Mathias Duval. SOMMEIL. Extrait du « Nouveau dictionnaire de médecine et de chirurgie pratique s. l. d. du Dr Jaccoud », (Paris), tome 33, SE-ST, 1882, pp. 262-288.
Mathias-Marie Duval (1844-1907). Médecin anatomiste, il fut directeur du laboratoire d’anthropologie de l’École des Hautes Études à Paris, puis professeur d’anatomie à l’École Supérieure des Beaux-Arts. Il collabora copieusement au Nouveau dictionnaire de médecine de Jaccoud.
quelques publications :
— Sur la structure et usages de la rétine. Thèse d’agrégation. 1873.
— Manuel de microscopie. 1873.
— HYPNOTISME. « Nouveau dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques – sous le direction de Jaccoud », (Paris), Tome XVIII. HYP-INFL. 1877, pp. 123-150. [en ligne sur notre site]
Précis de technique microscopique et histologique, ou introduction pratique à l’anatomie générale.éditions J.-B. Baillière et fils, Paris. 1878.
— Précis d’anatomie à l’usage des artistes. 1881.
— Leçons sur la physiologie du système nerveux. 1883.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité les notes de bas de page ont été renvoyées en fin d’article. – Les images on été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
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SOMMEIL. — Il est une loi que l’on avait entrevue depuis longtemps, d’après les manifestations les plus superficielles des fonctions organiques, et dont le caractère général est devenu plus évident encore par suite des études sur la nature intime de ces actes fonctionnels : c’est que la vie de tout organe se compose de périodes alternatives de repos ct d’activité, en entendant par repos un temps pendant lequel ses éléments anatomiques renouvellent leurs provisions de matériaux nutritifs (période d’assimilation), et par activité un temps pendant lequel ils consomment ces matériaux et sont le lieu de dégagement de forces vives diverses (période de désassimilation). Pour les glandes (Voy. SÉCRÉTION), l’analyse de ces deux états successifs est devenue aujourd’hui la clef de l’étude intime des phénomènes de sécrétion ; pour les muscles, la nécessité d’une période de repos après chaque temps d’activité est chose connue de tout temps ; pour les organes des sens, et notamment pour la rétine où l’analyse a été poussée le plus loin (Voy. Théorie du rouge rétinien : RÉTINE, p. 361), il est démontré que tout état d’excitation vive ou prolongée amène un épuisement qui doit être réparé par un temps de repos fonctionnel ; pour les organes qui, comme le cœur, paraissent incessamment en fonction, il n’est pas difficile de voir que cette fonction [p. 263] même n’est qu’une succession rapide d’alternatives de relâchement cet de contraction, c’est-à-dire de repos et d’activité. La loi est donc observée aussi bien dans les organes de la vie de nutrition que par ceux de la vie de relation ; mais pour ces derniers le repos se produit d’une manière plus prolongée, et selon une forme qui résulte de la cessation ou de la diminution d’activité à la fois dans les organes périphériques sensitifs ou moteurs, et dans les organes centraux. Comme, dans l’état d’activité, les fonctions de relation résultent de l’association nécessaire des organes des sens qui reçoivent ct transmettent les impressions, du cerveau qui apprécie ces impressions et veut les mouvements, et enfin des muscles qui exécutent ces mouvements, de même dans l’état de repos de ces fonctions, c’est à la fois les organes des sens, le cerveau et les muscles, qui entrent en inactivité. On donne le nom de sommeil à cette cessation réparatrice, totale ou partielle, des fonctions de relation.
Aussi, depuis Aristote, qui le premier sans doute a écrit un livre sur ce sujet (de Somno et Vigilia ), le sommeil est-il considéré comme un effet du besoin de repos ; c’est ainsi que Bichat (Recherches sur la vie el la mort, 5e édit., p. 57) l’explique par « une intermittence d’action, successive ou simultanée, des organes des sens, autant et même plus que du cerveau. »
Ce repos du système nerveux est très-général : il s’observe chez les animaux les plus inférieurs, et présente même des états équivalents chez certaines plantes ; mais, comme période de cessation plus ou moins complète des actes cérébraux, il est surtout caractérisé chez les vertébrés, et la différence entre l’être animé qui dort et celui qui veille est d’autant plus considérable que les facultés mentales sont plus développées : c’est donc dans l’espèce humaine que le sommeil présente les caractères les plus tranchés, Là le sommeil est surtout, si l’on peut ainsi s’exprimer. une fonction cérébrale.
Le sommeil est donc caractérisé d’abord par une suspension des impressions extérieures, puis par un arrêt dans l’élaboration cérébrale, et enfin par une cessation des réactions motrices encéphaliques connues sous le nom de mouvements volontaires. Hâtons-nous cependant d’ajouter que, si les organes des sens, les nerfs sensitifs, le cerveau, les nerfs moteurs et les muscles dorment, ils sont encore, les uns comme les autres, parfaitement excitables ; mais leu excitabilité, partiellement mise en jeu par telle circonstance particulière, ne sollicitera pas dans l’en semble de l’appareil de relation les réactions coordonnées et régulières (lui sont caractéristiques de l’état de veille. Une impression périphérique provoquera de simples phénomènes réflexes médullaires, mais non des actes cérébraux voulus, ou bien l’éveillera dans le cerveau des élabora lions sensorielles incohérentes, mal associées, et non des mouvements volontaires ; le cerveau lui-même pourra être le siège du retour spontané d’images Intérieurement perçues ct qui réapparaissent d’une manière désordonnée. Ce qui est donc essentiellement aboli pendant le sommeil, c’est la fonction régulière qui lie les impressions extérieures avec le travail [p. 264] cérébral et celui-ci avec les réactions volontaires, c’est la coordination normale des fonctions de relation.
A cet égard, la définition et l’étude du sommeil présentent au physiologiste la même difficulté que la définition et l’étude de la mort. Si Bichat définissait la mort en disant qu’elle est la cessation des fonctions de la vie, on peut définir le sommeil en disant qu’il est la suspension des fonctions de l’état de veille ; resterait alors à définir exactement ce que c’est que la vie et ce que c’est que l’état de veille ; pour le mot vie, on sait que tous les physiologistes ont, avec plus ou moins de succès, tenté sa définition, et qu’en dernier lieu CI. Bernard arrivait à cette conclusion, à savoir que « la vie ne se définit pas ; elle se montre » ; pour ce qui est de l’état de veille, nous ne saurions arriver à une conclusion autre que la précédente, et ici les notions intimes de chacun suppléent largement à toute démonstration. Mais nous pouvons tirer un parti plus utile de ce rapprochement entre le sommeil et la mort. Quand on vient de décapiter un animal, surtout un animal à sang froid, les nerfs et les muscles sont encore excitables ; le cœur continue à battre ; vingt-quatre et quarante-huit heures après qu’une grenouille a été sacrifiée, le cœur peut encore présenter des mouvements spontanés, les cils vibratiles de l’œsophage s’agitent encore régulièrement, alors que, par exemple, certains muscles superficiels sont déjà entrés en putréfaction ; nous ne pouvons pas dire que ce cœur, que cet épithélium vibratile, aient cessé de vivre, et cependant l’animal auquel ils appartiennent est mort, bien mort. De même, sur un sujet endormi, des muscles se contractent, des mouvements compliqués sont accomplis, certaines régions cérébrales élaborent et combinent des souvenirs, des images, et certaines impressions extérieures arrivent au cerveau ; il y a dans tous ces organes des réveils locaux et circonscrits, et cependant l’individu dort. Dans un cas, nous disons qu’il y a mort parce que désormais a cessé toute possibilité de coordination entre les vies partielles et encore longtemps prolongées des tissus et des éléments anatomiques ayant conservé leurs propriétés ; dans le second cas nous disons qu’il y a sommeil de l’individu parce qu’il y a semblablement disparition de toute association régulièrement coordonnée entre les divers organes de relation qui peuvent demeurer à l’état de veille partielle et conserver leur excitabilité.
A cet état de suspension des actes de la vie de relation correspond le plus souvent une activité plus grande dans les organes de la vie de nutrition, ou, pour mieux dire, une plus grande intensité dans les actes de nutrition en général, en comprenant plus spécialement sous cette désignation les phénomènes d’assimilation. Aussi la durée de temps consacré au sommeil dans les diverses périodes de la vie est-elle en raison directe du besoin d’assimilation, de réparation, de croissance de l’individu : le nourrisson ne fait guère que dormir et manger ; l’enfant passe plus de la moitié de sa vie à dormir ; le convalescent de même; l’adulte ne consacre guère plus du tiers de son temps au sommeil.
L’influence de la suspension des excitations extérieures sur la production du sommeil est rendue évidente par l’observation suivante de [p. 265] A. Strumpell. Il s’agit d’une jeune malade de seize ans qui était affectée d’une anesthésie générale de la peau et des muqueuses, d’une paralysie du sens musculaire, de l’odorat, du goût, et qui n’avait plus de communication avec le monde extérieur que par l’œil droit et l’oreille gauche ; et encore ces rapports pouvaient-ils se suspendre dans certaines circonstances, et le cerveau restait alors entièrement isolé de tous les excitants extérieurs. Il suffisait pour cela de boucher l’oreille et l’œil. Deux à trois minutes après, le sujet était entièrement endormi, sa respiration devenait régulière et tranquille. Il n’était possible de le réveiller qu’en agissant par excitation sur l’oreille ou l’œil.
Le sommeil consistant dans la suspension des fonctions de relation, et celte suspension ayant généralement pour point de départ la cessation des impressions extérieures, il est tout naturel que, pour l’homme et la plupart des animaux, la nuit soit devenue le moment préféré de ce repos, j’obscurité et le silence étant les conditions mêmes de l’inactivité des deux principaux organes des sens. Pour quelques animaux qui ne sont pas capables de maintenir dans leur milieu intérieur une température suffisante, la saison de l’hiver, par l’engourdissement que cause le froid, devient une longue période de sommeil et de repos. Mais chez les animaux à sang chaud ces périodes alternatives d’activité et de sommeil ont dû être plus courtes, et ont pris une forme quotidienne, en raison même des alternatives cosmiques du jour et de la nuit. Puis, pour l’homme en particulier, en raison des habitudes individuelles, le besoin de dormir a pris pour chacun une forme périodique particulière, devenant exigeant à certains moments réguliers, comme le deviennent du reste tous les besoins (celui de la défécation, par exemple) qu’on prend l’habitude de satisfaire à une heure donnée.
Ce besoin est un besoin général, comme celui de la faim ou de la soif, c’est-à-dire qu’il n’a pas d’organe spécial, et se fait sentir comme une lassitude avec tendance à l’engourdissement général ; c’est ce que Lasègue appelait récemment l’appétit du sommeil ; mais sur quelques parties cette lassitude est plus accentuée, et il suffit d’invoquer nos impressions de tous les jours pour savoir ce que sont cette lourdeur de la tête, cette fatigue des paupières, ces spasmes de bâillements connus de tous comme signes objectifs et subjectifs du besoin de dormir, ces manifestations locales, ainsi que l’état qu’elles traduisent, étant favorisées et exagérées par certaines circonstances telles que d’une part la diminution de lumière, le silence, l’état de digestion, et d’autre part tout bruit monotone, toute occupation dite ennuyeuse.
Le sommeil, succédant à une grande fatigue intellectuelle ou musculaire, peut s’établir brusquement, d’emblée ; mais d’ordinaire il envahit successivement les diverses parties-de l’appareil de relation : après les bâillements, la diminution de l’attention et des mouvements spontanés, survient, dans un ordre assez régulier, l’inertie de certains muscles : d’abord ceux de la nuque, d’où ces oscillations de la tête que son poids entraîne en avant vers la poitrine; puis .ceux des membres, et enfin le [p. 266] muscle releveur de la paupière. Dès lors les sensations visuelles sont supprimées ; celles de l’ouïe subsistent encore un temps, mais affaiblies, comme lointaines, puis avec elles disparaît la conscience du moi et le sommeil est établi.
Quand on examine avec soin, comme l’a fait Marvaud, l’ordre dans lequel s’assoupissent successivement chacun des sens, on constate que le silence commence, comme il était facile de le prévoir, par la vue, qui se trouble et s’affaiblit, déjà avec le besoin de dormir, et qui cesse avec l’occlusion des paupières ; après la vue, le toucher s’émousse, le goût s’engourdit ; l’odorat su l’vit encore quelque temps, puis, après lui, l’ouïe termine la succession des phénomènes de l’invasion du sommeil.
C’est à ce moment, pendant cette extinction successive des impressions des organes des sens, que se produisent, comme l’a fait observer Baillarger, les hallucination hypnagogiques, c’est-à-dire correspondant à la période d’invasion du sommeil : « Les organes des sens cessant de nous transmettre les impressions extérieures, la direction de nos idées nous échappe, et tout ce qui surgit apparaît spontanément : tantôt vagues et confuses, des formes fantastiques se succèdent, nous en avons à demi conscience ; tantôt des formes plus nettes s’accusent et nous assistons à un spectacle étrange auquel nous ne prenons pas une part active, mais qui laisse une trace dans nos esprits. Toute intervention extérieure fait évanouir, disparaître ces visions. Un bruit soudain, l’action de la lumière, réveillent les sens, appellent l’attention, et tout s’efface. » (Baillarger).
Quelquefois le sommeil, tout en conservant sa forme normale (sans hypnotisme), s’établit d’une manière particulièrement brusque, sans prodromes, ou, selon l’expression de Lasègue, sans aura. Cet auteur cite plusieurs exemples très-curieux de ce genre, et entre autres celui d’un garçon marchand de vin qui, pris souvent, dans l’exercice de ses fonctions d’une envie subite de dormir, y succombait instantanément, debout, le verre en main, tandis qu’il servait la pratique, au grand étonnement des consommateurs. Un comble en ce genre, c’est l’observation de cette comtesse belge s’endormant chaque soir, quoi qu’elle fît, restant figée pour ainsi dire dans l’action commencée au moment du sommeil ; mais là s’ajoutait la catalepsie : le sujet restait fixe, la bouche ouverte, dans la même position jusqu’au lendemain matin.
Quand le sommeil est complétement et profondément établi, le sujet est comparable à l’animal auquel le physiologiste vient d’enlever les hémisphères cérébraux ; chez l’un comme chez l’autre tout mouvement volontaire a disparu ; mais aussi les mouvements réflexes, à centres médullaires, subsistent et sont même devenus plus faciles : on sait que chez l’homme, où, à l’état de veille, les centres cérébraux commandent complétement aux centres médullaires, ce n’est guère qu’en surprenant un sujet dans le sommeil qu’on peut constater des mouvements purement réflexes et, par exemple, amener, en chatouillant la peau de la plante du pied, ce retrait du membre inférieur par flexion de la jambe sur la cuisse et flexion de la cuisse sur le bassin, mouvement identique à celui de la grenouille [p. 27] décapitée sur la patte de laquelle on dépose une goutte d’eau acidulée ; et si, sur la grenouille décapitée une irritation un peu plus forte (acide moins dilué) produit une réaction réflexe plus générale, un mouvement de fuite coordonné (par les centres médullo-bulbaires}, de même, chez l’homme endormi. une cause de gêne quelconque (attitude douloureuse pour un membre, piqûres d’insectes, etc.) amène des mouvements de déplacement complet, des changements d’attitude dans le lit, mouvements bien connus, incessamment renouvelés parfois pendant toute la durée du sommeil, et qui sont de l’ordre des phénomènes purement réflexes.
Mais le sommeil est rarement complet, absolu, profond ; les hémisphères cérébraux sont, non-seulement dans la période hypnagogique, mais pendant la durée même du sommeil, le siège de la réviviscence d’images antérieurement perçues, images qui provoquent l’apparition d’autres images, se combinent avec elles et produisent ce que nous étudierons plus loin sous le nom de rêves. La seule question que nous ayons à nous poser ici est de savoir s’il existe bien réellement des cas de sommeil sans rêve ; encore, nous en tenant à la simple observation et, pour ainsi dire, au simple bon sens, n’aurions-nous pas à nous poser cette question, car il est bien certain que le sommeil profond ou complet (sans rêves) existe ct se produit surtout à la suite d’un certain degré d’épuisement des fonctions musculaires, après une longue marche, un travail corporel pénible : c’est le sommeil des ouvriers, des maœuvres et des laboureurs. Mais les philosophes, partant de l’aphorisme de Descartes : « Je pense, donc je suis », ont dû se demander ce qu’il adviendrait de la pensée, de l’âme, pendant un sommeil profond : le rêve est encore une manière de penser, un mode d’activité de l’âme, qui pendant ce mode de sommeil existe, puisqu’elle pense; mais dans un sommeil sans rêve, plus de pensée, dont; plus d’existence du principe immatériel qui n’est que par son fonctionnement même. Aussi les philosophes ont-ils nié le sommeil sans rêve, et soutenu que dans l’état même du plus profond engourdissement doivent se produire, par chaîne ininterrompue, des rêves dont aucun souvenir ne reste au réveil. Le physiologiste, ne distinguant pas la pensée, qui est une l’onction, d’avec le cerveau, qui en est l’organe, n’a pas à entrer dans ces subtilités métaphysiques : il conçoit très-bien que les hémisphères cérébraux puissent entrer dans un repos complet, n’étant plus alors le siège que d’actes de nutrition, d’assimilation, sans élaboration intellectuelle. Au philosophe qui ne peut concevoir une interruption dans la pensée il oppose les nombreux faits expérimentaux de paralysie des muscles et des nerfs par les agents qui suppriment momentanément l’excitabilité de ces organes ; il oppose les faits de suspension si prolongée et si complète de la vie chez les animaux reviviscents ; et quant aux rêves, au lieu de voir en eux une période dans laquelle l’organe cérébral se repose, pendant que la pensée immatérielle subsiste, il y voit des faits de conservation d’excitabilité et de fonctionnement partiel au milieu du repos général, de même que, en constatant les mouvements du cœur ou des cils vibratiles sur un animal décapité (ci-dessus page 264), il voit des faits de [p. 268] conservation partielle des propriétés et du fonctionnement, de survie, en unmot, des tissus et organes, au milieu de la mort de l’ensemble de l’organisme.
Ces quelques considérations nous dispenseront sans doute de chercher à expliquer les définitions du sommeil données par quelques auteurs qui ont fait intervenir ici des idées plus ou moins mystiques : tel Cabanis, pour qui le sommeil « n’est pas un état purement passif, mais une fonction particulière du cerveau, qui n’a lieu qu’autant que dans cet organe il s’établit une série de mouvements particuliers dont la cessation ramène la veille » (Rapp. du phys. et du moral, 5° édit., T. Il, p. 106); tel encore Burdach (Physiol., trad. fr., T. V., p. 231), qui attribue le sommeil à la suppression des antagonistes entre les impressions données par les sens et la conscience ; … au retour de l’âme à la vie embryonnaire. »
Le sommeil complet peut s’établir presque d’emblée, c’est-à-dire sans période hypnagogique, et cesser de même; mais le plus souvent il est précédé de la période de rêves à laquelle nous avons fait précédemment allusion, et le retour à l’état de veille a lieu par degrés successifs, dans lesquels se réveille tour à tour chaque faculté, ce qui produit un nouvel état de rêvasserie bien connu, où, selon l’expression consacrée, le sujet se sent dormir.
Causes du sommeil. — Après ces rapides indications, qui ne font que résumer ce que tout le monde a éprouvé et ce que tout le monde peut observer par l’analyse portée sur soi-même, il s’agit de pénétrer plus intimement dans l’étude physiologique du sommeil ; de rechercher quel est l’état anatomique du cerveau dans le sommeil ; quelles sont les causes du sommeil, et enfin comment sont modifiées pendant cette période les fonctions du cerveau lui-même et celles des divers organes.
La recherche des causes du sommeil est intimement liée à celle de l’état anatomique du cerveau pendant le sommeil. En effet, la première question qu’on s’est posée dès qu’on a cherché à analyser physiologiquement le phénomène a été de savoir s’il y avait pendant le sommeil anémie ou hyperémie du cerveau. Les anciens croyaient que l’état de sommeil était la conséquence d’une compression opérée sur le cerveau par l’accumulation dans le crâne d’une grande quantité de sang ; le fait que l’homme prend, pour dormir, une position voisine de l’horizontale, et dans laquelle la tête devient relativement déclive, semble avoir été l’origine de cette théorie, et en effet les anciens supposaient que dans le sommeilla pression du sang sur le cerveau s’exerçait surtout à la partie postérieure de la tête, au point où les vaisseaux veineux de la dure-mère viennent aboutir dans le confluent central dit torcular ou pressoir d’Hérophile ; l’expression de vis ou pressoird’Hérophile était du reste une figure qui n’exprimait pas autre chose que cette idée d’un point central de compression en rapport avec l’établissement de l’état de sommeil.
En 1865, un médecin anglais, Durham, vint contredire expérimentalement cette vieille théorie, et montrer que le sommeil est caractérisé au contraire par un état d’anémie. A cet effet il pratiquait une couronne de [p. 269] trépan chez des chiens, examinait directement par cette fenêtre crânienne l’état de la circulation cérébrale pendant le sommeil naturel et pendant l’action des anesthésiques ; il vit, quand l’animal s’endormait, le cerveau devenir pâle, exsangue ; en même temps qu’il diminuait de volume, il s’affaissait notablement au-dessous de la plaie osseuse ; enfin il constata que les petits vaisseaux se vidaient de sang et devenaient incolores au point d’être bientôt invisibles. Par contre, dès que l’animal se réveillait, le cerveau reprenait son volume ordinaire, sa coloration rouge accoutumée. Ces observations, faites sur le chien, furent confirmées par W. Hammond, de New-York (1868 et 1854), qui eut occasion de constater l’anémie cérébrale pendant le sommeil naturel chez un homme qui avait eu le cerveau mis à nu sur une étendue considérable à la suite d’un accident de chemin de fer. Enfin, Ernest Samson (1864) publia en Angleterre des expériences faites avec le chloroforme, l’éther, l’alcool, et arriva également à celte conclusion que le sommeil anesthésique est accompagné d’un ralentissement considérable de la circulation cérébrale.
Ces conclusions sont bien en rapport avec les notions générales de la physiologie sur la circulation des organes à l’état de repos et à l’état d’activité: quand un organe est en repos, il contient moins de sang que lorsqu’il travaille ; c’est ce que Cl. Bernard a démontré pour les muscles et les glandes, et en particulier pour le pancréas, qui, rouge et turgescent lorsqu’il fonctionne, est pâle et exsangue dès que la fonction est arrêtée. —Cependant les expériences faites sur les sujets, hommes ou animaux, endormis par l’action des anesthésiques, avaient donné quelques résultats contradictoires : Bedford-Brown, médecin aux États-Unis, dans un cas de fracture avec perte de substance chez l’homme, avait observé une turgescence et une hyperémie du cerveau au moment de l’administration de l’agent anesthésique ; Brown Séquard signalait, chez des animaux, la congestion des vaisseaux de la base du cerveau ; Langlet rapportait de son côté des observations de gonflement de la masse encéphalique, gonflement qu’il attribuait du reste à des causes intercurrentes de gène de la respiration. Le même auteur était amené à trouver, dans le fait du rétrécissement de la pupille pendant le sommeil un argument en faveur de la congestion cérébrale, c’est qu’il admettait que le resserrement pupillaire dépend de la congestion sanguine de l’iris ; nous verrons plus loin que le mécanisme en est tout autre et dépend directement de l’innervation des fibres musculaires iriennes. De même Cubler soutenait la thèse ancienne de la congestion sanguine du cerveau pondant le sommeil, en s’appuyant sur l’afflux de sang qu’on observe parfois à la face des dormeurs (conjonctive, oreilles, joues) ; mais, outre qu’il ne faut pas conclure de la congestion de la face à celle du cerveau, cette congestion tient bien moins nu sommeil lui-même qu’à des particularités d’attitude du dormeur, certaines positions produisant alors des obstacles dans la circulation en retour des membres supérieurs et de la tête : il y a alors, comme dans les premières périodes de l’anesthésie, gêne de la respiration.
C’est qu’en effet, comme l’a fait remarquer Cl. Bernard (op. cit. page [p. 270] 147), l’anesthésie peut s’accompagner de symptômes d’asphyxie et de troubles qui suspendent la respiration, surtout au premier moment de l’administration de la substance anesthésique : alors il y a certainement congestion du cerveau, mais, si l’asphyxie cesse et que l’anesthésie survienne, alors il y a pâleur et anémie, dans l’anesthésie provoquée comme dans le sommeil naturel. Du reste, Claude Bernard a repris ces expériences de la manière suivante : sur un lapin il pratiquait à la boîte crânienne un trou circulaire ayant à peu près les dimensions d’une pièce de 50 centimes ; le cerveau étant mis à nu sur ce point, on constate que, si l’animal, à l’état de veille, est tranquille, la teinte du cerveau est d’une couleur rosée peu accentuée ; mais, lorsqu’il fait des efforts, pousse des cris, se livre à une agitation quelconque, on voit aussitôt une plus grande abondance de sang dans le cerveau qui, rouge et gonflé, fait saillie hors de la boîte crânienne. Si maintenant on lui fait respirer un anesthésique, on voit d’abord se produire une hyperémie cérébrale avec les caractères précédemment décrits, le cerveau rougit, se gonfle, et fait hernie par le trou du trépan. Mais bientôt les phénomènes changent: la hernie rentre dans la boîte crânienne, le cerveau reprend son volume normal, sa teinte diminue progressivement, et en très-peu de temps il devient sensiblement plus pâle qu’à l’état ordinaire, avant l’administration de l’anesthésique: les membres sont alors en pleine résolution et complètement insensibles. Regnard, qui a fait des expériences semblables (1868), est arrivé aux mêmes conclusions.
La question de la vascularisation cérébrale pendant le sommeil était donc dès lors résolue. Elle a reçu encore un complément d’information par les expériences plus délicates instituées dans le but d’apprécier les changements de volume du cerveau. Ces observations et expériences ont été faites soit chez l’adulte, sur des sujets atteints de perte de substance de la boîte crânienne, soit sur l’ enfant nouveau-né, en utilisant la disposition que présentent les fontanelles du crâne. — Chez l’adulte, Bruns, qui observa une femme atteinte de nécrose syphilitique, disposa un levier coudé qui amplifiait les mouvements du cerveau (dus à la respiration et à la circulation] et constata pendant le sommeil une diminution de l’amplitude de ces mouvements ; plus récemment (1881) Mosso, chez trois sujets, il l’aide de son pléthysphygmographe, a pu comparer les mouvements d’expansion et de resserrement des vaisseaux de l’encéphale et de ceux de l’avant-bras : dans le sommeil la réplétion vasculaire cérébrale diminue, tandis qu’elle augmente dans l’avant-bras ; de plus il a vu que, dans le sommeil, et surtout dans la période intermédiaire entre le sommeil et le réveil, toute excitation externe, portée sur les organes des sens ou sur la peau amène une contraction des vaisseaux de l’avant-bras et un afflux de sang vers le cerveau. Mosso est amené à penser que les rêves peuvent produire des changements semblables dans la circulation ; mais du l’este il admet qu’il y a dans le sommeil profond une période pendant laquelle la circulation est parfaitement uniforme et qu’à cette uniformité correspond un repos complet des centres psychiques. — Sur [p. 271] les enfants, Langlet, à l’aide du sphygmographe de Marey, a obtenu quelques résultats qui sont d’accord avec les faits sus-énoncés, quoique ses observations aient éé souvent incomplètes parce que l’application de l’appareil réveillait les enfants ; d’autre part Salathé a constaté que « les mouvements de la fontanelle, liés à l’action du cœur, offrent une excursion plus développée pendant le sommeil que pendant la veille, ce qui dénote une diminution de la tension intra-crânienne » ; on sait en effet que l’amplitude des oscillations de la tension vasculaire est d’autant plus grande que cette tension (tension constante) est moindre, et inversement ; c’est du reste ce que, pour l’équilibre des liquides dans le crâne, Salathé a vérifié sur la fontanelle : « en effet, dit-il, la tension de la fontanelle est d’autant plus prononcée que la tête est portée plus bas ; dans ce cas les battements présentent une amplitude très-faible, qui augmente au fur et à mesure qu’on relève la tête de l’enfant ».
En résumé : dans le sommeil, les vaisseaux de l’encéphale l’enferment moins de sang ; la masse cérébrale est comme revenue sur elle-même ; à ce retrait doit correspondre, d’après ce que l’on sait des fonctions du liquide céphalo-rachidien, un afflux dans le crâne du liquide sous-arachnoidien venant du canal rachidien : il y a donc dans le sommeil anémie dans la boîte crânienne, et sans doute hyperémie ou tout au moins stase veineuse dans le canal vertébral.
Mais, si nous arrivons ainsi à réfuter l’ancienne théorie qui attribuait l’état de sommeil à une compression de l’encéphale par une accumulation de sang dans le crâne, il faut bien se garder de tomber dans une erreur de même genre, en regardant l’anémie cérébrale qui accompagne le sommeil comme la cause de ce sommeil. Le sommeil normal est l’état de repos de l’encéphale ; dans cet organe il y a alors, comme dans tout organe dont l’activité est ralentie, diminution dans l’afflux du sang ; mais les deux états, celui de l’organe et celui de ses vaisseaux, ne sont pas fatalement liés l’un à l’autre : en effet, de même que certains agents, l’atropine, par exemple (Voy. SÉCRÉTION), peuvent arrêter momentanément la sécrétion des glandes, sans empêcher les phénomènes de vaso-dilatation, de telle sorte qu’une glande pourra alors être hyperémiée et cependant rester à l’état de repos, de même l’encéphale peut dormir alors qu’il est, dans des conditions exceptionnelles, le siège d’une congestion plus ou moins intense : ainsi, chez un chien auquel on coupe les deux cordons sympathiques cervicaux, il y a hyperémie de toutes les parties extérieures et intérieures de la tête, et sans possibilité vraisemblable de changements dans l’état de vascularisation du tissu cérébral ; cependant, selon les observations de Brown-Séquard, le sommeil se produit chez ces animaux comme à l’état normal. On sait aussi que le sommeil pathologique ou coma coïncide en général avec une congestion plus ou moins marquée des centres nerveux. Nous dirons donc seulement que l’anémie cérébrale accompagne normalement l’état de sommeil, mais qu’elle n’en est pas la cause ; il faudrait plutôt établir un rapport inverse, à savoir que c’est l’entrée du cerveau en état de repos qui commande une modification [p. 272 vaso-motrice réflexe, se traduisant par le resserrement de ses petits vaisseaux.
Quelle est donc alors la cause du sommeil ? Nous l’avons dit précédemment, en cherchant à établir la nature du besoin de dormir, besoin qui est une sensation générale, comme celle de la faim et de la soif, la cause du sommeil est la nécessité, pour les organes qui ont fonctionné à l’état de veille, de réparer leurs pertes, d’assurer leur nutrition ; à cet effet, pour l’encéphale en particulier, comme pour tous les tissus, comme pour les glandes (car on se trouve comme fatalement ramené toujours à établir ce rapprochement entre les organes de sécrétion et les organes de la pensée), à l’active circulation qui accompagne la période de travail succède la circulation plus calme qui partout favorise les actes réparateurs ; à la circulation fonctionnelle succède, selon les expressions de Claude Bernard, la circulation nutritive.
Mais, si la question de l’état de la circulation cérébrale est ainsi bien tranchée, ou du moins ramenée il ce que nous savons expérimentalement de tous les organes, ne peut-on aller plus loin, quant à l’organe cérébral lui-même, dans l’explication de cette période de réparation et de nutrition ? On l’a tenté, non sans succès, on peut le dire, si l’on veut s’en tenir à un énoncé général, en évitant de se payer de mots lorsqu’on arrive à l’analyse théorique des actes les plus intimes. Ainsi l’état de fatigue d’un organe, d’un muscle, d’une masse nerveuse, résulte de deux causes:: l’épuisement par désassimilation de ses provisions de matériaux fonctionnels, l’accumulation en son tissu des produits de cette désassimilation ; et l’ état de repos aura pour objet le renouvellement des provisions de matériaux et l’enlèvement des déchets devenus nuisibles, ou tout au moins inutiles et encombrants pour le tissu. Selon que les auteurs ont considéré plus particulièrement l’un de ces deux éléments des causes de la nécessité du repos, ils sont arrivés à une théorie plus ou moins exclusive du sommeil. Ainsi la théorie, si complexe, formulée par Obersteiner (1872) et par Proyer (1875), se réduit à dire que le sommeil survient lorsque, par suite de l’activité du cerveau, la substance de cet organe, comme celle d’un muscle fatigué, se trouve encombrée par une certaine quantité de détritus acides ; la présence même de ces produits arrête à un moment donné l’activité cérébrale, qui ne peut reparaître, comme l’irritabilité musculaire, que lorsque le repos a permis l’élimination complète de ces déchets. Or même qu’on produit artificiellement la fatigue du muscle en injectant dans ses vaisseaux un solution légèrement acidulée, de même Preyer a essayé de donner à cette théorie une démonstration expérimentale, et en effet, considérant le lactate de soude comme propre à représenter le type des produits de désassimilation ou déchets cérébraux. il est parvenu plusieurs fois à produire, par l’absorption d’une certaine quantité de ce sel, un état caractéristique de somnolence avec bâillements, ou même il provoquer le sommeil naturel. D’autre part Kohlschütter a plus particulièrement insisté sur ce que, pendant l’état de veille, le cerveau brûle plus de matériaux nutritifs que le sang ne lui en fournit, de [p. 273] sorte qu’au bout d’une certaine période d’activité l’oxydation perd de son intensité ct l’excitabilité du tissu nerveux diminue; pendant le sommeil se fait la restitution des éléments usés et en même temps l’oxygène s’accumule, car il ne faut pas oublier que Petlenkofer et Voit ont montré que pendant le jour il est exhalé plus d’acide carbonique et absorbé moins d’oxygène que pendant la nuit.
En résumé ces théories, basées sur des faits d’expérimentation incontestables, sont parfaitement d’accord avec nos notions les plus générales sur la nutrition, sur l’existence, pour la vie de tous les organes, de deux périodes. l’une de nutrition réparatrice, l’autre de combustion fonctionnelle. L’excitabilité des centres nerveux, et le besoin de repos, sont le résultat pour eux des mêmes circonstances que pour les muscles ou pour les conducteurs nerveux. Tout ce qui diminue j’excitabilité des centres tend à produire le sommeil, soit que cette diminution d’excitabilité tienne à un épuisement fonctionnel, soit qu’elle dérive plus ou moins directement des influences du milieu extérieur, comme nous l’observons, par exemple, chez les animaux à sang-froid. En effet, selon la remarque de Pflüger, ainsi s’explique également le sommeil prolongé des animaux hibernants: lorsque la température du cerveau s’abaisse, les phénomènes dc dissociation et la production d’acide carbonique, c’est-à-dire l’activité des cellules cérébrales, diminuent. On peut produire ce sommeil à volonté dans la saison chaude en plaçant les animaux hibernants dans un milieu artificiellement refroidi: inversement, si en plein hiver on les place dans une atmosphère à température élevée, le sommeil ne se produit pas plus tôt qu’en une autre saison de l’année. C’est par un mécanisme opposé, dit Pflüger, que certains amphibies des pays chauds dorment pendant l’été: chez eux les échanges sont peu actifs et les forces moléculaires beaucoup moindres que chez les animaux à sang chaud ; ils réagissent mal contre une élévation de température ; l’encéphale s’échauffe et, l’acide carbonique augmentant en proportion de cette élévation thermique, les phénomènes de dissociation (de combustions fonctionnelles) deviennent trop faibles pour que ces animaux puissent rester dans l’état de veille. — D’autre part, on sait que lorsqu’on a, à plusieurs reprises, excité un muscle ou un nerf, il faut, pour continuer à obtenir un résultat, soit changer la nature de l’excitant, soit en augmenter la force; de même les bruits continus finissent par rester sans effets sur le cerveau, et toute impression monotone amène un degré de somnolence contre laquelle on ne peut lutter qu’en excitant des sensations plus vives ou nouvelles.
En définitive, le sommeil normal est une des formes de la loi de périodicité fonctionnelle, loi qui a sa raison d’être dans la nécessité de réparer les matériaux qui sont incessamment usés par l’état d’activité, et dont la réparation suffisante ne pourrait se faire pendant la continuité de l’action de l’organe. Cet état de fatigue des éléments nerveux produit, par acte réflexe, une modification de l’innervation vaso-motrice : les vaisseaux cérébraux se contractent, et, l’afflux sanguin diminuant, l’activité cérébrale est complétement ou partiellement suspendue. Quand la réparation [p. 274] nutritive s’est produite, le fait même de cette réparation entraîne la dilatation vasculaire et, soit spontanément, soit par l’excitation qu’apporte au cerveau l’un quelconque des nerfs sensitifs, l’activité fonctionnelle des centres cérébraux recommence avec le réveil.
Les excitations extérieures, si elles arrivent encore jusqu’au cerveau, y produiront soit des réveils locaux, partiels, que nous allons étudier dans un instant sous le nom de rêves, soit, selon leur intensité, le réveil total. D’après l’intensité qu’il faut donner à un bruit pour produire ce résultat, Kohlschütter a pu apprécier l’intensité du sommeil, et dresser de celte intensité une courbe qui montre que la profondeur du sommeil augmente rapidement dans la première heure, puis décroît d’abord d’une façon rapide, puis lentement, jusqu’au réveil.
État physiologique du cerveau pendant le sommeil. — Nous l’avons dit, le sommeil peut être complet, absolu, et alors toutes les parties des hémisphères sont en état de repos, mais, le plus souvent, quelques régions du cerveau veillent partiellement au milieu du sommeil général, et il en résulte des rêves; on trouvera à l’article CAUCHEMAR (T. VI, pages 556 et 560) une étude complète des rêves et particulièrement de ceux qui prennent le caractère douloureux et terrible : nous n’avons donc à présenter ici que quelques rapides considérations sur l’état physiologique (fonctionnel) du cerveau pendant ces réveils partiels.
De même qu’à l’état de veille des souvenirs, des images naissent spontanément, une idée surgit tout à coup sans lien apparent avec l’occupation ou le genre de pensées présentes, de même pendant le sommeil, si l’état de repos n’a pas envahi tout le territoire cérébral, des images prennent naissance dans la partie encore à l’état de veille. Ces images peuvent sans doute surgir d’une manière en apparence spontanée, mais bien souvent on peut en rattacher l’origine à une impression des organes des sens, car il s’en faut de beaucoup que les nerfs spéciaux aient alors perdu toute excitabilité.
En effet, si l’exercice de la plupart des sens est suspendu pendant le sommeil, ce ne sont pas toujours les organes périphériques ou les nerfs centripètes qui ont perdu leur excitabilité, mais bien les organes centraux correspondants : on en a la preuve par les effets que produit souvent la cessation brusque d’un bruit monotone, changement qui détermine brusquement le réveil et qui ne saurait produire un tel effet, si pendant le sommeil les nerfs auditifs étaient inexcitables. D’autre part, les excitations sont d’autant plus aptes à produire le réveil que le sujet s’était endormi avec ridée de se guider sur cette excitation pour sortir de son repos : ainsi un dormeur ne sera pas réveillé par un bruit violent et prolongé dans la rue, mais il le sera par le timbre de sa pendule, comme si son cerveau attendait, dans un demi-repos, ce signal d’activité nouvelle.
Les impressions qui arrivent aux centres pendant le sommeil peuvent donc, si elles n’amènent pas le réveil total, ou bien ne produire aucune excitation dans ces centres, ou bien y produire une excitation partielle’ qui sera l’origine d’un rêve. Alors, en effet, les impressions ainsi produites [p. 275] ne sont plus, comme à l’état de veille, précises et en l’apport avec l’intensité de l’excitant : une excitation énergique pourra ne produire aucun effet, tandis que, par contre, une excitation faible réveillera dans certains centres des images terribles, et, par le fait de la contiguïté des centres et de l’irradiation de l’un à l’autre, fera naitre toute une série de représentations étranges et plus ou moins incohérentes : on approche une bougie des paupières d’un sujet endormi, et celui-ci rêve d’incendie, ou d’éclairs, de tonnerre, d’orage ; on débouche près de ses narines un flacon de parfum, et à son réveil il raconte avoir rêvé soit d’asphyxie, d’empoisonnement, d’odeur méphitique, ou bien inversement d’odeur délicieuse, d’encens, de parfums et de scènes orientales : les sensations internes (viscérales) contribuent, d’une part, à mettre le sujet dans des états qui le prédisposeront à l’apparition de rêves agréables ou pénibles sous l’impression d’un excitant de môme nature, et c’est ainsi qu’une odeur appréciée comme suave par toute personne éveillée produira chez le dormeur des idées de milieu méphitique ou bien celles d’impressions doucement enivrantes ; de plus, les sensations internes suffisent, d’autre part, à elles seules pour donner naissance il des rêves de nature très-diverse, selon la nature de ces impressions : celui qui souffre de la faim tantôt se sentira rongé par un monstre intérieur, ou bien croira s’asseoir à une table chargée de mets, et là il croira satisfaire sa faim ou bien sera livré à un nouveau supplice de Tantale. Pour la forme et la signification pathologique de ces rêves, nous renvoyons à l’article CAUCHEMAR, T. VI, et nous nous contentons de signaler, au nom de la raison, le danger qu’il y aurait à vouloir toujours et quand même trouver l’origine du songe dans des sensations internes ou dans un état anatomo-pathologique des viscères ; ce seraitl tomber dans une sorte d’interprétation des songes appliquée à la médecine, ce que nous paraît avoir fait Hippocrate, lorsqu’il dit : « Quod si in stagno, aut mari, aut fluminibus, quis natare vidcatur, istud humiditatis exhuberantiam indicat, et semblablement Boerhaave, lorsqu’il dit qu’en songe les hydropiques voient des lacs ct des fontaines.
L’essentiel, à notre point de vue, est de remarquer que les images, ainsi liées en un tableau qui se déroule, sont toujours associées d’une manière incohérente, s’interrompant aussi brusquement qu’elles prennent naissance, et toujours incomplètes, quelque nombreuses et complexes qu’elles soient ; elles sont au travail normal de la pensée ce que sont des convulsions musculaires partielles aux mouvements normaux de la locomotion. Mais, comme certaines formes de convulsions musculaires peuvent associer un grand nombre de contractions diverses, et produire pour ainsi dire un certain ordre dans le désordre même, de même les associations cérébrales automatiques du rêve vont assez loin pour reproduire l’image, toujours incomplète, de la pensée normale. Comme l’a fait remarquer Dechambre (art. SONGE du Dict. encyclop.), non-seulement l’esprit du dormeur perçoit le songe, mais il s’y attache, le considère, et ce réveil partiel de l’attention est tel que, rêvant encore, on doute si l’on rêve ; puis, dans le songe lui-même, lorsque, par exemple, l’image produite est celle d’un danger, [p. 276] d’un précipice, on rêve qu’on veut se soustraire à ce danger : il y a donc à la fois ou successivement activité des facultés dites attention et volonté. Bien plus, il y a même souvent dans le songe de véritables actes de jugement, car, comme l’ont fait remarquer V. Egger et Dechambre (op. cit., pag. 411), le dormeur peut avoir idée de l’absurde, comme, pour ne rappeler qu’un des nombreux exemples cités par ces auteurs, lorsque, ce qui est arrivé à tout le monde, on rêve qu’on vole dans les airs, et que cependant, toujours dans le rêve, on se demande comment cela est possible ; on sent que cela est absurde, et on analyse cette sensation de légéreté et de déplacement pour se convaincre que bien réellement on est suspendu dans l’espace : n’est-il pas arrivé à chacun, ce rêve particulier se reproduisant à diverses reprises, de se dire mentalement en rêve : « Oh ! cette fois c’est bien réel ! déjà j’ai cru voler dans les airs, c’était un rêve, mais cette fois je ne rêve pas, je me sens bien porté dans l’espace » ? On se souvient donc dans le rêve : il y a souvenir et des rêves passés et des actions accomplies à l’état de veille, et c’est à juste titre que Haller avait dit, en parlant des songes : « In earum imaginum sensu, anima et sui conscia est, et judicat, et ratiocinatur. » Sans pousser plus loin cette analyse psychologique délicate, ces exemples suffiront pour montrer que, s’il y a, dans le sommeil, des actes cérébraux conscients d’attention, de volonté, de jugement, de mémoire, ces actes sont incohérents, désordonnés, sans rapports normaux les uns avec les autres, parce que les l’éveils des facultés sont partiels et que la chaîne normale des associations présente des interruptions et des lacunes: on veut, mais sans pouvoir manifester cette volonté, c’est-à-dire sans pouvoir diriger l’ordre des images qui la provoquent ; on se souvient, mais partiellement, car on se souvient, par exemple, de personnes qu’on a connues, mais on oublie qu’elles sont mortes, on les voit présentes et agissantes telles qu’elles étaient lorsqu’el les ont laissé leurs traces dans notre mémoire ; les idées de temps, d’espace et de durée, sont si complétement troublées, que tout s’enchaîne selon le caprice des réveils de la mémoire, et sans autre ordre de succession que celui des sensations brutalement associées ; c’est comme un livre de souvenirs qu’on feuillette en tournant plusieurs pages à la fois et en ne lisant que quelques lignes dans chaque page, de manière à mêler et confondre les scènes les plus différentes.
On conçoit, d’après cela, que l’étude attentive des rêves ait été considérée par les psychologues et les biologistes comme susceptible de jeter beaucoup de lumière sur l’histoire physiologique du travail mental. « Considéré comme analyseur des fonctions du cerveau, le sommeil avec rêve, dit Milne Edwards, est intéressant à examiner, et un des premiers résultats qui me paraissent ressortir de cette étude est que le pouvoir psychique, dont dépendent la formation des idées et leur association, est distinct de la raison aussi bien que de la volonté. Chez le dormeur qui fait un rêve, de même que chez les aliénés, le cerveau semble n’être apte qu’à travailler partiellement, comme si quelques-unes des parties de cet appareil étaient, hors de service, tandis que d’autres fonctionnent sans contrôle et plus [p. 277] activement même que dans l’état normal. » Nous renvoyons, pour ce qui est des déductions psychologiques, le lecteur au célèbre ouvrage de Maury.
Un travail cérébral aussi incomplet et aussi désordonné ne peut laisser que peu de traces dans les organes mêmes où il s’est produit : aussi le souvenir même des rêves est-il très-fugace ; au l’éveil, on voit encore avec précision toutes les scènes incohérentes auxquelles on vient d’assister, et on croit pouvoir en conserver le souvenir ; puis, quelques heures après, si la pensée est reportée vers les scènes de la nuit, on est tout étonné d’en retrouver à peine la trace ; c’est souvent tout au plus si l’on se souvient de l’objet, de la nature prédominante du rêve : on sait bien encore qu’on a rêvé de telle chose, de telle personne, mais on ne saurait plus dire comment choses et personnes ont été mêlées ensemble.
De plus, l’observation des dormeurs nous montre qu’une grande partie des mouvements, des paroles qui out pu accompagner le rêve, ne laissent pas de traces dans la conscience du sujet, c’est-à-dire que, si l’on se souvient au réveil de quelques parties d’un rêve, il est un grand nombre de rêves ou de parties de rêve qui ne laissent absolument aucune trace dans la mémoire. Mosso, dans ses recherches sur la circulation cérébrale mentionnées plus haut, a constaté que l’appel de son nom suffisait, chez. un dormeur, pour modifier la courbe du volume cérébral, sans que pour cela le sujet, réveillé peu de temps après, eût le moindre souvenir d’avoir entendu son nom.
Ces caractères psychologiques généraux du rêve ont amené de tous temps les philosophes et les médecins à établir un rapprochement entre le rêve et la folie ; dans l’un comme dans l’autre se forment des perceptions imaginaires et des associations incohérentes. « La folie est le rêve de l’homme éveillé » : telle est la thèse qu’a développée Moreau de Tours), et que Baillarger a acceptée avec certaines restrictions nécessaires. Plus récemment, Lasègue a montré que certaines formes de délire ne sont autre chose que des rêves, et que notamment le délire alcoolique n’est pas un délire, mais un rêve, car, tandis que chez l’aliéné le sommeil est suspensif du délire, comme il est suspensif des mouvements involontaires chez. le choréique, chez l’alcoolique, au contraire, son prétendu délire est identique à son rêve, et ce délire a toujours été préparé par des rêveries avec hallucinations de durée variable. Peut-on dire qu’il en est de même dans les autres formes de troubles mentaux ? On a vu en fait certaines folies commencer par des songes, et n’être en définitive que ces songes continués à l’état de veille : c’est ce que Macario a appelé les rêves précurseurs de la folie. Mais. comme le fait remarquer Dechambre, il ne faut pas se laisser aller à affirmer catégoriquement que dans ces cas la folie soit le résultat des songes précurseurs , on peut très-bien concevoir au contraire que le dérangement moléculaire dont la folie sera bientôt le résultat doit trouver à son début plus de facilité à se traduire pendant le sommeil, quand la raison n’est plus là pour en corriger les premiers effets psychiques, pour lutter contre les extravagances de l’imagination: la fausse vision nocturne est donc d’emblée celle d’un fou (Dechambre}, c’est-à-dire que c’est la folie commençante, [p. 278] encore latente, qui est cause des songes dits précurseurs, et non ces songes causes de la folie.
C’est qu’en effet, dans le sommeil, la sensibilité de certains centres est d’autant plus grande que leurs voisins sont au repos, et si nous avons vu qu’une faible excitation lumineuse, à travers les paupières du dormeur arrive à faire naître en celui-ci des idées d’incendie, d’éclair, on comprend de même que les modifications pathologiques de certaines régions corticales, encore trop faibles pour se traduire à l’état de veille par des symptômes d’aliénation. puissent, si ces centres sont excités pendant le sommeil général, faire éclater alors déjà des manifestations nocturnes de folie, des rêves de fou, en un mot. Dans le songe, dit Haller, « Anima effectus patitur omnes multo quam in vigiliis graviores, anxietatem summam, terrorem maximum, gaudia effusa » Ceci est exact non-seulement pour les excitations des organes des sens ou des centres, mais encore pour les sensations douloureuses, pathologiques, qui, passant inaperçues à l’état de veille, retentissent fortement et d’une manière comme prémonitoire, pendant le sommeil, sous la forme de rêve. Tels sont les cas suivants, dont nous empruntons à Dechambre le résumé et l’interprétation : Arnaud de Villeneuve rêve qu’il est mordu à la jambe par un chien, et peu de temps après cette même jambe est frappée de paralysie; Macario rêve une nuit qu’il a un violent mal de gorge ; à son réveil il est bien portant, mais quelques heures plus tard il est atteint d’une amygdalite intense. Un jeune homme a dans son sommeil la vision d’un épileptique, et lui-même est, peu de temps après, atteint d’épilepsie. Dans tous ces cas, dit Dechambre, il s’agit de sensations produites par une maladie commençante, et exagérées, comme il arrive souvent, par l’état de rêve : l’épileptique, par exemple, avait eu probablement pendant son sommeil un premier vertige comitial ; Arnaud de Villeneuve, un engourdissement passager du membre inférieur;; Macario, une légère douleur de gorge dissipée au réveil et qui devait se réveiller plus tard. On comprend combien des faits pareils ont dû impressionner les imaginations même les plus sévères et contribuer à l’établissement d’une croyance aux songes prémonitoires en général, à la divination par les songes : il fallait tous les progrès de la physiologie moderne pour qu’on eût enfin l’idée de chercher l’explication de ces phénomènes simplement dans le sujet lui-même, dans l’activité naturelle de son cerveau, dans l’action des impressions passées ou présentes ; nous l’envoyons pour le complément de cette question à la partie historique de l’article CAUCHEMAR, T. VI.
Nous avons vu que, d’après les expériences de Mosso, l’état de rêve paraît modifier la circulation cérébrale, c’est-à-dire que l’entrée en activité de certaines parties du cerveau amène, dans ces régions, un plus grand afflux de sang (circulation fonctionnelle). D’après Delaunay, on pourrait inversement favoriser l’apparition des rêves par toutes les circonstances qui peuvent diminuer l’anémie cérébrale, ou état normal du cerveau dans le sommeil tranquille. Partant de ce principe que le fonctionnement du cerveau provoque une élévation de la température crânienne, Delaunay a [p. 279] pensé que réciproquement une élévation de la température crânienne devait provoquer le fonctionnement du cerveau : sans discuter ce raisonnement, disons seulement que l’auteur en a vérifié les conclusions sur lui même: d’après ses observations, quand 011 ne rêve pas d’habitude, il suffit de se couvrir la tête pour avoir des rêves. « On sait, ajoute-t-il, que les rêves sont habituellement illogiques et absurdes: eh bien, en se couvrant le front d’une plaque d’ouate qui diminue la déperdition de calorique, on rend à volonté ses rêves intelligents (!). Dans ce cas, les rêves portent sur les sujets dont on s’occupe habituellement et mettent en œuvre les facultés intellectuelles les plus élevées qui siègent vraisemblablement dans la région frontale du cerveau…. Les rêves que l’on fait étant couché sur le côté gauche sont plus souvent accompagnés de parole à haute voix ».
ÉTAT DES DIVERSES FONCTIONS PENDANTLE SOMMEIL.
Centres nerveux bulbo-médullaires. — Nous l’avons déjà dit, en comparant l’homme endormi à l’animal dont on a enlevé les hémisphères, les actions nerveuses réflexes se produisent parfaitement pendant le sommeil; c’est à cet ordre de phénomènes qu’appartiennent la plupart des mouvements inconscients qu’accomplit le dormeur: c’est ainsi que certaines personnes gesticulent pendant le sommeil (indépendamment des rêves}; c’est ainsi qu’on voit un enfant endormi continuer à faire des mouvements de succion. Il est presque inutile de dire que les divers réflexes viscéraux continuent pendant le sommeil comme à l’état de veille.
Circulation. – Déjà Galien avait constaté le ralentissement du pouls pendant le sommeil ; les observations de Hamberger et de Haller ont confirmé ce résultat ; les divers auteurs qui se sont spécialement occupés des maladies des enfants ont noté que le sommeil normal diminue considérablement le nombre des pulsations cardiaques, diminution qui, selon Milne Edwards, serait encore très-notable chez la femme, mais moins sensible chez l’homme adulte ; d’après Bouchut, le nombre moyen des pulsations chez les enfants de 15 jours à û mois est de 140 pendant la veille et de 121 pendant le sommeil; pour les enfants de 6 à 21 mois, il est de 128 dans la veille et de 112 dans le sommeil.
Globes oculaires et pupilles. — Pendant le sommeilles globes oculaires sont dirigés en haut et en dedans ; la sécrétion lacrymale étant presque tarie, quelques auteurs ont constaté que la cornée devient relativement sèche.
L’état de la pupille pendant le sommeil avait déjà été l’objet des observations de Fontana (cité par Drouin, page 576), qui constata son état de resserrement ; Gubler, Langlet, Drouin, ont confirmé cette observation, aussi bien dans le sommeil naturel que dans celui procuré par les agents médicamenteux ; des divers alcaloïdes de l’opium, dit Drouin, ceux qui ont le pouvoir soporifique le plus intense, sont ceux qui font le plus rétrécir la pupille. Ce fait peut au premier abord paraître singulier, puisqu’on sait que la pupille se dilate dans l’obscurité et que, pendant le sommeil, les paupières étant closes, l’œil soustrait à toute excitation lumineuse, il semble qu’on devrait (a priori supposer la pupille dilatée, [p. 280] puisqu’alors l’œil est dans l’obscurité. Aussi Gubler, Langlet et Drouin, regardent-ils le rétrécissement pupillaire comme lié à la congestion encéphalique, car ils se rallient à l’ancienne opinion d’une hyperémie du cerveau pendant le sommeil, cl expliquent en conséquence le resserrement pupillaire par une turgescence des vaisseaux de l’iris (Théorie de Rouget).
Aujourd’hui que l’état anémique du cerveau pendant le sommeil est chose bien démontrée, il fallait chercher du rétrécissement pupillaire une cause autre que les modifications vasculaires : on l’a cherchée dans l’état de l’innervation centrale. Un fait essentiel domine et guide toutes les interprétations à cet égard, c’est que, sur un animal curarisé, on constate que toute excitation de la sensibilité amène une dilatation de la pupille ; celle dilatation est d’autant plus forte que la sensation qui la produit est plus vive et dure plus longtemps ;; en un mot, selon l’expression de Schiff, la pupille est un véritable esthésiomètre : son resserrement marque l’absence de toute sensation, sa dilatation est l’écho d’une excitation cérébrale sensitive: elle doit donc être rétrécie dans le sommeil sans rêve, et sans doute plus ou moins dilatée sous l’influence des rêves. C’est ce que confirment les recherches les plus récentes, mais, quoiqu’elles expliquent bien la coïncidence du rétrécissement pupillaire pendant le sommeil calme, il s’en faut de beaucoup que les auteurs soient complétement d’accord pour interpréter le mécanisme nerveux correspondant.
En effet, Rœhlmann, Witkowski et Plotke, ayant entrepris de nouvelles recherches sur des sujets de tout âge relativement à l’état des globes. oculaires pendant le sommeil, ont constaté à leur tour que la pupille est considérablement rétrécie ct qu’elle l’est d’autant plus que le sujet est plus profondément endormi. Ce rétrécissement pupillaire diminue sous l’influence des excitations sensorielles et en particulier des impressions lumineuses et acoustiques, et la dilatation qui se produit dans ces conditions est d’autant plus marquée que le sommeil est moins profond. En éveillant brusquement un individu et en observant sa pupille, on voit qu’elle se dilate tout d’abord extrêmement et qu’elle revient ensuite lentement à l’état normal. — Quant à la cause du rétrécissement pupillaire pendant le sommeil physiologique, elle est très-diversement conçue par les divers auteurs : d’après Rœhlmann et Witkowski, le diamètre de la pupille ne dépendrait pas seulement de la quantité de lumière incidente et des efforts d’accommodation, mais encore de J’état d’activité de l’innervation centrale ; l’iris reflète en quelque sorte les émotions intérieures. et traduit par sa dilatation le degré d’excitation des centres nerveux. Ces. excitations, cheminant par la moelle allongée et la moelle, suivent la voie du grand sympathique pour se rendre à l’iris. A l’état de veille, l’équilibre est complet et les excitations cérébrales modérées maintiennent la pupille dans un état intermédiaire à la dilatation et à la constriction ; dans le sommeil, l’abscence d’excitations venues du dehors fait que la pupille ne se dilate pas. Au contraire, pour Plotke, le resserrement [p. 281] pupillaire du sommeil a pour cause, lion un relâchement paralytique du muscle dilatateur, mais une contracture du sphincter irien. En effet, Plotke a constaté que, si l’on instille de l’atropine dans l’un dos yeux de l’individu qu’on laisse ensuite sans dormir, l’œil atropinisé est en état de mydriase durant le sommeil, tandis que l’autre œil est extrêmement rétréci, comme dans les conditions normales : or on sait que l’atropine entraîne la dilatation pupillaire en paralysant le sphincter irien. Le résultat de l’expérience est le même quand on instille de l’atropine dans l’œil du sujet déjà profondément endormi. Deux jours plus tard Plotke constatait que, pendant le sommeil, l’œil qui avait été atropinisé était moins dilaté que pendant l’état de veille, mais aussi beaucoup moins rétréci que l’œil du côté opposé ; peu à peu les choses retournaient à leur état antérieur. Cette expérience parait donc montrer que le rétrécissement pupillaire dans le sommeil est le fait d’une contraction tonique du sphincter de l’iris. Plotke a aussi constaté que pendant le sommeil physiologique les globes oculaires exécutent des mouvements non conjugués ; souvent c’est l’œil d’un seul côté qui se meut.
Respiration et chaleur animale. — Tous les physiologistes, depuis Burdach jusqu’à Paul Bert, sont d’accord sur le ralentissement des mouvements respiratoires et sur leur forme calme et plus régulière pendant le sommeil. D’après Mosso le type respiratoire est alors presque exclusivement thoracique : d’autre part, nous avons déjà signalé ce rait (art. RESPIRATION) que les échanges gazeux respiratoires prennent une autre forme pendant le sommeil que pendant la veille, c’est-à-dire que, comme il résulte des expériences de Pettenkofer et Voit, pendant le sommeil le volume d’oxygène absorbé est supérieur à celui d’acide carbonique exhalé, tandis que pendant la veille les proportions sont inverses : il y a donc, pendant le sommeil, accumulation d’oxygène dans l’économie, ce qui rentre bien dans la vue générale qui nous fait considérer cette période de repos comme un temps pendant lequel les tissus se réparent et l’organisme s’approvisionne de gaz comburant, en même temps que les éléments anatomiques s’assimilent les matériaux de combustion ; chez l’animal qui dort, l’oxygène, au lieu d’être employé par les besoins de l’organisme, au lieu de servir en totalité aux combustions, est en partie emmagasiné, sans doute dans le sang et les tissus eux-mêmes, où il constitue une véritable réserve destinée à être utilisée pondant la veille.
Par suite, la production de chaleur animale est moins considérable dans le sommeil qu’à l’étude de veille, et la température du corps tend à s’abaisser ; c’est ce qui résulte des expériences de Chossat sur des pigeons (différence de 0°,70 à 0°,90 entre la température de midi et celle de minuit), des expériences de Bæresprung sur l’homme, et enfin des observations cliniques qui sont unanimes pour signaler, dans les cas de maladies fébriles, une défervescence de plusieurs dixièmes de degré sous l’influence d’un sommeil calme et réparateur.
Divers viscères. — Les appareils de la vie de nutrition n’éprouvent pas pendant le sommeil une modification entièrement parallèle à celle [p. 282] desappareils de la vie de relation ; le fait général que la digestion se fait aussi bien, et même mieux, pour les jeunes sujets en particulier, pendant le sommeil que pendant l’état de veille, avait amené les Anciens à considérer le sommeil comme une période d’activité plus vive pour les viscères : somnus laber visceribus, a dit Hippocrate. Il y a sans doute un peu d’exagération dans cette expression, car, si la digestion se poursuit dans le sommeil, elle est bien plus rapide, au moins chez l’adulte, pendant la veille et l’exercice ; mais ici se présentent de nombreuses variétés individuelles qui rendent toute généralisation impossible. D’autre part les sécrétions diminuent en général pendant la nuit, celle de la salive, par exemple, puisqu’alors sont suspendus les divers actes fonctionnels auxquels est liée la sécrétion de salive ; celle de la sueur également, puisqu’alors sont suspendus les mouvements musculaires et diminuée la production de chaleur ; la sécrétion urinaire diminue de quantité et augmente de densité, ce qui est bien en l’apport avec l’état plus calme de la circulation, la diminution de pression sanguine, et la dilatation des capillaires cutanés. On voit combien sont complexes les conditions qui influent, pendant le sommeil, sur l’état de fonctionnement des organes de la vie de nutrition, et combien, vu la variabilité de ces conditions, il est difficile de chercher à établir des lois générales à cet égard.
L’essentiel est de rechercher l’influence du sommeil sur le résultat générai des fonctions de nutrition : à cet égard, tout ce que nous avons dit précédemment du sommeil comme période de repos réparateur ne laisse pas de doute : si l’on distingue bien dans la nutrition les deux périodes dites d’assimilation et de désassimilation, on peut dire que deus le sommeil l’assimilation prédomine et la désassimilation est ralentie : aussi l’exhalation d’acide carbonique est-elle diminuée ; il en est de même de la production d’urée ; la proportion qui en est produite pendant le sommeil est beaucoup plus faible que celle qui correspond à la veille, car, d’après Vogel, la quantité excrétée pendant les douze heures de jour est de 42 grammes, et seulement de 56 pendant les douze heures de nuit. Beaunis a observé de même une diminution dans l’élimination des phosphates pendant le sommeil. C’est en considération de cette prépondérance de l’assimilation sur la désassimilation qu’on a pu dire que le sommeil est un accumulateur de forces (Lasègue).
Sommeil provoqué, hypnotisme. — Nous avons exposé, à l’article HYPNOTISME, T. XV III , l’étude du sommeil provoqué, selon les données scientifiques acquises à l’époque où fut écrit cet article : les divers compléments qu’il comportait avaient trouvé successivement place aux articles CATALEPSIE, T. VI et HYSTÉRIE, T. XVIII. Mais depuis cette époque l’attention des médecins et des physiologistes a été vivement appelée sur ces questions, à la suite soit de faits nouveaux et scientifiquement étudiés. soit de prétendues expériences qui, par leur caractère plus qu’incertain, ont amené plusieurs esprits éminents à ne voir dans les phénomènes d’hypnotisme qu’illusion de la part de l’observateur et simulation de la part du sujet. Or les recherches de Charcot sur les divers étals nerveux [p. 283] déterminés par l’hypnotisme chez les hystériques ont montré que chacun de ces états se distingue par une symptomatologie spéciale, nettement définie, et telle que le médecin, instruit de ces formes, peut à coup sûr dépister la fourberie et en tout cas dégager des symptômes réels, faisant partie de la maladie, les symptômes simulés que l’artifice des malades voudrait y surajouter. C’est donc à l’étude récente que Chariot a publiée sur ce sujet que nous emprunterons les descriptions suivantes, destinés à compléter l’article HYPNOTISME, T. XVlll. Charcot distingue dans l’hypnotisme, tel qu’on l’observe chez les hystériques, trois états nerveux, dont l’ensemble comprend toute la symptomatologie de l’hypnotisme, et qu’on peut classer sous les noms d’état cataleptique, état léthargique et état somnambulique.
1° L’état cataleptique peut se manifester primitivement sous l’influence d’un bruit intense et inattendu, d’une lumière vive venant frapper le regard, ou en conséquence de la fixation des yeux sur un objet quelconque ; d’autre part il se développe consécutivement à l’état léthargique, lorsque les yeux, clos jusque-là, sont, dans un lieu éclairé, mis à découvert par l’élévation des paupières. Le trait le plus saillant de l’état cataleptique est l’immobilité ; le tégument externe est en même temps insensible aux excitations les plus vives ; mais certains sens, la vision, l’audition, en particulier, conservent du moins en partie leur activité. Cette persistance de l’activité sensorielle permet d’impressionner le sujet cataleptique et de susciter chez lui, par voie de suggestion, des impulsions automatiques : alors, les attitudes fixes, artificiellement imprimées aux membres, font place à des mouvements plus ou moins complexes parfaitement coordonnés, en rapport avec la nature des impulsions provoquées.
2° L’état léthargique se développe chez un sujet préalablement catalepsié lorsqu’on pratique chez lui l’occlusion des deux yeux ou qu’on le place dans l’obscurité ; il peut aussi se manifester primitivement sous l’influence de la fixation du regard. Chose remarquable, au cours de l’état cataleptique, il suffit de clore l’un des yeux du sujet pour amener l’état léthargique dans tout le côté du corps correspondant, tandis que l’autre côté, dont l’œil est demeuré ouvert, conserve les attributs de l’état cataleptique. Dans cet état léthargique on constate, comme caractère essentiel, ce phénomène singulier, dont Charcot a signalé l’existence dès 1878 et qu’il a proposé de désigner sous le nom d’hyperexcitabilité neuro-musculaire des hypnotiques, et qui consiste dans l’aptitude qu’ont les muscles de la vie animale à entrer en contracture sous l’influence d’une simple excitation mécanique, excitation qui peut être portée sur le muscle lui-même, ou sur son tendon, ou sur son nerf. On peut alors, à l’aide de l’extrémité mousse d’un petit bâton, reproduire chez le léthargique la plupart des expériences de Duchenne (de Boulogne) sur l’action partielle ou combinée des muscles, et c’est ainsi que se produisent les griffes radiales, cubitales, médianes caractéristiques, selon que l’excitation aura porté sur le nerf radial, cubital ou médian. La contracture ainsi provoquée est très-énergique, résiste même aux efforts violents, peut persister [p. 284] pendant des journées entières, après le réveil ; mais, tant que dure la léthargie, que on la fait céder presque instantanément en portant l’excitation sur les antagonistes des muscles contracturés. Cette hyperexcitabilité neuro-musculaire existe pour tous les muscles, excepté pour ceux de la face, pour lesquels les excitations mécaniques, qu’elles portent sur le corps charnu ou sur le nerf facial, déterminent non une contracture durable, mais une simple contraction qui s’efface dès que l’excitation a cessé. Cette l’yperexcitabilité neuro-musculaire est un fait objectif des plus saisissants, des plus faciles à mettre en évidence, de sorte que sa constatation est une véritable épreuve anatomo-physiologique qui mettra l’observateur à l’abri de toute crainte d’une intervention voulue de la part du sujet en expérience. Cet état léthargique est de plus caractérisé par une analgésie complète.
5° L’état somnambulique, qui correspond plus particulièrement à ce qu’on a appelé le sommeil magnétique, peut être déterminé par un grand nombre de pratiques diverses, notamment par la fixation du regard. Les phénomènes qui s’y peuvent observer sont très-complexes, se soumettent mal à l’analyse, et bon nombre d’entre eux paraissent d’une interprétation difficile dans l’état actuel de nos connaissances physiologiques. Insistant seulement sur les phénomènes qui ont un caractère constant, Charcot signale que dans cet état : les réflexes tendineux ne diffèrent pas de ce qu’ils sont à l’état normal ; l’hyperexcitabilité neuro-musculaire n’existe pas, mais, par contre, on peut par diverses manœuvres, entre autres à l’aide de légers attouchements promenés à plusieurs reprises sur la surface d’un membre, ou encore à l’aide d’un souffle léger dirigé sur la peau, provoquer dans ce membre un état de rigidité qui diffère de la contracture liée à l’hyperexcitabilité neuro-musculaire, en ce qu’elle ne cède pas, comme celle-ci, à l’excitation mécanique des muscles antagonistes, tandis qu’elle cède, au contraire, très-facilement, sous l’influence de ces mêmes excitations cutanées, faibles, qui l’ont produite. Dans cet état somnambulique l’analgésie peut être complète, mais il existe habituellement une exaltation remarquable de certains modes encore peu étudiés de la sensibilité de la peau, du sens musculaire et de quelques-uns des sens spéciaux. Aussi est-il facile, par voie d’injonction ou de suggestion, de déterminer chez le sujet la mise en jeu d’actes automatiques très-compliqués et très-variés.
De l’insomnie. — Après ce que nous avons dit de la nature et des conditions du sommeil physiologique, nous n’aurons que peu à ajouter pour esquisser l’histoire de l’insomnie dite aussi agrypnie, ou privation complète ou incomplète de sommeil, soit à l’état physiologique, soit à l’état pathologique. Accompagnant les affections aiguës et chroniques les plus diverses, l’insomnie n’a, comme symptôme, qu’une valeur relative, et ne constitue isolément qu’un signe de peu d’importance (Woillez, Dict. de diagn. méd.) : aussi n’en ferons-nous ici qu’une courte étude, la considérant plus spécialement au point de vue de ses causes directes, c’est-à-dire de sa physiologie pathologique. [p. 285]
La cessation de l’excitabilité du cerveau étant la cause première du sommeil, il est facile de comprendre que l’insomnie provient en général de toutes les conditions qui peuvent tendre à prolonger cette excitabilité. Ainsi comme états prédisposants à l’insomnie, nous trouvons tout ce qui révèle un système nerveux facilement excitable; les sujets d’un tempérament nerveux, les femmes, dont l’impressionnabilité nerveuse est si grande, les vieillards, dont normalement le sommeil court et léger est si facilement interrompu par les moindres excitations extérieures, sont particulièrement sensibles aux causes d’insomnie que nous énumérerons plus loin. D’autre part, les professions qui consistent essentiellement en un travail cérébral prolongé amènent dans les centres encéphaliques un état de surexcitabilité qui prédispose également à l’insomnie, qui est ici la conséquence des veilles forcées et prolongées, c’est-à-dire d’une infraction aux lois naturelles, comme la dyspepsie résulte souvent des écarts de régime. Aussi l’insomnie est-elle souvent le prélude d’affections cérébrales graves, dont elle favorise le développement en troublant la nutrition de la masse encéphalique. Le brillant génie de Newton finit par s’éteindre dans le douloureux crépuscule de la démence provoquée sans doute par les veilles nombreuses qui nous ont valu ses grandes découvertes.
Les causes déterminantes de l’insomnie peuvent être, en suivant l’excellente classification donnée par A. Marvaud dans sa monographie, considérées comme des excitations dont les unes ont leur origine dans les centres nerveux eux-mêmes, les autres proviennent d’impressions périphériques transmises par les nerfs, dont les dernières enfin sont apportées au cerveau par l’intermédiaire du sang modifié.
Comme excitations d’origine cérébrale, il est à peine besoin d’indiquer ici la méningite, l’encéphalite, la période de début des tumeurs cérébrales, etc. ; mais il ne sera pas inutile, pour donner une nouvelle confirmation aux conclusions relatives à l’état de la circulation cérébrale pendant le sommeil normal, de rappeler que les diverses conditions qui produisent l’hyperémie cérébrale causent en même temps l’insomnie. Il est vrai que, d’un autre côté, nombre de maladies, comme la chlorose, l’anémie, l’inanition, dans lesquelles le sang est appauvri et où par suite il est difficile d’invoquer un état d’hyperémie cérébrale, produisent aussi l’insomnie, sans doute parce qu’alors, faute d’une nutrition suffi- sante, les éléments anatomiques des centres nerveux sont troublés aussi bien quant à leurs périodes d’état actif qu’à leur période de repos.
Comme excitations d’origine périphérique, il faut citer en première ligne la douleur, qu’elle qu’en soit l’origine, blessure, inflammation ou névralgie ; puis viennent toutes les irritations de la peau, produites soit par des maladies cutanées (prurigo, engelures, etc.), soit par des parasites (acarus, puces, punaises). La chaleur peut sans doute rentrer dans cette catégorie, et c’est ainsi qu’un lit trop chaud, trop mou, en amenant l’hyperémie de la peau, cause l’insomnie, en même temps qu’en augmentant la circulation générale il prolonge l’activité des centres nerveux.
Comme excitations apportées au cerveau par le sang, il suffira de [p. 286] rappeler l’insomnie produite par l’absorption de café, de thé, d’alcool ; pour ce qui est de l’alcool, il produit, suivant les doses, soit une excitation du cerveau, soit un état comateux. Sans doute dans la même classe peut rentrer, en partie du moins, l’insomnie des pyrexies, dans lesquelles il y a pénétration dans le sang soit de principes provenant de la décomposition des éléments organiques, soit de principes étrangers fermentescibles (miasmes, virus, vibrions, etc.), qui vont agir directement sur les éléments nerveux.
Est-il besoin de rappeler que l’insomnie, comme la fièvre et la diète, c’est-à-dire comme tout ce qui augmente les pertes et suspend la réparation, est une cause d’amaigrissement et d’affaiblissement général, et que par suite, dans les maladies, lorsque l’insomnie se prolonge, elle constitue .un signe pronostique fâcheux.
Le traitement de l’insomnie consistera donc avant tout à en rechercher et à en supprimer la cause ; si celle-ci ne peut être suffisamment écartée, on cherchera à la neutraliser par les moyens spéciaux dont dispose la thérapeutique .pour produire directement le sommeil, moyens que nous n’avons pas à indiquer ici autrement qu’en renvoyant aux articles consacrés à l’étude du Bromure de Potassium et de l’Opium ; mais nous devons cependant consacrer quelques lignes à un agent très en usage aujourd’hui et qui n’était point encore connu lorsqu’ont paru les premiers volumes de ce Dictionnaire : nous voulons parler du chloral, médicament précieux dont Liebreich a enrichi la thérapeutique. Le chloral, ou, pour mieux dire, l’hydrate de chloral, dès les premiers essais, a montré les propriétés du médicament le plus capable de procurer le sommeil semblable au sommeil naturel ; c’est l’hypnotique par excellence ; il doit, dit Willemin, jouer en médecine comme hypnotique le rôle que joue le chloroforme en chirurgie comme anesthésique. Les expériences de Cl. Bernard (Leçons sur les anesthésiques, p. 309) ont montré que le sommeil produit par le chloral est plus calme que celui de la morphine, les animaux ne présentant plus, sous l’influence du chloral, cette excitabilité au bruit qui est particulière au sommeil produit par l’opium ou son alcaloïde. On l’administre généralement à la dose de 2 grammes, mais on a pu en employer sans inconvénients 4 et même 5 grammes ; Clouston, qui le vante contre l’insomnie simple, dit avoir toujours réussi avec une dose de 1 à 1, 50. Même à doses réfractées, il fait dormir mieux et plus sûrement que la morphine. Enfin, comme l’a signalé Labbée, un des avantages de ce médicament, c’est que l’organisme ne s’y habitue point, de sorte que ses effets se maintiennent et se reproduisent sans augmentation de dose ; Francis Clarke va même jusqu’à prétendre que, bien différent en cela de l’opium, le chloral crée, après quelques jours d’usage, une disposition particulière au sommeil. Comme contre-indication on a cependant signalé l’affaiblissement d’action du cœur (surtout par insuffisance des valvules), ainsi que les états d’irritation gastro-entérique. — En 1871 Liebreich a appelé l’attention sur un nouvel agent, le croton-chloral qui aurait tous les avantages du chloral, sans produire d’effets fâcheux [p. 287] sur l’estomac ou le cœur. Les essais de contrôle n’ont pas tous été favorables à ce médicament ; il est vrai qu’on peut se demander si la substance employée par divers médecins était pure et absolument semblable a celle que Liebreich a expérimentée. Toujours est-il que de nouvelles recherches paraissent nécessaires à ce sujet.
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MATHIAS DUVAL.
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