Paul Van Gehuchten. « Étude médicale des Stigmates de Louise Lateau. Extrait de la revue « Études carmélitaines – Douleur et stigmatisation », (Paris), Desclée de Brouwer, 20 e année, Vol. II., octobre 1936, pp. 81-92.
Paul Van Gehuchten (1893-1989). Médecin diplômé en 1919, il se rend à Paris la même année pour se spécialiser en anatomie pathologique puis pour se former en neurologie et en neuropathologie dans le service de Pierre Marie. Il fonda l’Institut de Neurologie à Louvain et fut membre du Royal College of Surgeons, des sociétés belges de neurologie, de médecine mentale et de biologie ainsi que de la Société de Neurologie de Paris. Il fonda l’Institut de Neurologie à Louvain et fut membre du Royal College of Surgeons, des sociétés belges de neurologie, de médecine mentale et de biologie ainsi que de la Société de Neurologie de Paris.
Il est à l’origine de la publication d’un ouvrage qu’avait en préparation son père, La Neurologie de demain, qui sortira en 1921.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
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ÉTUDE MÉDICALE DES STIGMATES DE
LOUISE LATEAU
Il n’entre pas dans mes intentions de décrire longuement la vie de Louise Lateau. Je ne m’arrêterai guère non plus à ses extases. La question qui nous intéresse aujourd’hui est celle des stigmates. Mais il n’est pas possible d’étudier avec fruit l’un des phénomènes étranges observés chez la stigmatisée de Bois d’Haine, en les détachant complètement de l’ensemble des faits. C’est pourquoi je crois utile de donner d’abord une courte biographie de Louise Lateau d’après les témoignages dignes de foi de témoins contemporains.
Louise Lateau est née à Bois d’Haine en 1850. Son père mourut peu de temps après sa naissance, de la variole. A peine âgée de quelques mois, l’enfant contracte la même maladie. Sa mère et ses deux sœurs aînées paraissent avoir joui toujours d’une bonne santé. On ne relève dans les antécédents aucune tare toxique ou névropathique.
Jusqu’à l’âge de 16 ans, il semble que sa santé ait été normale.
A cette époque, elle n’est pas encore réglée et le docteur Lefèbvre nous dit « qu’elle traverse une période de chlorose si commune chez les jeunes filles à l’approche de la puberté ».
Huit mois plus tard, elle fait une angine grave qui la laisse dans un état d’anémie, compliqué de douleurs névralgiques.
En 1868, a 18 ans, son état s’aggrave, elle perd tout appétit, s’affaiblit, souffre de douleurs généralisées très vives ; à diverses reprises, elle a des vomissements de sang. Durant un mois, elle ne prend que de l’eau. Le 15 Avril, son état s’est à ce point aggravé, qu’elle reçoit les derniers sacrements. Puis brusquement, le 19 avril, les règles surviennent et la convalescence est si rapide que 2 jours après, la jeune fille se rend à pied à l’église.
C’est durant cette dernière période de sa maladie que sont [p. 82] apparues les premières visions. « Elle était tombée dit M. Imbert Gourbeyre dans une espèce d’extase, parlant continuellement de choses édifiantes, de pauvreté, de charité, de sacerdoce, elle voyait la Sainte-Vierge, saint Roch, sainte Thérèse, sainte Ursule. Cet état se continue jusqu’au 21 avril. »
Un ecclésiastique a même affirmé l’avoir vue dans ces moments d’extase, « étendue sur son lit, se soulever de tout son corps d’un pied de haut, les talons seuls prenant point d’appui sur sa couche. »
Il n’est pas sans intérêt d’ajouter que Louise a désiré dès son enfance, souffrir pour l’amour de Dieu. Elle pensait souvent à la Passion de Notre-Seigneur. C’était même là sa pensée familière et habituelle. A la fin de 1866, elle s’est fait recevoir tertiaire de l’ordre de Saint-François. Ses lectures consistaient dans l’Imitation de Jésus Christ et son manuel du Tiers Ordre.
C’est le 24 avril 1868, quelques jours après la guérison, que se produit le premier écoulement de sang. Louise perd du sang par le côté gauche de la poitrine. Le vendredi suivant, l’écoulement se reproduisit à la poitrine et à la face dorsale des pieds. Huit jours après, le même phénomène se déclare aux mains, et le 25 septembre, l’hémorragie apparaît au front. Enfin, beaucoup plus tard, en septembre 1874, on constate l’hémorragie de l’épaule droite.
L’extase accompagnant les stigmates ne s’est produite la première fois que le 17 juillet 1868 (Dr Lefèbvre). Elle commence le vendredi entre 8 et 9 heures du matin et se termine vers 6 heures du soir. Durant celle-ci, Louise a la vision de la Passion et à 3 heures de l’après-midi, elle se prosterne, les bras en croix. Vers 6 heures du soir, lorsque l’extase est finie, elle rentre sans transition dans la vie ordinaire. Durant l’extase, l’insensibilité est complète.
Depuis cette année 1868, Louise a régulièrement des extases tous les vendredis, extases toujours assez semblables, mais dont la durée s’est cependant quelque peu modifiée. Dans l’intervalle sa vie est normale. Elle continue à travailler comme d’habitude jusqu’en 1875. A cette époque, les douleurs des stigmates ont augmenté, de manière à rendre la marche presque impossible. Durant les dernières années, elle doit rester alitée, en proie à des souffrances presque continuelles. Elle mourut en 1883, épuisée par les douleurs et par les privations.
En dehors des extases et des stigmates dont nous reparlerons dans un moment, on signale comme fait extraordinaire, une inédie complète depuis 1871. Louise, aux dires de son entourage, ne prenait plus aucun aliment solide ou liquide. Elle ne recevait plus [p. 83] que la Sainte Communion quotidienne. En même temps, en dehors des règles, toutes les fonctions naturelles ont paru suspendu. La réalité de l’inédie et de la suppression des fonctions n’a jamais été l’objet d’un contrôle sévère, et au point de vue médical, il n’est pas possible d’en tenir compte.
LES STIGMATES
Les stigmates de Louise Lateau ont fait l’objet d’une étude médicale remarquable, tant par le Dr. Lefèbvre, défenseur de la voyante que par le Dr Warlomont, son contradicteur. Voici d’après ces auteurs la manière dont ils se produisent :
Quand on examine, écrit le Dr Lefèbvre, dans le courant de la semaine, du samedi au jeudi matin, les différents points par où le sang s’échappe le vendredi, voici ce qu’on remarque : sur la face dorsale et palmaire de chaque main, on trouve une surface ovulaire d’environ 2½ cm. D’une teinte un peu plus rosée que le reste des téguments, cette surface n’est le siège d’aucun suintement, elle est un peu plus lisse que la peau environnante. Aux pieds, on retrouve le même aspect. Le front ne comporte pas d’empreinte permanente.
Les premiers symptômes qui annoncent l’éruption du sang apparaissent le jeudi vers midi. A chacun des endroits, on voit une ampoule naître peu à peu, elle forme à la surface de la peau, une saillie arrondie. Elle est constituée par l’épiderme soulevée par de la sérosité limpide et transparente, parfois cependant rosée. Autour de l’ampoule, l’aspect est normal.
L’écoulement commence dans la nuit du jeudi au vendredi. L’ampoule crève et la sérosité s’échappe. A ce moment, le sang commence à couler de la surface du derme mis à nu. Parfois, le sang s’est déjà accumulé dans l’ampoule. Au niveau du front, il ne se forme pas d’ampoule. On voit sourdre le sang par 12 à 15 points disposés circulairement sur le front. Toute cette zone est légèrement turgescente. Le sang filtre à travers de petites éraillures de l’épiderme.
La quantité de sang perdu chaque semaine peut être évalué à environ 250 gr. Des examens répétés ont montré qu’il s’agissait de sang normal. Tout au plus, certaines analyses ont-elles révélé une certaine anémie et un nombre exagéré de globules blancs.
L’écoulement s’arrête le vendredi à des heures variables.
Le samedi les stigmates sont secs. Il n’y a aucune suppuration. [p. 84]
Des constatations analogues ont été faites par le Dr Warlomont qui a assisté plusieurs fois à la scène de la stigmatisation. Voici comment il décrit sa première visite. « Le jeudi à 8 heures du soir, Louise Lateau a été examinée par le Dr Verriest. Elle était encore debout, mais la crise se préparait. Elle disait souffrir de la tête, sa peau était chaude et sèche, son pouls large, impétueux et accéléré. Elle était, dit M. Verriest, dans l’état des personnes en proie à un molimen hémorragique violent. Les régions des stigmates de la face dorsale des mains étaient tuméfiées, sensiblement plus chaudes que les parties voisines, mais aucun écoulement ne se faisait à l’extérieur.
« Le vendredi matin à 6 heures, nous trouvons Louise assise sur sa chaise, le haut du corps un peu penché en avant, les mains rapprochées sous un linge blanc maculé de sang fraichement épanché. Son attitude exprimait la douleur… Elle ne peut préciser l’heure exacte à laquelle ses douleurs se sont exagérées, ni le moment où le sang a commencé à couler.
« STIGMATES : I. Front : Du sang desséché occupe la partie supérieure du front. Nous lavons le sang avec un lambeau de toile mouillée. Tout le front se nettoie. Le sang enlevé n’est remplacé par aucune exsudation nouvelle. Examiné à la loupe, l’épiderme ne montre pas d’érosion, mais quelques petits points bruns semblables à des particules de sang coagulé.
« 2. Mains : Au dos comme à la paume, il y a deux plaies saignantes. Du sang coule constamment de celles-ci. Lorsqu’on essuie les gouttes, on n’arrive que difficilement à voir nettement le fond des plaies, tant une goutte succède rapidement à l’autre. Les plaies sont très douloureuses au toucher. A la loupe, on voit au fond des plaies les papilles du derme, rouges, turgescentes.
« 3. Pieds : Les plaies ont le même aspect, mais l’écoulement du sang est beaucoup moins abondant.
« 4. Épaule : Sur une surface de 4 cm. 2, l’épiderme est détaché. La plaie est vive et il en sourd de larges gouttes de sérosité à peine teintée de sang.
« A 6 1/4 heures Louise Lateau reçoit la Sainte Communion. A ce moment et durant 1/2heure, elle est comme en extase et sans contact avec le monde extérieur. Son anesthésie est totale. Elle reprend conscience pour retrouver les souffrances de l’état antérieur.
« A 2 I/4 heures de l’après-midi, elle entre en extase jusque vers 4 1/2 heures. Dès son réveil, elle revient à l’état antérieur et les douleurs reparaissent pour s’apaiser peu à peu et se calmer vers 8 heures. [p. 85]
« Le samedi, les plaies ne sont pas encore cicatrisées.
« Le dimanche, les crevasses palmaires ont encore leurs bords écartés et il faudra bien 24 heures avant qu’ils ne soient réunis. Celles de la face dorsale sont recouvertes d’une croûte brune qui persiste toute la semaine. Le siège des stigmates reste d’ailleurs toujours douloureux. »
De ces descriptions, il résulte avec évidence que les stigmates de Louise Lateau étaient des plaies véritables, mais on ne peut exclure l’idée d’une supercherie. C’est pour écarter cette hypothèse que le docteur Lefèbvre, puis le docteur Warlemont ont pratiqué l’expérience suivante que je vais brièvement relater :
Grâce à un globe de cristal de 14 cm de diamètre, une des mains de la stigmatisée est complètement isolée. Toutes les précautions sont prises pour qu’aucune fraude ne soit possible et je pense qu’il faut admettre, que dans les conditions où l’expérience a été faite, l’hypothèse de fraude doit être définitivement écartée. L’appareil est placé le jeudi à 2 heures de l’après-midi, au moment où les stigmates ne sont le siège d’aucun écoulement. L’appareil est cacheté. On l’enlève le lendemain à 10 1/2 heures du matin.
Dans le fond de l’appareil, on trouve environ 5 grammes de sang. Le dos de la main présente depuis son centre jusqu’au bord externe des caillots de sang coagulé. Ceux-ci enlevés, il se produit une hémorragie en nappe, continue, mais peu abondante.
La plaie a 1 1/2 cm de long sur 1/2 cm de large.
L’épiderme en a disparu. Le fond occupé par le derme est rouge.
A la paume de la main, on trouve une plaie identique recouverte en partie par l’épiderme décollé et soulevé par un caillot. Là où le derme apparaît, il est fongueux et bourgeonnant.
Les conclusions des observations sont formelles. Les hémorragies sont réellement spontanées et se produisent sans l’intervention de violences extérieures.
Un nouvel examen du sang recueilli montre qu’il existe une certaine prédominance des globules blancs et une proportion élevée de sérum telle qu’on le voit dans l’anémie.
LES EXTASES
Je serai beaucoup plus bref en ce qui concerne les extases. D’après les observateurs de l’époque (Dr Lefèbvre, Dr Warlomont) l’état extatique n’est pas toujours pareil à lui-même. [p. 86]
Le matin du vendredi, après la communion, il y a une première période d’extase durant laquelle la stigmatisée n’appartient plus au monde extérieur. La sensibilité a totalement disparu. Cet état dure une demi-heure.
L’après-midi, l’extase s’accompagne d’une mimique spéciale.
Elle débute brusquement au milieu de la prière ou de la conversation. Pendant la plus grande partie du ravissement, Louise reste assise. L’expression de la figure est celle d’une attention profonde, on la dirait perdue dans une contemplation lointaine.
La physionomie comme ·l’attitude change souvent. Quelquefois le tronc exécute un mouvement de rotation lent et les yeux se meuvent comme pour suivre un cortège invisible.
A l’approche de la scène du prosternement, elle tombe à genoux et reste dans cette attitude durant une demi-heure. A 3 heures, elle fait un mouvement brusque, les bras s’étendent en croix et elle reste étendue sur le sol jusque vers 5 heures.
Au début l’extase durait de 7 à 8 heures du matin jusqu’à 6 heures du soir. Plus tard, ce temps s’est notablement modifié : de 1 1/2 heure à 4 1/2 heures.
Durant l’extase, Louise Lateau assiste aux différentes scènes de la passion du Christ.
Pendant la durée de l’extase, l’anesthésie est totale, même aux excitations très violentes. Les sens paraissent abolis, mais ceci n’est qu’apparent. Les ordres donnés par le Dr Lefèbvre au nom de l’évêque et du confesseur sont toujours exécutés.
Il n’est pas sans intérêt de signaler que le Dr Imbert Gourbeyre rapporte d’autres phénomènes. Dès la 16 année de la stigmatisation, Louise a été en proie a une obsession diabolique qui a duré plusieurs mois. Le démon se montrait à elle. Toutes les nuits, elle était jetée à terre, rouée, disloquée et serrée à la gorge.
Je n’insiste pas ici sur les autres phénomènes extraordinaires que l’on trouve relatés par les biographies de Louise Lateau, tels que l’inédie, les prophéties, le don de la vision, les rappels pendant l’extase aucun de ceux ci n’ayant pû été contrôlés d’une manière suffisamment rigoureuse.
Tels sont les faits brièvement résumés. Voyons maintenant les interprétations qui en été données jadis et celle à laquelle il nous paraît raisonnable de nous rallier aujourd’hui.
Le cas de Louise Lateau eut les honneurs d’une discussion célèbre à l’Académie Royale de médecine de Belgique. A quelque [p. 87]cinquante ans de distance, il n’est pas sans intérêt de relire les arguments apportés de part et d’autres en faveur des thèses en présence. D’un côté le Dr Lefèbvre, professeur à l’Université de Louvain, se fit le défenseur de Louise Lateau, de l’autre, le Dr Warlomont, médecin catholique, soutenu par tous les membres de l’Académie défendit la thèse adverse. Il n’y a pas de doute que dans l’opinion de tous les auditeurs, comme dans celle des lecteurs de la discussion, ce fut cette dernière qui l’emporta.
Nous ne suivrons pas dans tous les détails, les explications du Dr Warlomont. Elles comptent près de 200 pages. Mais voici en quelques mots ses conclusions.
Dans le cas de Louise Lateau, il s’agit d’une névropathie-stigmatique caractérisée par des extases et des stigmates.
Le mécanisme de la formation des stigmates serait le suivant : Partout, l’hémorragie débute par des phlyctènes, même au front, où elles demeurent imperceptibles parce qu’elles éclatent de bonne heure, vu la tension de l’épiderme à cette région.
Comment se produisent les phlyctènes : par un phénomène d’autosuggestion. L’attention a donné lieu à la douleur et celle-ci aux attouchements réitérés ; de là, la congestion qui a amené la stase sanguine dans les capillaires et par suite la dilatation de ceux-ci. Viennent les accès donnant lieu à des poussées congestives déterminées par un molimen hémorragique périodique. Les leucocytes passent à travers les capillaires et s’épanchant sous l’épiderme forment l’ampoule. L’accumulation du sang continuant, l’épiderme finit par éclater. A ce moment, le sang lui-même, soit par diapèdèse, soit par éclatement des capillaires, fait irruption à l’extérieur et c’est l’hémorragie. Celle-ci durera le temps que l’excitation cérébrale entretiendra la congestion locale.
L’étude de la plaie elle-même a été poussée remarquablement loin. Une petite parcelle a été excisée du fond du stigmate dorsal de la main. A l’examen, elle montrait des vaisseaux dilatés, dont les plus petits mesuraient 5 /100 de mill. alors que d’après Kolliker, les capilles ont au maximum 8 à 10 /1000 de millimètre.
A cette hypertrophie locale des capillaires, le Dr Warlomont donne le nom d’angiome —ce nom est évidemment une erreur, mais qui ne porte que sur le terme —et se basant sur les constatations faites, voici son interprétation des faits :
« Il n’est pas douteux que Louise avait toujours eu le désir de souffrir, dès lors, elle avait commencé à éprouver dans son corps les sensations douloureuses des stigmates qu’elle allait bientôt recevoir. Voici donc les douleurs préludant à la stigmatisation. Ubi stimulus, ubi affluxus, la congestion suit de près. Et cette [p. 88] congestion, ne voit-on pas la cause qui a dû l’activer ? Tous les jours, nous voyons les personnes ressentant une souffrance quelconque porter constamment la main sur la région qui en est le siège. Louise n’a pas dû, plus que les autres échapper à cette tentation. Ainsi tout s’enchaîne, acte mental appelant la douleur, congestion créée par la douleur activée par des excitations extérieures, stase de sang dans les capillaires, dilatation, angiome. »
Localement la plaie, d’après le Dr Warlomont est toujours précédée par la phlyctène ; celles-ci sont la conséquence de la stase capillaire et de la transsudation du serum du sang, de globules blancs et rouges du fait de la stase.
Tel serait le mécanisme local, mais celui-ci dépendrait à son tour d’un mécanisme cérébral que l’auteur s’applique à expliquer avec beaucoup de détails. Nous ne le suivrons pas longuement ici parce qu’il s’agit de pure hypothèse.
Disons, en résumé, que la production des stigmates dépendrait d’un trouble dans le fonctionnement des centres vaso-moteurs localisés au niveau du bulbe.
Il va sans dire que l’hypothèse du Dr Warlomont n’a pas été admise par le Dr Lefèbvre qui s’est appliqué à la réfuter longuement.
La thèse du Dr Warlomont fut par contre soutenue par le Dr Crocq avec beaucoup de science et d’habileté. Pour lui l’hémorragie frontale est une hématidrose, les autres hémorragies des dermatorragies. L’une et l’autre sont la conséquence d’une congestion locale assez comparable à celle qui se produit régulièrement chez la femme tous les mois au niveau de l’utérus. La perte de sang se fait très probablement par rupture vasculaire, étant donné l’abondance, la durée et l’opiniâtreté des hémorragies.
La congestion vasculaire locale serait elle-même la conséquence d’une action cérébrale sur les centres vaso-moteurs. La théorie des Dr Warlemont et Crocq peuvent se résumer dans les propositions suivantes :
Les mystiques deviennent stigmatisés en vertu d’un acte mental appelant sur des régions déterminées du corps, celles correspondant aux plaies du Christ, une attention longue et soutenue. De cette concentration de l’âme résulte une excitation de la partie du système nerveux qui régit cette partie, une transmission d’influx nerveux aux vaso-moteurs des régions d’élection. Cette perturbation consiste en un relâchement du stimulus vaso-moteur avec congestion locale des vaisseaux, amenant la dilatation, la friabilité de ceux-ci et par suite des hémorragies. [p. 89]
Tels sont les faits et telles les discussions médicales qu’ils ont provoquées il y a plus de cinquante ans. Avec le recul des années, avec les connaissances nouvelles acquises depuis lors, pouvons-nous porter sur eux un jugement plus précis ?
Constatons tous d’abord que l’Église a gardé la plus prudente réserve. Si le cardinal Dechamps, si l’évêque de Tournai Mgr Labis furent dès l’origine particulièrement favorable à la stigmatisée, il n’y eut cependant jamais aucune conclusion officielle. Lorsqu’on parcourt les documents innombrables qui ont trait à Louise Lateau, on est fatalement frappé des contradictions que l’on y trouve. C’est ainsi que l’un de ses directeurs, le Père Huchant qui fut chargé de la première enquête par l’évêque de Tournai, affirme l’avoir surprise en flagrant délit de supercherie, tant pour les stigmates que pour les extases. C’est ainsi aussi que l’on n’a aucune preuve formelle en ce qui concerne l’inédie de Louise Lateau. Il est en tous cas pour le moins extraordinaire qu’en 1874, au moment de son enquête, le Dr Warlomont ait découvert dans l’armoire située dans la chambre de Louise du pain blanc, de l’eau et des fruits. On est surpris aussi des déclarations solennelles de certains témoins au sujet de faits extraordinaires, —tels que la disparition subite de la Sainte Hostie, au moment de la communion —et lorsque l’on va aux sources même, on constate que personne en réalité n’a bien vu le fait en lui-même. Et l’on constate une fois de plus, comme on le fait dans toutes les enquêtes qui portent sur des faits extraordinaires, combien fragile est le témoignage humain.
Reportons-nous sur le terrain purement médical et voyons quelles conclusions nous pouvons tirer des faits dûment contrôlés.
Les constatations du Dr Lefèbvre et celle du Dr Warlomont et Crocq me paraissent démonstratives. Stigmates et extases, tels qu’ils les ont observés, ne sont pas produits par supercherie. Dès lors, peuvent-ils être envisagés comme l’expression d’un désordre pathologique?
L’hystérie peut-elle produire des manifestations cutanées analogues aux stigmates ? Charcot n’eût pas hésité à l’affirmer, mais Babinski, dont les travaux célèbres ont singulièrement limité le cadre des phénomènes hystériques ne l’eût pas admis. Pour lui, le symptôme hystérique se reconnaît à un critère simple. Il est provoqué par une suggestion, il disparaît par une contre suggestion adéquate. Les phénomènes provoqués par la névrose [p. 90] peuvent tous être reproduits par la volonté. La plupart de ceux qui ont été décrits et qui ont une apparence extraordinaire, ou bien ont été mal observés ou bien sont le fait d’une supercherie si fréquente chez les hystériques.
Je pense que l’avenir modifiera dans une certaine mesure cette conception de l’hystérie, tout en respectant cependant l’idée maîtresse de Babinski sur le rôle de la suggestion.
Personnellement, je n’ai jamais eu l’occasion d’observer des stigmatisés, mais j’ai suivi de très nombreuses manifestations d’hystérie. Dans la plupart des cas, l’explication en est simple. Il s’agit de symptômes banaux, de paralysies, d’anesthésies que la volonté peut reproduire, qui n’ont rien de mystérieux ni d’extraordinaire et que la suggestion maîtrise sans difficulté.
Mais il n’en est pas toujours ainsi. J’ai la conviction que chez certains sujets, le système nerveux de la vie végétative, sympathique et parasympathique est d’une sensibilité telle qu’il obéit, si pas directement à la volonté, en tous cas à une influence suggestive qui agit d’une manière durable. Normalement, nous ne pouvons exercer aucune action volontaire directe sur la sécrétion de certaines glandes, glandes sudoripares, glandes salivaires, glandes digestives, reins, etc… mais nous pouvons y arriver par certains moyens détournés, par certaines suggestions. Il en est de même du système moteur actionné par les muscles lisses, il en est de même du système vaso-moteur. Si tel est le cas chez la majorité des sujets, comment cela ne pourrait-il se produire davantage chez certains autres dont le système végétatif est particulièrement sensible. Je ne vois aucune difficulté à admettre l’œdème produit par suggestion, l’œdème hystérique dont mon père a d’ailleurs pu étudier un cas avec toute la précision désirable. Je ne vois aucune impossibilité à ce que chez certains sujets très sensibles, il puisse se produire après une longue préparation suggestive, des manifestation vaso-motrices locales qui aillent jusqu’à la formation de phlyctènes et d’hémorragies. Sans doute, ni l’anatomie, ni la physiologie ne peuvent nous donner la clef du mécanisme lui-même, mais il suffit d’un seul cas bien étudié, où la suggestion produise des hématidroses et des stigmates, pour que ce que l’on considère encore comme une hypothèse, devienne une certitude.
N’oublions pas d’ailleurs que l’apparition de troubles vaso-moteurs au niveau des futurs stigmates est précédée dans la plupart des cas d’une longue période douloureuse. Tous les médecins seront d’accord pour admettre que ces douleurs, malgré leur apparente intensité sont le produit d’une pure suggestion. [p. 91] Mais une douleur, même de nature purement fonctionnelle, peut provoquer à mon avis, chez des sujets très sensibles, des troubles vaso-moteurs locaux qui seront le point de départ de stigmates. De tels faits sont très rares parce qu’il est exceptionnel de rencontrer une pareille sensibilité du système végétatif. Dans la majorité des cas la douleur constitue le seul phénomène et l’on parle alors de stigmates spirituels.
Mais l’on pourrait objecter que dans les cas de stigmates vrais il s’agit toujours d’hystérie grave et que l’on doit trouver dans les antécédents et les commémoratifs des symptômes amorçant la grande névrose. Rien de pareil chez Louise Lateau, nous dira-t-on, Elle fut normale durant toute sa jeunesse, elle est restée normale dans l’intervalle des extases.
On pourrait discuter, et on l’a fait d’ailleurs, sur l’état de Louise Lateau avant que se produisent tes faits extraordinaires, mais cela est-il bien nécessaire ? J’ai vu se produire chez certains sujets des symptômes d’hystérie des plus graves, sans aucun prodrome, je les ai vus persister durant des mois, même des années, puis disparaître et guérir sans que le sujet présente encore rien d’anormal.
Extraordinaire est non seulement l’influence de la suggestion, mais aussi sa manière d’agir et tous les médecins connaissent de ces cas qui ne se sont manifestés que par un seul symptôme laissant en dehors de cela au malade, l’aspect d’une santé parfaite. Et je ne crois pas qu’il soit excessif de dire que chez des sujets même d’apparence tout à fait normale, on puisse rencontrer, du fait de la suggestibilité, une possibilité de produire à certaines époques de leur existence des symptômes ou des phénomènes d’apparence extraordinaire. Le symptôme, le phénomène mérite le nom d’hystérique parce qu’il est la conséquence d’une suggestion d’une grande puissance, mais en dehors de ce symptôme déterminé, il peut n’exister aucune autre manifestation d’hystérie. J’irai même jusqu’à dire que consciemment ou inconsciemment, certains sujets font les manifestations hystériques qu’ils souhaitent et dans la mesure et la durée où ils veulent.
Nous arrivons ainsi à la conclusion de cette étude que j’ai dû faire nécessairement assez brève et de ce fait un peu superficielle. L’étude du cas de Louise Lateau nous montre incontestablement que des stigmates peuvent se produire chez certains sujets en dehors de toute supercherie. Mais si à l’heure actuelle, nous n’en connaissons pas encore le mécanisme physio-pathologique exact, nous pouvons et nous devons affirmer que leur production n’est pas en dehors des possibilités de la nature. Il n’est pas même [p. 92] nécessaire que le sujet stigmatisé soit atteint d’une affection nerveuse bien caractérisée, il suffit d’admettre chez lui un système végétatif particulièrement sensibilisé qui obéit à des influences qui restent sans effet chez la grande majorité de sujets normaux. Si telle est la réalité, on doit admettre que les stigmates en eux-mêmes ne peuvent avoir de valeur réelle pour juger du caractère des visions ou d’autres phénomènes qui les accompagnent. Si telle est la réalité, les stigmates ne sont autre chose que des manifestations extérieures pathologiques, témoins de la puissance d’une idée ou d’une suggestion et de la sensibilité particulière de l’organisme sur lequel cette idée s’exerce (1)
Dr PAUL VAN GEHUCHTEN,
Professeur de Neurologie
à l’Université de Louvain.
Note
(1) On trouvera toute la bibliographie concernant Louise Lateau dans le travail très documenté de M, le chanoine A. THIERRY, Nouvelle Biographie de Louise Lateau. Louvain, Imprimerie Nova et Vetera (6 volumes 1915-1921).
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