Morichau-Beauchant. Le « rapport affectif » dans la cure des psychonévroses. Extrait de la « Gazette des hôpitaux civils et militaires », (Paris), 84eannée, 1911, pp. 1845-1849.

Morichau-Beauchant. Le « rapport affectif » dans la cure des psychonévroses. Extrait de la « Gazette des hôpitaux civils et militaires », (Paris), 84eannée, 1911, pp. 1845-1849.

Pierre-Ernest-René Morichau-Beauchant nait le 1er novembre 1873 et meurt le 6 octobre 1952. il adhère au groupe de Zurich duquel il s’éloignera dès après la guerre. Son intérêt pour la philosophie et la psychologie, ainsi que pour la langue allemande, l’amène très tôt à découvrir les écrits de Freud. C’est probablement dans l’année 1900 qu’il prend connaissance de La Traumdeutug, alors qu’à Lyon est soutenue pour la première fois une thèse prenant appui sur les travaux de Freud. Il est reconnu par les historiens de la psychanalyse pur être le premier français qui ait adhéré vivement à la psychanalyse. L’article que nous mettons ici en ligne, très souvent cité par les historiens, restait par contre inaccessible. Autres publications :

— L’inconscient et la défense de l’individu. L’Effort,1, 1910.
— Homosexualität und paranoia. Zentralblatt für Psychoanalyse, 2, 174-176. 1912.
— Les troubles de l’instinct sexuel chez les épileptiques. Journal médical français, 6 (4), 1912, 155-161.
— L’instinct sexuel avant la puberté. Journal médical français, 6 (5), 1912, 375-382.
— Lettre de R. Morichau-Beauchant à Sigmund Freud. (1913) [en ligne sur notre site]
— La fausse incontinence des sphincters chez l’enfant (Paris Médical, 1922).

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 1845, colonne 1]

LE « RAPPORT AFFECTIF »

DANS LA CURE DES PSYCHONÉVROSES

par H. Moricheau-Beauchant,
Professeur à l’École de médecine de Poitiers.

Pendant une cure de psychothérapie le sujet ne subit pas passivement l’influence du médecin. Bien au contraire on voit, et cela quelle que soit la technique employée, se développer chez lui des courants d’idées et de sentiments qui exercent un rôle capital sur le résultat du traitement.

Nous voudrions étudier dans ce travail l’attitude sentimentale toute particulière du malade à l’égard de celui qui le traite et montrer l’influence qu’a sur la cure le rapport affectifqui l’unit à lui.

A vrai dire, le sujet a déjà été traité, et magistralement, par le professeur Janet (1) qu’il faut toujours citer lorsqu’on parle des psychonévroses. La description qu’il a donnée de l’influenceet la passion somnambuliqueest tout à fait hors de pair, et nous ne pouvons mieux faire que de citer ses propres termes :

« Le sommeil hypnotique ne ressemble pas au sommeil chloroformique ; il n’est pas déterminé brutalement par un agent chimique, il est déterminé par une autre personne, et le sujet qui a subi cette transformation ne reste pas indifférent vis-à-vis de la personne qui la lui a imposée. Il conserve pour son hypnotiseur des sentiments et des pensées qu’il n’avait pas auparavant…

« Ce que l’on observe le plus souvent c’est un sentiment d’affection qui peut très rapidement devenir extrêmement vif. Le sujet se sent heureux quand il voit son hypnotiseur et quand il lui parle ; il éprouve du plaisir à penser à lui, et par conséquent ne tarde pas à l’aimer beaucoup…

« Celui qui s’occupe d’elles n’est plus à leurs yeux un homme ordinaire, il prend une situation prépondérante auprès de laquelle rien ne peut entrer en balance. Pour lui elles sont résolues à tout faire, car elles semblent avoir pris une fois pour toutes la résolution de lui obéir aveuglément. »

Janet ne se borne pas à décrire les sentiments particuliers que le malade éprouve pour son médecin, il n’hésite pas à leur attribuer un rôle prépondérant dans l’amélioration des symptômes.

« Je crois que cette pensée persistante de l’hypnotiseur joue un grand rôle dans les phénomènes qui caractérisent la période d’influence somnambulique, et en particulier dans la disparition des accidents et dans le développement intellectuel que l’on constate à ce moment. Chez les sujets qui ne présentent pas cette affection spéciale pour leur l’hypnotiseur, le somnambulisme n’a guère chez eux aucune influence thérapeutique. »

Dans ce l’apport affectif, il voit l’essence même de la suggestion :

« Je crois même que ces phénomènes jouent un rôle considérable dans la suggestion elle-même… [p. 1845, colonne 2] Sauf chez quelques sujets très malades qui sont suggestionnés par n’importe qui, la plupart n’obéissent de cette manière qu’à une certaine personne… Ce n’est donc pas uniquement la suggestion qui détermine tous les phénomènes de l’influence somnambulique, ce serait au contraire dans bien des cas cette influence, cette domination de l’hypnotiseur qui déterminerait la suggestion elle-même. »

Ainsi la suggestion ne serait pas seulement « l’acte par lequel une idée est introduite dans le cerveau et acceptée par lui » (Bernheim), elle supposerait comme condition essentielle et préalable une sympathie particulière du malade vis-à-vis de celui qui le traite et c’est seulement lorsque celle-ci se trouve réalisée que la suggestion fait son œuvre. Le sujet obéit au médecin comme il obéit à l’être aimé. Bleuler a exprimé cette idée en disant : « La suggestion est un processus affectif (2). »

Dans ses remarquables travaux, Janet n’avait en vue que les malades soumis à la cure hypnotique, mais les mêmes considérations s’appliquent quelle que soit la méthode employée dans le traitement des psychonévroses. Si l’hypnotisme est la forme la plus parfaite de la suggestion, celle-ci intervient d’une façon ouverte ou déguisée dans Ioules les modalités de la psychothérapie (3), et c’est bien plus la personne du médecin que les raisonnements qu’il tient qui influence les manifestations morbides.

En fait, il suffit de savoir observer pour retrouver, chez les sujets soumis à la cure dite de persuasion, les traits essentiels du tableau si magistralement tracé par Janet.

Le médecin qui les soigne est un être à part qu’ils placent au-dessus de tout et dont ils s’occupent exclusivement. Lui seul sait les comprendre ; sa pensée ne les quitte pas. Ils veulent guérir pour lui être agréables. Leur affection envers lui se manifeste de mille manières : rêves, lettres, attentions de toutes sortes, jalousie aussi, car si le médecin est tout pour eux ils veulent aussi être payés de retour et passer avant tous les autres malades.

*
*    *

Il n’est pas sans intérêt pour le médecin psychologue de chercher quelle est la nature de ce lien affectif qui est à la base de tout traitement psycho­thérapique. Janet, parlant « du besoin singulier qu’ont les malades de revoir celui qui les a endormis et de parler avec lui », compare ce besoin à une passion dont les symptômes sont bien connus, la morphinomanie. Mais une autre comparaison ne serait-elle pas plus exacte ? Le malade qui désire si ardemment revoir son médecin ne nous fait-il pas songer plutôt à l’amant dont l’unique désir est de se rapprocher de l’être aimé ? Un sujet qui ne peut se passer d’une autre personne, qui ne voit le monde que par ses yeux, qui lui obéit aveuglément et n’attend de récompense que de lui, peut-il présenter autre chose que de la passion amoureuse ? Si Janet ne voit, entre l’amour sexuel et les phénomènes [p. 1846, colonne 1] qu’il a si merveilleusement décrits, qu’une « certaine analogie », c’est que (d’accord en cela avec l’immense majorité des contemporains) il se fait de celui-ci une conception beaucoup trop étroite. L’amour n’est pas seulement ce qui tend à l’acte physique du rapprochement sexuel, son domaine est bien plus vaste, par les éléments qui le composent, par les formes qu’il revêt et surtout par celles derrière lesquelles il se masque, il constitue la personnalité humaine et intervient dans toutes ses manifestations. Freud, dont les travaux sont chez nous ou ignorés ou si injustement déniés, a eu l’immense mérite de le montrer. Compris de la sorte, il y a une incontestable identité entre l’amour sexuel et les phénomènes qui font l’objet de note travail.

Janet a signalé, en en tirant argument, que les phénomènes d’influence se produisaient aussi bien chez les personnes âgées que chez les jeunes, et chez les hommes comme chez les femmes. Pour qui connaît les travaux de Freud, il n’y a rien là qui puisse faire exclure l’origine sexuelle de ces sentiments.

On s’imagine volontiers que la sexualité est limitée à la période d’activité génitale ; qu’elle s’éveille à la puberté et qu’elle s’éteint après un laps de temps variable pour chaque individu, mais qui précède et parfois de longtemps le moment de la régression sénile. Freud a montré combien cette opinion était fausse ; la sexualité ne connait pas d’âge, les manifestations en sont des plus évidentes chez l’enfant même normal, et se poursuivent, avérées ou déguisées, jusqu’à l’âge le plus avancé.

Cette proposition paraîtra à beaucoup exacte en ce qui concerne l’homme, et c’est à lui surtout que, croit-on, s’applique la phrase : « L’âge n’éteint pas le feu des passions. » Elle est tout aussi exacte, bien que d’observation plus difficile chez la femme. C’est là un sujet que l’on trouve plus volontiers traité par les romanciers (4) que par les médecins. El il n’y a nullement lieu de s’étonner lorsque l’on voit des femmes, même ayant dépassé l’âge de la maturité, témoigner à leur médecin des sentiments qui ne sont guère différents de ceux de la passion amoureuse. EL cela d’autant plus qu’il s’agit de malades atteintes de psychonévroses ; on sait en effet le rôle capital et peut-être unique que joue la sexualité non satisfaite dans la genèse de ces états morbides, nous y reviendrons d’ailleurs dans un instant.

Il paraîtra peut-être plus singulier que les sentiments d’affection éprouvés à l’égard du médecin ne soient pas l’apanage exclusif des femmes, mais, ainsi que Janet l’a expressément signalé, puissent être ressentis avec une égale intensité de la part des hommes au cours de la cure psychothérapique. [p. 1846, colonne 2]

Janet n’a donné aucune explication de ce phénomène si particulier qui lui a 1 paru témoigner contre l’origine sexuelle de ces sentiments. C’est à la lumière des travaux de Freud qu’il convient de les interpréter.

Cet auteur a montré qu’avant la puberté l’enfant fixait ses désirs aussi bien sur les personnes du même sexe que sur celui du sexe opposé ; qu’en un mot il existait —et cela même à l’état normal —dans la sexualité infantile un élément homosexuel (5). Au moment de la puberté, cet élément entre en régression et le désir sexuel n’a plus en vue de l’acte générateur. Les psychonévrotique qui cherchent toujours à revivre leurs premières impressions d’enfance conservent, par contre, cette tendance à ne pas fixer exclusivement leurs affections sur les personnes du sexe opposé, mais aussi sur celles du même sexe. Dans notre expérience peu étendue, nous avons pu, chez trois malades soumis à la psycho-analyse (deux hommes et une femme), déceler l’existence d’affections passionnées par l’égard de personnes de leur sexe, passions purement platoniques d’ailleurs, et qui ignoraient même souvent celui ou celle qui en était l’objet.

Lors donc au cours du traitement le médecin verra apparaître, chez un malade homme, les symptômes que nous décrivions au début et qui, pour être plus rarement observé, peuvent être tout aussi intense que chez les sujets de l’autre sexe, il en trouvera l’explication dans la fixation sur sa personne des tendances homosexuelles communes à tous les psychonévrotique, tendance que l’on pourra d’ailleurs également découvrir dans le passé du malade en le soumettant un procédé d’investigation dont nous parlerons tout à l’heure, la psycho-analyse.

Si nous poursuivons l’analyse des sentiments éprouvés par les malades vis-à-vis de leurs médecins, nous y trouvons un nouvel à élément qui n’est pas sans importance. C’est le besoin d’être dominé par une volonté forte, de se laisser conduire et dirigé dans les circonstances les plus futiles de la vie. Janet à signaler le fait chez des malades qu’il hypnotisait, nous l’avons observé nous-mêmes de la façon la plus nette. Une malade, atteinte d’obsessions des plus graves, nous disait : « Je voudrais être hypnotisé par quelqu’un qui puisse me dominer, par des Pickman par exemple ;  je sens alors que j’irais mieux. » Un autre malade, un homme qui présentait une phobie à caractère bien curieux, rechercher la présence d’un de ses camarades « énergiques », disait-il ; il aimait à recevoir des ordres de lui et voyait alors disparaître ces troubles en partie.  Son besoin de s’humilier, de se plier à toutes les exigences de l’être aimé, ne rappelle-t-il pas ces cas pathologiques dans laquelle la souffrance devient une volupté quand elle est affligée par un être aimé ? [p. 1847, colonne 1] Cette tendance se trouve très souvent dans les psychonévroses, intimement uni d’ailleurs à la tendance contraire, celle où l’on se complaît à faire souffrir celui que l’on aime. Masochismeet sadismesont les expressions par lesquels on désigne ces deux tendances opposées, souvent unies d’ailleurs. Lorsqu’elles sont poussées à l’extrême, elles appartiennent certainement à la pathologie de l’amour et constituent des formes à part de perversions sexuelles ; il n’en est pas moins vrai qu’on les retrouve plus ou moins ébauchées comme élément de l’amour normal et qu’elles peuvent toutes les deux s’exercer sur le médecin.

Ce serait méconnaître la complexité des sentiments éprouvés par le malade si nous nous refusions à y voir encore autre chose que ce qui a été dit jusqu’ici. Bien des sujets éprouveraient plus que de l’étonnement si on leur dévoilait la vraie nature des pensées qui le nourrissent à l’égard de leur médecin. Il protesterait vivement et sincèrement en disant qu’aucune idée « impure » ne les a jamais effleurés et que leurs sentiments sont faits de vénération et de respect, que le médecin est pour eux un père, un prophète, presque Dieu (6).

*
*    *

Nous avons vu qu’elle était la véritable nature des sentiments d’affection éprouvée par le malade à l’égard du médecin pendant la cure de psychothérapie.

Nous devons nous demander maintenant quel est leur signification et comment il se fait que leur apparition soit régulièrement suivie d’une amélioration notable des symptômes morbides. Pour cela il nous devient nécessaire d’aborder le grand problème de l’étiologie des névroses, et écartant les conceptions aussi nombreuses que peu satisfaisante qui ont été proposées, de nous attacher à lui seul, celle de Freud, qui va nous donner la solution du problème.

Freud va parfaitement étudier écrit les phénomènes dont nous nous occupons. Il a montré leur contenu sexuel ; enfin, mieux que tout autre, il a pénétré le mécanisme qui préside à leur formation. Les sentiments passionnés témoignés aux médecins représentent les désirs anciens du malade devenus inconscients, que celui-ci a transféré (7) sur celui qui le traite. Sur lui, le malade transporte de l’affection et la haine qu’il a déjà éprouvée pour d’autres personnes. Freud a en effet montré que ce n’était pas seulement des sentiments d’affection qui se faisait jour pendant la cure, mais aussi des sentiments inverses, et le parle d’un transfert positif et [p. 1247, conne 2] négatif ; toutefois, celui-ci a moins d’importance, car si le malade éprouve une hostilité persistante pour son médecin, et le quitte et la nature prend fin.

La psycho-analyse révélera toute la série des personnes à propos desquelles le malade a éprouvé des sentiments d’amour ou de haine, d’abord celles du passé immédiat : amant, femme, maîtresse, puis les affections de jeunesse (maîtres, amis), et enfin les premières pensées sexuelles à contenu de désir, de violence ou l’angoisse remontant à l’enfance et ayant trait aux parents. Nous touchons ici au cœur même de la névrose. Une analyse approfondie permettra toujours, d’après Freud, de retrouver au cours de l’enfance, chez les malades atteints de psychonévroses, des désirs sexuels sous forme d’amour ou de haine, ou exprimant diverses perversions, désirs ayant comme objets les parents ou les personnes de leur entourage immédiat. Ces désirs sont réprimés(9) par le sujet et sou exclus de la conscience, mais la charge émotive qu’ils l’enferment, ne pouvant s’exercer d’une façon normale, va se porter dans d’autres directions et se fixer sur d’autres objets plus acceptables, soit qu’elle se convertisse en manifestations somatiques (hystérie) ou qu’elle se transforme en phénomène physiques (obsessions, angoisses, phobies, processus de contrainte). Ainsi, la place des complexes d’après Freud, les symptômes des Psycho les oppose ne serait d’autres que des formations de remplacement, que des attitudes de compensation qui prendrait la place des complexes(10) douloureux ou réprimés. A la base tout le processus on note une tendance au déplacement (11) à la transformation d’une émotion d’un concept sur un autre moins inacceptable. Ce concept de secondaire, investi de l’émotion originale, tient la place du concept primitif douloureux qui a été réprimé et exclu de la conscience.

Mais ce déplacement ou sur le transfert qui représente un processus de défense ne réussit jamais complètement. L’objet secondaire sur lequel s’est fixé l’émotion primitive ne suffit pas pour la saturer, et il reste toujours une certaine quantité d’émotion libre n’ayant pas eu une issue satisfaisante et qui cherchent une occasion pour se fixer. Aussi voyons-nous [p. 1848, colonne 1] nous les nerveux toujours à la recherche d’objets sur lesquels ils puissent transporter leurs sentiments ; les réactions émotionnelles inconsidérées, la sympathie excessive, l’amour ou la haine déployés pour des occasions banales trouvent leur explication dans ce processus.

La psychothérapie, surtout celle entendue au sens de Freud qui ne craint pas de scruter tout le passé sexuel du malade, est éminemment propre à provoquer le transfert sur le médecin des sentiments a affectifs antérieurement éprouvés par le sujet.

« Les émotions autrefois réprimées, lorsqu’elles redeviennent conscientes par la psychanalyse, arrivent en présence du médecin à l’état naissant et cherchent à saturer leur valence sur sa personne ». (Ferenczi.)

Mais ainsi que nous l’ayons déjà dit les sentiments éprouvés par le malade à l’égard du médecin ne peuvent être entièrement compris que si on les considère comme une reviviscence des premières impressions infantiles. « Le médecin est un des revenants dans lesquels le névropathe espère retrouver les visages disparus de l’enfance. » (Ferenczi.)

Il est dès lors facile de se rendre compte pourquoi l’affection témoignée au médecin pendant la cure s’accompagnera d’une notable amélioration ou d’une disparition de symptômes de la névrose. Les désirs du malade étant fixé sur le médecin ne cherche plus à s’exprimer par des manifestations morbides devenues inutiles.

Jusqu’à quel point le malade peut-il bénéficier de l’influence exercée sur lui par le médecin

Sait ce qu’il convient maintenant d’étudier. Sans doute tout d’abord les résultats semblent satisfaisants puisqu’ils se traduise par la disparition des symptômes antérieurs observés. À bien y réfléchir on ne tarde pas à se rendre compte que la réaction émotionnelle éprouvée sur le médecin est inadéquate et que le malade n’a fait qu’échanger un symptôme contre un autre puisqu’il est désormais sous la dépendance de celui qui le traite. Sans doute il est des cas où le bénéfice peut être permanent, le médecin peut conserver son influence, mais au prix de quelles difficultés et de quelle patience ! Le plus souvent lorsque la cure a pris fin et lorsque les malades sont soustraits à l’influence du médecin les rechutes se produisent, les mêmes symptômes ou des symptômes équivalents se reproduisent après un temps plus ou moins long. Mais il est des cas où les phénomènes dont nous avons parlé dans ce travail peuvent être pour le médecin la cause de bien des ennuis. L’affection que leur témoigne les malades se sont souvent en sentiment inverse ; chez les névropathe l’amour est près de la haine et il suffit que le médecin prenne une attitude plus ferme pour qu’il fasse quelques observations pour que celles-ci apparaissent porter au paroxysme. Mais il est un danger plus grand encore ; les hystériques qui prennent le médecin comme objet de leurs désirs sont quelquefois tentées, croyant à la réalité de leur fantaisies ou de leurs rêves érotiques, de les accuser d’attentats [p. 1848, colonne 2]  imaginaires et la lecture peut avoir un épilogue judiciaire.

La connaissance des prêts précédents nous paraît avoir une utilité incontestable. Il montre que ce que nous avons appelé le « rapport affectif » étant lui-même un processus aveugle qui a besoin d’être dirigé et contrôlé. Il est bon, croyons-nous, de prévenir les malades lorsque l’on voit leurs sentiments passer une certaine mesure. Une remarque est ici intéressante à faire. Il est possible que le sujet ne se rende pas compte de la nature de l’affection qu’il porte à son médecin, mais cela n’est pas toujours vrai et il en est beaucoup qui ne s’y trompent pas. Cela peut être pour eux une cause de trouble et éveiller des scrupules religieux. Le médecin aura tout intérêt dès qu’il verra que l’attitude du malade change à son égard et qu’il occupe dans ses pensées une place trop exclusive, à l’éclairer sur les sentiments qu’il éprouve, à lui montrer qu’il s’agit là de phénomènes qui font partie intégrante de la cure et dont la durée ne sera d’ailleurs que passagère.

Le rapport affectif doit donc être considéré comme un élément indispensable de la cure de psychothérapie, mais incapable par lui-même de la réaliser. Il sera la condition nécessaire pour permettre à celle-ci de se poursuivre. Mais c’est le traitement psychologique qui seul permettra d’atteindre la névrose, non plus dans telle ou telle de ses manifestations, mais dans son fondement même.

Les symptômes si extraordinaires et en apparence absurdes que nous voyons se développer au cours de ces états morbides ne sont en aucune façon le produit du hasard ; celui-ci n’existe pas plus dans le monde psychique que dans l’organique, dans celui-ci comme dans celui-là tout est strictement déterminé.

On ne guérira pas un nerveux en lui prodiguant les paroles d’espoir et d’encouragement, en lui disant de laisser de côté le passé pour ne considérer qu’un avenir meilleur, en faisant appel à sa raison et à sa volonté. Les psychonévroses ont des causes profondes, elles découlent logiquement de certaines situations, étant données les circonstances elles constituent pour le malade la seule attitude possible.

Le traitement psychologique consistera donc à pénétrer dans la vie intime du sujet, à faire revivre toutes les circonstances du passé qui ont été le point de départ des accidents. Parmi ces circonstances celles qui ont trait au passé sexuel du malade sont les plus importantes ; ce sont même les seules qui comptent si l’on admet la théorie de Freud. La méthode dont celui-ci est l’auteur, la psycho-analyse, a précisément pour but de rechercher dans le passé du malade les diverses expériences sexuelles « réprimées », en particulier les premières manifestations de la sexualité infantile ayant pour objet les parents, de les rendre à nouveau conscientes, de leur restituer la charge émotive qui, ne trouvant pas d’issue d’une façon satisfaisante dans les voies normales, avait cherché un écoulement dans des voies anormales, somatiques ou psychiques constituant ainsi les symptômes de l’hystérie et des autres psychonévroses. Dans ces conditions et dans ces conditions seules on peut espérer une guérison totale et définitive. [p. 1849, colonne 1]

Bibliographie

On consultera avec fruit les travaux de Janet, en particuier « Névroses et Idées fixes » où tout un chapitre est consacré à l’influence somnambulique. À ceux qui voudront s’initier aux théories de Freud nous conseillons de lire avant tout son œuvre cruciale Drei Abhandlungen Sexualtheorie. Son ouvrage récent Ueber Psychoanalysepeut servir d’introduction à la lecture des autres travaux de l’auteur. En ce qui concerne plus spécialement le rapport affectif, nous attirons l’attention sur deux excellents mémoires que nous avons utilisés pour notre travail. Le premier est de Ferenczi, intitulé « Introjektion und überragung », il apparut dans le Jahrbuch für psychoanalgtsche Forschungen, 1909, p. 422. L’autre : « The action of suggestion in the psychotherapy »  a pour auteur le médecin américain E. Jones  et a été publié dans The Journal of abnormal psychology, janvier 1911. Ferenczi et Jones sont des élèves de Freud.

Notes

(1) Janet. Névroses et idées fixes, p. 423.

(2) Bleuler, Affectivität, Suggestibilität, Paranoïa, 1906, p. 53

(3) Ceci ne s’applique pas à la psycho-analyse de Freud.

(4) Dans un roman paru récemment est intéressant pour le médecin à plus d’un titre, l’auteur met dans la bouche de l’héroïne les paroles suivantes : « Personne n’a jamais proclamé cette grande vérité que la femme, à mesure qu’elle avance en âge, devient de plus en plus femme. Oui, sa féminité va sans cesse en augmentant : la femme mûrie jusqu’au plus profond de l’hiver. »  Michaelis, L’âge dangereux ‘traduction de Marcel Prévost), p. 103. Balzac à traiter d’une façon analogue le même sujet.

(5) Lire, dans Jean-Christophe, une des œuvres les plus fortes et certainement les plus vrai du roman contemporain, la description, qui ne saurait être surpassé, d’une de ces affections passionnées d’enfants « qui devancent l’amour et qui sont déjà de l’amour ». Dans le livre de Romain Rolland, bien des pages viendraient apporter une confirmation inattendue aux théories de Freud.

(6) Les sentiments passionnés qui éprouvent certains sujets pour le prêtre rappellent singulièrement ceux que nous étudions dans ce travail est prête aux mêmes considérations.

(7)  L’expression et de Freud.

(8)  Près de emploie le terme übertragungpour désigner l’ensemble des sentiments affectifs déployés sur le médecin pendant la cure. On peut le traduire par « report » ou « transfert ».

(9)  L’acte de répression que Freud désigne sous le nom de Verdrangungest le primum movensde la névrose.  Une idée est « réprimée » par ce que, étant incompatible avec les sentiments et la personnalité du sujet, elle serait douloureusement perçue. La répression d’une idée a pour conséquence l’oubli. Dans la vie ordinaire, il se passe quelque chose d’analogue lorsque nous cherchons à oublier les événements pénibles qui nous sont arrivés. Dans son livre Ueber PsychoanalyseFreud donnent l’exemple suivant comme un type de « répression ». Une jeune fille et mais sans se l’avouer le mari de sa sœur ; Celle-ci mourut après une courte maladie. Près du lit de mort une pensée subite lui traversa l’esprit : « Maintenant il est libre et il peut m’épouser. » Cette pensée fut certainement « réprimée » aussitôt que connue.  La jeune fille présenta des symptômes graves d’hystérie. Freud qui la traitait constata qu’elle avait totalement oublié le vœu égoïste formulé au lit de mort de sa sœur. Lorsque pendant la cure la mémoire leur revint, elle revécue ce moment, avec les signes de l’émotion la plus vive et les symptômes disparurent.

(10) Sous le nom de complexes, Lyon désigne un groupe d’idées ayant même contenu est donc une forte tonalité émotive :  complexe de l’amour, complète de la jalousie, complexe de l’or, etc.

(11) Verschiehung, suivant l’expression de Freud.

(12)

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