Joseph Frank. DU RONCHIUS, de l’agitation, des crampes, de la chaleur et des frayeurs nocturnes. — Des songes effrayants. De l’incube (cauchemar). Extrait du « Traité de pathologie interne », (Bruxelles), tome II, 1842, pp. 23-28.
Joseph Frank (1771-1842). Médecin allemande, qui laissa dans sa langue d’origine un important travail : Praxeos medicæ universæ præcepta, Leipsick, 1821-43, 13 vol.. Ses traductions en français se résumant en 1 ou 2 volumes.
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— DE L’EXTASE. Extrait du « Traité de pathologie interne » (Bruxelles), 1842, tome 2. Chapitre VIII, pp. 43. [en ligne sur notre site]
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CHAPITRE VIII. — DU RONCHUS, DE L’AGITATION,
DES CRAMPES, DE LA CHALEUR ET
DES FRAYEURS NOCTURNES.
§. I. DU SUJET EN GÉNÉRAL.
1. Son importance. — Le sommeil peut être lésé non-seulement par excès et par défaut, mais encore par sa manière d’être. Après le cataphora et l’agrypnie, il faut donc aussi examiner les phénomènes morbides qui surviennent au moment où l’on s’endort, au moment du réveil et pendant le cours même du sommeil. Sans parler ici de l’espèce particulière de manie que l’on appelle nocturne, nous trouvons : le ronchus, l’agitation, les crampes, la chaleur et les frayeurs nocturnes, ainsi que les songes effrayants, l’incube, le somnambulisme, et, sous quelques rapports, le sommeil magnétique. Nous parlerons de ces sujets dans les chapitres suivants.
2. Limites. — A ces maladies, nous joindrions volontiers toutes celles qu’on peut ranger parmi les maladies nocturnes, telles que les pollutions, l’écoulement involontaire de l’urine, l’asthme, les sueurs, en tant que ces affections se présentent la nuit, mais l’ordre que nous avons établi nous le défend. Nous avons déjà parlé de l’épinyctide.
§. II
DU RONCHUS PENDANT LE SOMMEIL.
1. Définition. — Le ronchus est un ronflement fatigant qui survient dans l’expiration et dans l’inspiration, et qui est accompagné d’un bruit rauque dans le larynx et la cavité des fosses nasales.
2. Bibliographie. — Il existe sur ce sujet une dissertation assez savante de Lust.
3. Symptômes. — Le ronchus est désagréable non-seulement aux autres, mais encore au dormeur lui-même, lorsqu’il en a une perception obscure, ou qu’après son réveil, il trouve une sensation d’ivresse, la sécheresse de la gorge, la voix rauque, les narines obstruées, une saveur désagréable.
4. Causes. — Le ronchus est un effet d’une mauvaise habitude, du peu de longueur du cou, de la saillie en dedans des vertèbres cervicales (1), du [p. 23, colonne 2] sommeil pris la tête inclinée sur la poitrine, de la fatigue, d’une conversation, de cris qui ont précédé le sommeil, d’une atmosphère chaude, corrompue par la respiration d’un grand nombre de personnes, ou par la vapeur de charbon, d’une nourriture grossière, d’un coryza, d’une sécrétion surabondante de salive, de maladies de la luette, des amygdales, des glandes du cou. de la pléthore, de labile, du mucus et des polypes des fosses nasales.
5. Pronostic. — Le ronchus peut annoncer soit une céphalée, soit une apoplexie.
6. Traitement.—Le traitement varie suivant les causes. On recommande en général les gargarismes émollients, le miel, les conserves de tussilage, les carminatifs, les tempérants.
§. III
DE L’AGITATION, DES CRAMPES, DES CHALEURS
NOCTURNES.
1. Agitation. — L’inquiétude qui existe au moment où l’on s’endort, se prolonge quelquefois même durant le sommeil, pendant lequel elle se manifeste sous la forme d’une agitation continuelle, par une démangeaison de toute la peau que l’on est porté à gratter, et par de fréquents soupirs. Ce mal est produit par la trop grande chaleur de l’atmosphère, par l’usage des boissons fermentées, par les émotions morales, par la continence, par les vers (sans parler des insectes), par la suppression d’hémorrhagies habituelles, mais surtout par le vice hémorrhoïdal. Le traitement consiste dans l’éloignement des causes, dans les lavements émollients pris au moment de se coucher, les pédiluves, un électuaire lénitif, la saignée, et surtout les ventouses scarifiées. Quelquefois les extrémités inférieures (2) seules sont en proie à cette inquiétude et se trouvent dans une agitation continuelle. Cet état de gêne intolérable est dû, en général, à des gaz amassés dans l’abdomen et à une constitution arthritique. Aux moyens de traitement déjà indiqués, on ajoute avec succès le décubitus sur le ventre (3).
2. Crampes. — D’autres fois les jambes seules sont spasmodiquement affectées. Le refroidissement de la peau, de l’abdomen, les gaz, les évacuations alvines copieuses, la fatigue en montant ou descendant des collines ou des escaliers, produisent cet état de gêne que le malade peut calmer lui-même en [p. 24, colonne 1] frictionnant avec sa main la partie malade. Enfin, nous ne passerons pas sous silence les agitations, pour ainsi dire intérieures, qui se montrent surtout au moment où l’on passe du sommeil à l’état de veille. Dans cet état, le malade est pris d’anxiété, d’oppression et de palpitations du cœur, avec fréquence du pouls, éructations, sursauts, et pendant tout le jour suivant il ne jouit pas d’une santé convenable. Les hystériques et les hypochondriaques sont surtout affectés de la sorte, et principalement lorsque leur réveil est brusque. Une position droite, l’évacuation de l’urine, un bain d’air, le changement de chemise, un verre d’eau fraiche pris à jeun et suivi de café. Tels sont les moyens à recommander en ce cas. Il faut avoir soin, surtout, que le malade se réveille spontanément, ou que si on le réveille, ce soit graduellement et pour ainsi dire indirectement.
3. Chaleurs. — Quelques personnes sont privées des bienfaits du sommeil par une chaleur qui occupe soit tout le corps, soit la plante des pieds. Nous avons rencontré cette affection surtout chez des femmes âgées. Cette chaleur est quelquefois si intense, qu’elle parait, en quelque sorte, se rapprocher de la combustion spontanée. La cause nous a paru, en général. résider dans les aliments, les boissons, les hémorrhoïdes, l’aménorrhée, mais surtout une phthisie pulmonaire latente. Les moyens ordinairement utiles sont : un lit dur en crins, recouvert d’une peau d’élan, les poudres tempérantes, les émulsions réfrigérantes, l’eau de Seltz, l’élixir acide de Haller, les affusions ou l’arrosement avec de l’eau froide, les lavements, les sangsues à l’anus ou à la vulve, et quelquefois les ventouses scarifiées au dos.
§. IV
DES FRAYEURS NOCTURNES
1. Définition. — On nomme frayeur nocturne (4) le réveil subit accompagné de terreur.
2. Bibliographie. — Sennert a écrit d’excellentes choses sur les frayeurs nocturnes du premier âge et de l’enfance.
3. Symptômes. — Les nouveau-nés qui éprouvent des frayeurs durant leur sommeil, présentent en dormant l’expression du rire ou des pleurs, et bien [p. 24, colonne 2]tôt après se réveillent en sursaut et avec les yeux hagards. Assez souvent ils sont pris de fièvre pendant le sommeil, ils suent ou se réveillent en poussant des cris terribles, pleins de frayeur et presque en convulsions. Ces symptômes n’épargnent pas les enfants plus âgés ni même les adolescents, qui sortent quelquefois de leurs lits et crient au secours avec l’accent du désespoir. Bien plus, il n’est pas rare de voir des adultes, lorsqu’ils ont à peine fermé les yeux, être arrachés en sursaut de leur sommeil comme par des images terribles, s’élancer hors de leurs lits et se trouver en proie à la frayeur, à des palpitations et à des lipothymies.
4. Causes. — Les causes de cet état proviennent chez les nouveau-nés des mauvaises qualités du lait, des aigreurs et des gaz dans les voies digestives, de l’air chaud renfermé et non renouvelé des berceaux. Chez les enfants plus âgés et chez les jeunes gens, il est produit par les vers et par les contes des nourrices sur les ombres et les fantômes qui errent durant la nuit. Enfin, chez les adultes, il est dû aux remords, à la crainte de maux imminents, aux soucis, aux sollicitudes, à des changements dans le lit, à un repas trop copieux, à des boissons échauffantes, à des excès vénériens, à l’arthritis, aux calculs.
5. Diagnostic. — Les frayeurs nocturnes diffèrent de la terreur, en ce que celle-ci reconnaît, en général, une cause externe ; de l’épilepsie, en ce que le malade, dans ce cas, éprouve plusieurs secousses, et du cauchemar par l’absence de la sensation de poids. Nous reviendrons encore sur ce sujet.
6. Pronostic. — Les frayeurs nocturnes chez les enfants sont souvent précurseurs de l’encéphalite, de la rougeole et de la variole.
7. Traitement. — Le traitement varie suivant les causes. Chez les nouveau-nés, il faut d’abord s’occuper de la nourrice, il convient de la purger doucement. Aux aigreurs et aux gaz, on oppose les absorbants et les carminatifs (5), les lavements et les frictions huileuses sur l’abdomen (6). On détruit ou on modère les effets pernicieux de la dentition chez les enfants robustes, surtout chez ceux dont les joues sont rouges et la tète chaude, par les sangsues appliquées derrière les oreilles; s’il y a constipation, par des laxatifs doux et par des sinapismes aux jambes. Chez les enfants grêles dont le système nerveux est très-développé, nous introduisons dans les boissons, selon le conseil de Sennert, les graines [p. 25, colonne 1] noires de pivoine enveloppées dans un linge. Et nous ne rions pas aux dépens des femmes qui suspendent par un fil, au cou de leurs enfants, la racine fraîche de cette même plante. On a droit de s’étonner que Forestus recommande encore l’agathe et le corail dans ce passage : « Ceux qui portent une de de ces pierres au cou ne craignent pas les revenants et les fantômes. » Mais lorsqu’il s’agit d’enfants imbus de pareilles opinions, il faut les en corriger avec prudence et peu à peu. Aux vers on oppose les vermifuges. Pour les adultes on emploie avec avantage le régime conseillé contre les agitations. Nous avons souvent donné avec avantage un scrupule de la poudre antispasmodique rouge de Stahl avant le sommeil. Darwin conseille, dans les lésions du sommeil dont nous avons parlé jusqu’ici, l’opium comme un remède suprême. Nous n’adoptons pas ce conseil indistinctement. Le magnétisme animal mérite ici de plus en plus qu’on l’essaie.
CHAPITRE IX. — DES SONGES EFFRAYANTS.
§. I.
DÉFINITION. BIBLIOGRAPHIE.
1. Définition. — Les songes effrayants sont les images pénibles qui se présentent durant le sommeil, accompagnées d’angoisses, et qui produisent en général, des résultats fâcheux sur la santé.
2. Bibliographie. — Ce sujet curieux a été traité par Hippocrate et ses interprètes, par Galien Pline, Ferrein, Duchesne, Arnaud de Villeneuve, Horst, Scharff, Wedel, Lischwitz, Janitsch, Hegner, Uden, Schultze, Darwin, Schmidt, Davidson, Carmichael, Tittmann, Carus, Winkelmann, Sprengel, Nasse, Schubert, et beaucoup d’autres.
§. II.
SYMPTÔMES. CAUSES. DIAGNOSTIC.
1. Symptômes. — Il serait trop long de récapituler toutes les idées pénibles qui peuvent se présenter dans les songes effrayants. Le plus souvent ces songes roulent sur des incendies, une chute d’un lieu élevé, une mort violente, l’apparition des morts, ou de vivants comme s’ils étaient morts, etc. ; les gestes du malade (7), la fréquence du pouls, les soupirs, les gémissements qui lui échappent, les souvenirs qu’il conserve de son sommeil, témoignent amplement de la gravité du mal. Le même témoignage résulte de la sensation de fatigue, d’inertie, de tristesse, qui persiste après le réveil.
2. Causes. — Les causes des songes effrayants et des frayeurs nocturnes sont les mêmes. Pline a déjà rangé de ce nombre un degré léger d’ivresse. On doit y ajouter les aliments flatulents comme les fèves, et principalement tous les obstacles à la circulation, tels que les engorgements des viscères, les mauvaises positions en dormant, etc. Les femmes y sont plus disposées que les hommes.
3. Diagnostic. — Puisque les songes effrayants troublent le sommeil, état si nécessaire à l’intégrité des fonctions, et puisqu’ils attaquent la santé, on doit les ranger au nombre des maladies. Il n’en est pas de même des songes doux et agréables qui rafraîchissent plutôt le corps et ne sont pas sans avantage. Dans tous les cas, il faut faire grande attention aux songes. Hippocrate (8) a déjà montré que leur interprétation fait partie de la séméiotique. En effet, la nature du songe permet souvent de conjecturer par quelle espèce de cause il est produit. Sprengel entre autres a traité savamment cette matière. En outre, quoique l’imagination exerce, surtout pendant le sommeil, un empire tyrannique, et qu’on doive regarder les songes comme des chimères, il arrive quelquefois néanmoins dans les songes des choses propres à faire supposer que le sommeil, en interrompant plus ou moins l’action des sens extérieurs, donne, au contraire, plus de force au sens universel interne (la cœnesthésie) et à son attribut, l’instinct, et que par là elle peut quelquefois nous révéler les changements qui se passent dans le corps, ou qui sont sur le point de s’y manifester (9), ainsi que les appétits qu’on pourrait appeler médicaux. C’est à cela que paraissent devoir se réduire les prévisions et les suggestions qui se présentent dans les songes. Nous sommes en effet loin d’ajouter foi aux absurdités débitées jadis sur ce point. [p. 26, colonne 1]
§. III.
PRONOSTIC. TRAITEMENT.
1. Pronostic. — Lorsque les songes nous présentent des actions journalières de la manière dont elles se passent en effet, ils sont favorables et dénotent la santé. Au contraire, ceux qui roulent sur des objets insolites annoncent des maladies imminentes. A l’approche d’une hémorrhagie critique, les songes roulent, dit-on , sur des objets rouges, sur des flammes. Mais les songes effrayants peuvent occasionner des accidents graves soit par eux-mêmes, soit en frappant l’imagination. C’est ce que démontrent et les annales de la médecine, et notre expérience (9), et celle des autres (10). On rencontre aussi dans les auteurs des observations de songes salutaires.
2. Traitement.— Ceux qui sont sujets aux songes effrayants doivent s’efforcer, en entrant dans leurs lits, de déposer en même temps que leurs habits tout [p. 26, colonne 2] souci grave, toute pensée triste. De plus, s’il existe de la pléthore, ou une affection abdominale, ou une trop grande sensibilité nerveuse, il faut agir comme nous avons indiqué au chapitre de l’agrypnie et comme nous dirons dans celui de l’incube. Pouvons-nous, chez les sujets tourmentés par des songes pénibles, exercer, au moyen de la musique, des odeurs agréables, des frictions, etc., un empire tel que les images noires soient remplacées par des images agréables, ou, en d’autres termes, le pouvoir nous est-il donné de produire et de modifier les songes à volonté ? C’est une question que nous n’osons pas résoudre.
CHAPITRE X. — DE L’INCUBE (cauchemar).
§. I.
DÉFINITION. BIBLIOGRAPHIE.
1. Définition. — L’incube (12) est constitué par une perception de suffocation ou de pesanteur et d’oppression sur la poitrine pendant le sommeil, avec un désir ardent de changer de place, sans qu’il soit possible au malade de le faire.
2. Bibliographie. — Cette maladie, qui n’a pas été inconnue aux poètes, et qui a fourni un sujet pour beaucoup de dissertations inaugurales, a été décrite par Caelius Aurelianus, Paul d’Égine, Oribase, Willis, Bonet, Henri Regius, Paracelse, Dolaeus, Horstius, Schenk, Forestus, Stoll, Darwin, Reil, Waller, Dony.
§. II.
SYMPTÔMES. AUTOPSIE.
1. Symptômes. — L’incube est ordinairement [p. 27, colonne 1] précédé d’insomnie, de frayeurs, de sursauts, de crampes et de songes effrayants. Puis il se manifeste une sensation désagréable dans les cuisses, la colonne vertébrale, la région précordiale ou la tête, ou dans plusieurs de ces endroits à la fois. Cette sensation consiste dans la perception d’un poids, d’une suffocation, d’une oppression, qui tantôt s’étend à tout le corps, tantôt se circonscrit à la région précordiale, et n’est, en général, accompagnée d’aucune difficulté appréciable de la respiration, ni d’aucune irrégularité du pouls. L’imagination assigne plusieurs causes à cette perception. Tantôt les malades s’imaginent qu’un chien, un ours, un lion, un géant, un homme noir, un faune, un satyre, un spectre, une sorcière, un diable entre dans leur chambre, s’asseoit près de leur lit, tire la couverture, saute sur leur poitrine et la comprime, suce leurs mamelles et (13) quelquefois les excite au plus honteux libertinage (14) ;· tantôt ils croient que la maison où ils demeurent est la proie d’un incendie, ou bien qu’ils sont exposés d’abord au vent, puis à la pluie. Sentant en général qu’ils sont le jouet d’un songe (14) et que les sens externes sont dans l’inaction, [p. 27, colonne 2] ils cherchent à vaincre leur ennemi ou à s’en débarrasser par la fuite ; mais c’est en vain, car il leur est impossible de faire aucun mouvement volontaire, ou de pousser d’autre cri qu’un gémissement de temps en temps. Enfin le paroxysme qui s’est augmenté peu à peu, parvient enfin à son plus haut degré d’intensité et se termine par un réveil subit, qui laisse après lui un sentiment de fatigue et quelquefois une sueur répandue sur la tête et la poitrine, des tremblements dans les articulations, des palpitations du cœur, des bourdonnements dans les oreilles, une céphalalgie, des taches livides, etc. Les attaques surviennent, en général, aussitôt après qu’on s’endort, rarement le matin ; lorsque le mal est encore récent, il ne survient qu’une attaque ; plus tard, elles se multiplient tellement, qu’il s’en présente toujours plusieurs successivement, et quelquefois jusqu’à dix, mais sans qu’il y ait de réveil complet entre elles, excepté dans des cas très-rares. Une attaque dure ordinairement quelques instants, les auteurs parlent d’attaques ayant duré trois heures. Tantôt le retour a lieu une fois par année, d’autres fois tous les mois, toutes les semaines, toutes les nuits.
2. Autopsie. — On a trouvé de la sérosité dans les cavités cérébrales, et arrivant jusqu’au quatrième ventricule. Cela semble confirmer l’opinion émise par les Arabes et adoptée par Sennert, que l’incube provient d’une lésion de ce ventricule. On l’a encore attribué au pancréas, aux poumons et au diaphragme, aux nerfs grands sympathiques, phréniques, récurrents. Les lésions du cœur ne sont pas non plus étrangères à cette maladie. [p. 28, colonne 1]
§. III.
CAUSES. DIAGNOSTIC.
1. Causes. — Les hystériques, les hypochondriaques, les hommes timides, les jeunes gens après l’âge de treize ans sont les plus sujets à l’incube. On regarde comme causes occasionnelles l’imagination, le chagrin, les soucis, les veilles, l’application prolongée, une vie sédentaire, les gaz, les vers, la gourmandise, l’ivresse, la pléthore, la rétention des règles et du sperme, l’air non renouvelé et le décubitus sur le dos.
2. Diagnostic. — L’incube diffère des songes effrayants et habituels, en ce que celui qui rêve prend pour des réalités les produits de son imagination, tandis que le malade affecté de cauchemar a, en général, la conscience que ce qu’il voit est un songe. L’éphialte se distingue de l’asthme nocturne, en ce que celui-ci survient chez des individus éveillés, et en ce qu’il est accompagné d’une difficulté extrême de la respiration, tandis que chez les sujets endormis, il n’y a pas en général, d’agitation évidente de la poitrine. Il est bon de ne pas ignorer que les anciens nommaient incube le cauchemar des hommes, et succube celui des hommes, et que cette maladie peut accompagner toutes les autres, sans excepter les maladies épidémiques, ni les fièvres intermittentes.
§. IV.
PRONOSTIC. TRAITEMENT.
1. Pronostic. — L’incube disparait souvent seul avec l’âge, quelquefois à la suite d’hérmorrhagies, surtout d’un epistaxis, des règles, d’hémorrhoïdes, o bien après des fièvres. D’autres fois, surtout lorsque les accès se sont repérés fréquemment, ils laissent à leur suite la faiblesse, des sueurs de la tête et de la poitrine, des taches livides, des tremblements des membres et des palpitations du cœur. On doit craindre que l’incube ne se transforme en épilepsie, en mélancolie, en manie, en catalepsie, et surtout en apoplexie. Ajoutons qu’il existe une observation d’incube mortel.
2. Traitement. — Le traitement de l’incube consiste dans l’éloignement des causes excitantes, surtout des écarts de régime (16), puis, selon la nature de ces causes et la constitution des malades, dans [p. 28, colonne 2] l’emploi des saignées surtout locales, des tempérants, des laxatifs (17), des lavements, des frictions sur l’abdomen, des vomitifs, des amers, des anthelmintiques, des antispasmodiques, tels que le safran, la pivoine et les toniques, tels que le fer et le quinquina, sans négliger une société agréable, les voyages et l’équitation, le sommeil sur un lit dur, etc. Lorsque les accès se répètent fréquemment, il faut placer quelqu’un près du malade avec ordre de lui faire changer de position lorsqu’il verra se manifester de l’inquiétude. Il parait y avoir du danger à se servir d’odeurs, d’errhins ou du son des cloches pour éveiller le malade. S’il s’est éveillé de lui-même, il faut lui pratiquer des frictions sur les membres.
Notes
(1) Un juif de vingt ans arriva en 1813 de très-loin à Vilna, uniquement pour être débarrassé d’un ronchus qui l’empêchait de dormir. En examinant la gorge, nous constatâmes que les vertèbres cervicales faisaient saillie en dedans. Le lieu correspondant à la nuque présentait une excavation provenant sans aucun doute du vice rachitique.
(2) Inquiétude des jambes.
(3) Mon père l’a observé sur lui-même ; mes observations le confirment.
(4) Thorybos et phobos d’Hippocrate (aph. 24, liv. III). Υπνοφοβία, terreur durant le sommeil. Conturbatio, consternatio, panicophobos (Hérodote, liv. VII ). Panophobia (Sauvages, class. VIII, 12). En allemand, Auffahren, Zusammenfahren, Erschrecken im Schlafe ; en français, terreur panique, frayeur nocturne ; en polonais, zrywanie sie ze snu.
(5) R. Yeux d’écrevisses ou magnésie pure, six grains ; mucilage de gomme arabique, demi-drachme ; eau de fenouil, une once ; sirop de rhubarbe, demi-once. M. D. S. une cuillerée à café toutes les heures.
(6) On emploie surtout à cet usage l’huile de macis obtenue par l’expression.
(7) Le malade de Henri Heer était attaché tous les soirs par un grand nombre de tours de corde ou de bandes. Il le savait, il le voulait, il priait même qu’on le fit, et néanmoins il les rompait quelquefois.
(8) « Quiconque, dit-il, veut connaître les signes qu’on peut tirer des songes, trouve d’abord qu’ils ont des rapports avec beaucoup de choses de la veille « trad. de Gardeil. V. J. Fr. Zückert, De insomniis ut signo in medicina observationes non nullœ, cum subjunctis de onirocritica medica meditationibus. Nova acta acad. nat. curios, t. III, p.506. — Sprengel, Handbuch der Semiotik, §689.
(9) Mon vénérable ami, Fr. Niszkowski, autrefois professeur de chirurgie à l’université de Vilna, la nuit avant sa mort, qui fut produite par une rupture du cœur, rêva qu’on lui perçait le cœur avec un couteau.
(10) Les juifs lithuaniens, d’après l’ancienne coutume de leur nation, comme on le voit dans les cas d’Abimelech, de Joseph (Genes., XXXVII, XL), attachent une grande importance à l’interprétation des songes, et lorsqu’ils en tirent des présages défavorables, la terreur les jette quelquefois dans de graves maladies. — Un capitaine russe me présenta le 18 mai 1815 un exemple très-remarquable des effets pernicieux des songes effrayants. Le père de cet officier avait été pris d’épilepsie à l’âge de cinquante ans, par suite d’aspersions d’eau froide faites tout à coup et à son insu. Les attaques revenaient depuis lors toutes les trois semaines, et enfin, au bout de 17 ans, il mourut dans l’une d’elles. Le fils dont nous parlons avait alors dix ans. Il vécut en bonne santé jusqu’à sa dix-huitième année. Mais vers la fin de cette année, il lui sembla une nuit dans un songe que son père, encore vivant, lui tombait sur la poitrine dans une attaque d’épilepsie. Il se réveilla aussitôt, et néanmoins la même image persista longtemps devant ses yeux. Peu de jours après il tomba lui-même dans un état d’épilepsie, dont les attaques revenaient tous les mois pendant le jour, et qui persistait encore dans sa vingt-quatrième année. Ce malade doit son état à la terreur produite par un songe. Mais ce songe n’était-il pas peut-être le résultat d’une épilepsie nocturne ? ou n’était-ce pas une espèce de cauchemar précurseur de l’épilepsie ? Néanmoins il n’éprouva jamais depuis d’attaque nocturne, et le réveil subit n’appartient pas ordinairement au cauchemar.
(11) Niszkowski m’a raconté l’histoire d’un songe qui frappa l’imagination et qui fut confirmé par l’événement, comme un exemple de ce que peut le hasard. Une noble Lithuanienne, âgée de vingt ans, d’une constitution scrofuleuse, se réveilla dans une des premières nuits de son mariage avec un cri terrible, et toute tremblante, raconta à son mari le songe qu’elle venait d’avoir. Il me semblait, dit-elle, que j’étais entrée dans une église, et qu’étant descendue dans les [p. 26, colonne 2] caveaux, j’y vis de loin une femme assise dans une tombe ouverte et allaitant deux enfants. Comme son aspect me remplissait de terreur, elle me dit : « Ne t’effraie pas, car je suis ton image. » Le mari fit tout pour détruire l’impression grave laissée par ce songe cruel, mais en vain. L’épouse tomba dans la mélancolie, surtout lorsqu’après quelques jours les signes de la grossesse se montrèrent, et peu après, elle fut prise de leucophlegmasie. L’accouchement survint. Après la sortie d’un enfant, l’accoucheur dit à la mère de la malade qu’il y en avait encore un dans l’utérus. Que ma fille ne le sache pas, s’écria la mère prudente. Mais on ne put pas le lui cacher, et elle dit : « Mon songe s’accomplit. » En effet, la fièvre puerpérale vint bientôt l’enlever.
(12) Synonymes. Éphialte (έώαλλομαι, je saute sur). Pnigalion, dans Swediaur (de πνίγειν, suffoquer). Επίζολή, oppression, compression. ΙΙνιγμός ένύπνιος Dioscoridis. Oneirodynia gravans Cullen, Succubus Asthma nocturnum (dé [p. 27, colonne 1] nomination fausse), En allemand, Nacht-Maare, Alp, Alpdrüken, die Truie, das Nachimæennchen ; en français, Incube, éphialte, cauchemar ; en anglais, Nighmare ; en italien, incubo, pesaroto ; en espagnol, incubo, pesadilla, mampesado, mampesadilla ; en portugais, pesadelo, pezadello ; en polonais, mara ; en danois, maren, mareriden ; en suédois, mara ; en belge, alp, nagtmerrie.
(13) Dolæus parle d’un homme qui toutes les nuits, en dormant, éprouvait une sensation de succion aux mamelles ; et les papilles des mamelles se tuméfièrent.
(14) Une observation rapportée par Henri Regius, prouve que ce symptôme ne se rencontre pas seulement chez les femmes, mais, contre l’opinion commune, se voit aussi chez les hommes.
(15) Schenk rapporte des cas contraires. « Dernièrement, dit-il, un ecclésiastique est venu me trouver. —Monsieur, m’a-y-il dit, si vous ne venez pas à mon aide, c’en est fait, je vais périr, je suis en proie à la langueur. Vous voyez combien je suis maigre et exsangue. Je n’ai plus que la peau et les os. D’ordinaire je suis frais, j’ai bonne mine, maintenant je ne suis plus qu’un spectre, que l’ombre d’un homme. —Qu’avez-vous, lui dis-je, et à quoi attribuez-vous votre affection ?—Je vous le dirai franchement, répondit-il, et vous serez bien étonné. Presque toutes les nuits, une femme qui ne m’est pas inconnue, vient vers moi et se jette sur ma poitrine, la comprime, la resserre de façon que je ne puisse respirer qu’avec peine. Je cherche à crier, mais elle étouffe ma voix, et malgré tous les efforts pour l’élever, cela m’est impossible. Je ne puis me servir ni de mes mains pour repousser ses attaques, ni de mes pieds pour prendre la fuite. Elle me tient enchaîné et immobile. —Mais, lui dis-je en riant, ce que vous me racontez n’a rien d’étonnant (j’y reconnaissais un cauchemar), c’est un simple être imaginaire, une ombre. —Un être imaginaire, reprit-il aussitôt, une [p. 27, colonne 2] ombre ; certes il n’en est pas ainsi. Je prends Dieu à témoin que l’être dont je parle, je l’ai vu de mes yeux, je l’ai touché de mes mains. Je suis éveillé et de sang-froid quand je vois cette femme devant moi ; je la sens qui m’attaque et je m’efforce de lutter contre elle, mais la langueur, la crainte, l’angoisse m’en empêchent. —Il me fut impossible alors de faire revenir cet homme de sa folie. Mais à la seconde ou troisième visite, il devint plus gai, commença à reconnaître sa folie, et à concevoir l’espérance de sa guérison. Le même auteur ajoute : « Le fait suivant est assez plaisant. Un médecin raconte qu’il arriva à Averne, dans un monastère. Un pharmacien qui se trouvait avec lui, fut pris en dormant d’un cauchemar, et accusa ceux qui étaient dans la même chambre, de l’avoir presque tué la nuit, en l’étranglant. Comme ses compagnons le niaient avec force et rejetaient toute la faute sur lui, qui avait passé la nuit sans dormir, dans un état de fureur, on le fit coucher la nuit suivante, seul dans une chambre bien fermée, après un ,souper copieux, dans lequel on lui avait servi des aliments flatulents. Le paroxysme revint, Il déclara que c’était un démon ; il en décrivit même la figure et les gestes, et on ne put lui persuader le contraire qu’après un traitement qui le guérit. »
(16) Il faut donc prescrire une nourriture facile à digérer, bien nutritive, saine, pas facile à corrompre, et ne donnant que peu d’excréments.
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