Paul Regnaud. Le [ΔΑΙΜΏΝ] (δαιμων), histoire d’un mot et d’une idée.] Extraitd de la« Revue de l’histoire des Religions », (Paris), tome XV, 1887, pp. 156-158.

Paul Regnaud. Le [ΔΑΙΜΏΝ] [], histoire d’un mot et d’une idée.] Extraitd de la« Revue de l’histoire des Religions », (Paris), tome XV, 1887, pp. 156-158.
Yve-Plessis (Réf. : n° 305.] indique par erreur comme parution les « Annales du Musée Guimet » et  une pagination erronée : pp. 136-158.

 

Paul Regnard (1838-1910). Linguiste et indianiste. Il est diplômé de l’école des Hautes Études en 1873. en 1884 il soutient sa thèse de doctorat sur la Rhétorique sanscrite.  Il fut titulaire de la chaire de sanskrit à l’Université de Lyon créée pour lui en 1887. Il fut ensuite assesseur du Doyen, puis membre du Conseil de l’Université. Il fut conseiller général pour le canton d’Autrey, en Haute-Saône. Quelques publications :

— Mélanges de linguistique indo-européenne. (1885).
— Les Premières Formes de la religion et de la tradition dans l’Inde et la Grèce. (1894).
— Comment naissent les mythes : les sources védiques du Petit Poucet, la légende hindoue du déluge, Purūravas et Urvaçī, avec une lettre dédicace à M. Gaston Paris et un appendice sur l’état actuel de l’exégèse védique, Paris, Félix Alcan,  dans la « bibliothèque de philosophie contemporaine. (1897).
— Études védiques et post-védiques. (1898).
— Dictionnaire étymologique du latin et du grec dans ses rapports avec le latin d’après la méthode évolutionniste, linguistique indo-européenne appliquée. (1908).

[p. 156]

Le ΔΑΙΜΏΝ  (δαιμων)

HSTOIRE D’UN MOT ET D’UNE IDÉE (1)

L’origine significative du sanskrit deva, du grec Ζεύς et θιδς, du latin deus, dieu, primitivement brillant, ne laise aucun doute sur celle de δαί-λος, qui se rattache à la même racine que δαίω, je brille, je brûle (cf. δή-λος, brillant ; sanskrit, di, parf. di-dây-a, briller). Ainsi s’explique l’isentité de sens dans Homère des  mots θεός et δαίμων désignant l’un et l’autre la divinité.

L’étymologie asoptée par Pott, et à laquelle Curtus paraot assez favirable, qui fait dépendfre δαίμων de δαίω « couper, diviser, distribuer » et qui identifierait l’idée première  avec celle de la divinité en tant que dispensatrice des biens et de maux, n’a d’autre raison d’être que l’inobservation de l double acceptation de δαίω, briller, brûler.

L’explication ancienne, qui rattachait δαίμων à δαήμων, intelligent, savant, était plus près de la vérité, les racines δαη et δαι procédant d’un ême antécédent et le sens de savant (celui qui connait, qui voit) dérivant généralement de celui de briller, être éclairé, etc.

Le culte d’Athéna et autres divinités.

Bien que δαίμων, comme nous l’avons déjà vu, ait chez Homère le sens de dieu et se confonde souvent avec celui de θεός, on peut constater pourtant dans l’emploi homérique des deux mots les différences suivantes :

δαίμων est d’un emploi bien moins fréquent que θεός ; δαίμων n’est [p. 157] presque jamais employé au pluriel, θεός l’est plus souvent. Δαίμων n’a pas de forme féminine, tandis que le féminin θεά correspond à θεός. Les θεόί sont qualifiés, déterminés ; le poète les dit immortel ; ilshabitent l’Olympe ; ils sont opposés aux hommes, aux mortels ; de plus, θεός esy le terme générique sous lequel sont compris Zeus, Apollon, Poseidon, etc., dont les traits, le caractère, les actes, les fonctions, sont sans cesse indiqués. Rien de tel pour le δαίμων, divinité isolée, anonyme, sans sexe, sans attributions définies et qui, à ce titre, est essentiellement propre à résumer en soi tout ce qui comporte l’idée divine à l’époque héroïque et particulièrement l’omnipotence, abstraction faite des passions anthropomorphes, comme la colère, la pitié, l’amour, etc., qui peuvent en contrarier l’exercice.

Ainsi doit s’expliquer, je crois, le rôle déjà mixte du δαίμων chez Homère. Tout-puissant, inflexible, impassible, de lui dépendent le bien et le mal. Il est identifié en quelque sorte au destin. En un mot, c’est la divinité conçue comme cause de toute chose et par conséquent du bonheur et du malheur des hommes (2). Tel il est resté d’ailleurs dans tout le cours de l’antiquité païenne et de là les mots de εύδαίμων, celui pour qui la divinité est bonne, heureux et Καϰοδαίμων, celui pour qui la divinité est méchante ; l’influence favorable ou néfaste qu’attribue Plutarque et Apulée entre autres aux δαίμονες devenus légion, etc.

Ce n’est qu’avec le christianisme que le δαίμων, ou plutôt les δαίμονες, ont pris un caractère nettement mauvais. Ils sont assimilés au diable, dont ils semblent, pour ainsi dire, la monnaie ; ils forment l’antithèse de Dieu, qui leur laisse l’empire du mal en se réservant celui du bien.

La conception du δαίμων homérique constitue donc dès ces hautes époques comme un embryon de monothéisme rationnel ou de germe de l’idée d’un dieu unique de qui tout dépend, et par conséquent, responsable de tout. Mais un tel dieu était trop abstrait pour soutenir la concurrence avec ses rivaux anthropomorphes, exclusivement bons à ce titre pour ceux qui le priaient et les comblaient d’offrandes. La mythologie étouffa ainsi la semence de la philosophie naissante qui ne devait ressusciter en Grèce que bien des [p. 158], années plus tard et sous des formes qui conservèrent souvent et pour longtemps l’empreinte des mythes qui l’avaient précédée.

En tout cas, c’est à cette influence de la mythologie, à l’idée qui vient d’elle des dieux anthropomorphes, essentiellement bons pour leurs adorateurs, qu’est dur surtout l’importance prise par l’insoluble question de l’origine du mal.   Les dieux bons nécessitaient l’hypothèse des divinités malfaisantes ; de celui-ci et de ceux-là découlait à son tour la nécessité d’une synthèse dont pendant de longs siècles l’esprit humain s’est tourmenté vainement à chercher la formule.

Paul Regnaud.

 

 

 

 

 

 

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