Georges Surbled. Puissance de l’imagination. Sueur de sang et Stigmates sacrés. Extrait de la « Revue des questions scientifiques », « Louvain », deuxième série, tome XIV, juillet 1898, juillet, pp. 34-53.
Absent de la bibliographe de La Science des rêves de Freud. – Troizième partie d’une série de trois dont les deux premiers sont déjà sur notre site.
Georges Surbled (1855-1913). Médecin polygraphe défenseur du spiritualisme traditionnel, il participe à des nombreuses revue, en particulier dans La Revue du Monde Invisible fondée et dirigée par Elie Méric, qui parut de 1898 à 1908, soit 10 volumes et La Science catholique, revue des questions sacrées et profanes… dirigée par J.-B. Jauget et dirigée par l’abbé Biguet de 1886 à 1910.
Quelques unes de ses publication :
— Le Rêve. Étude de psycho-physiologie. Partie 1. Extrait de le revue « La Science catholique », (Paris), 9e année, n°6, 15 mai 1895, pp..481-491. [en ligne sur notre site]
— Le Rêve. Étude de psycho-physiologie. Partie 2. Extrait de le revue « La Science catholique », (Paris), 9e année, n°7, 15 juin 1895, pp. 581-592. [en ligne sur notre site]
— Le Rêve.Étude de psycho-physiologie. Partie 3. Extrait de la revue « La Science catholique », (Paris), 9eannée de la Deuxième n°8, 15 juin 1895, pp. 677-688. [en ligne sur notre site]
— Origine des rêves. Extrait de la « Revue des questions scientifiques », (Bruxelles), deuxième série, tome VIII – juillet 1895 (dix-neuvième année, tome XXXVIII de la collection), pp. 541-565. [en ligne sur notre site]
— Le mystère de la télépathie. Article parut dans la « Revue du monde invisible », (Paris), première année, 1898-1899, pp. 14-24. [en ligne sur notre site]
— Le diable et les médiums. Partie 1. Extrait de la revue « La Science catholique », treizième année, 3e année de la Deuxième série – 1898-1899., n°1, 15 décembre 1898, pp. 61-71. [en ligne sur notre site]
— Le diable et les médiums. Partie 2. Extrait de la revue « La Science catholique », treizième année, 3e année de la Deuxième série – 1898-1899., n°2, 15 janvier 1899, pp. 113-123. [en ligne sur notre site]
— La stigmatisée de Kergaër. Article parut dans la revue « Le Monde invisible », (Paris), 1899, pp.104-107. [en ligne sur notre site]
— Obsession et possession.] Article paru dans la « Revue des sciences ecclésiastique- Revue des questions sacrées et profanes… Fondée par l’abbé J.-B. Jaugey, continuée sous la direction de M. L’abbé Duflot », (Arras et Paris, Sueur-Charruey, imprimeur-libraire-éditeur), n° 15, décembre 1897, pp. 46-58. [en ligne sur notre site]
— Crime et folie. Extrait de la revue « La Science catholique », (Paris), 15 octobre 1900, p. 997-1005. [en ligne sur notre site]
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
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PUISSANCE DE L’IMAGINATION
Sueur de sang et Stigmates sacrés
La puissance de l’imagination n’est plus à démontrer : chacun croit l’estimer exactement, en connaître la vaste étendue, et tous la célèbrent à l’envi avec un enthousiasme lyrique. C’est au point qu’on peut se demander si elle a des limites, si elle n’est pas infinie. Ne le croirait-on pas en entendant raconter partout les faits les plus prodigieux, les cas les plus rares, les plus extraordinaires qu’on rapporte tout naturellement à l’imagination comme à leur seule et véritable cause ? Le fameux chancelier qu’on qualifie encore pompeusement de restaurateur de la science moderne et qui n’était au fond qu’un esprit fin, original et surtout paradoxal, François Bacon, a caractérisé l’engouement commun pour les vertus de l’imagination et en a donné la mesure en proposant sérieusement le problème suivant :
L’imagination n’est-elle pas assez forte pour faire fleurir des nèfles en vingt-quatre heures ?
L’expérience a-t-elle été faite ? Le problème a-t-il été résolu ? L’histoire ne le dit pas, et pour cause ; mais le trait de Bacon n’est pas stérile pour cela ; il montre clairement la nécessaire défiance qu’en doit avoir à l’égard des qualités supérieures que l’imagination s’attribue à elle-même, et l’impérieux devoir pour la raison de fixer les justes bornes de son incontestable pouvoir. [p. 35]
L’imagination ne s’exerce pas seulement dans son domaine propre, elle agit au dedans de nous et au dehors, sur l’intelligence, sur la volonté, sur l’organisme, sur le monde extérieur ou plus exactement sur nos semblables, et dans ce dernier cas par imitation et suggestion. Il faudrait de longues pages, tout un volume, pour la suivre sur ces terrains si divers. Nous voulons nous limiter ici à une partie déterminée du corps vivant, à la peau et voir si, comme on l’a prétendu récemment, l’imagination peut y provoquer des hémorragies, des sueurs de sang ou des stigmatescomparables à ceux du Sauveur.
I
L’influence du cœur, c’est-à-dire des passions sur la face est bien connue ; mais il ne faut pas oublier que l’imagination y a sa part, et, pour bien dire, une large part, et la première. Les passions ne se mettent pas d’elles-mêmesen mouvement, elles doivent être éveillées et excitées par l’imagination. C’est donc cette faculté qui est cause des changements de couleur que présente la face et qui traduisent si bien l’état de l’âme. La peur paralyse le sentiment, précipite les battements du cœur et donne au visage une pâleur soudaine et caractéristique ; la honte, la colère, par un effet contraire, provoquent une rougeur éclatante. Ces alternatives singulières, qui se suivent parfois de très près, ont été expliquées depuis longtemps par la contraction et la dilatation des vaisseaux capillaires de la peau sous l’action des nerfs vaso-moteurs et constituent de simples troubles de la circulation sanguine, sans la moindre lésion organique : elles sont dues au soulèvement violent des passions et sont absolument indépendantes de la volonté.
Il y a longtemps que le P. de Bonniot a montré que l’imagination, même avec le concours des passions, ne [p. 36] sort pas du cadre physiologique et que son action ne dépasse jamais celle des nerfs. Nous aimons à citer le témoignage de ce savant philosophe qui corrobore tellement le nôtre.—l’influence de l’imagination, écrit-il, s’exerce par les passions qu’elle a la propriété d’exciter avec une facilité extrême. La tristesse tour la digestion, rend malade : la peur et exaltation de la joie peuvent donner la mort. Les mouvements volontaires se rattachent fréquemment à la même cause : on rit, on saute, on chante, on bat des mains, par ce que l’imagination réveille la crainte, la gaieté, le sentiment de l’harmonie, l’admiration. La pâleur, la rougeur soudaine du visage, les battements pressés du cœur, le tremblement des membres, tout ce qui tranche sur la couleur habituelle de la vie organique témoigne de la puissance de l’imagination. Mais gardons-nous de rien exagérer. L’imagination agit sur les passions et, par les passions, sur le système nerveux ; son action a pour limite la limite même de l’action des nerfs. Par les nerfs de la sensibilité, elle exalte ou déprime les sensations ; elle ne crée pas de nouvelles manières de sentir. Par les nerfs moteurs, elle active ou modère les mouvements généraux ou particuliers de l’organisme ; elle dilate ou resserre les vaisseaux, accumule ainsi ou bien dissipe les humeurs, en accélère ou en ralentit le cours : elle accroît ou diminue, si je puis parler de la sorte, l’énergie des phénomènes ordinaires, elle n’en change pas la forme (1).
Comme le dit justement le P. de Bonniot, les faits imputables à l’imagination ne dépassent jamais le pouvoir des nerfs ; et il est facile, à la lumière de l’observation, de préciser leur nature. La sensibilité de la peau s’éveillera, par exemple, sans excitation externe : on sentira subjectivement. C’est ce qu’on peut appeler une hallucination [p. 37] cutanée. Certaines personnes éprouvent ainsi, dans une région limitée, des impressions subtiles, des chatouillements, des picotements, quelquefois une véritable douleur : ce sont des sensations absolument subjectives, mais très nettement constatées, et que l’imagination est capable de produire. De même que la face se couvre de pâleur ou de rougeur sous une passion vive, nous admettons que des points de la peau peuvent être atteints de rougeurs, de véritables érythèmes, soit par une suggestion intense, soit par le seul effet de l’imagination. Ces phénomènes sont très rares, et leurs conditions mal établies ; mais nous les tenons pour possibles.
Nous sommes, pour la plupart, incapables, avec la meilleure imagination du monde, de faire venir à notre gréune rougeur ou un bouton sur une partie quelconque de la peau.
Nous sommes tous impuissants à provoquer volontairement, sans aucune action extérieure, une hémorragie cutanée, des stigmates sanglants aux mains et aux pieds.
Voilà renseignement qui résulte de l’observation et que la science ne permet pas de contredire.
Tous les profanes, même les philosophes ne s’y rendent pas aisément et se persuadent qu’à l’imagination tout est possible. C’est ainsi que, dans un livre récent, le R. P. Coconnier n’hésite pas à lui attribuer les sueurs de sang et appuie sa thèse d’arguments singuliers que nous devons reproduire malgré leur longueur, parce qu’ils traduisent bien le sentiment vulgaire et appellent une réfutation nécessaire.
« Pour se convaincre, écrit-il, qu’une imagination vivement excitée peut produire, en certains sujets, des exsudations sanguines ou autres phénomènes semblables, il suffit de se rappeler ce que l’expérience vulgaire, ce que tous les livres de psychologie et de physiologie qui traitent de « l’action du moral sur le physique » nous disent du pouvoir surprenant de cette faculté et de ce qu’elle opère, [p. 38]soit par elle-même, soit par les autres puissances quelle met en œuvre. Qui n’a entendu ces formules, répétées jusqu’à devenir banales : l’imagination, par ses tableaux, dilate le cœur ou le serre, accélère ses mouvements ou les ralentit, jette le sang au visage ou le refoule à l’intérieur, glace d’épouvante, enflamme de colère, donne des nausées, provoque la sueur brûlante ou froide, fait blanchir les cheveux dans une nuit, cause ou guérit des maladies très réelles, arrête ou stimule l’action des nerfs, enfin, par la rupture violente des vaisseaux sanguins dans les régions cardiaques ou cérébrales, amène une crise fatale ou tue à l’instant même ?
Et les exemples suivent, innombrables ; et on ne manque pas surtout de vous rappeler ces paroles de Flaubert écrivant à Taine : « Mes personnages imaginaires m’affectent, me poursuivent, ou plutôt c’est moi qui suis en eux. Quand j’écrivais l’empoisonnement d’Emma Bovary, j’avais si bien le goût d’arsenic dans la bouche, j’étais si bien empoisonné moi-même, que je me suis donné deux indigestions, coup sur coup, deux indigestions très réelles, car j’ai vomi tout mon diner » ; et l’on vous parle de ces hypocondriaques qui, à force de se croire malades, le sont devenus très gravement, ou de ces goutteux en pleine crise qu’un incendie ou un accident de chemin de fer dont ils allaient être victimes ont subitement rendus ingambes ; et l’on vous cite les effets prodigieux des pilules de mie de pain solennellement administrées à des malades réfractaires aux médications les plus énergiques ; et ce jeune ouvrier-imprimeur de Bordeaux qui, se croyant épileptique, parce qu’il avait été mordu par un chien que tout le monde à l’atelier disait être atteint d’épilepsie, souffrit pendant plusieurs mois d’accès effroyables, jusqu’à ce que M. le professeur Pitres le guérit radicalement d’un seul coup, en lui persuadant qu’il allait lui administrer le remède de Pasteur, alors qu’il lui injecta tout simplement sous la peau de l’avant-bras un centimètre [p. 39] cube d’eau stérilisée ; et cette femme à qui une vive contrariété fit vomir le sang ; et ce mot bien connu du médecin John Hunter : « Ma vie est à la merci du premier gredin qui voudrait me faire mettre en colère », mot très juste, puisque l’infortuné docteur mourait, peu de temps après, subitement dans un accès de colère ; et enfin l’histoire de cette pauvre mère qui, apprenant que sa fille venait d’échapper à un horrible danger, tomba frappée d’apoplexie, tuée par la terreur et par la joie( ?).
« Au récit de tous ces faits et de milliers d’autres semblables, une réflexion naît spontanément dans l’esprit. Si l’imagination est si puissante, comment ne pourrait-elle pas, supposé que son activité soit dirigée dans ce sens, produire des hémorragies et des exsudations à la surface du corps ? Quoi donc ! elle peut créer des maladies, corrompre les humeurs, « tourner le sang », suivant l’expression populaire si énergique et si vraie, produire des lésions organiques internesd’une extrême gravité, rompre les vaisseaux sanguins du cerveau et des poumons, briser le cœur, et elle serait incapable de distendre le tissu des vénules et d’élargir les pores de la peau, de manière à donner passage à quelques gouttelettes de sang ? Mais cela est contraire à toute vraisemblance et à toute raison ; car qui peut le plus peut le moins. Or, rompre une veine et tuer, est certainement plus que distendre seulement un tissu, ouvrir les pores, et causer une légère hémorragie (2). »
La physiologie enseigne-t-elle, comme l’affirme témérairement notre auteur, que l’imagination altère et décompose le sang, attaque et brise les existences humaines ? Nullement, et ce n’est pas l’unique citation qu’on nous oppose qui pourrait nous convaincre. « L’imagination, a dit le Dr Bosquillon, est une sorte de virus,qui peut tuer et tue souvent. » Cet excellent naturaliste, professeur de [p. 40] sciences accessoires à la Faculté de médecine de Paris, a voulu rire et ne sera pris au sérieux par aucun savant. L’imagination n’a jamais tué personne.
A-t-elle la puissance de rompre une veine ou une artère, de causer une apoplexie ? Pas davantage, et tous ceux qui sont initiés à l’anatomie pathologique savent bien les causes déterminantes des apoplexies. Un vaisseau sain, dont les parois sont histologiquement intactes, ne se rompt pas, même avec le concours des plus violentes passions et de la plus ardente imagination. Pour que cet accident arrive, une condition préalable est absolument nécessaire : c’est la lésion des parois vasculaires qui résulte d’un trouble ancien de la nutrition, c’est l’athéromedes tuniques artérielles. Voilà la vraie cause de l’hémorragie subite qui brise le cours de la vie ou la compromet gravement : la violence des passions, la force de l’imagination n’en sont que l’occasion prochaine et la condition seconde.
L’imagination n’est pas capable d’altérerni de décomposerle sang : aucun physiologiste du moins ne lui a reconnu ce pouvoir, et le P. Coconnier en est réduit, pour établir sa thèse, à invoquer l’enseignement du passé, à s’appuyer sur les auteurs du moyen âge et sur saint Thomas en particulier. L’autorité de ces auteurs est bien faible en matière scientifique, et l’argument du Magister dixitn’est vraiment pas de mise ici. Saint Thomas enseigne formellement, comme le P. Coconnier, que l’imaginationseule peut quelquefois créer des maladies ou les guérir. Les physiologistes de profession, ajoute notre dominicain, remarqueront la portée effrayante des textes du saint docteur. « A l’imagination, dit-il, si elle est forte, le corps obéit naturellement en plusieurs choses : par exemple, dans les altérations organiques qui se font par la chaleur et par le froidet ce qui s’ensuit. C’est qu’en effet de l’imagination naissent les passions de l’âme qui ont leur retentissement dans le cœur : d’où il résulte, par l’agitation des esprits, que tout le corps est altéré… De ce que l’âme [p. 41] imagine quelque chose et en est vivement frappée, il s’ensuit quelquefois une modification dans le corps d’où résulte la santé ou la maladie sans l’action des agents matériels qui normalement causent la maladie ou la santé,… Le corps peut être modifié et changé en dehors des agents physiques, principalement par une imagination fixe, en suite de laquelle le corps s’échauffe soit par les désirs, soit par la colère, ou même EST ALTÉRÉ JUSQU’À LA FIÈVRE ET À LA LÈPRE. »
Arrêtons-nous ici pour demander sérieusement au P. Coconnier s’il croit, comme son maître, à la lèpre imaginativeet aux noirs forfaits du même genre dont serait coupable la « folle du logis ». Les savants ont l’audace de ne pas les admettre, et même d’en rire, loin d’en avoir peur. Saint Thomas avait la science de son temps ; s’il vivait de nos jours, il serait le dernier à attribuer à l’imagination des vertus nocives, une puissance disproportionnée et injustifiable ; il serait le premier à accepter la science actuelle, à connaître et à défendre la théorie microbienne, le premier à savoir que la lèpre a pour générateur un bacille et non la faculté sensible. Ce qu’il faut garder et développer, du célèbre Docteur, c’est son superbe enseignement philosophique, qui brave le temps et la critique, et non ses opinions médicales ou physiologiques qui n’ont plus de valeur et qu’il serait encore une fois le premier à abandonner. On sert bien mal sa grande mémoire en rappelant ainsi ses erreurs, en les défendant sans mesure ni raison, et en en faisant des armes offensives contre la science de la nature et contre la vérité.
II
La sueur de sang ou hématidroseest un phénomène étrange, extraordinaire. Le seul exemple authentique et indiscutable qu’en rapporte l’histoire est celui de Notre [p. 42] Seigneur Jésus-Christ au jardin des Oliviers. La sueur de sang du Sauveur paraît singulière, mais n’est sans doute qu’un phénomène naturel. Les anciens théologiens n’hésitent pas à le déclarer, et le P. Coconnier nous fait connaître leur concordant témoignage.
« Je dis, écrit Suarez, que, sans miracle spécial, le Christ Jésus sua le sang, par la violence de la tristesse et de l’agonie qu’il souffrit dans sa prière… Cela peut s’expliquer, comme le fait Cajetan, par une raison naturelle et physique. Car, de même qu’une grande émotion produit violemment la sueur, ainsi une émotion intense, si les sources de la sueur sont taries, peut faire sortir le sang (?)… Le corps du Christ était affaibli et épuisé ; il put dès lors se faire que, la sueur étant tarie, le sang coulât, chassé par la violence de la peine intérieure (?). »
« Bien qu’il y en ait, dit un autre maître de la Compagnie de Jésus, Maldonat, qui pensent que la sueur de sang du Christ a été un miracle, j’estime plutôt que cette sueur fut naturelle. Aristote affirme que le fait peut se produire naturellement, et que, de vrai, il s’est produit ; et la raison enseigne, en effet, que, dans les hommes d’une constitution exceptionnellement délicate, ce phénomène peut avoir lieu(!). Pourquoi, de même que nous voyons des hommes saisis d’une frayeur subite se couvrir de sueurs, le Christ, dont le corps était si délicat, n’aurait- il pas naturellement sué du sang, au spectacle de l’ignominieux supplice qui l’attendait ? »
Le savant bénédictin Dom Calmet s’est occupé aussi de la sueur de sang de Jésus-Christ et lui a consacré toute une dissertation : il épouse complètement le sentiment de Suarez et de Maldonat. « L’opinion commune des théologiens, écrit-il, enseigne que cette sueur de sang fut naturelle, mais coula plus violemment et en plus grande abondance que cela n’arrive d’ordinaire. Et, de fait, les exemples abondent (?) d’une sueur de sang se produisant, sans miracle, sous le coup d’une frayeur subite. » [p. 43]
Le grand pape Benoît XIV s’en réfère absolument sur ce point à l’opinion de Dom Calmet. « Si quelqu’un, écrit- il, veut connaître des exemples de sueurs de sang et de larmes de sang, ayant coulé sans miracle aucun, il peut lire sa dissertation d’une érudition vraie… D’autres faits sont aussi rapportés par Marcel Donat et Réjès, lesquels démontrent parfaitement que des larmes et des sueurs de sang ont coulé naturellement, non seulement quand il y a eu maladie du corps, mais simplement par tristesse et peine d’esprit… Puis donc que des sueurs de sang et des larmes de sang ont pu naturellement, en certains hommes, résulter de certains états d’âme violents, le Christ Jésus, sous le poids de l’affliction, a bien pu, sans miracle, verser des gouttes de sang coulant jusqu’à terre. »
Il résulte de ces textes autorisés que la sueur de sang, même chez Jésus-Christ, n’est pas nécessairement miraculeuse, et qu’il est permis d’en chercher la cause dans la physiologie. Mais, il faut l’avouer, cette cause naturelle n’est pas révélée, elle est encore indéterminée, et l’hématidrose reste un phénomène aussi merveilleux qu’inexplicable. Quoi qu’en disent nos savants théologiens, la frayeur et l’affliction, la tristesse et la peine d’esprit ne suffisent pas à produire — ni à expliquer — la sueur de sang ; et ce qui le prouve, c’est que ces passions sont communes à tous les hommes, excessives chez beaucoup, et que la sueur de sang est absolument exceptionnelle. Dom Calmet affirme bien, sur la foi d’autrui, que les exemples abondent ; mais la science actuelle, plus exigeante, n’arrive pas à en réunir quelques cas authentiques. Les observations positives de sueurs de sang manquent ; celles d’hémorragie légère, de suintement sanguinolent par la peau se comptent, et plusieurs sont très contestables. Admettons cependant l’existence de la sueur de sang, mais considérons-la comme des plus rares.
Cette sueur de sang, acceptée pour possible et naturelle, s’explique-t-elle scientifiquement ? Il est bien difficile [p. 44] de répondre affirmativement ; car, de toutes les hypothèses proposées pour rendre raison du singulier phénomène, aucune n’est vraiment satisfaisante. La plus probable se rattache à l’ordre pathologique et attribue l’hématidrose à un vice constitutionnel, à l’hémophilie. Mais, comme nous l’avons démontré ailleurs, l’effet n’est nullement en rapport avec la cause prétendue. « L’hémophilie est une affection rare, et les hémorragies profuses, fréquentes, graves, qui la traduisent ont toujours pour siège la muqueuse mince et friable. C’est ainsi que l’hémophilique perd abondamment le sang par les narines, la bouche, les yeux, la gorge, l’estomac, etc., etc., mais jamais par la peau saine et intacte. Aucune raison n’autorise à regarder comme hémophiliques les sujets qui éprouvent des sueurs des sang. Dans le passé, la vérification est difficile et n’a jamais pu être faite, mais de nos jours les observations recueillies avec soin établissent sans contestation possible que les sueurs de sang se produisent chez des sujets exempts d’hémophilie (3). »
Si les maladies du corps n’en rendent pas compte, les facultés normales, la sensibilité comme la volonté, sont encore plus impuissantes à les expliquer. On ne saurait, avec les anciens auteurs, attribuer l’hématidrose à l’effort d’une imagination ardente et concentrée. La science n’a encore enregistré que deux ou trois observations, plus ou moins contrôlées, de transpiration sanguinolente survenue à la suite d’émotions violentes ; et toutes réserves doivent être faites sur ces cas extraordinaires qui remontent à une époque éloignée. L’imagination ne suffit pas à créer la sueur de sang ; et ce qui le démontre bien, c’est que, sur le terrain expérimental, on n’invoque qu’un seul fait, celui des Dr Bourru et Burot, dont la valeur est très discutée et très discutable.
Nos confrères de Rochefort sont arrivés à produire [p. 45] une hémorragie cutanée très légère (quelques gouttes de sang) par suggestion chez un jeune malade hypnotisé. Mais il faut noter que ce cas d’hématidrose nettement provoqué n’a rien de comparable avec ceux que l’on prétend expliquer. « Le sujet était dermographique, et le sang ne suinta au commandement des expérimentateurs que sur certains points parcourus préalablement par leur stylet mousse. Sans le dermographisme du malade, sans l’action mécanique du stylet, il est incontestable que l’hémorragie n’aurait pas eu lieu : l’imagination n’en est pas la cause. De plus, le suintement laborieux de quelques gouttes de sang ne constitue pas la sueur de sang. Enfin il est nécessaire de s’en tenir à la règle si sage : Testis unus, testis nullus. »
De guerre lasse, on s’est rejeté sur les analogies et on a fait le raisonnement suivant : Si l’imagination peut produire une rougeur, une cloque à la peau, elle peut aussi y amener une hémorragie. Or la science rapporte des cas authentiques d’ecchymoses par suggestion, de vésication psychique. Donc l’imagination est aussi capable de causer l’hématidrose. — Nous ne nous attarderons pas à réfuter ce raisonnement boiteux, et nous nous bornerons à remarquer que l’imagination n’est pas ici en cause, et que les faits invoqués manquent de garantie et de contrôle et attendent encore leur explication. « D’ailleurs, les rougeurs, les ecchymoses, la vésication même de la peau ne sauraient se comparer avec la rupture des capillaires et l’extravasation du sang : elles n’ont jamais amené la sueur de sang. Il n’est pas possible d’établir une parité entre des faits aussi différents, et il faut avouer notre ignorance des causes et de la nature de l’hématidrose (4). » [p. 46]
III
L’imagination, incapable de rendre raison de la sueur de sang, l’est encore plus d’expliquer les stigmates sacrés qui s’observent de loin en loin et qui sont absolument remarquables. On sait que le phénomène de la stigmatisation consiste dans l’apparition sur plusieurs points du corps de petites plaies vives, inodores, qui ne suppurent pas, persistent plus ou moins longtemps et donnent à certains jours, pendant quelques heures, un écoulement sanguin. Les plaies se produisent régulièrement aux pieds, aux mains, au côté, à la couronne de la tête, tout comme chez le Dieu fait homme, Notre Seigneur Jésus-Christ : elles saignent de préférence le vendredi. Ces stigmates sacrés, qui rappellent nettement ceux de la Passion, sont bien faits pour émouvoir et frapper les foules, pour captiver et intéresser les savants. Nul ne songe à les contester ; mais on se demande curieusement s’ils ont une origine naturelle ou non.
De toutes les hypothèses que la science a proposées pour en rendre raison, la plus connue et la plus vraisemblable est celle qui repose sur l’imagination ; mais l’expérience, seule souveraine en la matière, établit qu’elle est inacceptable. Certes l’imagination a un grand rôle dans la vie, une incontestable action sur nos différentes facultés ; mais il ne faut pas exagérer ses effets, étendre indéfiniment son pouvoir. Que Ion puisse, en concentrant fortement et longtemps l’attention sur un point du corps, y provoquer des fourmillements, un picotement aigu, une véritable douleur, nous l’admettons, bien qu’il ne soit pas donné à tout le monde d’arriver à ce résultat et de pouvoir le vérifier. Mais on n’obtient pas davantage ; et on n’arrive pas, avec la meilleure volonté du monde, à déterminer à son gré, sur une partie déterminée de la peau, des plaies, des hémorragies, tout le cortège caractéristique [p. 47] des stigmates. Entre la douleurque nous croyons à la rigueur possible et le stigmateque nous déclarons irréalisable au gré de la volonté, il y a un abime qu’il faut décidément voir et proclamer.
Un savant professeur de Nancy, le Dr Beaunis, prétend qu’il suffit de regarder attentivement une partie de son corps, d’y penser fortement pendant un certain temps, pour y éprouver des sensations indéfinissables, des ardeurs, des battements ; et il formule aussitôt cette conclusion : « Donc, c’est à l’imagination des mystiques du moyen âge que sont dues les sueurs de sang et les plaies dont le front, les mains et les pieds étaient le siège aux heures d’extase. » Il est regrettable de relever un pareil raisonnement sous la plume d’un professeur : on ne l’accepterait pas d’un élève. Que M. Beaunis regarde attentivement son côté gauche et qu’il y pense longtemps, fortement, et il verra s’il y fait venir une plaie profonde avec une hémorragie périodique.
Tous les savants, empressés d’expliquer physiologiquement les stigmates, oublient de se renseigner sur la genèse et l’histoire des plaies sacrées ; de là, leurs erreurs et leurs mécomptes. A les en croire, les stigmatisés seraient des névropathes, des hystériques, des détraqués, à l’imagination ardente, aux passions exaltées, que la vie contemplative et claustrale, que les habitudes de macération surexciteraient au delà de toute mesure. Ils concentreraient perpétuellement leur attention sur l’image du divin Crucifié, désirant participer à sa douloureuse Passion, et arriveraient ainsi à s’identifier avec Lui, à partager ses peines et ses plaies. Cette singulière théorie, qui fait appel à la fois à l’imagination, à la volonté et à l’autosuggestion, n’a pas la moindre base dans les faits. La parfaite indifférence que les stigmatisés éprouvent pour les plaies dont ils sont atteints, est le trait capital de leur histoire morale.
« Depuis la sublime et mémorable tragédie du Calvaire, [p. 48] d’innombrables chrétiens, au tempérament nerveux, ont compati aux souffrances de leur Maître, ont désiré partager son supplice, mourir avec lui, lui devenir en tout semblables, sans pour cela devenir stigmatisés. Ceux qui ont reçu ces marques merveilleuses du crucifiement — et ils sont relativement très rares — ne les ont subies qu’avec crainte et surprise : ils ne les ont pas voulues, ils ne les ont pas demandées. La plupart ont été épouvantés d’une telle faveur et ont supplié Dieu avec instances, avec larmes, non pas de supprimer la douleur qui expie, mais de faire disparaître la marque sacrée qui honore. Ceux qui, comme saint François, ont dû garder toute leur vie les stigmates, ont tout fait pour en dérober la vue non seulement aux profanes, mais à leurs proches parents, à leurs frères ; ils en faisaient un secret plein de suaves douleurs et n’ont jamais cherché à en tirer vanité ou profit. Dès lors, comment expliquer la stigmatisation par l’acuité du désir ou la force de la volonté ? La violence des passions ne saurait rendre compte de la formation de plaies qu’on n’avait pas demandées, qu’on ne recherchait point, qu’on cachait au contraire soigneusement aux yeux de tous, et dont la présence était un objet de crainte et de frayeur. Si la volonté avait eu une action sur les stigmates, elle les aurait fait disparaître, loin de les provoquer. Nombre de stigmatisés ont multiplié en vain leurs supplications pour obtenir la suppression des marques sacrées qui les désignaient à l’attention et à l’admiration des hommes : ce qui prouve nettement que, de ce côté, la volonté est radicalement impuissante.
« Le témoignage des stigmatisés est d’ailleurs très catégorique. Tous affirment que les plaies ont surgi sans leur consentement, presque inconsciemment. La plupart déclarent qu’elles sont nées d’une cause extrinsèque, d’une vision extérieure, et non pas, comme on l’a prétendu, d’une concentration intime, d’une sorte d’intuition (5). [p. 49]
Enfin un dernier argument très fort est fourni par l’histoire, et notre confrère le Dr Imbert-Gourbeyre l’a justement fait valoir : « Les libres penseurs n’ont pas songé, dit-il, que la stigmatisation n’avait commencé que le 17 septembre 1222, et qu’elle avait fait silence pendant les douze premiers siècles de l’ère chrétienne. Or, jamais l’imagination ne fut plus en puissance de produire les stigmates que dans ces siècles de foi, surtout aux siècles de persécution, alors que les chrétiens poussaient la folie de la croix jusqu’au martyre, jusqu’à donner leur vie pour ce Jésus crucifié dont l’image était actuellement sous leurs yeux et dans leur cœur. Est-ce que ce silence de douze siècles, pour tout homme de bon sens, ne prouve pas que l’imagination n’a jamais fait de stigmates ? (6)
Que l’imagination soit active, puissante, capable de déterminer des sensations pénibles, des impressions douloureuses dans des points limités du corps, nous l’avons dit, mais c’est tout ce qu’il est possible d’admettre, et il faut décidément souscrire aux sages paroles de saint François de Sales qui font la juste part à la nature, aux causes secondes dans la stigmatisation de saint François d’Assise : « L’imagination était appliquée fortement à se représenter les blessures et les meurtrissures que les yeux regardaient alors si parfaitement bien imprimées en l’image présente ; l’entendement recevait les espèces infiniment vives que l’imagination lui fournissait ; enfin, l’amour employait toutes les forces de la volonté pour se complaire et se conformer à la passion du Bien-Aimé, dont l’âme sans doute se trouvait toute transformée en un second crucifix. Or, l’âme, comme forme et maîtresse du corps, usant de son pouvoir sur iceluy, imprima les douleurs des playes dont elle était blessée es endroits correspondants à ceux esquels son amant les avait endurées… L’amour donc fit passer les tourments intérieurs de ce [p. 50] grand sainct François jusques à l’extérieur, et blessa le corps d’un même dard de douleur duquel il avait blessé le cœur. Mais de faire les ouvertures en la chair par dehors, l’amour qui était dedans ne le pouvait pas bonnement faire(7). » Voilà, marqués avec autant de simplicité que de justesse, le rôle et la mesure de l’imagination : elle ne crée pas le stigmate, mais peut faire naître la douleur.
Telle est la position que nous avons prise et que nous avons exactement gardée dans la controverse savante qu’a provoquée, il y a quelques années, l’important ouvrage du Dr Imbert-Gourbeyre et qui a amené les travaux du Dr Ferrand (8) et les nôtres (9). Le P. Coconnier, qui explique si facilement les hémorragies cutanées, n’a pas eu connaissance de ces discussions intéressantes qui ont honoré notre foi et n’ont pas été sans profit pour la science : il aurait pu en tirer quelque lumière, et se convaincre que la physiologie n’a pas dit son dernier mot, ni même son premier sur ces palpitants problèmes.
Nous nous sommes trouvés d’accord, M. le Dr Imbert- Gourbeyre et nous, pour soutenir que la science actuelle ne donne pas l’explication plausible des stigmates et que tout appel à l’imagination est vain et illusoire. Notre confrère de Clermont-Ferrand en a conclu un peu vite au surnaturel, et sur ce point nous avons refusé de le suivre, nous tenant dans la prudente réserve que commande l’état de nos connaissances.
M. le Dr Ferrand qui, au début de la polémique, se séparait de nous en attribuant nettement à la faculté sensible l’origine des stigmates, a dû plus tard se rendre à l’évidence des faits et nous accorder d’importantes concessions qui rapprochent singulièrement son sentiment du nôtre. Il abandonneen pratiquedes opinions qu’il épouse fermement en théorie : et c’est à juste titre, car sur le [p. 51] terrain scientifique le dernier mot appartient toujours aux faits.
C’est ainsi que le Dr Ferrand pense que « l’imagination a sur la vie végétative une puissance considérable, puissance dont nous ne pouvons peut-être pas mesurer tout l’effet, mais que démontrent une foule de faits d’observation et que le raisonnement suffirait à prévoir ». Il n’hésite pas à concevoir et à marquer la marche du processus qui manifeste cette puissance : « L’image, fortement imprimée dans les circonvolutions cérébrales, retentit sur les ganglions de la base du cerveau qui sont le siège de la sensation proprement dite (?), et, de là, sur le système nerveux périphérique, au point de s’y manifester par des mouvements analogues à ceux que détermine une impression venue du dehors. Et cette modification nerveuse, produite du dedans au dehors, peut modifier les fonctions des organes et même en altérer la nutrition. L’expérience faite au moyen des procédés les plus sensibles, montre que l’idée d’un mouvement, fortement imprimée dans l’imagination, provoque dans les organes périphériques que ce mouvement mettrait en jeu, une tension particulière et une modification incontestable, alors même que le mouvement n’est pas effectué d’une manière sensible pour le dehors… L’imagination ne va pas sans exercer une modification bien démontrée sur le système nerveux ; non seulement elle implique une participation du système nerveux central à ses opérations, mais elle agit encore sur le système nerveux périphérique, et, par l’intermédiaire des nerfs, elle peut modifier plus ou moins profondément la nutrition des organes(10). »
Ainsi traitée dans ses généralités et au point de vue rationnel, la question n’est pas discutable, elle nous paraît très mal posée. Nul ne méconnaît l’action possible, quoique très limitée, de l’imagination sur les vaso-moteurs, [p. 52] sur la circulation et, par suite, sur la nutrition ;s organes ; mais l’important serait de définir exactement cette action et surtout de préciser ses bornes. C’est ce que notre confrère se garde bien de faire, et pour cause : les faits actuellement recueillis par la science sont insuffisants pour nous éclairer. Mais ces faits portent un enseignement qu’il n’est pas permis de négliger. Oui ou non, l’imagination peut-elle faire une plaie en un point déterminé de la peau, peut-elle y créer un stigmate de toutes pièces ? Toute la question est là, et, quand M. le Dr Ferrand y arrive, il ne la résout pas autrement que nous.
« M. le Dr Surbled accepte, écrit-il, que l’imagination peut créer une douleur, mais non un stigmate. Il serait plus prudent et plus exact de dire : Oui, l’imagination peut créer une douleur, mais on n’a pas prouvé quelle pût créer un stigmate. J’ajouterai qu’on n’a pas prouvé non plus que ce soit là un fait matériellement impossible. Et s’il est vrai que la douleur la plus subjective peut altérer la nutrition des organes auxquels le sujet sentant rapporte cette douleur, rien n’empêche de croire que cette altération puisse atteindre jusqu’au point de déterminer une sorte de plaie(?), là où le sujet croit la ressentir. Ce n’est donc pas dans la production de la plaie stigmatique que je verrais un signe de l’influence surnaturelle qui a pu la provoquer, mais bien dans les caractères et dans l’évolution tout à fait anormaux que cette plaie peut affecter. C’est ce que j’ai dit, et c’est à cette conclusion que je crois devoir m’arrêter (11). »
M. le Dr Ferrand persiste à croire que la production d’une plaie suggestive ou psychique n’est pas impossible, mais il avoue qu’elle n’est pas expérimentalement prouvée.
C’est ce que nous avons toujours soutenu ; et nous sommes heureux de nous trouver enfin d’accord avec notre savant confrère. [p. 53]
Le stigmate sacré, tel qu’il se présente à l’observation, ne s’explique pas par l’imagination : voilà un point acquis et essentiel. Faut-il en conclure d’ores et déjà que la plaie constatée est d’origine surnaturelle ? Nous ne le pensons pas, et nous nous sommes expliqué nettement à cet égard. « Avec un tel raisonnement, le champ du surnaturel serait en proportion inverse de celui de nos connaissances ; immense à l’origine, il reculerait peu à peu devant les lumières de la science. Est-ce possible ? Non. Le surnaturel n’est pas en opposition avec la raison, le miracle ne saurait naître de notre ignorance (12). »
En réservant cette question, il demeure établi que l’imagination n’a pas la puissance indéfinie dont l’ont généreusement dotée des auteurs enthousiastes et inexacts. La science limite étroitement son champ d’opération et ne lui reconnaît qu’une action indirecte sur les vaso-moteurs. C’est ainsi que la faculté sensible peut, en excitant ou en déprimant les passions, élargir ou resserrer le calibre des vaisseaux, augmenter ou diminuer l’afflux sanguin dans un département limité de l’économie vivante. Mais, comme l’ajustement observé le P. de Bonniot, l’imagination n’a pas le pouvoir de modifier la formedes phénomènes biologiques; elle se borne à agir sur leur énergie.
L’imagination est manifestement incapable de créer les plaies électives de la Passion, comme de provoquer une sueur de sang : elle l’est du moins dans l’état présent de nos connaissances, car — nous ferons cette dernière concession à nos contradicteurs — elle ne le sera peut-être plus le jour où, suivant le bon mot de François Bacon que nous citions au début de ces pages, elle aura l’exorbitant privilège de faire mûrir les nèfles en vingt-quatre heures.
Dr Surbled.
Notes
(1) Le miracle et les sciences médicales, p. 84.
(2) L’Hypnotisme franc, p. 398-401.
(3) La Vie psycho-sensible, p. 279.
(4) La Vie psycho-sensible, p. 284.
(5) Dr Surbled, La Morale, tome IV, p. 301-302.
(6) La Stigmatisation, l’extase divine et les miracles de Lourdes, 1894, tome II, p. 227-228.
(7) Traité de l’amour de Dieu, liv. VI, chap. XX.
(8) Articles du Monde, janvier-mars 1895.
(9) Articles de la Science catholique, novembre- décembre 1894.
(10) La Stigmatisation, feuilleton du Monde, 25 février 1895.
(11) Loc. cit.
(12) Dr Surbled, La Vie psycho sensible, p. 298.
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