S. Heller. Essai sur le sommeil. Thèse n°62. Présentée et soutenue à la Faculté de Médecine de Paris, le 24 avril 1818, pour obtenir le grade de Docteur en médecine. A Paris, de l’imprimerie de Didot jeune, 1818. 1 vol. in-4°, V, 30 p. 2 ffnch.
Une thèse sur le sommeil remarquable par le fait qu’à aucun moment n’est question des songes ou du rêve.
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Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de la thèse. – Les images ont été rajoutées par nos soins (la vie,ette du titre est d’Audrey Casalis). – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
[p. V]
AVANT-PROPOS
Des s circonstances impérieuses me· forcent à rendre public cet essai plutôt que je ne l’aurais désiré ; il doit par conséquent être très-imparfait , le sujet que je traite étant d’ailleurs des plus épineux, et demandant, malgré les travaux· des plus grands physiologistes du dernier siècle et du nôtre, encore beaucoup de recherches à faire. Je n’ai pu avoir en débutant dans la carrière la plus difficile du monde la prétention de vouloir embellir une matière qui a été si bien traitée par les savans les plus recommandables.
Heureux seulement si, par le zèle que j’ai [p. VI] porté dans mes recherches, je ·puis obtenir l’indulgence des savans illustres qui daigneront me juger ! [p. 7]
ESSAI
SUR LE SOMMEIL.
SECTION PREMIÈRE
Définition.
En abordant la définition du sommeil, on pense bien que je ne me flatte point de donner la solution complète de ce point compliqué de physiologie; mais les définitions variées et souvent contradictoires des auteurs m’ont engagé à y donner un moment mon attention.
Sans me permettre de discussion sur ce point, je dirai que le sommeil est un état de détention de nos facultés intellectuelles, et principalement de nos mouvemens volontaires ; c’est un état de repos naturel nécessaire à la réparation de nos organes , et de nos forces affaiblies par l’exercice et l’excitement continuel de la veille
Le sommeil est d’autant plus complet et plus durable, que les organes n’ont été ni trop peu ni trop long-temps excités.
Cette définition, quoique vicieuse et très-incomplère , me paraît cependant préférable à celles qui font consister le sommeil dans un état d’inaction complète de nos organes ; mais ici, comme dans bien d’autres problèmes de physiologie, rien n’est plus épineux que de donner une définition rigoureuse : Qu’il nous suffise [p. 8] donc de savoir que le besoin du sommeil est marqué , comme toutes nos fonctions internes, par une sensation ; que cette sensation est indéfinissable, comme le sont toutes les sensations internes. Tout ce que nous en connaissons, c’est son résultat; c’est-à-dire qu’elle nous oblige de nous abandonner au sommeil, de même qu’une sensation interne inexplicable nous force à apaiser la faim, la soif, etc.
Dans l’impossibilité de parvenir à une définition rigoureuse, je me bornerai, dans cet essai, à exposer succinctement les opinions des auteurs sur la nature du sommeil ou l’état des organes qui le constituent. Je passerai ensuite à l’examen de ses causes prédisposantes, puis je tracerai le tableau de son développement, de son cours el de sa terminaison ; enfin, appliquant les connaissances physiologiques à la pathologie, j’indiquerai quel est l’effet du sommeil sur l’homme sain, et dans quels cas il est salutaire ou nuisible dans le traitement des maladies.
SECTION II.
Nature du Sommeil. Phénomènes qui le constituent. Cause
prédisposantes.
Dans tous les temps, les philosophes, les physiologistes et les médecins ont tour à tour cherché à pénétrer la nature du sommeil ; ce qui a fait naître autant d’hypothèses qu’il y a eu d’auteurs.
Hippocrate, et d’après lui les autres médecins anciens plaçaient le siège du sommeil dans les vaisseaux céphaliques ; de là le nom de carotide, que ces vaisseaux ont eu du grec, ϰάρος, assoupissement ; de là aussi les noms de veines apoplectiques, léthargiques, qui distinguaient anciennement les veines trachélo, sous-cutanée, céphalique, cérébrale antérieure, et faciale (jugulaire externe et interne).
Aristote attribuait le sommeil à une exhalation de l’humidité [p. 9]de la poitrine, qui se transportait au cerveau ; d’où il devait résulter une chaleur moindre dans les cavités du cœur et par suite sommeil.
Platonet Homèrefaisaient dériver le sommeil de la nécessité où était l’âme de se reposer des fatigues inséparables de la veille et de l’exercice de l’intellect.
Galienjugeait cet état comme produit par la diminution de la chaleur de notre corps. Cette opinion était chez lui le résultat de ce qu’il avait observé, que le froid rigoureux produisait le sommeil. Il croyait aussi ·que la substance du cervelet était plus dense que celle du cerveau , et que, par cette disposition, le cerveau, et non le cervelet , était comprimé lors de la présence d’une plus grande quantité de liquide. Colombusa combattu cette opinion. Willisl’a ensuite réhabilitée pour appuyer sa théorie de la compression du cerveau dans le sommeil, Mais l’illustre Hallera démontré avec évidence la fausseté de ces hypothèses, dans lesquelles il est facile de voir que le sommeil naturel a été confondu avec l’état comateux ou apoplectique, duquel on le doit distinguer avec le plus grand soin.
Avicennepensait que la cessation de l’action des esprits vitaux sur les sens et les organes du mouvement produisait le sommeil.
Dans les temps plus modernes, on a attribué cet état à un -changement qui survient dans la circulation, et on a avancé que l’invasion du sommeil coïncidait avec la compression du cerveau produite par un plus grand afflux de sang vers la tête : de là engorgement et par suite dilatation des extrémités des vaisseaux cérébraux, d’où il résulte compression de l’origine des nerfs, et par suite assoupissement.
D’autres l’ont attribué à une trop grande dépense du fluide nerveux : de là relâchement dans les fibres des nerfs ; d’où il s’ensuit inaction des fonctions dont ils sont chargés, et suspension du sentiment et du mouvement. D’autres· enfin, toujours prêts à [p. 10] assimiler l’homme, ce chef-d’œuvre de la nature, à une vile mécanique, ont avancé que, par le travail et l’excitement, les fibres perdent leur tension ; or, les fibres n’étant plus tendues , tombent les unes sur les autres : celles du cerveau , étant les plus molles, doivent plus facilement s’affaisser, et intercepter par là le passage du fluide nerveux.
Toutes ces théories, comme on le pense bien, sont pour la plupart plus ingénieuses que vraies, et servent plutôt à nous faire admirer l’esprit fécond de leurs auteurs qu’à jeter du jour sur la matière qui nous occupe. Mais il ne m’appartient point d’entrer dans aucune discussion sur ces différentes théories ; cette discussion, au reste, demanderait une grande érudition, et surtout une plume heureuse qui, sachant distribuer avec grâce les agrémens du style, viendrait relever à propos la froideur du sujet, et unir ainsi l’utile à l’agréable ; ce qui est, je l’avoue, beaucoup au-dessus de mes faibles moyens. Je me permettrai seulement d’observer que, dans toutes ces hypothèses, on a toujours considéré le sommeil comme un état passif ; ce qui est, je pense , très-inexact ; car le sommeil est une fonction aussi nécessaire à la réparation de notre économie que la digestion, la nutrition et les autres fonctions assimilatrices. Somnus est functio activa principii vitalis, dit Bathez. (Nova doctrina de functionibus.) Il me semble que, si l’on avait toujours suivi la marche sage que trace Condillac, on serait bien plutôt arrivé à des résultats heureux. Ce célèbre métaphysicien dit, en traitant des causes de la sensibilité, « qu’il n’est pas possible d’expliquer en détail toutes les causes physiques de la sensibilité, mais qu’au lieu de raisonner d’après de fausses hypothèses, on pourrait consulter l’expérience et l’analogie. » (Logique, chap. 9.)
Gloire immortelle à la physiologie moderne, qui a presque toujours suivi cette marche sage et philosophique, sans laquelle cette science serait encore plongée dans la nuit la plus obscure. En suivant la même route, il me sera facile d’expliquer que, [p. 11] par l’exercice et la veille, l’excitation doit s’accumuler sur le cerveau : cette excitation, se concentrant, doit finir par outre· passer la mesure que le cerveau peut supporter ; d’où il résulte fatigue, et par suite détention dans les fonctions de cet important organe. Ceci est confirmé par l’analogie de tout ce que nous observons dans les lois immuables qui régissent notre frêle machine. Si nous voulons nous donner la peine d’observer, et de comparer ensuite, nous verrons toutes les fonctions avoir leur période d’activité et leur période de détention ; je ne dis point de repos , car le repos indique une inaction pleine et entière de la fonction ; ce qui n’existe nulle part dans l’économie animale ; car si cela venait à avoir lieu, la mort en serait immédiatement le résultat. La nature ne laisse jamais de vide aussi tranché qu’est celui du travail au repos ; il n’y a point de lacune dans la nature.
Jan Saenredam – Les temps du sommeil (1595).
Qu’il me soit permis, pour mettre plus au jour cette analogie de la fonction du sommeil, de prendre une autre fonction pour point de comparaison : la digestion, par exemple. Dans l’appareil des organes qui l’exécutent, nous y verrons l’estomac, principal organe de cette fonction, digérer ; mais pour qu’il digère bien, il ne faut pas qu’il soit continuellement plein , il lui faut du relâche. L’expérience ne nous apprend que trop à quels tourmens sont réduits ceux qui, comme l’a dit un auteur célèbre du dernier siècle, vivent sous l’empire de l’estomac : pour avoir trop digéré, ils ne peuvent plus digérer. Il en est de même si l’on remplit l’estomac outre mesure : bientôt il succombera sous le poids de l’excitation des alimens, et il n’exécutera plus sa fonction. D’un autre côté, si nous examinons nos sens nous y trouverons les mêmes phénomènes. Dans la vision, par exemple, les rayons lumineux viennent frapper nos yeux ; par l’excitation qu’ils produisent, nous pouvons distinguer jusqu’aux plus petites nuances ; mais si la lumière dure trop Iong-temps, ou que les rayons lumineux nous arrivent en grand excès, l’équilibre est rompu, et il [p. 12] nous est alors impossible de distinguer le corps le plus grossier. Il en est de même si nous exerçons trop long-temps nos yeux sur un objet très-délié, bientôt ils se refusent à distinguer cet objet. Je ne finirais point si je voulais rappeler ici combien tout dans nous est réglé sur l’équilibre des organes, c’est-à-dire sut cet état d’activité et d’inactivité.
Ne nous étonnons donc plus de la nature du sommeil ; et au lieu de la chercher dans de savantes et obscures hypothèses, disons : Le sommeil est une fonction essentielle à notre organisation, et sans laquelle nous ne pourrions exister ; comme fonction, il doit avoir un organe qui en est principalement le siégé. Cet organe est le cerveau, qui, continuellement stimulé pendant la veille, se trouve nécessairement dans un état d’inaction ; d’où il résulte qu’une sensation interne, inexplicable, comme le sont toutes les sensations internes, nous annonce qu’il y a surcroit d’excitation] ; ce qui amène nécessairement une certaine congestion sanguine ; d’où il s’ensuit que le développement du sommeil doit, survenir, et bientôt nous nus endormons. Dès ce moment les causes d’excitation externes, n’existent plus ; celles qui sont internes sont considérablement diminuées, et vont, en décroissant : peu à peu tout rentre dans l’ordre, et le cerveau redevenant apte à recevoir de nouvelles impressions, l’homme s’éveille.
Cet état de choses paraît d’un autre côté être augmenté par le pouvoir de la périodicité et de l’habitude, comme il en existe d’ailleurs un si grand nombre d’exemples dans les phénomènes de la vie. Du reste, ces alternatives d’activité et d’inactivité ne sont pas propres aux organes des fonctions volontaire, ou de relation ; et nous les retrouvons également dans les fonctions d’assimilation ou de composition. C’est ainsi qu’on trouve la plus grande analogie entre la manière d’agir des excitans du cerveau et celle des excitans de l’estomac ; deux organes qui règlent pour ainsi dire eux seuls notre existence et notre santé. L’estomac en effet, excité par les alimens, se laisse remplir tant que ,l’excitation [p. 13] ne devient pas trop grande ; mais dès qu’elle, est trop élevée, il ne reçoit plus rien ; et si l’on, continuait alors l’ingestion, les alimens seraient aussitôt rejetés. Ce qui prouve, comme je l’ai déjà dit, qu’il ne peut plus supporter l’excitation , et qu’il ne demande que le repos, nécessaire à la digestion ; bien plus, ne pouvant suffire à lui seul à cette surexcitation, il appelle à son secours les forces des autres parties du corps, lesquelles viennent se concentres sur lui. Il reste alors assoupi pour ainsi dire (que l’on daigne me passer ce terme, en faveur de l’idée que je veux rendre) ; mais peu à peu le dégorgement des alimens a lieu, et par conséquent. l’excitation qu’ils produisaient diminue ; tout rentre bientôt dans l’ordre et l’estomac annonce par la faim qu’il est prêts à recevoir de nouveaux excitans.
Par ma manière d’envisager le sommeil on pourra facilement expliquer aussi ce caractère de périodicité dont j’ai parlé plus haut ; car il en est encore ici du cerveau comme de l’estomac, et même de quelques autres organes, tels que l’utérus et autres. Je ne· saurais trop insister sur cette analogie. Et en effet, celui qui trouvera à expliquer les causes de la périodicité de· la faim, celles de la révolution menstruelle de l’utérus, expliquera en même temps la périodicité du sommeil.
L’empire que l’habitude a sur cette fonction peut aussi s’expliquer de cette manière ; il ne répugne pas plus d’admettre que· le cerveau est dépendant de l’habitude que l’estomac, qui est d’ailleurs un organe bien moins impressionnable que le premier.
Je passe maintenant aux causes prédisposantes du sommeil. Ces causes sont de nature différente, et paraissent même quelquefois opposées et .contradictoire ; mais, on peut les rapporter à deux classes.
Dans la première je place celles qui paraissent agir en diminuant l’excitation portée sur le cerveau ; et dans la seconde celles qui paraissent agir en, augmentant cette excitation. [p. 14]
Parmi celles de la première classe, la nuit me paraît une très forte cause prédisposante du sommeil ; de tous les organes de nos sens, l’œil est celui qui est exposé au plus grand nombre d’excitations ; l’homme peut facilement se mettre à l’abri du bruit, des odeurs et des excitans propres des deux autres sens ; mais il lui est très-difficile d’empêcher les yeux d’être impressionnés par la lumière ; il a beau fermer les yeux en rapprochant les paupières, le peu d’opacité de ces voiles mobiles fait que la lumière les traverse encore, quoique imparfaitement. C’est ainsi que le riche indolent, après avoir passé la plus grande partie de la nuit à table ou au jeu, court s’enfermer dans le lieu le plus écarté de son palais, où il est à la vérité à l’abri du bruit et des autres excitans extérieurs ; mais c’est en vain qu’il ferme persiennes, fenêtres et rideaux ; le soleil ne tardera pas à s’élever sur l’horizon ; et bientôt les rayons lumineux traversant et les fentes mal jointes de ses croisées, et les tissus peu serrés qui les ornent, viendront , malgré toutes ces précautions, exciter son œil et le forcer à la veille, comme pour le punir de préférer la lumière artificielle de la nuit à la lumière franche et salutaire du jour.
Avant que la civilisation eût changé les goûts des hommes, et avant que par son influence l’homme fût libre de se livrer à ses penchans naturels, il s’adonnait au sommeil dès que le soleil avait quitté l’horizon, et il se réveillait aux premiers rayons du jour.
L’histoire nous apprend que les peuples que nous appelons sauvages, parce que notre amour propre est blessé de voir que la nature, cette mère nourricière et prévoyante suffit seule à leurs besoins, ces peuples, dis-je, se couchent à l’entrée de la nuit, et se lèvent avec le jour.
Dans la triste Laponie, pays peu favorisé de la nature, l’on voit le chasseur léger courir après le renne et le loup pendant les longs jours de l’année : il ne dort presque point alors ; mais [p. 15] aussitôt que revient la saison qui condamne ce pays à des ténèbres perpétuelles, cet homme naguère toujours sur pied, et n’ayant usé du sommeil qu’autant qu’il lui en fallait pour exister, se renferme maintenant dans sa cabane, où il reste presque continuellement endormi ; et il ne reprend la veille avec ses courses favorites qu’au retour de la saison qui ramène le jour.
Il n’est pas invraisemblable non plus que la nuit entre pour quelque chose dans le caractère de périodicité que l’on remarque dans le retour du sommeil ; ce n’est pas ici le lieu de discuter ce point de doctrine. Je me bornerai à rapporter l’opinion de l’illustre sénateur Cabanis. « Il est possible, dit ce grand-maître, que la périodicité des mouvemens de l’économie animale doive être uniquement rapportée à celle des mouvemens de notre système planétaire, surtout de l’astre qui nous dispense le-jour et les années, et mesure aussi le temps par intervalles égaux. » (Rapport du physique et du moral de l’homme.)
Parmi les autres causes prédisposantes de cette première classe, l’expérience désigne principalement l’air frais, la boisson rafraîchissante, les saignées, les hémorrhagies, la plénitude de l’estomac , non parce que cet organe comprime alors l’artère aorte abdominale, comme on l’avait avancé, ce qui est démenti par la connaissance anatomique des rapports de l’estomac avec cette artère ; car , loin de la comprimer quand ce viscère se remplit , il s’en éloigne au contraire, et vient faire saillie derrière les muscles de l’abdomen ; mais bien parce que l’estomac, étant plein a besoin, comme je l’ai déjà dit ailleurs, de plus de force, qu’il soustrait alors au cerveau.
Les voluptés douces, l’absence de toute sensation, peuvent aussi être rangées dans cette classe. Il en est de même du bruit monotone, tel que celui qui résulte du murmure d’un ruisseau, d’une cascade, de l’effet d’un sermon long et dépourvu d’intérêt. Les sermons sont toujours bons à quelque chose ; autant vaut le prêcher[p. 16] que le bercer, a dit J. J. Rousseau. La même chose arrive par la lecture des ouvrages ennuyeux.
Un style long et toujours uniforme
En vain brille à nos yeux, il faut qu’il nous endorme.
Boileau.
Enfin la musique langoureuse et sentimentale produit le même effet.
Les causes prédisposantes de la deuxième classe sont, ai-je dit, tout-à-fait opposées à celles de la précédente, c’est-à-dire qu’elle paraisse agir en accumulant l’excitation sur le cerveau. C’est ainsi que le sommeil suis de près les opérations chirurgicales, le travail de l’accouchement. Il est très fréquent de voir les femmes se livrer au sommeil immédiatement après qu’elles ont mis leurs fruits au monde. Le sommeil et aussi bientôt provoquer parle l’attention long-temps soutenue, l’exercice pour longer de l’imagination, de la mémoire, et de la méditation. Il en est de même de la musique bruyante, mais long-temps soutenue, du bruit fort, et en général de tous les violents excitans. C’est ainsi que l’on peut se rendre raison de ce que l’on a observé dans ces temps de barbarie, où des lois inhumaines et révoltantes appliquaient les tourmens et la question aux malheureux à qui on voulait arracher un ouiou un non ; on voyait alors ces infortunés succomber au sommeil pendant l’exécution même du supplice. Certes , ici on ne peut attribuer le sommeil de ces victimes de la barbarie du temps qu’à un surcroit d’excitement porté sur le cerveau, et qu’il ne peut supporter ; nouvelle preuve des nombreuses victimes que cette législation a dû faire. [p. 17]
SECTION III
Développement du sommeil, son cours et sa terminaison.
Il est de l’essence de la circulation de se porter particulièrement et avec plus de force sur celui de nos organes qui est actuellement le siège d’une plus grande excitation. Dès que la fonction du sommeil doit s’effectuer, le sang se porte donc avec plus de véhémence vers le cerveau. En même temps, la chaleur animale du reste de l’habitude du corps diminue : il en est de même de la tension des fibres musculaires ; d’où il s’ensuit que tous les mouvemens deviennent plus languissans, toutes les impressions plus obscures ; les forces s’abattent, un relâchement général s’observe dans tous les muscles de la volonté ; ceux des paupières refusent de se contracter , et celles-ci tombent sur les yeux ; le relâchement des muscles de la mâchoire inférieure fait que celle-ci s’éloigne de la supérieure, et la bouche s’entr’ouvre ; en un mot, tous les muscles extenseurs tombent dans le relâchement. Il en résulte que la tête se fléchit sur le tronc, et le front sur les membres inférieurs. Les membres supérieurs paraissent d’abord lutter contre ce relâchement, et sont le siège de ce que l’on appelle pandiculation ; mais bientôt ils tombent tout-à-fait et restent pendans ; d’un autre côté, les paupières étant baissées, les yeux ne distinguent plus rien ; peu à peu le goût et l’odorat paraissent s’émousser ; la perception des sons ne rend plus qu’un bourdonnement ; bientôt on n’entend plus que quelques mots sans suite et sans liaison, puis enfin l’ouïe devient entièrement insensible : mais déjà tous ces sens sont obscurcis que le tact ne l’est pas encore, car il est de tous celui qui résiste le plus au sommeil ; cependant il finit par y succomber aussi. En même temps la respiration devient plus laborieuse, et s’accompagne de bâillemens ; le pouls s’élève, la [p. 18] tête devient plus pesante, il y a incapacité de se livrer aux pensées sérieuses, un engourdissement général s’empare de l’individu, tout devient indifférent pour lui ; et serait-il au milieu du plus grand bruit, le calme règne pour lui ; car toutes ses perceptions sont confuses. Il va s’endormir, et déjà il dort.
Dès ce moment, l’homme entre dans le plus grand égoïsme, il n’existe plus que pour lui, c’est-à-dire pour son unique avantage, pour la seule réparation de son individu. Le corps prend une position telle, que la tête est penchée en avant, les jambes sont fléchies sur les cuisses, et celles-ci sur le bassin, le tronc est rapproché des extrémités inférieures, de manière à décrire une espèce de courbe demi- circulaire, dont la convexité est au rachis ; ce qui s’observe d’autant plus, que le sujet a moins d’embonpoint el qu’il est moins avancé en âge. Le point d’appui est ordinairement pris du côté droit du corps, et de manière qu’il porte moins sur la ligne médiane de l’abdomen que du côté du rachis. Cette position est la plus avantageuse au libre mouvement des viscères contenus dans les cavités thoracique et abdominale ; par elle aussi nos muscles sont dans le plus grand relâchement. Elle a en outre une analogie assez marquée avec la position que tient le fœtus dans le sein de sa mère, preuve évidente qu’elle est la plus naturelle.
L’action des muscles fléchisseurs étant aussi plus grande dans les membres supérieurs, il en résulte que les poings se trouvent fermés, et les avant-bras à demi-fléchis sur les bras, et ceux-ci sont rapprochés du corps.
Le pouls est plus concentré et plus rare ; le cours du sang moins rapide ; la respiration est plus petite, moins fréquente ; les mouvemens d’inspiration et d’expiration sont accompagnés de plus d’efforts que pendant la veille ; souvent la respiration est stertoreuse, et constitue ce qu’on appelle en langue vulgaire ronflement ; phénomène qui paraît dépendre de la vibration [p. 19] qu’éprouve l’épiglotte par le passage de l’air, ainsi que de l’état d’abaissement où se trouve la mâchoire inférieure.
Les sécrétions diminuent pendant le sommeil, suivant l’opinion de plusieurs auteurs ; quelques autres pensent, au contraire, que l’exhalation cutanée est augmentée alors ; ils s’étaient sur ce que l’on trouve la peau dans un état de moiteur, et que le front est quelquefois couvert de sueur. Il y aurait ici plus d’une objection à faire ; mais, au reste, rien de positif n’est connu là-dessus.
Le surcroît de l’activité de l’absorption cutanée est plus généralement admis, et cela avec raison. Ce fait était déjà connu de Baglivi ; car il recommandait aux Romains de ne point se coucher aux environs de lacs qui répandent des miasmes putrides, l’absorption cutanée étant alors dangereuse : mille autres preuves qu’il est inutile de rapporter viennent à l’appui de cette théorie.
La digestion se fait très-bien pendant le sommeil ; car, comme je l’ai déjà dit plusieurs fois, les forces qui, dans l’état de veille, étaient employées pour le cerveau, se portent alors sur l’estomac. Somnus labor visceribus, a dit Hippocrate. L’expérience avait démontré cette vérité aux anciens, et leur principal repas se faisait pour cette raison le soir. C’est ce que l’instinct apprend aussi à presque tous les animaux de l’échelle des êtres, et ils se livrent au sommeil immédiatement après avoir mangé.
Dans un voyage que je fis il y a quelques années en Normandie, j’ai vu avec plaisir les riches propriétaires de la campagne laisser reposer les moissonneurs à peu près une heure après leur repas. Ceux-ci employaient alors ce temps à dormir sur l’herbe ; et j’ai cru remarquer que, par cette coutume, le travail se faisait ensuite avec plus d’énergie, et par conséquent avec plus de profit pour le maître. Je ne prétends pourtant point par cela approuver entièrement l’usage de la méridienne, si à la mode, surtout en Espagne, où elle est connue sous le nom de la siesta ; elle ne peut qu’être nuisible aux gens d’une extrême obésité, aux jeunes [p. 20] gens lymphatiques ; à ceux qui ne s’adonnent que rarement à l’exercice, et qui abusent de toutes les commodités d’une vie aisée. Mais elle sera très-profitable aux estomacs délicats, à ceux qui se livrent à des exercices fatigans du corps ou de l’esprit ; elle sera surtout très-applicable aux femmes qui se trouvent à cette époque intéressante qui mérite toute notre attention et tous nos soins, et où une mère tendre nourrit à ses dépens le fruit qu’elle a fait naître ; outre que les pertes qu’elle fait alors demandent une plus grande réparation, les fatigues et les veilles forcées que nécessitent l’état de nourrice seront allégées par un sommeil de quelques heures pris après le dîner.
Ce sommeil sera encore avantageux aux très-jeunes enfans, qui ont besoin d’une grande assimilation, et enfin à la froide vieillesse ; c’est ainsi, d’après le rapport d’Homère, que le sage Nestorse livrait au sommeil après avoir pris son repas. (Odyssée.)
Cependant si, par le sommeil, la digestion se fait moins péniblement, elle se fait aussi alors plus lentement ; car la détention générale et la diminution de la sensibilité qui existent alors, font que les mouvemens péristaltiques des intestins sont moins énergiques. C’est aussi de cette manière que l’on pourra expliquer comment la faim est masquée par le sommeil.
La caloricité est aussi diminuée pendant cet état. Ce qui vient à l’appui de cette assertion, c’est que nous sommes obligés de nous couvrir alors beaucoup plus que dans l’état de veille, et que l’empressement que nous mettons à nous recouvrir, même en dormant, quand par hasard, nous venons à être découverts, prouve que nous sommes alors plus sensibles au froid.Hippocrateavait déjà fait cette remarque. Cùm somnus invaserit corpus, frigescit, disait-il.
La nutrition est aussi favorisée par le sommeil : l’état d’assoupissement presque continuel de l’enfant dans le premier âge le prouve assez. [p. 21]
Enfin il est de l’essence de cette fonction que, pendant son cours, celle de la génération n’ait pas lieu ; et on ne peut attribuer les émissions gonorrhéiques qui s’observent quelquefois pendant le sommeil, qu’aux désirs ardens d’une imagination voluptueuse qui, ayant occupé les pensées de l’individu toute la journée et pendant tout le temps de la veill , le poursuivent encore sympathiquement pendant le sommeil.
Tel est l’état de notre économie pendant cette importante fonction ; mais cet état n’est point stationnaire, car peu à peu la réparation s’effectue ; il s’ensuit un changement favorable, lequel se montre bientôt dans toutes les fonctions, qui reprennent alors une nouvelle énergie ; le pouls redevient plus fréquent, et il s’élève ; la respiration n’est plus aussi stertoreuse, et elle reprend insensiblement son aisance accoutumée ; la sensibilité générale s’élève, les muscles récupèrent toute leur énergie, les extenseurs reprennent le dessus sur les fléchisseurs, lesquels, se trouvant fatigués par le sommeil comme les extenseurs l’étaient par la veille, obligent l’individu d’allonger les jambes, ainsi que d’élever les bras en les écartant du corps, et en les étendant avec force, ce qui fait prendre la position horizontale : presque toujours, en effet, on se trouve le matin couché étendu sur le dos, après avoir pris le soir la position demi-fléchie que j’ai décrite ailleurs ; enfin les muscles de la paupière se contractent, et l’œil s’ouvre au jour, en même temps l’oreille s’ouvre aux sons. En un mot, tous les sens sont rendus à leurs fonctions respectives, et reçoivent de nouvelles impressions ; mais ces impressions étant d’abord trop fortes, trop rapides, l’on est pendant un certain temps dans un trouble général ; mais ce temps Cest court, les nuages se dissipent, et l’homme éveillé est rendu à la société, jouissant d’une nouvelle réparation, et se trouvant plus disposé, plus propre à remplir les devoirs divers auxquels il est appelé.
Aussitôt les organes se débarrassent de la surcharge des sécrétions [p. 22] qui n’ont pu être excrétées pendant le sommeil ; la vessie demande à évacuer l’urine, les bronches rejettent les mucosités filtrées par leur membrane muqueuse, et la sputation est plus abondante ; les yeux sont larmoyans ; l’on est obligé de se moucher à plusieurs reprises ; enfin un grand nombre de personnes sont forcées de rendre les matières fécales aussitôt après s’être levées.
Je ne parlerai point ici ni de la durée ni de la profondeur du sommeil, car ces choses sont relatives au plus ou moins grand excitement que le sujet a éprouvé, au nombre des causes prédisposantes auxquelles il a été exposé ; enfin aux saisons, aux tempéramens, aux sexes et aux âges. On sait que, dès le moment de sa naissance et dans le premier âge, l’enfant dort dix-neuf à vingt heures sur les vingt-quatre ; je dis du moment de sa naissance, parce que je ne crois point qu’il dorme dans les eaux de l’amnios. Je sais que je fronde ici l’opinion de plusieurs auteurs illustres et de plusieurs grands hommes : quel que soit le profond respect que m’impose le nom immortel et justement révéré de l’illustre Plinefrançais, je ne puis penser avec lui que « c’est par le sommeil que commence notre existence, que le fœtus dort presque continuellement, que le sommeil est le premier état de l’homme virant, et le fondement de la vie. » (Buffon, Histoire naturelle.)
Pour dormir, il faut avoir veillé, il faut avoir été exposé aux influences excitantes qui nécessitent une réparation ; or cela n’a point lieu chez le f fœtus ; il ne veille point ; aucune influence excitante directe ne peut l’atteindre ; il ne doit donc pas avoir besoin du sommeil. Il existe d’ailleurs beaucoup d’autres preuves qui ne peuvent trouver lieu ici, et qui prouvent que le fœtus, renfermé dans l’utérus, ne jouit que d’une vie végétative.
De deux à quatre ans, l’enfant dort presque autant qu’il veille ; de quatre à quinze ans, il dort à peu près onze heures sur vingt-quatre ; de quinze à vingt ans, neuf à dix heures sur [p. 23] vingt-quatre ; depuis cet âge jusqu’à la vieillesse , l’homme jouit du sommeil sept à huit heures sur les vingt-quatre ; dans la vieillesse jusqu’à la décrépitude, il ne dort que trois à quatre heures sur les vingt-quatre, mais dans la décrépitude, il est dans une somnolence continuelle, triste présage de sa fin prochaine.
SECTION IV.
Effet du Sommeil, son application à la pathologie.
Après avoir donné la définition du sommeil, après avoir tracé son développement, son cours et sa terminaison, il me reste à parler de son effet sur l’économie animale, et de son application à la pathologie.
Le but des longs et pénibles travaux du médecin est d’enrichir l’art de guérir, et de contribuer de plus en plus à la conservation de l’espèce humaine. Souvent là où les autres savans ne trouvent que délassemens et plaisirs, le médecin, toujours occupé de la vie et de la santé de ses semblables, trouve d’utiles applications pour son état ; mais c’est surtout en s’éclairant du flambeau des sciences naturelles que l’on y parvient plus aisément.
Parmi ces sciences , la médecine doit beaucoup à la physiologie, et ce n’est qu’en faisant de fréquentes applications de cette science de l’homme à la médecine que l’on parviendra à la porter au plus haut degré de perfection.
Fidèle à cette doctrine que j’ai puisée dans les leçons des professeurs illustres de cette célèbre Faculté, j’ai consacré cette dernière section de mon travail à l’application de ces principes.
En soustrayant l’homme de l’influence des excitans externes, les bons effets du sommeil sont déjà marqués dès le moment où il s’endort ; mais outre que par le sommeil tranquille et non-interrompu les forces se réparent, et que les organes, en général [p. 24] récupèrent une plus grande aptitude à exécuter les fonctions dont ils sont chargés, plusieurs de ces fonctions étant plus particulièrement favorisées, il doit en résulter un heureux effet pour l’économie animale.
Ainsi la respiration, ai-je dit dans la section précédente, est plus petite, moins fréquente pendant le sommeil ; il doit en résulter un relâche pour le poumon, dont les heureux effets ne sont point sensibles à l’état ordinaire, il est vrai, mais qui le deviennent souvent lorsque cet organe est dans un état maladif.
La lenteur de la digestion, produite par l’énergie moindre du mouvement péristaltique des intestins pendant le sommeil, fait que la masse alimentaire est plus long-temps soumise à cette action ; il en résulte que le chyle est absorbé plus abondamment : de là un profit marqué dans l’assimilation.
En général, aucune excrétion n’ayant lieu pendant le sommeil, et les bouches absorbantes étant toujours ouvertes, il doit en résulter le même avantage que pour l’absorption du chyle.
Il en est de même par rapport au mouvement progressif du sang, qui par son ralentissement devient favorable à la nutrition. L’expérience apprend en effet que ceux qui abusent du sommeil acquièrent un embonpoint considérable ; embonpoint qui n’est cependant point à désirer, car il émousse la sensibilité ; c’est ainsi que l’extrême obésité de ce tyran de Syracuse obligeait ses esclaves à lui enfoncer, afin de l’éveiller, de longues aiguilles dans les couches graisseuses sous-cutanées de son corps monstrueux.
L’action continuelle du sommeil n’est pas moins nuisible à l’intelligence ; des observations bien authentiques le prouvent assez, ce qui me dispense de m’y arrêter, plus long-temps.
Je passe à l’application du sommeil à la pathologie, et je vais indiquer, avec la concision nécessaire à la nature de ce travail, [p. 25] quels sont les cas où le sommeil est avantageux, et quels sont ceux où il ne l’est pas. Je place à la tête de ces considérations ce bel aphorisme d’Hippocrate: Somnus et vigilia utraque modum excedentia, malum ; ce qui servira à indiquer l’esprit dans lequel j’ai tracé ce qui va suivre.
Dans les fièvre- en général, et surtout après l’accès ou le paroxysme, le sommeil est avantageux : il tolère la sur-excitation qui a eu lieu, répare les forces, et peut, dans quelques cas, par le mouvemene concentrique qui survient alors, favoriser certaines crises. Il peut aussi être, dans certains cas, crise lui-même ;. ce qui est fondé sur l’expérience et sur cet aphorisme que j’ai déjà cité ailleurs, somnus labor visceribus. Cette semence, pourra aussi servir à rendre probable la raison de la fréquence des accouchemens pendant la nuit : l’assoupissement qui se remarque quelquefois dans les fièvres angioténiques et ataxiques n’est point à lui seul un symptôme dangereux ; il ne peut être considéré tel que lorsqu’il est escorté de quelques autres mauvais symptôme. Si on lit le livre des Épidémies du père de la médecine, on trouvera la confirmation de cette théorie ; en effet, Hippocrate dit (deuxième malade, du troisième livre) qu’Hermocratefut pris de fièvre avec douleur de tête, et dès le début surdité ; le cinquième jour, délire ; le onzième, survint l’assoupissement ; vingt-troisième, perte de la parole ; et enfin, mort, le vingt-septième, tandis que Phyton, pris ausi d’un assoupissement continuel, fut délivré de sa maladie parce que les autres symptômes n’éraient d’aucun mauvais caractère.
L’insomnie est un des symptômes qui s’observe, constamment dans la plupart des phlegmasies. Combien alors le sommeil serait salutaire par la diminution de l’excitabilité qu’il opère : parmi les phlegmasies des membranes muqueuses je citerai particulièrement l’ophthalmie, où le sommeil est d’un grand avantage en soustrayant complètement l’œil à l’influence de la lumière. A l’occasion des phlegmasies des membranes muqueuses, je ne puis m’empêcher [p. 26] de rapporter ici un fait curieux observé par Saucerotte. Il traitait, en 1767, un homme de robe affecté d’une blennorrhagie urétrale ; il éprouva les plus grandes difficultés à arrêter l’écouIement, car il y avait des jours où la matière était bonne et donnait à peine quatre à cinq gouttes, et d’autres où elle était de mauvais caractère et abondante ; le malade gardait d’ailleurs le repos et le régime le plus exact. Saucerotte, récapitulant avec son malade toutes les circonstances relatives à sa maladie et à sa manière de vivre, apprit que cet homme faisait quelquefois, avec des amis qui venaient le voir, une partie de piquet après à son souper, laquelle se prolongeait fort avant dans la nuit. Saucerotte reconnut que c’était le lendemain des nuits où se faisait la partie que la maladie empirait. Pour confirmer ses conjectures, il laissa encore jouer son malade deux ou trois fois : le résultat fut toujours le même. Dès-lors it lui conseilla de ne plus jouer la nuit et de dormir pendant ce temps ; et au bout de huit à neuf jours ce malade était entièrement guéri.
Parmi les phlegmasies cutanées, je signalerai particulièrement l’érysipèle, cette phlegmasie attaquant d’ailleurs préférablement les sujets bilieux ; et on sait que de tous les tempéramens le bilieux est celui qui est Je moins sujet au sommeil. Didelotcommuniqua à l’Académie de chirurgie l’histoire d’une femme qui était attaquée d’un érysipèle au bras, sur lequel elle appliquait les remèdes convenables : obligée de donner à son mari malade les secours dont il avait besoin, elle passa plusieurs nuits auprès de lui sans dormir ; à la fin de la quatrième, elle fut bien étonnée de ne plus ressentir au bras que très peu de douleur. Elle crut que c’étaient les qu’elle avait appliquées qui lui procuraient ce soulagememt ; mais, l’ayant considéré, elle le trouva d’une couleur livide. Effrayée de son état, elle fit appeler Didelot, qui trouva son bras gangréné depuis la partie supérieure externe jusqu’à la partie moyenne. Informé de la cause de cette gangrène, il fit des scarifications, ordonna des antiphlogistiques [p.27] en· boissons, et surtout le sommeil, comme le seul moyen de prévenir les accidens fâcheux qui auraient pu se meure de la partie. Les choses tournèrent alors si heureusement, qu’au bout de trente jours, cette femme fut parfaitement guérie.
Dans presque toutes les névroses, surtout celles des fonctions cérébrales, à part quelques-unes cependant, il y a ordinairement insomnie. Pour prouver l’utilité du sommeil dans le traitement de ces maladies, je me bornerai à rapporter le résultat de l’expérience d’un auteur distingué de nos jours : « Il est remarquable, dit M. le docteur Double, que le sommeil sert de crise, soit partielle, soit complète, aux accès ou paroxysmes des maladies vaporeuses, lorsque le cours de ces accès n’a pas été troublé, interverti par une foule de soins, de remèdes mal entendus. Nous avons vu, dit le même auteur, un grand nombre d’accès épileptiques se terminer aussi par le sommeil, de la même manière que les accès des fièvres intermittentes se jugent particulièrement par les sueurs. » ( Séméiologie générale.)
Les maniaques sont dans une insomnie continuelle, mais aussi le retour du sommeil fait très-favorablement augurer pour le rétablissement du malade et le retour à la santé : ubi somnus delirium sedat, bonum, dit Hippocrate. Cette, sentence se trouve confirmée tous les jours, et le praticien le moins répandu n’est pas sans avoir vu quelquefois le délire dissipé par le sommeil ; ce qui est d’un très-bon augure pour la stabilité de la cure.
Enfin, qui n’a été à même de voir les heureux effets du sommeil sur la douleur, ce sentiment pénible, qui ne peut être supporté Iong-temps sans les plus grands préjudices : existe-t-il un être souffrant qui n’ait appelé à grands cris, et cela jamais en vain, un sommeil consolateur pour calmer ou du moins pour suspendre ses maux.
D’un autre côté, si le sommeil a des avantages assez marqués par son application en médecine, ses bons effets le sont bien plus en chirurgie ; la plupart des maladies chirurgicales ne [p. 28] devant la majeure partie de leur guérison qu’au repos le plus parfait du corps et de l’esprit, lequel ne se trouve entièrement que dans un sommeil tranquille.
L’avantage que l’on tire de cet état immédiatement après une opération chirurgicale est si généralement connu, que j’ai peu besoin de l’indiquer. C’est ainsi que l’on est dans l’habitude de priver les jeunes enfans du sommeil quelque temps avant de leur faire l’application du bec de lièvre, afin qu’ils s’endorment presque aussitôt après l’opération : on leur épargne par-là des cris nuisibles au succès de la cure.
Le sommeil a encore une influence marquée sur les plaies et les ulcères ; si, alors les malades sont privés de cette fonction, les bords de la plaie ou de l’ulcère s’enflamment, et le pus prend un mauvais caractère.
J’ai fréquemment eu ·occasion d’observer ce que j’avance ici dans les hôpitaux militaires où j’ai été employé. On sait quelle est la passion du soldat pour le jeu de cartes ; ce jeu est sévèrement défendu dans ces établissemens. Les soldats, qui ne pouvaient jouer pendant· le jour, à cause de la présence presque continuelle des chefs nécessitée par les soins du service, y employaient la plus grande partie de la nuit ; il était très difficile de les surprendre dans les rondes de nuit que l’on faisait, tant l’attrait du jeu les rendait prévoyans. Mais ceux atteints de plaies ou d’ulcères, ne· pouvaient m’en imposer ; car le lendemain de la nuit qu’ils avaient passée à jouer plutôt qu’à dormir, leurs blessures étaient enflammées, et il en découlait un pus sanieux. Ces accidens se· dissipaient facilement par le sommeil de la nuit suivante.
Enfin le sommeil est le dernier moyen employé contre ces maladies cruelles dont l’essence a encore échappé jusqu’à ce jour à nos plus grands maîtres, et qui, aussi insidieuses que terribles, ne se montrent aux yeux du médecin que lorsqu’elles ont déjà fait les plus grands ravages : il ne reste plus alors au malade qu’à souffrir [p. 29] et à mourir et au médecin sensible qu’à gémir et à être le spectateur impuissant d’une mort lente, mais certaine, et qu’il ne peut éviter. Quelquefois du moins il à la consolation de faire supporter les maux de son malheureux malade avec moins de peine, en provoquant un sommeil factice, mais bien précieux alors.
Si le sommeil est avantageux dans bien des cas, il en est d’autres où il est nuisible. Je m’abstiendrai de parler ici des névroses cérébrales caractérisées par un état d’assoupissement, de coma, ou autre forme des affections soporeuses produites par une cause quelconque ; car ces états dénotent évidemment une lésion au cerveau, et ne peuvent nullement être comparés au sommeil naturel et réparateur, pas plus que la boulimiepeut être comparée à la faim naturelle : l’une est une maladie qui agit au détriment de l’individu ; l’autre fait partie d »une fonction établie pour sa conservation. Il en est en tout absolument de même ici.
Il est aussi des cas où le sommeil naturel, même pris à un degré ordinaire, peut être nuisible. C’est ainsi qu’il ne convient point aux scrophuleux de dormir autant que les autres individus. Il en est de même de ceux qui ont des prédispositions à l’hydropisie, à la cacochymie, au squirrhe, etc.
Dans toutes les maladies qui résultent du ralentissement de la marche du sang, ou de sa stagnation, le sommeil doit être pris avec beaucoup de modération ; tels sont les cas d’anévrismes, d’hémorrhoïdes, de varices, etc.
En raison de l’activité de l’absorption pendant le sommeil il serait dangereux de laisser dormir trop long-temps ceux qui sont atteints de grandes suppurations, soit internes, soit externes, de cancer, de maladies putrides, de la gangrène, etc.
Enfin, ayant rapporté plus haut un exemple des mauvais effets de la veillée sur les plaies et les ulcères, je dois dire ici que, par un trop long sommeil, dans ces cas, les chairs deviennent fongueuses, et la suppuration trop abondante ; ce qui peut [p. 30] nuire au traitement de ces maladies. On doit aussi avoir grand soin de suivre toutes les gradations du sommeil dans les plaies de tête et de poitrine afin d’en tire· un prognostic favorable ou fâcheux.
En général, on augurera toujours bien du sommeil s’il diminue l’état maladif et on l’évitera s’il est fatigant et s’il ne soulage point le malade : quo in morbo somnus laborem facit, lethale ; si vero somnus juvet, non lethale, a dit le divin vieillard de Cos.
En terminant ce travail, je suis loin d’avoir rempli la tâche que m’imposait un si important sujet : je sais aussi que mon style incorrect laisse un vaste champ aux critiques. Je réponds aux plus sévères : les circonstances me forcent à écrire : mes moyens sont faibles, et je n’ai qu’un jour dans l’art d’écrire. Celui, dit La Bruyère, qui n’écrit que pour satisfaire à un devoir dont il ne peut se dispenser, à une obligation qui lui est imposée, doit avoir sans doute de grands droits à l’indulgence de ses lecteurs.
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