Pierquin. Réflexions sur les transformations Magiques. Vingt-troisième dissertation. Extrait des « Œuvres physiques et géographiques », (Paris), 1744, pp. 387-392.

Pierquin. Réflexions sur les transformations Magiques. Vingt-troisième dissertation. Extrait des « Œuvres physiques et géographiques », (Paris), 1744, pp. 387-392.

 

Jean Pierquin (1676-1742). Bachelier en Théologie, il fut ordonné prêtre en 1701. Il avait une bonne connaissance de la médecine et d’autres sciences dont l’étude le passionnait. Quelques publications :
— Dissertation physico-théologique touchant la conception de Jésus-Christ dans le sein de la Vierge Marie, Amsterdam, 1742
— Œuvres physiques et géographiques, Paris, 1744 (recueil de ses articles parus dans le Journal de Verdun).
— Sur le retour des Âmes, & de la manière dont les Morts peuvent s’apparoître aux Vivans. Vingtième dissertation. Extrait des « Œuvres physiques et géographiques », (Paris), 1744, pp. 363-372. [en ligne sur notre site]
— Vie de Saint-Juvin, ermite et confesseur, Nancy, 1732.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

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[p. 387]

Vingt-troisième dissertation.
Ou Réflexions sur les transformations
Magiques.

Es transformations Magiques sont cruês dans le Nouveau Monde, comme dans notre Hémisphère. Thomas Gage parlant des Sorciers du Mexique, dit qu’ils se changent en tigres, & en lions, quand ils veulent se battre ensemble, & les métamorphoses qu’il en rapporte ne l’ont pas moins amusantes que celles que nous conte Bodin.

Il récite qu’un certain Jean Gonzalez, s’étant un jour transformé, fut blessé au nés dans son déguisement par un Espagnol qui gagnoit sa vie à chasser. Il ajoute qu’un nommé Gomezavoit coutume de prendre la forme d’un lion, qu’il couroit par les montagnes sous cette figure-là, & qu’ayant rencontré un Sebastien Lopez, son ennemi mortel, sous la figure d’un tigre, [p. 388] ils se battirent cruellement jusqu’à ce que Gomezqui étoit le plus vieux, & le plus foible, fut tellement mordu, & moulu de coups, qu’il en mourut.

Mais quelle apparence y a-t-il qu’un homme puisse se donner, & souffrir de pareils changemens ? Il faudroit pour cela qu’il pût renverser les articulations de plusieurs de ses os, & de ses membres, dont la méchanique est toute différente de celle qu’on remarque dans les animaux : il faudroit qu’il pût refondre les traits de son visage, & les organes de son corps. Un nerf presque invisible excite d’insupportables douleurs quand il est déplacé ; une veine qui se rompt, une autre qui s’ouvre, nous abbat souvent dans la poussière ; & les sorciers pourroient, comme en badinant, se transformer ! C’est ce qui me paroît inconcevable.

Qu’on ne dire pas que le Diable fait ces métamorphoses ; son pouvoir ne paffe pas les loix générales de la Nature, il est trop borné pour aller jusques-là. «  Je ne croirai jamais, dit S. Augustin, I. 18. de la Cité de Dieu chap, 18. Qu’un corps humain puisse être véritablement transformé [p.389] en celui d’une bête, par l’adresse, & la puissance du démon. »

D’où il s’enfuit que les Sorciers,  & Magiciens, ne peuvent aussi changer la figure naturelle des autres hommes. « Lorsque nous étions en Italie, dit encore S. Augustin, on nous contoit que des Sorcières de ce païs-Ià faisoient manger à ceux qu’elles logeaient certains fromages qui les changeoient en bêtes de somme, & que dès qu’ils avoient porté les charges que ces Magiciennes leur avoient mises sur le dos, ils reprenoient leur leur figure humaine ; mais toutes ces histoires sont fausses, & elles ont quelque chose de si extraordinaire qu’elles ne méritent aucune créance,

On récite donc des fables quand on assure que ce secret des métamorphoses étoit autrefois fort en usage parmi les Égyptiens. Leurs premiers Rois, selon Diodore de Sicile, portoient pour cimiers dans le combat, des têtes de lions, & de taureaux ; & les successeurs du grand Osiris, comme l’écrit Plutarque, afin de se rendre plus affreux, mirent les premiers des casques, & des cuirasses, façonnés comme la tête, & le [p. 390] corps des plus laids animaux : les uns se déguisèrent en furies, les autres en léopards, & par là ils donnerent aux Poètes le sujet d’imaginer les différentes transformations des Dieux.

Protée, qu’on représente sous tant de figures différentes, étoit un Prince qui changeoit tous les jours de cimier, & qui portoit tantôt un muffle de lion, tantôt une hure de sangler, tantôt la tête d’un cheval, & de-Ià est venu qu’on en a fait un monstre à diverses formes. C’est ainsi que les premiers Cavaliers ont passé pour Centaures ; & peut-être n’a-t’on dit que Geryon avoit trois têtes, qu’à cause qu’il portoit un triple cimier, Or ces guerriers cachés sous ces habillemens militaires, ne changeaient pas plus véritablement leurs formes humaines que les anciens Gots, & Allemans, qui paroissoient jadis dans les tournois avec des dragons ailés, des harpies, & des gorgones sur leurs têtes.

M. Glannvill, qui veut soutenir les métamorphoses diaboliques, prétend que l’âme, toujours unie avec une matière éthérée qui lui sert de véhicule, peut, même pendant la vie de l’homme, sortir quelquefois de son [p. 391] corps soutenue de cette legere enveloppe ; & il suppose que cette âme imprime, comme il lui plaît, à cette matière extrêmement obéissanre la forme d’un chat, d’un loup, d’un corbeau, & qu’elle court dans les airs sous ces figures empruntées. Mais son système n’est qu’un abus de la doctrine de Platon, un rafinement cabalistique. Sans âme le corps est mort, dit l’Apôtre S. Jacques ; tous les hommes ne meurent qu’une fois, comme l’assure S. Paul ; & il n’y a que Dieu seul, le Pere des esprits, qui puisse , quand il lui plaît, les séparer de leur chair mortelle, ou les y réunir. C’est donc aller contre l’analogie de la Foi, que de revêtir le démon d’une égale puissance, & d’affirmer que les âmes des Sorciers peuvent à leur gré sortir de leurs corps, puis y rentrer, comme dans une maison.

Il est plus raisonnable de penser que ceux qui se vantent de se transformer, sont des visionnaires dont le cerveau, & les sens sont brouillés. On voit assez souvent des hommes hypochondres dire à tout le monde que leur corps n’est point fait comme celui des autres, qu’il est comme celui d’une chevre, d’un heron, d’un hibou. Galien parle [p. 392] d’un visionnaire, qui croÏant être devenu cocq, se mêloit tous les jours exactement avec les cocqs de son lieu ; quand il Ies entendoir chanter, se battre des aîles, non feulement il allongeoit le cou, & secouoit les bras, mais ce qui est encore plus, il imitoit leur chant par ses cris aigres. Bartholin assure qu’un noble Venirien avoit coutume de demeurer tous les ans sous son lit pendant la Canicule, parce que s’imaginant être une tortue, il craignoit que la trop grande chaleur ne le dessechât.

Si des hommes sont assez fous pour se croire chevres, cocqs ou tortues, pourquoi n’y en auroit-il pas aussi d’assez peu sage pour s’imaginer opiniâtrement qu’ils deviennent toutes les nuits chats, corbeau, loups. etc. Car enfin ces sortes d’extravagances sont toutes semblables, & je ne vois pas comment on peut tomber dans l’une plus aisément que dans l’autre.

 

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