Ernest Mesnet. Étude médico-légale sur le somnambulisme spontané et le somnambulisme provoqué. Extrait du « Bulletin de l’Académie de médecine », (Paris), tome XXXVII, 1897, pp. 305-321.
Ernest-Urbain-Antoine Mesnet (1825-1898). Médecin, formé comme interne dans le service de Briquet, ce qui explique en partie son intérêt pour l’hystérie, puis par l’hypnotisme et le somnambulisme. Il est l’auteur de nombreuses publications, qui sont d’un intérêt variable. Nous avons retenu quelques unes :
— Etude des paralysies hystériques. Thèse de médecine. Paris, 1852.
— Autographisme et stigmates dans la sorcellerie au XVIe siècle. Paris, 1890, 1 vol. in-8°, 24 p., 3 planches hors texte. [en ligne sur notre site]
— L’homme dit le Sauvage du Var. Mémoire présenté à l’Académie de médecine, dans la séance du 28 février 1865. Rapport du Dr Cerise à la séance du 22 août 1865..
De l’automatisme de la mémoire et du souvenir dans le somnambulisme pathologique. Considérations médico-légales. Paris, Félix Malteste & Cie, 1874. 1 vol. [en ligne sur notre site]
— Études sur le somnambulisme, envisagé au point de vue pathologique. Extrait des « Archives générales de médecine », (Paris), Ve série, tome 15, 1860, volume I, pp. 147-173. — Et tiré-à-part : Paris, Félix Malteste & Cie, 1874. 1 vol [en ligne sur notre site]
— Un accouchement dans le somnambulisme provoqué. Déductions médico-légales. Communication lue à l’Académie de médecine dans la séance du 12 juillet 1887. Paris, G. Masson, 1887. 1 vol. 15.5/24.2 [in-8°], 24 p.
— Outrages à la pudeur. Violence sur les organes sexuels de la femme dans le somnambulisme provoqué et la fascination. Etude médico-légale. Paris, Rueff et Cie, 1894. 1 vol. in-8°
— Le somnambulisme et la fascination. Paris, 1894.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images, ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
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Étude médico-légale sur le somnambulisme spontané et le
somnambulisme provoqué.
par M. MESNET.
Le mouvement scientifique de ces dernières années a remis à l’étude la question des névroses, en la soumettant au double contrôle de la clinique et de l’expérimentation.
Cette renaissance des études du névrosisme conduisit rapidement à la négation des influences occultes, mystérieuses, sous l’influence desquelles le merveilleux a fait tant de dupes et laissé dans nos annales judiciaires le souvenir de si nombreuses victimes. Convulsionnaires, possédées, sorcières n’étaient plus, déjà depuis longtemps pour nous, que de tristes malades dont les expressions ont varié suivant les dispositions du temps, du milieu, de l’époque où ils vivaient !!
Il appartenait à la seconde moitié de notre siècle de classer les grandes névroses dans nos cadres nosologiques, en donnant aux symptômes qu’elles présentent leur véritable signification pathologique. Le somnambulisme naturel et le somnambulisme provoqué avaient conservé jusqu’à ces derniers temps encore on grand nombre d’adeptes que la crédulité et l’amour du surnaturel conduisaient aux interprétations les plus fantaisistes ! Grâce aux progrès incessants de la physiologie du système nerveux, justice a été faite de toutes ces erreurs.
L’observation clinique et l’étude expérimentale étant la seule voie qui puisse nous conduire à la connaissance des rapports qui existent entre les manifestations de ces névroses et les troubles fonctionnels du système nerveux qui les accompagnent, j’ai cru devoir vous présenter quelques considérations relatives à un malade que j’ai actuellement dans mon service l’Hôtel-Dieu, et [p. 306] vous démontrer, à son sujet, l’importance de ces questions au point de vue psychologique et médico-légal.
Je me serais prudemment abstenu de toute communication, si je n’avais la conviction profonde que les phénomènes dont je vais vous entretenir ont acquis, désormais, l’autorité du fait scientifique, c’est-à-dire qu’ils se reproduisent invariablement semblables à eux-mêmes chaque fois qu’on cherche leurs manifestations dans des conditions identiques et déterminées. Permettez-moi, avant tout, Messieurs, de vous rappeler en quelques mots l’histoire contemporaine de la question.
Un grand nombre de volumes et de mémoires ont été publiés dans ces dernières années sur cette classe de névroses, que Braid avait, dès 1842, très judicieusement observée, et sur laquelle j’avais moi-même appelé l’attention en 1855, dans un travail publié dans les Archives de médecine en 1860, quelques années avant les intéressantes communications faites à la Société de Chirurgie par mon ami le professeur Azam, de Bordeaux, qui avait observé sa première maladie en 1858 et publié ses recherches dans les Archives de médecine, également en 1860.
Vers la même époque, 1856, l’Académie de médecine couronnait un remarquable travail du docteur Puel sur la catalepsie. En 1861, paraissait un important, volume d’Alfred Maury, de l’Institut, Sur le sommeil et les rêves, dans lequel il consignait ses observations personnelles sur les rêves hypnagogiques en les accompagnant d’une étude analytique et critique des phénomènes du somnambulisme naturel et du somnambulisme provoqué ou artificiel. Lasègue, en 1865, publiait dans les Archives de médecine une étude sur les catalepsies partielles et passagères, provoquées par l’occlusion des paupières. En 1866, le Dr Liébault, de Nancy, consignait ses recherches dans un livre ayant pour titre Du sommeil et des états analogues considérés au point de vue de l’action du moral sur le physique.
Pendant de longues années ensuite la question resta indifférente pour ne pas dire nulle ; elle avait eu pour berceau la Société médico-psychologique à laquelle nous avions, mon collègue Azam et moi, communiqué nos premières observations ; c’est là qu’elle sommeilla, réveillée de temps en temps par quelques considérations suivies de discussions, auxquelles prenaient, part les membres les plus actifs de cette Société Paul Janet. Alfred Maury, Buchez, Cerise, Pouzin, Baillarger, Loiseau, Motet…
Ces divers travaux de la première époque avaient trouvé peu de [p. 307] crédit, moins encore de sympathie au dehors; le silence qui se faisait autour d’eux équivalait à doute-scepticisme-illusion La preuve en est, qu’en 1874, quand j’avais dans mon service à l’hôpital Saint-Antoine ce remarquable malade somnambule dont l’histoire a depuis été reproduite dans tous les livres écrits sur ce sujet, j’eus à rompre force lances et à combattre le bon combat avec grand nombre de médecins mes collègues dans les hôpitaux et professeurs à la Faculté, qui contestaient l’authenticité du fait, la sincérité du malade.
C’est à dater de 1875 que l’étude de ces névroses prit rapidement un grand essor et que les recherches qui se multipliaient donnèrent à la question sa véritable direction scientifique. Dégagé ainsi des influences mystérieuses, de l’électricité animale, du fluide vital, du magnétisme terrestre, l’hypnotisme entra résolument dans la voie expérimentale; nous vîmes alors naitre successivement les écoles de la Salpêtrière, de la Pitié, plus récemment celle de Nancy, ainsi que divers travaux qui nous vinrent de Marseille et de Bordeaux. —Entraînés par la séduction du sujet, médecins et physiologistes se mirent à l’œuvre de tous côtés ; bientôt philosophes et jurisconsultes trouvèrent eux-mêmes dans ces nouvelles études d’utiles applications à la psychologie et à la médecine légale.
Que de faits surprenants, inattendus surgirent tout à coup des expérimentations hypnotiques !… troubles multiples des divers modes des sensibilités périphériques, analgésies — anesthésies,— hyperesthésies, — transferts des sensibilités ;
— Mêmes troubles du côté des organes des sens ; — Troubles de l’innervation musculaire, parésies, — contractures — hyperexcitabilité des muscles ;
— Dissociation des facultés intellectuelles, avec abolition ou exaltation de telles ou telles d’entre elles ;
— Scission de la mémoire, puis sa réviviscence.
— Altération ou perte momentanée de la personnalité ! Ces perturbations multiples, étudiées d’abord isolément, le furent ensuite par groupes ; —à l’analyse succéda la synthèse —et la série de leurs manifestations fut alors magistralementétablie par divers travaux cliniques dus aux recherches faites à la Salpetrière par mon savant ami le professeur Charcot et ses élèves, entre lesquels je me plais à citer le docteur Charles Richet et Paul Richer. Presque au même moment, mes collègues Luys et Dumontpallier nous donnaient l’un des travaux sur l’automatisme, [p. 308] — l’autre ses études sur le transfert ; — le docteur Prosper Despine, de Marseille, publiait en 1880 son livre sur le somnambulisme ; —le professeur Pitre, de Bordeaux, et les professeurs de l’école de Nancy, leurs recherches sur les suggestions ; sans oublier les nombreux ouvrages parus dans ces dernières années, que je ne puis, à regret, citer individuellement.
Dans cette vaste collection de faits si rapidement formée, quelques-uns ont aujourd’hui reçu le baptême scientifique: mais combien d’autres, en grand nombre, restés à la période d’étude, qui, de longtemps encore, peut-être jamais, n’auront de titres de noblesse
Ces considérations établies, j’élimine tous les points obscurs et indécis de la question et j’arrive a l’étude des faits scientifiquement démontrés, dont l’évidence est telle qu’ils ne peuvent donner prise à la contestation, non plus qu’au scepticisme, fût-il le plus outré !
Le malade dont je vais vous faire l’étude médico-psychologique est un jeune homme de dix-neuf ans ; élevé dès son bas âge dans une institution primaire, il y reçut une instruction assez bonne pour s’élever jusqu’aux cours supérieurs.
Dès son enfance il avait perdu son père, mort accidentellement d’une pneumonie.
Sa mère, femme d’un esprit mobile, d’une impressionnabilité très grande, très irritable, a eu pendant longtemps des attaques de nerfs, franchement hystériques.
Il n’a ni frère, ni sœur.
A l’âge de onze ans, nous notons chez notre malade une insolation, et quelque temps après une fièvre typhoïde très grave, dont il a été longtemps à se remettre. Dans sa convalescence il a été pris d’attaques de nerfs, qui pendant trois mois, se répétèrent plusieurs fois par jour, avec une telle violence, qu’il fallait plusieurs personnes pour le maintenir ; elles cessèrent au moment où parut sur le cuir chevelu une éruption qui semble avoir été un eczéma ou un impétigo.
A dater de cette époque (il avait alors treize ans) il devint nerveux, impressionnable, irritable, d’une extrême mobilité d’esprit, avec des idées tantôt tristes, tantôt gaies, sans savoir pourquoi.
Vers la fin de 1885 apparaissent les premiers troubles du sommeil ce n’est d’abord que de l’agitation au lit, du bavardage, des propos incohérents, puis, quelque temps après, il se lève la nuit, [p. 309] s’habille, marche dans la chambre, la balaye, déplace les meubles, faisant et défaisant dix fois la même chose.
En juin 1886, les accès de somnambulisme deviennent plus fréquents et plus longs, ils se produisent le jour comme la nuit; le malade s’endort debout, à table, en mangeant, où qu’il se trouve ; et sa famille nous apprend qu’étant toujours très difficile à réveiller, il l’est plus encore la nuit que le jour. Il était occupé dans un atelier d’où il fut congédié, parce qu’il s’endormait à chaque instant sur sa table de travail, l’ouvrage entre les mains. Cette époque marque une nouvelle étape dans sa biographie pathologique la mobilité de son esprit devient de plus en plus grande ; il quitte Paris, va à Arras, entre dans un autre atelier d’où on le renvoie pour la même raison. Il ne peut plus tenir en place, le besoin de locomotion s’empare de lui, il va à Boulogne, à Berck, se promène sans but, sans raison, et revient à Paris. Là, diverses idées fantastiques lui traversent l’esprit
II s’imagine avoir en lui l’étoffe d’un grand musicien, il se met à écrire, à composer de la musique, il apprend à jouer de divers instruments.
A quelque temps de là, il se croit chirurgien militaire, il se fait fabriquer un costume d’aide-major, avec lequel il va se promener à Arras, à Paris, à l’École militaire.
Au mois d’octobre et de novembre il fait des excès de femme dans une proportion démesurée et, sous cette influence éminemment dépressive, son état mental devient de plus en plus chancelant, les troubles du sommeil augmentent en intensité et en durée, à tel point que s’étant endormi un jour près des fortifications où il était allé se promener avec des amis, il fut rapporté chez lui sans s’en douter, et y resta quinze heures sans se réveiller. Tel était l’état de ce malade au moment où il a accompli l’acte réputé vol, dont il a aujourd’hui à rendre compte à la justice. Entré à l’Hôtel-Dieu le 19 décembre 1886, il fut conduit dans mon service pour être soumis à l’examen du Dr Garnier, commis près de lui à l’occasion de ce prétendu vol accompli dans des conditions tellement particulières que la santé de l’inculpé avait été tenue pour suspecte
Il avait, au déclin du jour, soustrait divers objets de gros volume (chaises, commode), exposés sur le trottoir devant la boutique d’un marchand qui demeurait en face de son logement. Il avait pris ces objets un à un, avait tranquillement traversé la rue pour les emporter chez lui, sans essayer de les dissimuler, sans se [p. 310] préoccuper des passants qui le croisaient dans la rue. Le marchand l’avait fait arrêter, et l’accusé répondait invariablement qu’il n’y comprenait rien, qu’il ne savait pourquoi on le recherchait ainsi. Dès les premiers jours de l’entrée du malade à l’hôpital, il nous fut facile de constater qu’il avait en effet de fréquente accès de somnambulisme spontané pendant lesquels il se levait, s’habillait, se promenait dans la salle, accomplissant avec une grande liberté d’allures tous les actes que lui suggérait le mouvement automatique de son cerveau. Il balayait la salle, essuyait les meubles, les déplaçait, les rapportait.
Dans un autre accès de somnambulisme il groupait les chaises, les disposait en demi-cercle, se plaçait au milieu et, une baguette à la main prenait les attitudes d’un chef d’orchestre qui dirige l’exécution d’un morceau, activant, ralentissant la mesure, exprimant par sa physionomie les nuances de la musique qu’il croyait entendre.
D’autres fois les actes que lui suggère l’idée qui dirige sa crise somnambulique se traduisent par de véritables tentatives de suicide. Toujours préoccupé de l’accusation qui pèse sur lui, il écoute, à l’état de veille, les conseils que nous lui donnons, il ne se préoccupe pas autrement de son affaire; mais lorsque, dans l’état de somnambulisme, il est sans réflexion, sans arrêt, livré à la domination de l’idée de vol et de poursuites, il s’abandonne à ses propres incitations et fait des tentatives qui nous donnent les plus sérieuses inquiétudes.
Une de ces dernières nuits, il se lève à trois heures du matin, en pleine crise, va directement à une fenêtre de la salle, essaie de l’ouvrir ; elle résiste, il fait de vains efforts.
Il traverse la salle, va à la fenêtre du côté opposé qu’il essai& violemment d’ouvrir sans plus de résultat.
A l’instant il revient à son lit, prend sa courroie, la passe autour de son cou, monte sur une chaise, cherche un point d’attache à la barre transversale du ciel de lit le gardien de nuit intervient, le dégage, enlève la courroie.
Il essaie à diverses reprises de se frapper avec son couteau, qu’on lui enlève des mains.
Il se dirige alors vers la porte de sortie de la salle qu’il trouve fermée ; il la secoue énergiquement en exprimant un grand mécontentement, il songeait probablement à se précipiter, du haut de la galerie, dans le jardin du centre.
Revenu à son lit, il se couche avec des mouvements brusques [p. 311] et saccadés, lance des coups de poings à droite, à gauche, comme s’il avait à se défendre contre des personnes qui seraient venues l’assaillir; après quoi il se prend de sanglots et de larmes, s’endort d’un sommeil calme, et se réveille à huit heures du matin, sans avoir connaissance de la crise qu’il venait de traverser, qui avait duré cinq heures.
Dans l’examen des diverses sensibilités, fait en dehors des crises, nous constatons : analgésie, anesthésie complètes, perte de la sensibilité aux températures, sur toute la surface du corps, excepté sur deux surfaces symétriques aux hypochondres, aux organes génitaux, au périnée et aux régions fronto-palpébrales ;
Le tact est conservé le malade reconnaît, les yeux fermés, les objets qu’on lui met entre les mains :
L’électricité à courants interrompus n’est point sentie, bien que son excitation fasse contracter les muscles normalement; Les muqueuses, aux orifices des sens, n’ont aucune trace de sensibilité :
La vue et l’ouïe sont intactes ;
Le goût et l’odorat sont abolis.
§ 2
La constatation du somnambulisme spontané étant ainsi bien établie, il était intéressant, au point de vue médico-légal, de savoir jusqu’à quel point cet homme était accessible à l’action hypnotique produisant le somnambulisme artificiel ou provoqué. Le docteur Tillaux, mon collègue à l’Hôtel-Dieu, le docteur Garnier et moi, ainsi que les élèves du service tous réunis dans mon cabinet, nous avons fait venir le malade. M’étant approché de lui, je l’ai subitement fixé à très courte distance, surprenant ainsi son regard qui s’est attaché à moi, sans avoir eu d’ailleurs aucun point de contact avec sa personne, sans lui dire un mot qui puisse l’occuper.
En quelques secondes, l’expression de sa face s’altère, ses traits s’immobilisent, son œil prend un regard particulier ; aussitôt le malade se rapproche de moi et se met au contact nez à nez, œil sur œil. Je me recule, il avance sur moi ; je fais le tour de la salle, je passe entre les chaises, j’active le pas, je le ralentis, il ne me quitte pas d’une semelle il se tient toujours au contact, ses yeux sur mes yeux. Ainsi attaché à ma personne, il n’a plus [p. 312] aucune communication avec le dehors, il n’a plus d’autres excitations que celles que je lui donne; il entend ma voix, répond aux questions que je lui adresse, mais n’est accessible à aucun autre son, d’où qu’il vienne.
Nous avions donc devant nous l’exemple le plus complet de la fascination hypnotique qui est, entre toutes les formes de l’hypnose, la plus saisissante et la plus invariable dans ses allures. Instruit par l’expérience que j’avais acquise depuis longtemps près d’autres malades plus ou moins semblables à lui, que la fascination n’est point une influence personnelle à celui qui vient de l’opérer et que mon fasciné pouvait être attaché à tout autre, aussi bien qu’à ma propre personne, je le conduis près de mon excellent collègue, que je savais quelque peu incrédule en ces sortes d’expériences. Je dirige avec ma main son regard sur les yeux de Tillaux, et à l’instant il se précipite sur lui, bousculant les meubles, se couchant à demi sur les bras du fauteuil qu’il occupait, afin de se mettre au contact de son nouveau fascinateur. Le voilà donc attaché à une autre personne ; dès lors, il ne me connaît plus, je n’existe plus pour lui ! Il est, si je puis dire ainsi, identifié à son nouveau possesseur; il semble attendre de lui un ordre pour l’exécuter ; il entend sa voix, alors que la mienne ne le pénètre plus. Il répond aux questions qu’il lui adresse, mais il est incapable d’aucun acte cérébral spontané ; ses réponses sont monosyllabiques, sur un ton monotone, avec une altération évidente du timbre de la voix. Tillaux quitte son fauteuil ; il le suit -avec précipitation, recherchant son regard comme il cherchait le mien un instant avant; qu’il porte les bras à droite, à gauche, qu’il s’assoit, qu’il se mette à genoux, le malade répète invariablement tous ses mouvements ; qu’il reste immobile, il est devant lui immobile face à face, œil sur œil! Toutes les tentatives faites par mon collègue pour se débarrasser étant restées infructueuses, je viens à son aide, quand il me déclara son opinion faite, sa conviction bien assise.
Le procédé qui m’avait servi à conduire mon malade sur une autre personne me servit également à le reprendre pour mon propre compte. Ma main interposée entre les yeux de Tillaux et les siens, ayant concentré tout son regard, il la suivit et vint de nouveau se remettre à mon contact. Tillaux, à son tour est libre, le malade qui ne le connaît plus, est sous ma dépendance. La fascination est, entre toutes les manifestations de l’hypnose, celle dans laquelle il est le plus facile de créer au malade des [p. 313] hallucinations. Tous les sens peuvent en général être mis en action; cependant, la vue et l’ouïe sont ceux qui s’y prêtent le mieux ; en voici quelques exemples :
Veuillez me pardonner, messieurs, les quelques détails dans lesquels je vais entrer ; ils sont indispensables à la démonstration que je veux vous faire
Je dis brusquement au malade : « —Un oiseau » Ce mot éveille son attention. « —Devant vous ! Sur le mur ! Le voyez-vous ? » et je conduis avec la main son regard dans la direction voulue. Il se précipite à l’instant vers lui, renversant chaises et personnes, tout ce qui fait obstacle à son passage. Arrive au pied du mur, il reste immobile. « — Prenez-le ! » Il élève ses bras aussi haut que possible et le prend sur le mur, à la hauteur indiquée. « — Vous l’avez sur le doigt ! Embrassez-le ! –II l’embrasse. » « — Il chante ! L’entendez-vous ? Oui ! Chantez comme lui, » et il module un air sifflé sur un ton très doux imitant le chant du serin. — La création d’hallucinations, — véritables idées-images — qui réveillent les sens et les diverses activités musculaires en rapport avec elles, peuvent également mettre en jeu les différents modes de sensibilité morale, d’émotivité, correspondants à l’idée représentative.
Brusquement, je dis au malade, en dirigeant ses yeux dans une direction quelconque :
« Un enterrement ! » — Ses traits se contractent, sa figure devient triste.
« Voyez tous ces pauvres gens ! »
II soupire, il pleure en telle abondance que ses larmes inondent sa figure.
Je le retourne sur place, et je lui dis : « — Voyez un mariage ! Comme ils sont gais ! » —A l’instant il lui vient un sourire, et il fait un pas en avant pour se rapprocher d’un spectacle agréable.
« — J’entends de la musique !… — Ils dansent ! »
II se met à danser au milieu de nous avec une grande activité de mouvements et de gestes.
Autant le malade montre d’impétuosité et d’élan dans la réalisation de l’idée qui lui a été suggérée, ou dans l’exécution de l’ordre qui lui a été donné, autant il devient inerte et immobile quand l’influence excitatrice cesse de s’exercer sur lui. Placé en face de la personne qui le domine, il restera les yeux fixés sur elle, attentif et sans mouvement.
Conduisez ses yeux sur le parquet, en les dirigeant avec votre [p. 314] doigt sur un point quelconque, il s’incline de ce côté, se baisse comme pour regarder de plus près et reste courbé, immobile dans cette contemplation imaginaire.
Reprenez son regard avec la main, et dirigez-le vers le plafond, il se relève brusquement, se grandit sur les jambes et, la tête haute, il s’immobilise dans cette nouvelle position.
Ces diverses expérimentations faites, je le réveillai par une vigoureuse insufflation sur la face. Aussitôt il se frotte les yeux, les promène autour de lui, étonné de voir un aussi grand nombre de personnes. Il était intéressant de savoir quel souvenir il pouvait avoir gardé, au réveil, des diverses impressions que je lui avais communiquées pendant son sommeil.
Je l’interroge et je lui dis :
« Connaissez-vous M. Tillaux ?
— Oui monsieur, je l’ai vu plusieurs fois dans cet hôpital.
— L’avez-vous vu tout à l’heure, assis dans ce fauteuil ?
— Non Monsieur.
— Pourquoi vous êtes-vous précipité sur lui ? Pourquoi le regardiez-vous de si près, nez à nez ?
— Monsieur, je n’ai point fait cela.
— Quand il s’est levé vous l’avez suivi, vos pas dans ses pas, le touchant toujours, sans faire attention à nous ?
— Monsieur, je ne comprends pas ce que vous me dites-la.
— Que voyiez-vous sur ce mur ? Vous vous êtes levé sur la pointe des pieds, comme pour y prendre quelque chose ?
— Monsieur, il n’y a rien sur le mur, je n’ai rien vu, puisqu’il n’y a rien. »
La scission de la mémoire était évidemment bien complète, car le malade n’avait, à l’état de veillé, conservé aucun souvenir des faits et actes accomplis par lui un instant avant, dans sa période de trouble mental. La contre-épreuve était facile à faire, je veux parler de la réviviscence du souvenir dans une nouvelle crise hypnotique.
Je fixe de nouveau le malade et je fais la prise du regard ; en quelques secondes il revient au même état, après une profonde inspiration.
« — Avez-vous vu M. Tillaux dans ce fauteuil ?
— Oui.
— Pourquoi le regardiez-vous fixement, nez à nez ?
— Je ne pouvais me détacher de lui.
— Que voyiez-vous sur ce mur ? [p. 315]
— Un oiseau. — L’avez-vous pris ? — Oui. — Chantait-il ? —Oui. — Qu’est-il devenu ? Envolé.
— Qu’avez-vous encore vu ?
— Un enterrement, j’ai pleuré. »
— Encore ? — Une noce avec musique, j’ai dansé.
Il avait donc bien, dans cette nouvelle crise, la mémoire la plus fidèle de tout ce qui s’était passé dans la crise précédente, des diverses hallucinations que je lui avais créées, des sentiments que j’avais éveillés pour mettre en jeu son émotivité —Il avait, pour le moment, présents à l’esprit, tous ces faits qu’il ignorait absolument, il y a deux minutes, quand nous l’avions éveillé.
Je fis encore quelques expériences en lui donnant différentes poses extatiques, cataleptiques qu’il conservait invariables jusqu’au moment où je détournais son attention pour la fixer sur autre chose, une personne, un meuble, un point imaginaire. De temps en temps, il avait une respiration anhéleuse, profonde, plus précipitée, avec des rougeurs ou des pâleurs de la face, des tressaillements des membres accompagnés de secousses, signes précurseurs de convulsions imminentes il me suffisait, pour apaiser tout cela, de lui mettre la main sur le front, en lui disant : « — Tranquillisez-vous !!… soyez calme ! »
Parfois son regard se perdait et semblait dans le vide, ma voix ne lui arrivait plus je venais alors de nouveau faire ainsi une reprise du regard qui rétablissait l’influence momentanément perdue.
Nos expériences duraient depuis une heure, le malade s’agaçait à chaque instant, il prenait de temps en temps des expressions de frayeur, comme s’il avait été tourmenté par des hallucinations terrifiantes ; je le conduisis près d’un canapé sur lequel je le fis asseoir en fixant son regard sur ce meuble, en m’y asseyant moi-même, ce qu’il fit à son tour par imitation. Après l’avoir ramené à un état de calme qui me semblait complet, j’essayai de le réveiller en lui soufflant énergiquement sur la face et sur les yeux ; il resta le même, et se rapprocha plus encore de moi, comme si mon souffle l’avait attiré je recommençai sans plus de résultat, et il en fut ainsi pendant cinq minutes, sans qu’il m’eut été possible de le réveiller; à diverses reprises il fut pris de tressaillements et de secousses des membres.
Le docteur Garnier eut la pensée de l’éveiller par suggestion. J’essayai, à cet effet, de fixer énergiquement son attention sur [p. 316] moi il était fatigué, il ne répondait plus avec la même vivacité à mes sollicitations.
Je lui dis : « — Ecoutez-moi bien— dans deux minutes vous vous réveillerez ! »
Deux minutes se passèrent, il ne se réveilla pas.
Je renouvelai l’expérience ; même résultat négatif.
Le docteur Garnier prit à son tour le malade en fixant son regard, et lui dit :
« — Je veux que vous vous réveilIiez, — c’est ma volonté, — vous m’entendez bien, — dans deux minutes vous frotterez vos paupières, et vous vous réveillerez ! »
Le malade, peu attentif à ces paroles, ne répondit rien et ne se réveilla pas.
Nous le reconduisîmes a son lit. Garnier, qui l’avait sous sa dépendance, lui ordonna de se déshabiller et de se coucher. Après quelques hésitations, il se déshabilla et se coucha il eut une attaque convulsive, de forme franchement hystérique, entremêlée de périodes de catalepsie et de léthargie, suivie de sanglots et de larmes abondants ; puis il s’endormit d’un sommeil très calme, et se réveilla trois quarts d’heure après.
Les jours suivants, il n’éprouva aucun malaise particulier, il vécut dans un calme relatif assez satisfaisant, sans autre trouble que le retour périodique des accès de somnambulisme spontané qu’il présentait depuis bien longtemps la nuit, et même assez souvent le jour.
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L’étude que nous avions faite des influences hypnotiques exercées directementsur le malade, et des troubles provoqués par leur action immédiate, devait avoir pour complément une nouvelle expérience à savoir : dans quelle mesure nous le trouverions accessible aux suggestions hypnotiques ? c’est-à-dire : un ordre lui étant donné tel jour, serait-il exécuté par lui le lendemain, sans provocation directe, à l’heure dite ?
L’importance de cette nouvelle épreuve se déduisait naturellement des conditions qui avaient amené dans mon service ce malade inculpé de vol ; elle devait, en outre, donner un nouveau point d’appui aux conclusions que le médecin légiste allait avoir à formuler dans son rapport.
Tel jour, à ma visite, ce malade, avec qui je causais, fixa les [p. 317] yeux sur moi et s’endormit ; il continuait à me répondre sans plus entendre ni voir mes élèves qui m’entouraient. Les conditions étaient favorables pour tenter l’expérience je l’emmenai dans mon cabinet afin de ne point être entendu du dehors, je fixai énergiquement son attention — il était tout oreilles — et je lui dis, en lui montrant un de mes externes :
« Voyez la chaîne de montre de M. X. ? La voyez-vous ? — Oui. — Eh bien ! je vous ordonne demain, pendant ma visite, de prendre adroitement cette chaîne et la montre, de mettre le tout dans votre poche et de vous en aller aussitôt ! M’avez-vous bien compris ? » II eut un mouvement de surprise avec secousse dans les membres et une expression de mécontentement très évidente. II ne me répondit pas. — J’insistai en lui disant : « — Je vous l’ordonne. Je le veux. » Il répondit : « Oui », avec un geste brusque et saccadé. Je le ramenai à son lit et le réveillai aussitôt en lui soufflant sur la figure. — Il ignorait absolument ce que nous venions de faire, de dire, où nous étions allés.
Le lendemain, en entrant dans ma salle, à neuf heures, je le rencontre causant dans le vestibule de choses indifférentes avec les élèves de mon service qui attendaient ma visite. Il avait sa tenue habituelle, toute-sa liberté d’esprit; aucune trace de préoccupation ni de souci n’apparaissait dans sa personne. Je lui dis de retourner à son lit, ce qu’il fit aussitôt. Dans le cours de ma visite, arrivé près de lui, je lui demandai :
— Comment il avait passé la journée précédente ?
— S’il avait, la veille, mangé comme d’habitude ?
— Comment il avait passé la nuit ?
— Comment il se trouvait ce matin ?
A toutes ces questions, il me fit des réponses satisfaisantes ; ne se plaignant que d’insomnie ou, pour mieux dire, d’un sommeil agité, de bavardage pendant la nuit. ce qu’il ne savait que par le dire de ses voisins.
Pendant le cours de ma visite, il accompagna mes élèves en causant avec eux, mais avec moins d’entrain que d’habitude et en se rapprochant volontiers de M. X. mon externe, qu’il semblait regarder avec un intérêt tout particulier.
Après avoir parcouru la première salle, nous passâmes dans la seconde, en traversant le pallier de l’escalier. Il ne nous suivit pas. Ma visite terminée, j’envoyai un de mes élèves lui dire de venir me parler ; je lui demandai s’il savait quel jour le docteur Garnier viendrait le voir ? II me répondit de la manière [p. 318] la plus nette et la plus naturelle qu’il ne saurait me fixer le jour que M. Garnier venait sans le prévenir, mais qu’il ne tarderait sans doute pas !
A ce moment, nous étions tous réunis près de la table sur laquelle je signais mes cahiers, —lui, presqu’en face de moi à ma droite — M. X. de l’autre côté, à ma gauche ; nous causions des malades sortants et du nombre des lits vacants pour la consultation que j’allais faire.
Le malade, qui ne prêtait plus d’attention à notre conversation, était debout, immobile, les yeux fixés sur la chaîne de montre de M. X… qui apparaissait dans l’entrebâillement de son paletot. Sa physionomie était calme, son regard contemplatif ; il se détachait évidemment de plus en plus du milieu qui l’entourait — il s’hypnotisait à la vue des anneaux brillants qu’il avait devant les yeux ; et nous fûmes tous témoins silencieux d’une lutte intérieure dont nous suivîmes pas à pas les différentes phases.
Le regard fixé sur la chaîne, il s’absorbait de plus en plus ; ses pupilles se dilataient, ses paupières, largement ouvertes, n’avaient plus de clignement ; l’œil devenait humide, et la conjonctive légèrement injectée. Sa figure, calme et impassible d’abord, prit une expression singulière dans laquelle il était facile de lire un sentiment d’angoisse qui s’accusait non seulement par le plissement de la peau du front, mais surtout par des troubles considérables de la circulation capillaire —telle partie de la face était rouge, injectée — telle autre profondément décolorée avec une teinte terne et livide — une grande perturbation dans l’acte physiologique des vaso-moteurs venait de s’accomplir dans la circulation périphérique !
En même temps que se produisaient ces divers phénomènes, la respiration, d’abord calme et superficielle, devenait rapide, anhéleuse, profonde, s’accompagnant de tremblements musculaires, et parfois de secousses brusques des membres.
Le pouls était rapide.
Après avoir à diverses reprises incliné sa tête et son corps vers M. X… — il fit lentement un pas en avant, puis lentement un autre pas et porta ses deux mains vers la chaine qu’il ne toucha pas. Plusieurs fois il retira ses mains avant de les mettre au contact du métal ; puis brusquement, dans un mouvement rapide, il détacha la clef de la boutonnière du gilet, retira la montre et la mit dans la poche de son pantalon. [p. 319]
Au même instant il quitta la salle en courant, traversa le couloir, le pallier, et descendit précipitamment, l’escalier jusqu’au premier étage.
Au bas de l’escalier, je le retrouvai aux prises avec un infirmier qui l’avait suivi ; —il était dans un état d’égarement complet ; — je lui soufflai sur les yeux et, à l’instant même, il se remettait en rapport avec nous.
Reconduit dans mon cabinet, je lui demandai ce qu’il avait. Il me répondit qu’il n’avait rien…
« — D’où venez-vous ? qu’avez-vous fait ?
— Monsieur, je ne sais pas ! »
Je retirai de sa poche la montre qu’il y avait mise, en lui demandant : « — Comment avez-vous cette montre ?— Est-elle à vous ? Non. — Mais, je le sais bien qu’elle n’est point à vous, puisque vous venez, en notre présence, de la prendre à M. X… ! »
A ce mot, il s’exclama avec énergie : « » — Je ne suis point un voleur ! » et il se mit à fondre en larmes avec des sanglots et des soupirs, accusant une grande émotion.
Au même instant, il cessa complètement d’être en rapport avec nous ; aux larmes succédèrent des crises d’une violence extrême pendant lesquelles il voulut à diverses reprises se précipiter la tête contre les murs, en répétant : « — Je ne suis point un voleur ! c’est une infamie ! » Ses violences étaient telles qu’il fallut une dizaine de personnes pour le maintenir.
Pendant plus d’une demi-heure, il nous présenta la succession rapide et la plus exagérée des diverses phases des perturbations hypnotiques. —Après le spasme, le collapsus léthargique, dans lequel nous n’avions plus aucune manifestation d’activité physique ni mentale, dans lequel les fonctions organiques de respiration, de circulation subissaient un ralentissement considérable. Puis des alternatives de catalepsie et d’extase, d’une durée de quelques minutes à peine, avec occlusion complète de tous les sens et de tous les divers modes de sensibilité périphérique. Les diverses tentatives de réveil que je fis par l’insufflation sur la face, sur les yeux, par la projection d’eau froide à la face furent inutiles ; l’état hypnotique dans lequel il était ne se rattachant à aucun acte extérieur, mais bien à l’influence de sa propre émotion, échappait par cela même à toute action personnelle exercée sur lui. Profitant d’un instant d’extase contemplative, je lui fis la prise du regard, et, grâce à cette substitution, je l’éveillai [p. 320] en lui soufflant sur la face, ce que je n’avais pu faire quelques minutes avant.
Envisagés dans leur ensemble, les faits que nous venons d’exposer offrent un grand intérêt, car ils permettent, dans une certaine mesure, de faire l’analyse psychologique du malade, dans les différentes phases de l’acte que nous lui avons commandé.
Au moment où je l’ai fait appeler pour lui demander quel jour M. Garnier viendrait le voir il était encore en pleine possession de lui-même ; sa tenue, le calme de sa physionomie, ses réponses justes et précises en témoignent. Le trouble, ou plutôt l’ébranlement cérébral, commence à l’instant où, les yeux fixés sur la chaîne de montre, l’idée suggérée s’impose à son esprit. Nous voyons alors la perturbation de ses facultés grandir proportionnellement aux troubles extérieurs qui se développent devant nous, tant du côté de la face que du côté des yeux, dilatation des pupilles, injection de la conjonctive — trouble de l’innervation des vaso-moteurs de la face, avec teintes rouges ou décolorées par places — troubles profonds de la respiration — tremblements et secousses tétaniques des membres — accélération du pouls.
L’expression de sa face sembletraduire les émotions intérieures qui l’agitent. Du moment que l’idée suggérée a pris possession de son esprit, il subit un entraînement auquel il ne peut plus se soustraire. Il est d’abord en lutte avec deux influences opposées l’une suggérée qui le pousse vers l’objet qu’il doit prendre, l’autre personnelle, de résistance à l’acte qui lui a été commandé. La fixité de son regard, l’expression de ses traits, le plissement de son front, toute sa physionomie indiquent la lutte, le mouvement de son esprit. Mais bientôt sa personnalité, sa volonté de plus en plus chancelantes, à mesure que la domination de l’idée s’impose plus impérieuse, s’effacent et disparaissent, et il n’est plus alors qu’un être inconscient, un instrument aveugle à la merci de l’idée qui l’entraîne.
Tel exécute le vol comme nous venons de le voir, tel combine le suicide (Mesnet, Archives 1860). Tel autre peut être homicide — incendiaire ! Et après l’accomplissement de ces actes inconscients, la crise cesse, le malade se réveille, reprend les habitudes de sa vie normale, sans garder souvenirde la période qu’il vient de traverser. Quand le magistrat intervient, tout désordre a cessé en présence d’un homme qui ne peut expliquer ses actes, qui se retranche derrière la défaillance de sa mémoire, le juge d’instruction est amené à croire A un système de défense ; il passe outre, [p. 321] bien que le malade réponde invariablement : Je ne sais pas !et que le fait accompli, qu’il ignore réellement, ait souvent eu pour témoin une nombreuse assistance !
Quelque obscures qu’elles puissent paraître, nous espérons que les progrès incessants de nos études en psychologie morbide mettront en pleine lumière ces importantes questions ; et que nous arriverons, dans un avenir prochain, à convaincre les magistrats de la réalité de ces phénomènes pathologiques qui concluent à : automatisme — inconscience—amnésie !
(Applaudissements.)
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