Anonyme. Du rapport de la Magie avec la Théologie payenne. Extrait de « Histoire de l’académie royale des inscriptions et belles lettres », (Paris), tome septième, 1733, pp. 23-32.
Critique de l’ouvrage de Bonamy. Caillet, Manuel bibliographique des sciences psychiques ou occultes n° 1368.
P.- Nic Bonamy (1694-1770). Nous ne savons rien de cet érudit qui publia essentiellement dans les Recueils de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres de 1736 à 1774, qui comprend plusieurs dizaines d’articles.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
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DU RAPPORT DE LA MAGIE
AVEC
LA THÉOLOGIE PAYENNE.
L’art odieux de la Magie, si fameux dans l’antiquité, & si répandu chez toutes les Nations, a toujours esté un des sujets sur lequel le Pyrrhonísme à le plus triomphé ; & il faut avouer que quand on fait attention à la Magie des anciens, aux extravagances qu’elle raçontoit, aux crimes quelle faisoìt commettre, on est estonné que les nations les plus sçavantes & les plus policées, de même que les plus barbares ayent pû croire tant d’absurditez et commettre tarit de crimes sans scrupule : mais l’estonnement doit cesser dès qu’on voit que cette Magie estoit chez eux une suite de laThéologie même & que, comme Arrien l’a remarqué, lorsqu’un discours choquoit la vray-semblance, on n’avoit qu’à y mesler la Divinité, & qu’aussi-tost il cessoit d’estre incroyable.
M. Bonamy, auteur de ce Mémoire, n’a entrepris de parler ni du pouvoir de la Magie, ni des effets surprenants qu’on lui attribuoit ; ; moins encore des crimes qu’elle obligeoit de commette. Tous ces articles ont fait la matière de plusieurs Traitez, souvent aussi frivoles que dangereux ; il se contente d’examiner le rapport & la liaison qu’elle avoit avec la Théologie Payenne, et, dès qu’il aura prouvé que la Magie & la Théologie émanoient des mêmes principes, qu’elles avoient l’une et l’autre les mêmes cérémonies, les mêmes vuës, il ne paroistra plus estonnant qu’on ait attribué à cet art les effets les plus surprenants, & qu’on ait crû que ceux qui l’exerçoient avoient le pouvoir de troubler toute la nature, de confondre les éléments, & de forcer la Divinité même à leur obéir.
Avant que d’entrer en matière, l’auteur définit la Magie, l’art de produire dans la nature des choses au-dessus du pouvoir des hommes par le secours des Dieux, en employant certaines paroles & certaines cérémonies. [p. 24]
Il dit l’art de produire des choses au-dessus du pouvoir des hommes, car il n’y ayoit rien d’ordinaire dans les actions des Magiciens. Ils exerçoient leur empire dans le Ciel, sur la terre & dans les enfers : Cujus horrido murmure, imperiosisque verbis Dii superi Manesque torquentur, disoit Quintilien en parlants d’un Magicien. C’estoit ce pouvoir suprême qui donnoit tant d’attrait pour Ìa Magie, & Néron, au rapport de Pline, ne chercha à se rendre habile dans cette science, que pour avoir le plaisir de commander aux Dieux. Quelle puissance en effet ne dévoient point s’attribuer des hommes qui croyoient les Dieux soumis à leur volonté ? Suivant l’opinion commune, c’estoit un jeu pour les Magiciens de faire tomber la gresle, le tonnerre, d’exciter des tempestes, d’aller par-tout au milieu des airs, de faire descendre la Lune sur la terre, & de transporter ses fruits et les moissons d’un lieu dans un autre. Furius Cresmus fut serieusement accusé d’estre assez habile Magicien pour s’approprier ainsi le bien de ses voisins, & il ne pût faire taire ses accusateurs, ni détromper ses Juges, qu’en faisant voir que ses terres, n’estoient d’un meilleur rapport que celles des autres, que parce qu’il les cultivoit mieux. On doutoit si peu que les Magiciens eussent ce pouvoir, que dans les douze Tables, il estoit deffendu, sous peine de la vie de faire ces sortes de transports.
La puissance des Magiciens ne se bornoit pas à faire du bien ou du mal aux vivants, ils estendoient encore leur pouvoir sur les morts par l’évocation des âmes ; ils mettoient les ombres aux prises les uns avec ses autres. Plutarque rapporte, que les Lacédémoniens ayant fait mourir de faim Pausanias dans le Temple de Pallas, son spectre causoit tant de frayeur à ceux qui venoient dans ce Temple, que personne n’osoit plus y entrer. Les Lacédémoniens n’y trouvèrent point d’autre remède, que de faire venir de Thessalie des Magiciens qui évoquèrent ies âmes de plusieurs autres Lacédémoniens, qu’on sçavoit avoir esté pendant leur vie ennemis déclarez de Pausanias, & ces ames donnèrent si bien la chasse au spectre, qu’il n’épouventa plus personne.
II y avoit différentes Divinitez à qui les Magiciens pouvoient avoir recours dans leurs opérations, les unes bienfaisantes [p. 25] & les autres malfaisantes, que l’on se rendoit favorables par des actions de cruauté, & même par des crimes. Cette différence constituoit deux espèces de Magie : l’une s’appelloit Theurgie, & l’autre Goëtie. Tout le Traité de Jamblique sur les mystères des Égyptiens, s’oppose celte division. Ceux qui estoient Magiciens Theurgiques souffroient impatiemment qu’on les mît dans la classe des Goëtiques ; ils les regardoient avec autant d’horreur que nous regardons aujourd’huy les sorciers. Les Philosophes Plotin, Porphyre, Jamblique & l’Empereur Julien distinguoient les opérations religieuses que les Grecs observoient, & qu’ils appelloient Theourgia, des opérations magiques, ou prestiges qu’ils nommoient Goëteia, & qu’ils attribuoient à l’artifice des hommes, & aux impostures des mauvais démons. Ils définissoient la Magie l’invocation des démons bienfaisants, pour procurer du bien aux hommes ; & la Goëtie, l’invocation des démons malfaisants pour nuire aux mêmes hommes.
La Magie Theurgique, si on en veut croire ceux qui en faisoient profession, estoit un art divin, qui n’avoit pour but que de perfectionner l’esprit, & de rendre l’ame plus pure ; & ceux qui estoient assez heureux pour parvenir à l’autopsie, estat on l’on avoit un commerce intime avec les Divinités, se croyoient revêtus de toute leur puissance.
L’appareil de la Magie Theurgique avoit quelque chose de sage & de spécieux : ii falloit que le Prestre Theurgique fût irréprochable dans ses mœurs, que tous ceux qui avoient part aux opérations fussent purs, qu’ils n’eûssent eû aucun commerce avec les femmes, qu’ils n’eussent point mangé de choses qui eûssent eû vie, & qu’ils ne fussent point souillez par l’attouchement d’un corps mort. Cette Magie Theurgique estoit donc bien différente de la Magie Goëtique, ou sorcellerie, dont faisoient profession des hommes qui n’avoient commerce qu’avec les mauvais démons, & qui n’employoient leur pouvoir que pour nuire, & pour porter au crime. L’appareil de leurs cérémonies redoubloit encore la terreur qu’on en avoit. Les lieux souterrains estoient leur demeure ; l’obscurité de la [p. 26] nuit, des victimes noires, des ossements de morts ou des cadavres entiers répondoient à la noirceur de leur art, ils égorgeoient des enfants, & cherchoient dans les entrailles des victimes humaines des prédictions de l’avenir. Telles estoient les deux différentes espèces de la Magie proprement dite.
Les Magiciens employoient dans leurs opérations certaines paroles, ausquelles ils attribuoient la plus grande efficacité des enchantements. Quelquefois le charme des paroles opéroit seul, comme quand les enfants d’Autolyque arrestérent le sang d’une playe qu’Ulysse reçût à la cuisse. Quelquefois ii falloit joindre aux paroles ía vertu des herbes. Médée ne crut pas Jason en sûreté avec les herbes enchantées qu’elle luy avoit données elle y adjouta encore les paroles :
Neve parum valeant à se data gramina, Carmen
Auxiliare canit, secretasque advocat artes.
Le cérémonial n’estoit pas borné aux herbes & aux paroles. Le temps des sacrifices, les jours, les heures, les aspects des astres, le nombre, la couleur & l’espèce des victimes, tout estoit essentiel, comme tout estoit mystérieux. Parmi toutes ces Divinitez, qui avoient chacune leur district dans l’univers, ce n’estoit pas un petit embarras pour un Magicien, de sçavoir précisement celles qu’il falloit invoquer, leur nombre & l’estendue de leur pouvoir ; il falloit encore sçavoir quelles choses dévoient entrer dans les compositions de parfums, d’herbes, de pierres, qui estoient des symboles analogues aux Divinitez, & qu’on devoit leur offrir pour se les rendre favorables. La dose plus ou moins forte, rendoit les opérations de nul effet, aussi-bien qu’une seule Divinité passée sous silence. Comme une corde rompue dérange l’harmonie dans un instrument ; ainsi, dit Jamblique, une Divinité dont on avoit oublié le nom, ou en l’honneur de qui on n’avoit pas fait entrer dans la composition des choses offertes, le parfum, l’herbe ou la pierre qui Iuy estoit propre, empêchoit l’effet du sacrifice.
Les sciences de même que la Religion, avoient contribué à rendre la Magie respectable. Elle avoit sçû, dit Pline, &. [p. 27] prévaloir, de ce que, les trois sciences les plus estimées dans le monde, ont de grand & de merveilleux ; née de la Médecine; elle s’en estoit servi pour s’insinuer dans les esprits, sous prétexte de donner des remèdes plus efficaces. L’Astrologie luy donna moyen de faire croire aux hommes curieux de l’avenir, qu’elle voyoit dans le ciel tout ce qui leur devoit arriver ; & pour mieux captiver encore leur esprit, elle s’appropria ce que la Théologie & la Religion ontde splendeur & d’autorité.
La Religion Payenne admettoit une infinité de Dieux, célestes, terrestres, maritimes, infernaux, qui avoient chacun leur département ; les uns estoient bienfaisants, & les autres malfaisants ; les uns n’inspiroient jamais que la vertu, & les autres que le vice. Cette division des Divinitez bonnes & mauvaises, estoit reconnuë chez toutes les Nations, & avoit pris son origine chez les Égyptiens & les Phéniciens, de qui tous les -hommes, selon Philon de Byblos, avoient emprunté les principes de leur Théologie. La maniéré d’honorer les Dieux dépendoit de l’idée qu’on en avoit, chacun avoit son culte & ses cérémonies marquées ; il falloit y estre attentif, si on vouloit obtenir l’effet de ses prières. On estoit persuadé que les Divinitez affectionnoient certaines personnes ,& on s’adressoit à elles pour obtenir des Dieux les grâces que l’on demandoit.
Ces principes posez, il est aisé de faire voir se rapport de la Théologie qui enseignoit les cérémonies mystérieuses des Dieux célestes, vertueux & bienfaisants, avec la Theurgie & celuy de la Théologie qui enseignoit la manière d’honorer les Dieux infernaux, vitieux & malfaisants, avec ía Goëtie.
Ceux qui estoient initiez dans les mystères chez les Grecs & chez les Romains, se picquoient d’une grande sagesse, & d’une connoissance parfaite de toute la nature ; ils se servoient des mêmes termes, dont se servoient les Magiciens Theurgiques, pour marquer les différents progrès par lesquels on arrivoit à la science suprême.
Dans la Magie Theurgique, on ne parvenoit pas tout d’un coup à l’autopsie, & ceux qui estoient initiez dans les mystères [p. 28] ne parvenoient que par degrez à l’épopsie, ou contemplation de la Divinité & de la nature. On passoit d’abord par les expiations, ensuite venoient les petits mystères, qui estoient comme les éléments de la Doctrine, & une préparation à quelque chose de plus relevé ; il falloit alors jeûner, garder la continence & se purifier : enfin venoient les grands mystères, dans lesquels il n’estoit plus question d’apprendre, mais de comprendre & de méditer toute la nature. Les initiez estoient alors des hommes parfaits, puisque selon Cicéron, ils avoient passé d’une vie grossière & sauvage, à une vie douce & pleine d’humanité : ainsi ce n’estoit pas sans raison qu’on donnoit à ces mystères le nom de perfection, τελετή. Ils n’avoient esté instituez par les anciens, dit Arrien, que pour instruire les hommes, & corriger leurs mœurs dépravées.
Les Magiciens Theurgiques attribuoient à leurs symboles & à leurs cérémonies la puissance Divine dont ils se croyoient revêtus ; & les anciens Héros, Jason, Castor, Pollux, Hercule, n’avoient réussi dans leurs entreprises, & fait tant de prodiges, que parce qu’ils avoient esté initiez dans les mystères.
Aristophanes & Pausanias en attribuent l’institution à Orphée, qu’on met au nombre des Magiciens Theurgiques ; il enseigna comment il falloit servir les Dieux, appaiser leur colère, expier les crimes, & guérir les maladies. Nous avons encore les hymnes composez sous son nom, vers le temps de Pisistrate, ce sont de véritables conjurations Theurgiques.
Avec cette conformité de sentiments, d’opérations, & de rites, entre les cérémonies mystérieuses du Paganisme & la Theurgie, il ne faut plus s’ettonner qu’Apollonius de Tyane, Apulée, Porphyre, Jamblique, l’Empereur Julien & d’autres Philosophes Platoniciens & Pythagoriciens accusez de Magie, se soient fait initier dans les mystères ; ils reconnoissoient à Éleusis les sentiments dont ils faisoient profession. On y opéroit les mêmes merveilles, on y invoquoit les mêmes Divinitez c’est-à-dire les Dieux bienfaisants, pour procurer du bien aux hommes, & les porter à la vertu.
II n’en estoit pas ainsi des Magiciens Goëtiques ; uniquement [p. 29] occupez à faire le mal, ils ne s’adressoient aux Divinitez maifaisantes & vitieuses, que pour nuire & pour exciter des passions déréglées.
Dans la Théologie Payenne, comme dans la Magie, on reconnoissoit des Divinitez, qui non-seulement autorisoient les passions, mais qu’on n’honoroit même que par des actions qui estoient l’effet de ces mêmes passions. Les prostitutions, regardées dans le Paganisme comme un acte de religion agréable à certaines Divinitez, les prières faites à Vénus & à Cupidon pour allumer le feu d’un amour impudique, écoutées favorablement, font voir la conformité du systême de ila religion avec celuy des Magiciens, persuadez qu’il y avoit des Divinitez à qui on ne plaisoit que par les crimes. Car il en estoit des autres passions comme de celle de l’amour, elles avoient des Divinitez qui leur estoient favorables. Ces Divinitez bonnes & mauvaises, qui influoient, selon les Payens, dans toutes nos actions, & la vie des hommes, méslée de vertus & de vices, avoient fait admettre ce point de Théologie qu’il y avoit des Divinitez, à qui le crime, dont elles estoient le principe, estoit agréable, & par conséquent fait inventer un culte criminel proportionné à l’idée qu’on en avoit.
L’évocation des âmes, & la persuasion où estoient les Magiciens que les Dieux se plaisoient à voir répandre le sang des hommes, ont aussi leur fondement dans la Théologie. La barbare coutume d’immoler des hommes pour appaiser la Divinité, est si ancienne, qu’il faut presque remonter au commencement du monde pour en trouver l’origine. Sanchoniaton l’attribue à Saturne, qui dans un temps de famine & de peste, immola son fils unique à Cœlus son père.
De cette même idée sont venus les dévouements de ces hommes généreux qui se sacrifioient pour le salut de leur patrie. C’est par la même raison que dans les calamitez publiques, on précipitoit des hommes en prononçant ces paroles, fois pour nous une victime qui nous rende les Dieux propices. De-là encore les combats des Gladiateurs pour appaiser les Manès. [p. 30]
Enfin la Religion n’autorisoit pas moins l’évocation des ames ; la pratique d’évoquer les morts est très-ancienne, car entre les différentes espèces de Magie que Moyse deffend, celle-cy y est marqué, nec fit…. qui quærat à mortuis veritatem. Cette pratique avoit passé de l’Orient dans la Grèce, où on la voit establie du temps d’Homère. Ce n’estoit point alors une chose odieuse & criminelle, puisqu’il y avoit des gens qui faisoient publiquement profession d’évoquer les âmes, & qu’il y avoit des temples consacrez aux Manes, où on alloit consulter les morts. Il y en avoit un chez les Thesprotes, où Périandre Tyran de Corinthe, consulta la femme Mélisse au sujet d’un dépost.
II faut remarquer icy que cette maniére de parier, évoquer une ame, n’est pas exacte ; car ce que les Magiciens & les Prestres des Temples des Manès évoquaient, n’estoit ni le corps ni l’ame, mais quelque chose qui tenoit le milieu entre le corps & l’ame, que les Grecs appeloientειδωλον, les Latins, simulacrum, imago, umbra tenuis. Quand Patrocle prie Achille de le faire enterrer, c’est afin que les images légères des morts ειδωλα ηααμόντωνyne l’empêchent pas de passer le fleuve fatal. Ce n’estoit ni l’ame ni le corps qui descendoient dans les Champs Elysées, mais ces idoles.
Ulysse voit l’ombre d’Hercule dans Ies Champs Élysées, pendant que ce Héros est luy-même avec les Dieux immortels dans les Cieux, où il a Hébé pour épouse. C’estoit donc ces ombres, ces spectres, ou ces manes, comme on voudra appeller ce qui n’estoit ni le corps ni l’ame dans l’homme, qui estoient évoquez.
M. Bonamy termine le parallèle de la Théologie & de la Magie, par la nécessité de suivre les formules de prières & le cérémonial, & par rapport à leur efficacité.
Numa avoit establi à Rome un Pontife qui estoit chargé d’enseigner les cérémonies de la Religion, celles qui regardoient les morts & la manière d’appaiser les Manès. Le grand nombre de cérémonies qu’il y avoit, aussi différentes les unes des autres que les Divinitez, avoient rendu cette Charge [p. 31] importante & nécessaire : car dans la Théologie comme dans la Magie, la connoissancee des Divinitez à qui il falloit s’adresser, l’’exactitude à prononcer les paroles, & à suivre le formulaire des sacrifices, estoient absolument nécessaires pour réussir dans les opérations.
Si Turlus Hostilius avoit consulté le Pontife préposé au culte de la Religion, lorsqu’il voulut faire descendre Jupiter du Ciel, selon le Rituel de Numá, Il n’auroit pas esté frappé du tonnerre, pour avoir manqué au cérémonial dans le sacrifice qu’il faisoit.
Les premiers Magistrats de ía République se servoient de formules de prières dans les sacrifices publics, & ces formules estoient regardées comme une chose si essentielle, que si celuy qui les prononçoit eût passé ou transposé quelque mot, on auroit crû que l’affaire n’auroit pas réussi. C’estoit aussi ce que les Magiciens Theurgiques observoient religieusement ; persuadez, comme le dit Jamblique, qu’on devoit s’attacher inviolablement aux anciens rites, sans en rien retrancher, & sans y ajouter aussi rien d’estranger. Quand le Consul Decius dévoua aux Dieux infernaux, & avec luy les troupes ennemies, il avertit le Pontife Valère de prononcer la formule du dévouement : Deorum ope, Valeri, opus est : agedum… præiverba quibus me pro legionibus devoveam. Il répéta ensuite mot pour mot la formule. Il y avoit des hommes préposez pour prendre garde qu’on ne passât rien du formulaire, & pour faire garder le silence aux assistants. Si on demande la raison de cette attention superstitieuse à faire le cérémonial jusques dans les moindres circonstances, il faut sçavoir qu’on estoit persuadé, que les Dieux eux-mêmes avoient enseigné aux hommes les formules des paroles & les cérémonies des sacrifices. Cesformules, au rapport de Jamblique, avoient d’abord esté composées en langue Égyptienne, ou en langue Chaldaïque. Les Grecs & les Romains, qui s’en servirent, conservèrent beaucoup de mots des langues originales, qui les rendoient souvent un langage barbare et inintelligible. De là cette objection que Porphyre fait à Jamblique, pourquoy les Magiciens Theurgiques se servoient de mots qui ne signifioient rien, dans leurs opérations. [p. 32] Jamblique répond, que les hommes à la vérité ignoraient la signification de plusieurs mots, mais quelle estoit connue des Dieux qui estoient les auteurs des formules, & qui y avoient attaché l’efficacité des opérations ; qu’il ne falloit pas croire que ces mots, quelque barbares qu’ils parussent y fussent des inventions des Magiciens Goëtiques & des prestidigitateurs ; puisque si cela estoit, il n’y auroit eû aucun inconvénient de substituer des mots usitez à ces mots pris d’une langue estrangère, au lieu qu’il estoit constant que ces formules n’opéraient qu’autant qu’on les employoit telles qu’on les avoit reçues des anciens.
Les ThéoIogiens & les Magiciens du Paganisme estant dans ses mêmes sentiments par rapport à l’efficacité des paroles & du cérémonial ,si ses Payens croyoient que les cérémonies publiques de la Religion, qui estoient les mêmes que celles de la Magie, pouvoient opérer des prodiges, ils ne devoient point trouver extraordinaire que les Magiciens prétendissent avoir la même puissance. C’est la conclusion que Pline tire du même principe ; car après avoir parlé du pouvoir qu’on attribuoit aux Vestales, d’empêcher par certaines formules de prières, les esclaves fugitifs de sortir de Rome, il adjoûte que si ion admet une fois que les Dieux exaucent certaines prières, & se laissent fléchir par certaines paroles, il n’y aura plus à révoquer en doute ce qu’on dit du pouvoir de la Magie.
Comment auroit-on pû refuser la croyance aux effets de la Magie, puisque les Dieux eux-mêmes s’estoient servi de ses secrets ? Tout contribuoit donc à faire regarder la Magie comme une extension du culte Religieux. La Magie n’avoit rien changé dans les idées que la Théologie Payenne donnoit des Dieux, & l’une, & l’autre se servoit des mêmes rites pour produire les mêmes effets.
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