encombrer le volume ? Les lecteurs dont je parle regrettent cet encombrement et auraient préféré une étude complète, exhaustive, sur un petit nombre de cas considérés par l’auteur comme les meilleurs. Cette remarque a déjà été faite dans le compte rendu de M. J. Henry Holt (3) et elle me paraît avoir une certaine importance. [p. 29]

Cette multiplicité et cette variété énorme des observations de valeur inégale a encore un autre inconvénient elle détermine une grande variété dans les appréciations de l’auteur et donne à sa pensée une apparence au moins de flottement et de contradiction. A la fin de chaque chapitre, dans les conclusions sur les phénomènes de lucidité, de mouvements à distance, etc., Richet est extrêmement net et affirmatif : « Tous ces faits sont prouvés, démontrés, l’ensemble constitue un édifice de preuves irréprochables devant lequel doit s’incliner notre petite science d’aujourd’hui (691). » Mais si on revient sur le corps du chapitre et sur le détail des observations on constate à chaque instant les hésitations et les scrupules de l’auteur telle observation était mauvaise, telle autre était incomplète, celle-ci est de seconde main, celle-là a été prise sans précautions suffisantes. Ces critiques sont excellentes el nécessaires, mais comment après toutes ces observations défectueuses arrivons-nous à des affirmations si absolues à « des preuves si éclatantes » ? Richet est convaincu qu’en somme les bonnes observations effacent totalement l’impression des mauvaises. Au contraire, pour te lecteur dont je parle, les bonnes observations, qu’il est d’ailleurs difficile de distinguer, sont noyées dans les médiocres que l’on a conservées beaucoup trop nombreuses.

Malgré les critiques sévères que Richet exprime souvent, on garde l’impression qu’il reste singulièrement indulgent et on se demande avec inquiétude s’il applique bien correctement lui-même les règles dont il nous a si bien expliqué l’importance. Pour ne prendre qu’un exemple, Richet nous a très bien démontré que pour apprécier la lucidité il ne faut tenir compte que des réponses directes à la question posée, que les réponses « à côté » doivent être résolument écartées, même si elles paraissent intéressantes, comme on doit le faire à un examen. Alors que penser des anecdotes suivantes qui sont rapportées avec une certaine complaisance. On demande à la somnambule le prénom de l’enfant de G. « La réponse est Georgette, ce qui est une erreur, puisque l’enfant est un garçon qui s’appelle Jean. Mais G. nous dit que sa femme et lui, si l’enfant avait été une fille, l’auraient appelé Georgette (180). » Dans un autre cas on demande le nom d’une femme : « Ici encore une sottise, car la femme ne s’appelle pas Lucie. Mais on fait observer que le mari de [p. 30] cette femme lui a dit bien souvent Quel dommage que tu ne t’appelles pas Lucie, c’est le nom que je préfère. » Sans doute ces faits ne sont pas présentés comme des preuves éclatantes, mais l’indulgence qui les fait accueillir fait tort à la confiance que le lecteur voudrait avoir dans la sévérité de l’auteur.

Il y a des choses plus graves qui accentuent, si je puis ainsi dire. la séparation entre l’auteur et le lecteur de temps en temps l’attitude de Richet nous surprend, car elle est différente de celle que nous aurions eue dans les mêmes circonstances ; il semble ne pas penser comme nous, et ne pas éprouver les mêmes sentiments. En présence de faits qui exciteraient violemment nos soupçons, nos doutes, qui nous amèneraient à repousser complètement l’observation, il ne paraît pas ému et conserve la même foi inaltérable. Un critique américain fait à ce propos une remarque un peu vive que je n’ose traduire : « He has a faith regarding it which, if not of the kind that moves mountains, is nearer the kind that swallows them (4) » Voici quelques exemples dans une photographie d’ectoplasme on voit apparaître au-dessus du médium une tête de femme, mais il est aisé de remarquer même sur la photographie que cette tête est plate, qu’elle est un dessin découpé dans du papier, bien mieux, que nous pouvons distinguer quelques plis de ce papier. Richet, avec une parfaite bonne foi, le reconnaît et le signale lui-même (653, 672). Ailleurs l’ectoplasme représente le célèbre Bien Boa devant le médium, mais il est évident que ce mannequin a une barbe postiche mal attachée (647). Ailleurs il s’agit de moulages de mains ou de figures : « On constate à la surface du moule les linéaments d’un tissu de gaze léger qui protégerait les doigts ou la figure du médium contre le contact direct de l’argile ou du mastic (542). » Devant ces remarques révélatrices nous bondissons et nous crions à la fraude ce sont des observations à supprimer et un médium à exécuter. Richet reconnaît fort bien que tout cela donne une présomption énorme de fraude (653, 668, 672), mais il ergote d’une manière bizarre. D’abord, dit-il, il faudrait supposer que le médium a apporté, caché, puis fait disparaître ces dessins, ce qui lui paraît impossible (653, 668). Ensuite on n’a pas réfléchi que la matérialisation, la création ectoplasmique d’une barbe postiche, d’un tissu [p. 31] de gaze ou d’un dessin sur un papier déplié avec ses plis est tout aussi intéressante que la matérialisation d’un objet quelconque. Pourquoi vous entêtez-vous à réclamer la matérialisation d’un bouquet de roses plutôt que celle d’une barbe postiche ou d’un journal déplié ? On pourrait même dire que le dessin n’a que deux dimensions tandis qu’un objet ordinaire en a trois et qu’il est plus facile de réaliser un objet à deux dimensions (655, 669). Et en somme il continue à admettre la réalité de l’expérience et il conserve le médium.

La lecture de ces discussions singulières nous cause une impression de malaise il y a là évidemment un malentendu. Nous étions restés obsédés par la peur de la supercherie et de la prestidigitation, et Richet, dans ses règles de méthode, nous avait encouragés à y penser sans cesse. Ces caractères des photographies fortifient grandement la pensée de la fraude parce qu’ils nous montrent le moyen par lequel elle a pu être faite et la rendent plus probable. La règle de Laplace que Richet se plaisait à invoquer nous disait que la rigueur des preuves doit être proportionnée à la gravité des conclusions, et nous repoussons des conclusions si graves dès que les preuves ne sont plus rigoureuses. Richet n’est pas du tout dans le même état d’esprit parce qu’il part d’un autre postulat. Il est convaincu que les précautions contre la fraude peuvent être prises et ont été prises d’une manière parfaite, définitive, absolue « non seulement il n’y a pas de fraude, mais il n’y a pas de possibilité de fraude (667). » II n’y a plus lieu de penser à la fraude, quoi qu’il arrive. Cela étant admis, rien de ce qui apparaît ne peut plus faire pensera la fraude et tout doit être considéré comme de la matérialisation. « Si dans ces conditions, par exemple, une forme enveloppée d’un grand voile blanc sort du rideau, comme il est absolument impossible au médium de s’être procuré un voile blanc, je conclurai en toute sincérité qu’il y a eu matérialisation d’un voile blanc. »

Mais cet état d’esprit différent du nôtre est inadmissible, et il est tout à fait opposé aux règles de la méthode qui nous a été exposée. Nous n’avons jamais le droit de postuler la perfection, l’infaillibilité de nos précautions et l’impossibilité d’une mystification ; nous avons toujours le devoir de reconnaître une erreur possible dès qu’un détail de l’expérience vient nous en montrer la probabilité. Parler autrement c’est prendre l’attitude du croyant et renoncer [p. 32] à la conduite du savant. C’est le sentiment de cette transformation qui trouble le lecteur sympathique, mais hésitant, quand il désirait être convaincu scientifiquement, et qui l’afflige, car elle lui enlève sa confiance dans l’esprit critique de son guide. Les défenseurs de la métapsychique se plaignent souvent que leurs travaux ne soient pas étudiés sérieusement j’ai voulu consacrer au livre de Richet une étude sérieuse. Ce désir doit faire excuser les réflexions que j’ai été amené à faire pour expliquer un sentiment fâcheux éveillé chez quelques lecteurs. Ces réserves ne doivent pas faire oublier la gratitude que nous devons à Richet pour avoir entrepris et continué si longtemps de telles études. Une chose que l’on ignore trop généralement, c’est que de telles recherches sont extrêmement difficiles et extrêmement pénibles. Elles consomment un temps formidable, elles exigent du courage contre les moqueries, une attention de tous les instants, une attitude de soupçon et de reproche vis-à-vis de personnes qui n’en comprennent pas toujours la nécessité. Pour faire de tels efforts, pendant un très long temps, il faut être soutenu par une foi intense et il n’est pas étonnant que de temps en temps cette foi nous entraîne un peu trop loin. Ces excès sont aisés à corriger et n’enlèvent pas leur valeur aux efforts courageux qui les ont accompagnés. De tels travaux amèneront peu à peu à la découverte de tout un monde de phénomènes nouveaux, physiologiques et psychologiques. Évidemment; l’homme s’est perfectionné peu à peu dans le cours des temps et il a acquis de nouveaux pouvoirs; pourquoi cette évolution serait-elle définitivement arrêtée, pourquoi l’homme ne pourrait-il plus acquérir de nouvelles façons de penser et d’agir ? Richet n’est pas parvenu à nous démontrer qu’elles étaient déjà réalisées, mais il aura contribué à les faire rechercher et peut-être à les faire naître.

Dr PIERRE JANET

Notes

  1. Bulletin de l’Institut psychologique, décembre 1901, État mental des hystériques, 2e édition, 1911, F. Alcan, p. 499.
  2. Letters of William James, 1920, I, p. 226, II, p. 242, 311, 319.
  3. A review of Richet, J. of the American Soc. for Pych. Res., déc. 1922, p 655.

 

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