Antoine Ritti. DÉMONOMANIE. Extrait du « Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales – A. Dechambre », (Paris), Première série, tome vingt-sixième, DAT-DEN, pp. 682-793.

Antoine Ritti. DÉMONOMANIE. Extrait du « Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales – A. Dechambre », (Paris), Première série, tome vingt-sixième, DAT-DEN, pp. 682-793.

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Antoine Ritti (1844-1920). Médecin aliéniste originaire de Strasbourg, il commença sa carrière dans le département de la Meurthe à l’asile de Fains, dont il fut chassé par les hostilités franco-allemandes. Il rejoint alors Paris et la Maison de Santé Esquirol. Il est un des principaux contributeurs aux atroces concis aux maladies mentales du Dictionnaire Dechambre.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité les notes de bas de page ont été renvoyées en fin d’article. – Les images on été rajoutées par nos soins, hors les deux tableaux in-texte. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

DÉMONOMAXIE. On appelle démonomanie cette variété de conception délirante qui consiste, chez ceux qui en sont atteints, à se croire possédés du démon. Quelques auteurs, donnant à ce terme un sens plus étendu, l’appliquent non-seulement aux aliénés que trouble l’idée de la possession démoniaque, mais encore à ceux qui sont tourmentés par la terreur de la damnation.

HISTORIQUE. Cet article devant être exclusivement clinique, nous n’avons pas à faire ici l’histoire de la démonomanie à travers les siècles. Cette grande et triste page de pathologie historique trouvera sa place naturelle lorsqu’il sera traité dans ce Dictionnaire des épidémies de folie [voy. ÉPIDÉMIQUES (folies)]. Contentons-nous de rappeler le rôle immense joué par le diable pendant tout le cours du moyen âge. Si les maladies en général étaient alors considérées comme un châtiment de la Divinité, les affections nerveuses, surtout celles dans lesquelles prédominaient des symptômes de surexcitation motrice, étaient regardées comme dues à l’action d’un ou de plusieurs démons qui s’étaient introduits dans le corps des patients. L’aliéné, quelle que fût la forme de son délire, l’hystérique, le choréique, etc., étaient pour le public de cette époque des possédés ; bien plus, ces malades eux-mêmes, appliquant à leurs souffrances physiques ou morales l’explication tirée des idées ambiantes, les attribuaient au diable, soit que ce personnage agît sur eux extérieurement (obsession), soit qu’il s’introduisît dans le corps (possession). Aujourd’hui ce ne sont plus guère que quelques esprits bornés ou fanatiques qui attribuent la contorsion d’une hystérique ou l’agitation d’un aliéné à la possession démoniaque ; quant aux aliénés, ce n’est pas au diable qu’ils s’en prennent ordinairement de leurs tourments, des persécutions qu’ils endurent, mais à la police, aux jésuites, à la physique, au magnétisme, au téléphone, etc.

Mais, si le diable ne joue plus dans la folie à notre époque le rôle prédominant que lui imputaient autrefois et le public et les malades, l’observation des faits nous oblige néanmoins à reconnaître qu’il existe encore un certain nombre d’aliénés, très-petit, il est vrai, qui se disent possédés du démon, qui sont obsédés par lui, qui sont tourmentés de la crainte d’être damnés. Avant de décrire ce que présente de particulier l’état mental de ces malades, il peut sembler intéressant de rechercher ce qu’en ont dit les manigraphes qui nous ont précédé. Esquirol est, en notre siècle, le premier aliéniste qui ait donné sur la [p. 683] démonomanie un travail d’ensemble (art. Démonomanie du Dictionnaire des sciences médicales. Paris, 1814). [en ligne sur notre site]  Il y exprimait le désir de voir donner le nom de démonomanie à la mélancolie religieuse proprement dite et de distinguer deux espèces de ce genre de maladie mentale. La première, à laquelle on aurait donné le nom de théomanie, comprendrait les aliénés « qui croient être Dieu, qui s’imaginent avoir des entretiens, des communications intimes avec le Saint-Esprit, les anges, les saints, qui prétendent être inspirés, avoir reçu une mission du ciel pour convertir les hommes » ; la seconde espèce aurait été appelée cacodémonomanie, et y auraient trouvé place tous ces malades « qui se croient possédés du diable et en son pouvoir, qui sont convaincus d’avoir assisté aux assemblées chimériques des malins esprits, ou qui craignent d’être damnés ou dévoués aux feux de l’enfer ». Mais Esquirol, reconnaissant lui-même les difficultés qu’il y aurait à faire accepter ses distinctions et ses néologismes, conserve le sens généralement donné au mot démonomanie et fait de l’ensemble des symptômes qu’il exprime, une variété de la lypémanie ou mélancolie religieuse. Dans cette variété de folie n’entraient pas seulement les aliénés qui se disent possédés du démon, mais encore ceux qui, frappés des terreurs de l’enfer, croient être damnés. Cette manière de voir a été adoptée par presque tous les aliénistes contemporains, qui n’ont apporté aux idées d’Esquirol que quelques modifications presque insignifiantes. Ainsi Macario (Études cliniques sur la démonomanie, in Annales médico-psychologiques, 1843, t. I) [en ligne sur notre site] fait de la démonomanie une variété de la lypémanie ; mais il distingue quatre groupes bien tranchés de démoniaques dans le premier se rangent ceux qui ont des rapports externes avec le diable (démonomanie externe) ; dans le deuxième, ceux qui le portent dans le corps (démonomanie interne) dans le troisième, les démoniaques incubes et succubes ; dans le quatrième enfin rentrent tous les aliénés tourmentés par la terreur de la damnation (damnomanie).

Les auteurs des traités généraux sur les maladies mentales ont généralement suivi les idées d’Esquirol; il n’existe guère de divergence entre eux que sur la place à accorder à la démonomanie dans la classification des maladies mentales. Ainsi M. Dagonet, se rangeant à l’opinion d’Esquirol et de Macario, en fait une variété de la lypémanie religieuse (voy. Traité élémentaire et pratique des maladies mentales. Paris, 1862, p. 544, et Nouveau traité pratique des maladies mentales. Paris, 1876, p. 256). Il en est de même de Griesinger, qui donne même à cette variété de mélancolie religieuse le nom de démono-mélancolie (voy. Traité des maladies mentales. Traduction française de Doumic, Paris, 1862, p. 264).

M. Ach. Foville se range aussi à l’avis d’Esquirol et considère la démonomanie comme une sorte de folie partielle, triste, autrement dit de lypémanie. Il en admet trois variétés distinctes : 1° la démonomanie proprement dite, donnant son nom à l’espèce et qui consiste dans la terreur de la damnation ; 2° la démonopathie ou possession démoniaque ; 3° la démonolâtrie, dans laquelle les malades sont persuadés qu’ils sont vendus au diable et voués à son culte (art. DÉMONOMANIE du Nouveau Dictionnaire de méd. et de chir. pratiques, t. XI. Paris, 1869). Tous les auteurs précédents considèrent la démonomanie comme une maladie spéciale qu’ils placent dans le groupe des mélancolies. Marcé est du même avis sur le premier point, mais il diffère d’opinion sur le second ; pour lui, en effet, la démonomanie doit trouver place au nombre des monomanies à côté de la monomanie religieuse (Traité des maladies mentales. Paris, 1862, p. 366). P. 684]

A l’encontre des médecins aliénistes dont les idées dérivent de celles d’Esquirol, nous devons placer Morel et Krafft-Ebing. Pour Morel, la démonomanie comme le délire religieux en général, comme le délire amoureux et tant d’autres formes de délire, ne doit pas être envisagée comme un type morbide spécial, mais bien plutôt comme une manifestation symptomatique d’états pathologiques divers (Traité des maladies mentales. Paris, 1859, p. 220).

Quant à l’opinion de Krafft-Ebing, elle se rapproche à bien des égards de celle de Morel. Le savant professeur de Graz ne considère pas la démonomanie comme une maladie, mais il en fait un symptôme du délire systématisé religieux (die religiöse Verrücktheit), de la folie hystérique, etc. Telles sont les principales opinions émises, en ce siècle, sur la démonomanie et sur la place qu’elle doit occuper dans le cadre nosologique. Pour nous, nous croyons devoir nous rallier aux idées de Morel et de Krafft-Ebing, en n’envisageant la démonomanie que comme un symptôme. Nous aurons donc surtout pour but dans cet article de décrire ce symptôme, puis de rechercher les différentes formes morbides dans lesquelles on peut l’observer, enfin d’en indiquer la valeur pronostique.

SYMPTOMATOLOGIE. Le premier point à établir, c’est l’extension que nous devons donner à la signification du mot démonomanie. Nous croyons que par ce terme il faut entendre toutes les conceptions délirantes dans lesquelles le diable et l’enfer jouent un rôle prédominant. Ainsi comprise, la démonomanie peut se présenter sous trois formes différentes : 1° la terreur de la damnation, ce que Macario a appelé la damnomanie et Guislain la démonophobie ; 2° l’obsession démoniaque, dans laquelle les malades n’ont de rapport avec l’esprit malin que par les sens externes ; 3° la possession démoniaque, dans laquelle les malades ont la conviction d’avoir l’intérieur du corps occupé par un ou plusieurs démons c’est la démonopathie proprement dite.

Cette distinction entre l’obsession et la possession a été de tout temps admise par les démonographes et même par les théologiens. Nous en donnerons pour preuve le passage suivant, emprunté à un ouvrage de Dom Caimet : « On peut, dit cet érudit bénédictin, mettre au rang des apparitions les obsessions du démon que nous distinguons des possessions, en ce que dans la possession le démon agit en dedans, et dans l’obsession il agit seulement au dehors. Un exemple de possession est le mauvais esprit qui agitoit et possédoit Saül, et qui par intervalle remuoit ses humeurs mélancoliques, ou qui à l’occasion du mouvement naturel de ces humeurs le saisissoit, l’agitoit et réveilloit son animosité et sa jalousie contre David. Un exemple d’obsession est le démon Asmodée, qui obsédoit Sara, fille de Raguel, et qui avoit fait mourir ses sept premiers maris » (Dissertation sur les apparitions des anges, des démons et des esprits, et sur les revenans et vampires de Hongrie, de Bohême, de Moravie et de Silésie, vol. in-12, Paris, 1746).

Quant à la démonolâtrie, si fréquente au moyen âge, elle ne s’observe plus guère à notre époque nous croyons même que de nos jours les médecins ne voient que très-rarement des malades leur affirmant, comme tels sorciers et sorcières des quinzième et seizième siècles, qu’ils sont voués au culte du démon, qu’ils se rendent par des moyens mystérieux aux réunions du sabbat où ils prennent part à des festins somptueux, suivis de crimes abominables, d’accouplements monstrueux, d’actes de fornication avec l’esprit malin, etc. L’étude de la démonolâtrie ne présente donc plus qu’un intérêt historique p. 685] et, comme elle a presque constamment régné sous la forme épidémique, la description en sera faite dans un autre article de ce Dictionnaire [voy. ÉPIDÉMIQUES (folies)].

Nous étudierons seulement ici les trois formes de démonomanie indiquées plus haut, et nous montrerons les idées et les actes dont elles peuvent être l’origine

Damnomanie. La terreur de la damnation, la crainte de l’enfer, peut naître subitement et pour ainsi dire spontanément dans l’esprit d’un malade. Dans ces cas, en effet, celui-ci n’est pas conduit à cette idée délirante par une sorte de déduction logique, mais il y est amené brusquement ou par un saisissement violent, produit par un accident, par un sermon sur les peines de l’enfer, etc. Il est bien entendu que, pour que ces causes agissent avec succès, il est indispensable qu’elles tombent sur un terrain pathologique déjà préparé. Mais ce mode de genèse de la damnomanie est rare. Le plus souvent, en effet, la terreur de l’enfer est la conséquence d’une série de préoccupations délirantes, de tourments moraux, etc. Ces tourments et ces préoccupations peuvent naître de l’excès même des pratiques religieuses. Si l’abus amène la satiété et le dégoût, le désir ardent d’arriver à la perfection et en particulier à la perfection religieuse peut conduire au découragement, à la lassitude et, par une gradation insensible, à une entière désespérance. Vienne alors le moindre incident, une frayeur morbide éclatera et, étant donné la direction d’esprit, elle aura pour objet la crainte de perdre le salut, de devenir la proie de l’enfer.

Chez certains malades, l’origine du délire semble être dans une parole mal interprétée, entendue soit dans un sermon, soit au confessionnal. Cette parole devient, pour ainsi dire, une sorte de point central vers lequel viennent converger toutes les pensées, toutes les réflexions. Il se produit là ce qu’on observe dans l’évolution de toutes les idées fixes l’esprit maladif, ne s’arrêtant pas aux raisons moyennes qui pourraient combattre son erreur, se précipite avec ardeur vers les extrêmes pour y chercher la solution de ses préoccupations et s’y complaît parce qu’il y trouve le véritable aliment de l’idée prédominante qu’il caresse et qui le, tourmente. Or, une conscience religieuse, troublée par un motif quelconque, peut-elle atteindre un plus haut degré d’anxiété que lorsqu’elle s’imagine que Dieu l’a abandonnée et qu’elle va devenir la proie de l’enfer ? Telle cette malade qui, allant un jour à confesse, croit comprendre que le prêtre à qui elle confie ses péchés lui émet des doutes sur nous ne savons quoi elle devient perplexe. Mais son esprit mis en éveil ne devait pas en rester là il ressasse constamment les quelques mots dits par le confesseur et leur donne de jour en jour des interprétations plus sinistres. Enfin le moment vint où la malade, se laissant pour ainsi dire aller à la dérive, se crut complétement abandonnée par la Providence et vouée aux feux éternels.

Beaucoup de malades arrivent au même résultat parce qu’ils entendent des voix qui leur annoncent qu’ils sont damnés, ou bien parce qu’ils croient avoir commis des crimes ou simplement des fautes qui ne peuvent être absous ni en ce monde ni dans l’autre. Cette culpabilité n’est pas toujours purement imaginaire parfois, en effet, quelque faute légère aura été commise dont le malade s’exagérera l’importance. Les actes qui engendrent surtout la terreur de la damnation chez des esprits faibles sont ce que les théologiens appellent les péchés contre la chair. L’onanisme en particulier a ce privilège.

Après avoir indiqué la pathogénie de la terreur de la damnation, il nous faut [p. 686] décrire l’action qu’exerce cette conviction délirante sur la manière d’être de ceux qui en sont atteints. Un fait essentiel à remarquer, c’est que ces malades sont ordinairement privés de sommeil et qu’ils n’ont que peu ou point d’appétit aussi le corps est amaigri, la figure émaciée, le teint jaune, les yeux caves et cernés, l’haleine fétide, la peau sèche. La physionomie, reflétant les préoccupations intérieures, exprime l’inquiétude et l’anxiété, le front est plissé, le regard soupçonneux. En outre, ces malades recherchent la solitude, ne prennent aucun soin de leur personne, sont incapables de s’occuper. D’ordinaire ils se tiennent dans un coin, les yeux baissés, poussant de profonds soupirs et donnant parfois toutes les marques extérieures du plus profond désespoir. Lorsqu’on essaie de leur porter quelque consolation, de combattre leurs idées par le raisonnement, ils restent sourds à vos consolations quant aux raisons qu’on leur donne, ils y répondent par des affirmations que rien ne peut ébranler.

Parfois cet état peut prendre un caractère plus aigu : ce sont alors de véritables moments de paroxysme où les malades, soit que leurs tourments deviennent plus vifs, soit que des hallucinations de l’ouïe augmentent leurs terreurs, soit pour toute autre cause, présentent les symptômes du plus violent désespoir ils entrent même en fureur, profèrent des blasphèmes et les imprécations les plus violentes contre Dieu, les saints, les prêtres; invectivent toutes les personnes qui les entourent et se livrent sur elles à des voies de fait; plus souvent, ils tournent leur fureur contre eux-mêmes, en se frappant la tête contre les murs, en cherchant à se meurtrir le corps, etc.

Les hallucinations de l’ouïe, avons-nous dit, peuvent être la cause de la terreur de la damnation, ou bien elles peuvent l’entretenir et même l’augmenter. En quoi consistent ces hallucinations? Ce sont presque toujours des voix stridentes et sépulcrales qui répètent sans cesse aux malades que leurs péchés ne peuvent être absous, qu’ils ne doivent pas compter sur la miséricorde de Dieu, qu’ils sont damnés .livrés au diable, destinés aux feux de l’enfer, etc. On conçoit aisément les terreurs indicibles, l’affreux désespoir, dans lesquels les plongent ces menaces qui les poursuivent constamment. Mais ces malades, non-seulement entendent des voix, mais ils sont encore atteints d’hallucinations des autres sens. « Tantôt ils aperçoivent des images effrayantes, des figures sinistres d’animaux ou d’êtres humains qu’ils considèrent comme autant de spectres infernaux tantôt ils se plaignent de sentir des odeurs de soufre, de résine, etc. tantôt enfin ils accusent à la peau des perception s subjectives de pression, de tiraillement, de déchirure, de brûlure. Les hallucinations du goût sont plus rares » (Foville, loc. cit., p. 124).

N’oublions pas un dernier symptôme, qui a eu autrefois son importance comme diagnostic de la démonomanie, c’est l’anesthésie cutanée. Presque tous les démonomaniaques, à quelque catégorie qu’ils appartiennent, présentent de l’analgésie; on peut les pincer, les piquer avec une aiguille ou une épingle, on peut même les électriser, leur toucher la peau avec un fer chaud, sans qu’ils manifestent la moindre douleur, ou bien ne se plaignent que faiblement du mal qu’on leur fait.

Obsession. Par obsession démoniaque nous entendons cet état pathologique qui consiste, chez ceux qui en sont atteints, à se trouver en rapport avec l’esprit malin par les sens externes ils voient le diable, ils l’entendent, ils le sentent, parfois même ils le touchent. Luther est un exemple historique très-connu de ce genre de démonomanie ainsi il recevait fréquemment la visite du [p. 687] diable, comme il le raconte lui-même dans ses mémoires, il le voyait, avait avec lui de violentes discussions et le sentait même parfois se pendre à son cou. C’est presque toujours sous forme d’hallucination de la vue que commence l’obsession démoniaque. Le malade voit d’abord le diable, et cela surtout la nuit ; il se présente à lui sous des formes et des costumes divers. Tantôt il apparaît drapé dans un grand manteau noir, la tête couverte d’un énorme chapeau ; ainsi costumé, il n’est reconnaissable qu’à ses pieds nus qui sont fourchus ; tantôt, au contraire, le diable s’offre aux regards habillé en rouge ou entouré de flammes, etc. Quelquefois, mais pas toujours, le diable adresse la parole à ceux à qui il apparaît, et ce n’est que pour se moquer des choses saintes, pour proférer des blasphèmes contre Dieu, le Christ, les livres saints, souvent aussi pour proposer à ceux qu’il tente de faire un pacte avec lui, etc. En réalité, il se produit dans la contexture de ces hallucinations soit de la vue, soit de l’ouïe, tout ce que l’imagination populaire a coutume d’attribuer au diable et à son influence.

Mais une forme d’obsession très-fréquente, c’est celle qui a lieu à la fois par l’intermédiaire de l’ouïe et de la sensibilité générale. Les malades entendent des voix et les attribuent au démon; ils sentent des attouchements sur les diverses parties du corps, ce sont les griffes de l’esprit malin. Une aliénée, dont Macario cite l’observation, sentait, pendant la nuit, quelque chose de très-lourd monter sur sa tête, de là sauter sur ses jambes de manière à les lui écraser ; d’après elle, ce ne pouvait être que le démon.

Un autre genre d’hallucination ou d’illusion qui s’observe chez ces malades, c’est de se sentir soulevés de terre, emportés à travers l’espace, etc. Cette sensation morbide ne doit-elle pas être considérée comme une illusion ou une hallucination du sens musculaire ?

Parfois à ces différents troubles viennent s’ajouter des hallucinations de la sensibilité génitale, et alors on a ce qu’au moyen âge on appelait les incubes et les succubes. « Incubes, a dit Ambroise Paré (XIX, 29), ce sont démons qui se transforment en guise d’hommes, et ont copulation avec les femmes sorcières. » Le succube, au contraire, est un démon qui, suivant l’opinion populaire, prend la forme d’une femme pour avoir commerce avec un homme. Il existe encore aujourd’hui bien des aliénés qui ont à souffrir des esprits incubes ou succubes ; nous verrons plus loin à quelle catégorie ils appartiennent.

Possession. Le possédé est le malade convaincu d’avoir l’intérieur du corps occupé par un ou plusieurs démons. Cette conviction n’est au fond que l’explication de sensations réelles ainsi presque tous les possédés ont des troubles de la sensibilité interne ou des lésions quelconques de la vie végétative. Chez ces malades, la moindre douleur est attribuée à un démon; les bruits les plus naturels qui peuvent se produire dans les organes, tels que borborygmes, craquements des articulations, etc., sont interprétés par eux comme des manifestations de la présence du diable dans leur corps.

Mais il existe un degré plus élevé encore de la possession, c’est lorsqu’il y a. la conviction intime que toute la personnalité physique et morale est sous la dépendance complète du démon. Alors tout ce que disent les malades, tout ce qu’ils font, tout ce qu’ils pensent, est l’œuvre de l’esprit malin qui s’est substitué à leur volonté et à leur intelligence. S’ils se laissent aller à proférer des injures: grossières, les blasphèmes les plus révoltants s’ils commettent des actes désordonnés, c’est, disent-ils, parce qu’ils y sont forcés, entraînés malgré eux par le [p. 688] diable ou les diables qui les habitent et se sont ainsi rendus maîtres de leurs personnes.

Les troubles généraux que nous avons constatés dans la damnomanie se rencontrent aussi dans l’obsession et la possession. Dans ces deux dernières variétés de démonomanie s’observent aussi très-fréquemment des moments de paroxysme allant parfois jusqu’à la fureur maniaque.

Il nous reste à parler des conceptions, des actes délirants qui dérivent, pour ainsi dire, des différentes formes de la démonomanie.

Une idée étrange qui se trouve très-souvent associée aux frayeurs de la damnation ou de la possession démoniaque est celle d’immortalité, de ne pouvoir jamais mourir. M. Cotard, qui a récemment attiré l’attention sur l’existence de ces deux conceptions délirantes chez certains mélancoliques anxieux, a fait ressortir que cette association de l’idée d’immortalité avec les idées de damnation et de possession diabolique avait été constatée par plusieurs des auteurs qui avaient écrit sur la démonomanie (Du délire hypochondriaque dans une forme grave de la mélancolie anxieuse in Annales médico-psychologiques, n » de septembre 1880). [en ligne sur notre site] Ainsi les cinq malades qui font le sujet des observations du mémoire d’Esquirol prétendent toutes qu’elles ne mourront jamais, qu’elles sont destinées à rester éternellement sur la terre ; l’une d’entre elles prétend même être la femme du grand diable depuis un million d’années. Leuret rapporte deux cas semblables. Dans le premier, il s’agit d’une femme qui, après avoir commis une faute, fut prise de remords et d’idées de damnation. « Depuis qu’elle avait cessé d’être pure, elle pleurait et priait sans jamais être consolée, elle se sentait brûlante, son « âme était comme un brasier. » Souvent ça lui disait : Tu t’es possédée, tu ne mourras plus. Maintenant son œil est sec, son cœur ne sent plus, elle est damnée, elle est immortelle… » (Fragments psychologiques sur la folie, p. 408). La seconde malade, dont parle Leuret, n’a conçu l’idée d’immortalité qu’à la période de son affection où les craintes de la damnation commençaient à se dissiper. « Lorsque déjà la pensée qu’elle était damnée s’était beaucoup affaiblie, cette autre pensée lui vint qu’elle était éternelle. Eh ! mon Dieu, s’écriait-elle, que ferai-je de mon éternité ? L’éternité se présentait à son esprit, en même temps affreuse et grotesque, elle en était effrayée et ne pouvait s’empêcher d’en rire. » {id., p. 422)..

Une autre malade, dont l’histoire est racontée par M. Petit (Archives cliniques des maladies mentales, t. I, p. 59), et qui se croyait damnée, présentait pour idée fixe qu’elle n’a plus de sang; elle ajoutait qu’elle doit vivre éternellement et que, pour la délivrer de la vie, il faudrait lui couper les bras et les jambes.

Nous pourrions multiplier ces exemples ; mais ce qu’il importerait plus de connaître, c’est par quelle déduction logique ou illogique, si l’on préfère, ces malades sont conduits de l’idée de damnation ou de possession diabolique à celle d’immortalité. Arrivent-ils d’une idée à l’autre par une série de raisonnements, ou bien la seconde naît-elle spontanément sur le fonds maladif préexistant ? Il nous semble difficile, pour le moment du moins, de répondre à cette question. Quoi qu’il en soit, nous croyons devoir faire remarquer que cette idée de ne pouvoir jamais mourir se constate chez d’autres malades. Ainsi Esquirol rapporte l’histoire de lypémaniaques bien convaincus qu’ils ne pouvaient mourir et qui lui demandaient ce qu’ils deviendraient quand ils seraient seuls sur la terre. Nous avons nous-même observé une malade hypochondriaque qui assurait avoir [p. 689] un singe dans l’estomac et qui se plaignait amèrement de ne jamais devoir mourir. Fait intéressant, cette aliénée avait deux filles et elle se lamentait sur le sort de l’une d’elles qui devait, comme sa mère, vivre éternellement. Nous avons déjà parlé plus haut du refus d’alimentation fréquent chez les démonomanes; il nous reste à dire quelques mots de l’impulsion au meurtre et au suicide qui s’observe souvent chez ces malades.

Tous les auteurs ont noté la tendance au suicide dans la démonomanie. Les malheureux, préoccupés des terreurs de l’enfer, ou possédés par le démon, semblent comme irrésistiblement poussés à se détruire. Pour arriver à leurs fins ils emploient les moyens le plus extraordinaires. Leuret rapporte l’observation d’une malade, se croyant damnée, qui fit deux tentatives de suicide dans les circonstances suivantes. La première fois, s’étant procuré une lame de fer, elle s’en servit pour ouvrir la peau du sommet de la tête, puis, tirant cette peau avec ses deux mains, elle la déchira depuis le front jusqu’à la nuque. Cette horrible blessure était en voie de guérison, lorsque, malgré la surveillance qu’on exerçait depuis lors sur elle, la malade « parvint à se procurer une boucle; elle attendit que sa garde fût endormie, vint encore à bout de se détacher, porta les doigts dans sa plaie et, l’ayant ouverte, elle se fit avec l’ardillon de sa boucle un trou qui pénétra jusque dans le crâne. Un canal qui donne passage à une grande quantité de sang, canal que les anatomistes appellent sinus longitudinal supérieur, fut ouvert, il y eut une hémorrhagie abondante que l’on ne put arrêter assez tôt ni assez parfaitement, et qui fit périr la malade dans l’espace de quelques jours (Fragments psychologiques sur la folie, p. 598). Cette tendance au suicide des démonomanes est une preuve des plus remarquables de l’opposition étrange qui peut exister parfois entre les idées des aliénés et leurs déterminations. Comment résoudre ce problème de psychologie morbide ? Comment un individu, qui craint d’être damné, arrive-t-il à hâter le moment de son supplice éternel en se donnant la mort ? Voici comment Esquirol cherchait à expliquer cette étrange contradiction : « Les individus qui craignent d’être damnés sont horriblement malheureux. Uniquement occupés de leurs souffrances, de leurs tourments actuels, l’imagination leur peint cet état d’angoisse comme le plus grand des maux, plus grand que la mort même. Les maux qu’ils redoutent, mais qu’ils ignorent, ont nécessairement moins d’action sur eux que les maux qu’ils endurent; les maux à venir peuvent n’être que des chimères; les maux actuels sont des réalités ; l’intolérable position où ils sont est affreuse, il faut la changer ; n’ayant pas assez de force pour souffrir, comment en auraient-ils pour espérer ? C’est là tout le désespoir. Il faut faire cesser cette situation à quelque prix que ce soit ; le plus sûr est de cesser de vivre, la résolution est prise, la raison s’égare, l’avenir, les supplices de l’enfer s’évanouissent ; le délire et le désespoir conduisent le fer du monomaniaque qui se tue » (Des maladies mentales, art. DÉMONOMANIE, t. I, p. 255).

Mais la démonomanie pousse ceux qui en sont atteints non-seulement à attenter à leur propre existence, mais aussi à commettre les crimes les plus atroces. Ainsi Pinel cite le fait d’un individu qui, au sortir d’un sermon, se croit damné et, en rentrant chez lui, tue ses enfants pour leur épargner le même sort. Heureusement, tous les démonomanes n’exécutent pas les projets sinistres qui hantent leur imagination et ont encore assez de force de volonté pour résister à cet entraînement maladif. Telle cette jeune femme, dont Esquirol cite l’observation, et qui à la suite de quelques contrariétés domestiques se persuade qu’elle est [p. 690] damnée ; pendant plus de six mois elle est tourmentée du désir de terminer l’existence de ses enfants, pour les préserver des peines de l’autre vie.

VALEUR DIAGNOSTIQUE DE LA DÉMONOMANIE. Considérant la démonomanie comme un symptôme, il nous faut indiquer les formes d’affections mentales dans lesquelles elle peut se présenter. Pour cette étude nous suivrons les distinctions établies dans le chapitre précédent.

La damnomanie ou terreur de la damnation s’observe particulièrement dans certaines variétés de mélancolie et surtout dans la mélancolie anxieuse et dans la mélancolie hystérique avec idées religieuses. On la voit aussi se développer chez certains imbéciles ou faibles d’esprit, livrés à des pratiques de dévotion peu éclairée.

L’obsession diabolique se rencontre chez des hystériques et chez certains persécutés. Ainsi les malades qui voient le démon et sentent ses attouchements sont généralement des hystériques. Quant aux persécutés, qui interprètent par l’obsession de l’esprit malin leurs hallucinations de l’ouïe, leurs idées de persécutions, les troubles qu’ils éprouvent dans le domaine de la sensibilité générale, etc., ce sont d’ordinaire des malades à l’esprit borné dont le délire retarde, si je puis ainsi dire, sur celui des autres persécutés. Ceux-ci cherchent des explications à leurs tourments dans le milieu intellectuel ambiant; les autres, au contraire, en sont restés aux idées du moyen âge et, comme les malades de cette époque, ils accusent le diable de toutes les souffrantes morales et physiques qu’ils endurent.

Quant à la possession démoniaque, elle ne s’observe guère que chez certains hypochondriaques et chez des hystériques. L’hypochondriaque attribue à la présence du diable dans son corps les douleurs internes qu’il ressent; mais c’est surtout dans l’hystérie que l’idée fixe de possession du démon se produit le plus fréquemment, au point qu’on a fait de cette association de l’affection convulsive avec la démonopathie une forme spéciale, l’hystéro-démonopathie (voy. HYSTÉRIE). Les crises convulsives, que nous n’avons pas à décrire ici, sont provoquées par les causes souvent les plus futiles, mais surtout par la vue ou l’audition de ce qui rappelle la religion: ainsi certaines malades sont prises d’une attaque à l’aspect d’une médaille, d’une croix, d’un chapelet; d’autres, lorsqu’elles entendent réciter des prières ou quand on leur dit qu’elles ne sont point possédées, etc. Pendant les crises, ces malades vocifèrent, jurent, profèrent des blasphèmes, crient qu’elles sont damnées, qu’elles sont des diables de l’enfer, que c’est le démon qui parle par leur bouche; s’il se présente à elles, à ce moment, un prêtre ou un religieux, elles l’insultent sous prétexte qu’il n’est pas assez saint pour avoir action sur les démons.

C’est cette dernière variété de démonomanie surtout qui s’est autrefois présentée et qui se présente encore aujourd’hui sous la forme épidémique. C’est sous cette forme, en effet, que l’hystéro-démonopathie s’est développée au seizième et au dix-septième siècle dans un grand nombre de couvents de femmes, dans certains villages et dans des maisons de secours; c’est sous cette forme qu’on l’observe encore de notre temps, ainsi que le prouvent l’épidémie de Lyon, en 1848, connue sous le nom des diables de Margnolles ; celle de Morzine, dans le département de la Haute-Savoie, en 1861 et 1864; celle plus récente (1878) de Verzegnis, dans le Frioul (Italie).

De l’examen précédent il est permis de conclure que la démonomanie est un symptôme relativement rare, qu’elle se présente surtout chez les individus à [p . 691] développement intellectuel peu prononcé, qu’elle est plus commune chez les ̃femmes que chez les hommes, enfin qu’on la rencontre plus souvent dans les classes inférieures que dans les classes supérieures. Si l’on compare les différents peuples de l’Europe au point de vue du rôle que joue le diable dans les idées délirantes des aliénés, on constatera que la démonomanie « s’observe surtout, de nos jours, dans les pays où la foi a peu souffert des atteintes du doute philosophique, en Italie ̃et en Espagne, par exemple. En Italie, d’après Fassetta, la lypémanie religieuse entrerait pour un peu moins d’un quart dans le nombre total des aliénations mentales. En Angleterre, où les sectes religieuses sont animées d’un vif esprit de -prosélytisme, elle est plus fréquente qu’en France. Chez nous, elle ne se constate plus guère que dans les provinces éloignées, là où le sentiment religieux ̃n’axas encore pu se dégager entièrement des nombreuses -superstitions avec lesquelles il se trouvait si intimement mêlé jadis, les provinces de l’Ouest, du Midi, de l’Est, principalement la Bretagne, la Lorraine, la Savoie » (Foville, loc.  cit., p. 424).

VALEUR PRONOSTIQUE DE LA DÉMONOMANIE. Les idées de damnation et de possession démoniaque, lorsqu’elles se présentent dans le cours d’une affection mentale, donnent toujours à cette dernière un caractère grave. Cette gravité est due surtout aux actes que peuvent engendrer ces conceptions délirantes aussi un grand nombre de démonomanes meurent-ils par suite de leur refus d’alimentation et de leurs idées de suicide, soit dans le marasme, soit par strangulation. Mais, en dehors de ces cas de mort prématurée, la plupart des démonomaniaques, s’ils ne guérissent pas, passent à la chronicité ; alors ces malades répètent sans cesse sur un ton plaintif et avec un air anxieux les mêmes paroles ils sont damnés, ils vont aller en enfer, etc. En un mot, leur délire est stéréotypé. Quant aux démonomaniaques qui guérissent, ils sont rares. Cependant on cite des cas de guérison de délire hypochondriaque associé à des idées de damnation on de possession diabolique. Lorsque l’idée de possession accompagne l’hystérie, on la voit disparaître en même temps que l’attaque convulsive, mais pour reparaître le plus souvent aux attaques suivantes.

TRAITEMENT. Il fut un temps où l’on ne connaissait que deux méthodes de traitement de la démonomanie, l’exorcisme et le bûcher. Mais à partir du jour où le grand ministre Colbert, par son ordonnance de 1672, « destitua Satan avec peu de façon en défendant aux juges de recevoir les procès de sorcellerie » (Michelet, La Sorcière, p. XXI), il ne resta plus aux croyants que l’exorcisme pour chasser le diable. Mais les exorcismes ne réussissant que bien rarement, lorsqu’ils ne surexcitent pas les démonomanes jusqu’à la fureur, force est bien de s’adresser aux médecins. Ceux-ci, pour combattre les idées de damnation ou de possession, emploient deux sortes de moyens les moyens moraux et les moyens physiques.

Parmi les moyens moraux, on a placé en première ligne les raisonnements, les consolations, etc. Nous ne croyons guère ni à la puissance des uns, ni à l’efficacité des autres; et en cela nous partageons l’avis de Leuret, qui dit à ce sujet : « N’employez pas les consolations, car elles sont inutiles ; n’ayez pas recours aux raisonnements, ils ne persuadent pas ; ne soyez pas tristes avec les mélancoliques, votre tristesse entretiendrait la leur ; ne prenez pas avec eux un air de gaîté, ils en seraient blessés (Fragments psychologiques sur la folie, p. 424). Faut-il avoir recours à des supercheries pour amener à convaincre les malades de la fausseté de leurs idées délirantes ? De tels moyens pouvaient [p. 692] réussir dans d’autres temps, mais ils n’auraient plus guère d’influence aujourd’hui. Ainsi nous croyons qu’il serait malaisé de trouver de nos jours un malade qui se laisserait aussi facilement convaincre que ce très-noble Portugais, dont Zacutus Lusitanus rapporte l’observation. Ce malade, qui se plaignait bien amèrement que Dieu ne lui pardonnerait jamais ses péchés et que le diable allait l’emporter en enfer, avait fait appeler des médecins. Ceux-ci prescrivirent des purgatifs, des sangsues, des cautères, des bains ils lui conseillèrent aussi des distractions. Mais tout cela fut en vain. « Nous eûmes alors recours, dit Zacutus, au stratagème que voici, et dont la réussite fut complète. Au milieu de la nuit, les portes de la chambre où couchait le malade étant bien fermées, nous fîmes apparaître un ange artificiel (nous avions préparé à l’avance une ouverture au plafond), tenant dans sa main droite un glaive, dans la gauche une torche allumée. Cet ange appela trois fois le malade par son nom (un homme était là qui, d’une voix douce, disait les paroles que l’ange était censé prononcer). Celui-ci s’éveilla, et voyant un auge d’une grande beauté et vêtu d’une robe blanche, il se jeta à genoux. L’ange lui. annonça de la part de Dieu miséricordieux que ses péchés et ses crimes lui étaient remis. Le flambeau s’éteignit, l’ange fut retiré. Le Portugais, plein de joie, appela les personnes de sa maison; on accourut, il raconta son bonheur. On le félicita, on lui donna le surnom de juste. Dès ce moment, il mangea, dormit et recouvra une .santé parfaite. »

Le premier remède à appliquer à un démonomane, c’est, dans la plupart des cas, l’isolement il est même souvent indispensable de le placer dans une maison d’aliénés, où il puisse être surveillé afin qu’il ne cherche pas à se faire du mal et à en faire aux autres. La seconde règle à suivre, c’est de soustraire le malade à l’influence des pratiques religieuses, à le tenir éloigné des prêtres, à lui interdire la fréquentation des églises et des sacrements. Très-souvent cette abstention sera spontanée, car le démonomane arrive à se croire indigne d’assister à une cérémonie religieuse. Il est bien entendu que le médecin devra s’opposer avec la plus grande énergie à l’emploi de l’exorcisme, même s’il était réclamé par le malade; mais il engagera vivement le malade à se distraire; il l’enverra, si cela est possible, au spectacle, lui fera faire des voyages, etc. Voilà les principales règles du traitement moral.

Quant au traitement physique de la démonomanie, il se confond avec celui des différentes maladies mentales, dont elle n’est que l’expression symptomatique nous ne saurions donc mieux faire que de renvoyer sur ce point aux articles qui en traitent d’une façon spéciale (voy. HYSTÉRIE, HYPOCHONDRIE, PANOPHOBIE, PERSÉCUTIONS (Délire des)).

Ant. Ritti.

Bibliographie. Dom Calmet. Dissertations sur les apparitions des anges, des démons et des esprits, et sur les revenants et vampires. Paris, 1746. — Guilbert. Bibliothèque médicale, 1805, t. IX, —Esquirol. Art. Démonomanie du Dictionnaire des sciences médicales, 1814, t. VIII, et in Des maladies mentales. Paris, 1838, t. I. [en ligne sur notre site] — Leuret. Fragments psychologiques sur la folie. Paris, 1834. — Macario. Études cliniques sur la démonomanie. In Annales médico-psychologiques, t. I, 1843. [en ligne sur notre site] — Brierre de Boismont. Observation de démonomanie ; deux ans de durée ; guérison instantanée. In Gaz. des hôpitaux, numéro du 7 mars 1853. —Baillarger. Observation de démonomanie provoquée par des hallucinations de l’ouïe. In Annales médico-psychologiques, 1845, t. VI. [en ligne sur notre site] — Calmeil.De la folie considérée sous le point de vue pathologique, philosophique, historique et judiciaire, 2 vol. in-8°, 1845. — Morel. Traité des maladies mentales. Paris, 1859. —Constants. Relation sur une épidémie d’hystéro-démonopatie en 1861.  1862. [en ligne sur notre site]  Marcé. Traité des maladies mentales. Paris, 1862. —Dagonet. Traité élémentaire et pratique des maladies mentales. Paris, 1862, et Nouveau traité des maladies mentales. Paris, 1876. — Michéa. De la sorcellerie et de la possession démoniaque dans leurs rapports avec le progrès de la physiologie pathologique. In Revue contemporaine, numéro du 15 février 1862. [en ligne sur notre site] — Griesinger. Traité des maladies mentales, traduction Doumic. Paris, 1865. Ph. Kuhn. De l’épidémie hystéro-démonopathique de Morzine. In Annales médico-psychologiques, 1865, t. V et VI. [en ligne sur notre site] — Ach. Foville. Art. DÉMONOMANIE du Nouveau Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques, t. XI. Paris, 1869. Von Krafft-Ebing. Lehrbuch der Psychiatrie auf klinischer Grundlage. 3 vol. in-8°. Stuttgart,1879. — J. Cotard. Du délire hypochondriaque dans une forme grave de la mélancolie anxieuse. In Annal, médico-psychologiques, numéro de septembre 1880. [en ligne sur notre site]

 

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