Ernest Hildesheimer. Les Possédées de Louviers. Extrait de la « Revue d’histoire de l’Eglise de France », (Paris), 1938, pp. 422-466.

Ernest Hildesheimer. Les Possédées de Louviers. Extrait de la « Revue d’histoire de l’Eglise de France », (Paris), 1938, pp. 422-466.

 

Ernest Hildesheimer (1912-2002). Historien et archiviste. Auteur de très nombreux articles sur l’histoire du sud-est de la France.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons rectifié quelques fautes d’impression.
 – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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LES POSSÉDÉES DE LOUVIERS (1)

—Historique du couvent de Saint-Louis-et-Sainte-Elisabeth. Pierre­ David. Mathurin Picard. Madeleine Havent. —II. Origine des désordres. Adamisme, obsessions et hallucinations. —III. Phase ecclésiastique du procès. —IV. Intervention des autorités civiles. —V. Inculpation du vicaire Boullay. Procès de Madeleine Bavent. —VI. Arrêt du parlement de Rouen. —VII. Conclusion.

 

Le 4 décembre 1642, la mort avait mis un terme à la carrière du cardinal de Richelieu ; moins de six mois plus tard le monarque dont il avait été l’habile conseiller devait le suivre dans la tombe. Tandis que la guerre continuait, les événements intérieurs les plus graves se préparaient ; le pouvoir central devenu moins fort, les ambitions contenues se réveillaient.

Cependant la vie provinciale poursuivait son cours ; elle ajoutait ses chapitres multiples à ceux de la grande histoire, et ses agitations qui, pour être d’une moindre importance, n’ont garde d’être d’une moindre acuité.

En ces premiers mois de l’année 1643, la tranquillité de l’évêque d’Evreux, François de Péricard, menaçait d’être [p. 423] troublée. Depuis 1613, ce prélat gouvernait le diocèse, et ses efforts avaient tendu à maintenir le calme et la concorde. Au cours des incidents dont nous retracerons l’histoire, il nous apparaît sous les traits d’un homme pacifique, mêlé bien malgré lui, à de déplorables événements, incapable d’y montrer l’énergie nécessaire, comme il l’aurait certainement été de manifester la moindre cruautés (2). M. d’Évreux appartenait à cette catégorie de personnes, nombreuses en tous temps, qui ne sont pas nées pour faire des héros, mais savent rester dans le droit chemin, quitte à laisser leur conscience en sommeil, si leur intérêt leur commande de s’en écarter quelque peu. Son désir le plus cher devait être de jouir en paix de son bénéfice et, sans crainte de nous tromper, nous pouvons affirmer que les dernières années de son épiscopat ne furent à personne plus dures qu’à lui.

De Louviers cependant les bruits les plus fâcheux lui parvenaient. Le couvent de Saint-Louis-et-Sainte-Elisabeth où les religieuses hospitalières du tiers-ordre de saint François avaient fixé leur établissement était, on n’en pouvait plus douter, le théâtre de faits très regrettables. Une ancienne tourière, devenue religieuse du chœur, Madeleine Bavent, adressait à l’évêque des lettres où la folie ne le disputait qu’à la dépravation (3). Le directeur spirituel du monastère, Mathurin Picard, curé du Mesnil-Jourdain, mort depuis peu, avait, par l’intermédiaire du P. Dufour, jésuite de Rouen, fait entendre ses plaintes à l’évêché (4). Monseigneur s’était transporté en personne à Louviers ; en vain avait-il désigné un autre confesseur, espérant qu’un changement de personne amènerait l’apaisement (5), rien ne parvenait à étouffer le scandale. [p. 424]

  1. —Historique du couvent.

Pierre David, ·Mathurin Picard, Madeleine Bavent.

La fondation du couvent de Saint-Louis-et-Sainte-Elisabeth remontait à l’année 1616 (6). En 1643, aucun des fondateurs n’y était demeuré, soit que la mort ait fait son œuvre, soit que les circonstances aient pourvu à l’éloignement.

C’est à Paris que l’idée de l’établissement était née, dans le cercle pieux qui gravitait autour de Catherine Le Bis, veuve de Jean Hennequin. Celle-ci portait le deuil d’un procureur en la Chambre des comptes de Normandie, condamné à mort pour concussion et exécuté sur la place du Vieux Marché, à Rouen, le 14 mars 1602. Réfugiée ·à Paris, elle avait trouvé dans la dévotion un remède à ses maux. Un prêtre de la paroisse de Saint-Jean-en-Grève, renommé pour son ascétisme, Pierre David, s’était constitué le directeur spirituel du groupe qu’elle avait formé. Laissant de côté pour l’instant les graves accusations portées contre ce personnage par la suite, nous nous contenterons de donner le portrait, d’une belle venue romantique, qu’en trace un de ses ennemis posthumes, le P. Esprit de Bosroger :

« Sa démarche grave et modérée, ses yeux baissés, sa barbe longue et négligée, la pâleur de son visage exterminé à dessein, la douceur de ses entretiens, sa condescendance avec ceux qui lui parlaient, l’ardeur de son zèle, l’attention sur ses actions, la suspension de son esprit marquée sur son front, le débit sérieux de ses idées, sa retenue fort étudiée, quelques mots enflammés qui donnaient des sentiments de Dieu et du Paradis, quelques fervents soupirs, sa mine reformée en contemplatif, ses longues messes pendant lesquelles il paraissait tout extatique, ses actions de grâces entrecoupées de sanglots et soudainement arrêtées par un paisible silence ; en un mot tous ses exercices et toutes ses postures ne promettaient rien que de grand. » (7)

Un mysticisme quelque peu exagéré, un manque de bon sens, peut-être un état nerveux légèrement maladif, tels semblent être les seuls reproches qui puissent être adressés à ce prêtre, considéré de son vivant comme un très saint homme.

Une jeune fille jouait aussi un rôle important dans cette petite société : Simone Gaugain, née en septembre 1591, fille d’un boucher de Patay, en Orléanais. Toute jeune, elle s’était [p. 425] signalée par une piété telle que Mme Mangot, femme de Claude Mangot qui allait recevoir la garde des sceaux en novembre 1616 et qui possédait un château à Orgères, près de Patay, la fit venir auprès d’elle à Paris, en 1614. A l’époque de sa confirmation, Simone, manifestant ainsi sa dévotion pour saint François d’Assise, changeait son nom en celui de Françoise, et c’est sous ce nouveau nom que la petite Mère Françoise de la Croix devait acquérir la célébrité. Pierre David fréquentait aussi chez les Mangot ; sous son influence, Françoise pénétra dans le cénacle de Catherine Le Bis qui devait l’adopter par acte du 11 juillet 1615.

La vie régulière ne tarda pas à paraître à toutes ces pieuses personnes la meilleure manière de réaliser leur idéal ; c’est ainsi que, le 16 juin 1616, les habitants de Louviers étaient réunis pour entendre lecture d’une requête présentée par « les frères et sœurs pénitents hospitaliers, professeurs du troisième ordre institué par le glorieux père saint François » et tendant à obtenir la permission de « faire bâtir hospice, église, cimetière et logis séparés pour leur habitation » étant entendu qu’Ils seraient « exempts de toutes charges, impositions et droits quelconques mis et à mettre sur le corps de votre dite ville. » Les habitants donnèrent leur consentement. Les autres formalités ne suscitèrent pas de difficultés : autorisation royale du 22 juillet 1616 enregistrée au parlement de Rouen le 11 août ; acte de donation passé par Catherine Le Bis devant notaires le 23 juillet et insinué au Châtelet le 26 juillet, portant les fondations nécessaires à l’établissement des deux instituts.

Nous n’insisterons pas sur les premières difficultés qui se produisirent dans le couvent. Les religieux et religieuses étaient affiliés à la congrégation de Picpus ; mais dès l’origine un mouvement de révolte naquit contre l’autorité du P. Vincent Mussart, vicaire général de l’ordre. Finalement les hospitalières furent placées sous l’autorité exclusive de l’évêque d’Évreux (bref du pape, 20 décembre 1621 ; lettres royaux, 10 février 1622).

La première supérieure fut naturellement Catherine Le Bis qui, sous le nom de sœur de Jésus, présida aux destinées du couvent jusqu’à sa mort en 1622. Françoise de la Croix lui succéda mais pour peu de temps ; à la suite d’une maladie, elle regagna Paris où elle fonda l’établissement des religieuses hospitalières de la Charité-Notre-Dame, ordre de saint Augustin. Entre temps, les héritiers de Catherine Le Bis, excipant de la non-construction du couvent, obtenaient l’annulation des donations précédemment faites, si bien que le monastère ne [p. 426] dut de se maintenir qu’à la charité de demoiselle Geneviève Le Beau, femme de Pierre Le Boucher, sieur d’Orsay et de Brosses.

Il semble que les religieuses occupèrent le couvent de Saint-Louis-et-Sainte-Élisabeth, aujourd’hui détruit, seulement vers 1628 ou 1630. En tous cas, c’est le 9 mars 1631 que François de Péricard bénit l’église et inaugura l’Hôtel-Dieu. Pierre David, directeur spirituel et instigateur de la fondation, était mort en 1628.

La lenteur paraît avoir été à l’honneur dans tout ce qui touche aux origines du couvent ; il faut, en effet, attendre jusqu’en 1636 pour que M. d’Évreux donne officiellement aux religieuses leur règle, conformément au bref de Grégoire XV.

A David, premier directeur spirituel du couvent, avait succédé en 1628 Mathurin Le Picard, curé du Mesnil-Jourdain, appelé plus communément Picard, suivant l’usage local. Trois ouvrages attestent son activité intellectuelle : la Vie des saints Mauxe et Vénérand, l’Arsenac de l’âme et le Fouet des paillards ou juste punition des voluptueux et charnels. Ce dernier titre a déchaîné les foudres de Michelet ; il attribue la paternité de l’œuvre à David et qualifie le traité de « livre bizarre et violent contre les abus qui salissaient les cloîtres » (8) Que n’a-t-il pris la peine d’en parcourir les chapitres ? Il aurait vu qu’ils ne contiennent pas une ligne relative à ces terribles abus, mais des développements moraux, émaillés de citations bibliques et patristiques, aussi ternes et ennuyeux qu’édifiants.

Nous ne signalerons que pour mémoire le testament de Picard (9) rédigé quelques jours avant sa mort, le 8 septembre 1642. Deux érudits lovériens, André Huet et Lucien Barbe en ont tiré des conclusions formelles : les legs pieux seraient une preuve de la sainteté du testateur, et la mention de ses livres et de ses manuscrits constituerait la plus sûre indication de sa science éminente. Nous avouons franchement ne pas trouver dans ce texte de tels renseignements : qu’un prêtre fasse des legs pieux, quoi de plus naturel ! Et que Picard, écrivain à ses heures, ait possédé une bibliothèque et ait laissé quelques manuscrits, voilà qui n’est pas fait pour nous étonner beaucoup.

Au sujet de Madeleine Bavent, qui va apparaître parmi les principaux acteurs du drame, il faut d’abord signaler une erreur, qu’il nous a été possible de déceler grâce aux archives [p. 427] si précieuses de l’état civil rouennais conservées à la bibliothèque municipale de Rouen, et dont l’importance psychologique ne peut manquer d’apparaître. Son autobiographie commence ainsi : « Dans la présente année 1647, en laquelle je fais cet abrégé de l’histoire de ma vie criminelle, je crois avoir près de 40 ans, bien que je ne sache pas précisément l’année de ma naissance. Mes père et mère ont été Me Guillaume Bavent et Jeanne Planterose de cette ville de Rouen. » Par ailleurs l’auteur du Récit véritable précise : « Magdeleine Bavent, native de Rouen, fille d’un marchand grossier demeurant dans la rue Escuyère. »

Or, en feuilletant les registres de catholicité de la paroisse Saint-Pierre l’Honoré qui, pour les années 1606 et suivantes ne nous ont rien donné, nous avons été assez heureux pour découvrir l’acte de baptême de notre personnage à la date du 17 novembre 1602 (10).

Nous remarquerons que Madeleine Bayent n’est entrée au monastère Saint-Louis-et-Sainte-Élisabeth qu’après le départ de la Mère Françoise de la Croix, puisqu’au chapitre VIII de sou Histoireelle déclare qu’elle ne la connaît pas et précise : « Je ne l’ai point vue en ce monastère qu’elle a fondé. » Elle aurait donc commencé sa vie religieuse vers 1623, c’est-à-dire âgée de 20 ou 21 ans, et non pas dans sa seizième année, comme elle le déclare au chapitre II.

Ainsi ce serait entre 15 et 20 ans que, placée par son oncle et tuteur Sadoc (11) chez une lingère, dame Anne, elle aurait été séduite par un cordelier, nommé Bontemps, détail qu’elle nie dans son Histoireaprès l’avoir avoué dans ses interrogatoires. Il nous paraît très vraisemblable de conclure avec Lucien Barbe qu’elle serait entrée au couvent, non de son plein gré, mais sur l’injonction de son tuteur désireux de « se débarrasser d’une nièce gênante. » Seulement c’est une jeune fille parvenue à un âge où les premières illusions sont tombées : le loup dans la bergerie. [p. 428]

  1. —Origine des désordres.

Adamisme, obsessions et hallucinations.

Que se passait-il cependant dans le couvent de Saint-Louis­ et-Sainte-Elisabeth, dont l’autorité épiscopale eut à s’émouvoir si vivement ? Sur la genèse des événements nous sommes assez mal renseignés.

Après la mort de Picard en septembre 1642, le mal dut prendre une extension imprévue. Certes le directeur aurait pu montrer une plus grande énergie ; il fait intervenir auprès de Péricard le P. Dufour, jésuite de Rouen, pour signaler les abus ; mais nous n’avons nulle trace qu’il les ait lui-même dénoncés opportuneet importune, sans se lasser, comme c’eût été son devoir, et nous sommes fort tenté de croire que, tout en déplorant des faits regrettables, sa timidité et sa non­chalance le faisaient agir de même manière que dans sa cure du Mesnil-Jourdain où, de l’aveu même de ses partisans, il maintenait un vicaire de mœurs douteuses (12) !

Picard se plaint d’avoir à lutter contre les progrès de l’adamisme que Pierre David aurait introduit dans le couvent. De nos jours nous avons été familiarisés avec cette pratique, que des hygiénistes aux doctrines philosophiques hardies mettent en application dans des « camps » à l’abri des regards indiscrets ; il est vrai que l’usage n’en a pas pénétré dans les couvents, et nous avons tout lieu de croire qu’il n’est pas près d’y apparaître.

Madeleine Bavent fait écho à ces bruits. Au chapitre II de son Histoire elle résume ainsi l’enseignement de David : « Il disait qu’il fallait faire mourir le péché par le péché, pour rentrer en innocence et ressembler à nos premiers parents, qui étaient sans aucune honte de leur nudité devant leur première coulpe. » Et elle ajoute des détails qui montrent que cet enseignement aurait trouvé des disciples complaisantes.

Le P. Esprit de Bosroger, dans son livre touffu dont nous aurons à reparler (13), analyse avec passion et exagération les idées du premier directeur. David aurait mis au premier rang des vertus d’obéissance et, par un artifice habile, aurait persuadé aux religieuses que le meilleur moyen de manifester leur obéissance envers Dieu était de se conformer à ses propres directions, favorisé qu’il était de grâces extraordinaires. La raison, le jugement, la prudence humaine sont [p. 429] autant de dangers ; ce sont des manifestations de la chair, et nous devons les surmonter pour parvenir à l’anéantissement, triomphe de l’âme sainte. Enfin, il proclamait que la loi établie pour le commun des mortels, n’était point faite pour les âmes justes : « L’amour opère tout en elles ; il n’y a point de commandement qui oblige de telles personnes, l’onction du Saint-Esprit les console, Dieu les enseigne en toute sûreté, elles sont libres de la liberté même de Jésus-Christ ; pourquoi donc les charger de ·fardeaux insupportables par tant de lois et de recherches inutiles ? » La convoitise de la chair étant la pire adversaire de cet état de haute spiritualité, autant ne pas lui résister, pourvu que l’esprit se maintienne dans son union avec Dieu. Bosroger ajoute : « Qui ne sait, disait ce vilain, que la nudité est l’apanage de la vraie innocence, il faut donc mortifier la honte et la crainte naturelle. »

Nous n’hésiterons pas à dire combien nous paraissent douteuses les théories adamistes de David. Voilà un homme dont la spiritualité a paru éminente dans un milieu dévot ; par quelle aberration aurait-il professé dans un couvent où ses fonctions lui conféraient une autorité morale particulière des doctrines aussi peu conformes aux bonnes mœurs et aux idées reçues dans l’Église ? Au contraire il apparaît commode de prêter à un mort la responsabilité de désordres provoqués par un dévergondage mental. D’ailleurs, cet exposé des idées de David dégagé de tout le fatras qui l’encombre montre que ce mystique s’apparente au quiétisme ; il substitue à l’effort moral de l’homme un anéantissement dans la volonté divine. Il serait un tenant des doctrines qui annoncent Molinos et feront sentir leur influence sur des esprits supérieurs et d’une pure élévation comme Fénelon. Tout ce que nous sommes en droit de conclure, c’est que ce mysticisme un peu trouble et outrancier a pu développer chez des religieuses vivant repliées sur elles-mêmes et soumises dans leur clôture même à quelques influences dangereuses un état d’esprit d’excitation capable de conduire au dérèglement moral.

Jusqu’où allèrent, dans le monastère, les folies de l’adamisme ? Nous l’ignorons. Mais nous possédons plus de renseignements sur les hallucinations et obsessions dont il fut le théâtre.

Anne Barré, en religion sœur Anne de la Nativité, voit le diable lui apparaître, en 1642, après la mort de Picard. Pendant la nuit dans sa cellule, à la chapelle durant les cérémonies religieuses, pendant les coulpes, elle croit le voir dans d’affreuses postures, sous la forme d’une bête fantastique, à l’énorme gueule ; il lui montre des figures d’hommes et de [p. 430] femmes qui dansent nus, parfois elle fait des chutes qu’elle attribue à cet ennemi surnaturel. Une autre fois-elle s’imagine qu’un crucifix vient lui parler et feint de lui adresser de pieuses exhortations ; mais éclairée par la maîtresse des novices, elle ne se laisse pas prendre à la ruse. Le tout agrémenté de « visions deshonnestes », suivant les propres termes de Bosroger, qui ne nous laissent aucun doute sur l’origine de ce délire. Ailleurs c’est un soleil, c’est-à-dire un ostensoir, qui lui adresse des paroles trompeuses, alors qu’elle fait une neuvaine à la Vierge ; d’autres fois le démon prend la forme d’une religieuse, notamment de la maîtresse des novices ; enfin il se déguise encore en ange de lumière d’une beauté étonnante. En même temps « convulsions, suspensions et roideurs » donnent une indication qu’un moderne psychiâtre ne négligerait pas (14).

Sœur Marie du Saint-Esprit voit à plusieurs reprises un homme noir qui trace un cercle infernal, en lui disant qu’elle sera à lui, lorsque le cercle sera achevé. Alors qu’elle s’entraîne à la méditation dix jours avant Noël et fait une nouvelle donation d’elle-même à Dieu, ses pensées s’égarent dans des horreurs, et des idées de blasphèmes la saisissent. La nuit suivante deux diables apparaissent dans sa cellule, dont l’un s’assied sur son ventre ; ils disent que tout le couvent leur appartient et adjurent la religieuse de se donner à eux. D’autres fois, elle crut voir entrer dans sa cellule la maîtresse des novices, mais c’est pour entendre d’affreux conseils et recevoir l’ordre de se vouer au diable. La dernière apparition a lieu dans le chœur : sœur Marie du Saint-Esprit aperçoit un diable aux pieds griffus et « le corps tout plein de petits crocs qui sortaient de sa chair. » L’hallucination finie, la malade tombe à terre, ayant sans doute perdu connaissance (15).

Marie Langlois, fille d’un président en l’élection de Pont de l’Arche, en religion sœur marie du Saint-Sacrement, a fait un long récit de ses troubles ; Bosroger l’a reproduit, et nous n’insisterons pas sur des détails semblables aux précédents. Le 27 ou 28 février 1642, sœur du Saint-Sacrement se réveille au moment où sonnent les matines ; la forme d’un prêtre en « robe de chambre » lui apparaît, puis se transforme en une bête qui ouvre une gueule énorme et lui crie qu’elle ne lui échappera pas ; en même temps la religieuse est tellement battue qu’elle ne sait plus de quel côté se tourner. Sœur du Saint-Sacrement s’imagine que le démon, sous l’apparence de la supérieure, Mère Marie de l’Annonciation, lui présente un [p. 431] papier écrit en encre rouge ; puis, empruntant les traits du confesseur, il lui fait signer un billet et le lui enlève ; à la suite de quoi, elle rédige une renonciation formelle au démon devant Péricard lui-même (16).

Enfin ce sont les apparitions répétées d’un démon transformé en ange de lumière, dont la beauté et les tendres propos nous font bien saisir la folie amoureuse, qui est à la base de l’affaire. Écoutons plutôt la religieuse elle-même :

« Quand je l’aperçus si beau, ayant le visage si doux et si agréable, mes sens demeurèrent tous interdits de joie et de consolation, il me toucha sur le cœur et je fus fortifiée… ; il me dit plusieurs paroles amoureuses que l’époux dit à son épouse aux Cantiques des Cantiques, elles étaient si sensibles que je ne les pouvais supporter ; il me semblait que mon âme allait sortir de mon corps et que j’allais mourir ; il me disait, mettant la main sur le cœur : Que tu serais heureuse, si l’amour te tirait l’âme du corps, tu jouirais de ces doux contentements. » Sœur du Saint-Sacrement attend avec impatience ces apparitions ; la menace d’en être privée la trouble profondément, et toujours revient l’indication de cette beauté extraordinaire. Notons aussi la crise de tremblement hystérique qui se déclare, lorsque le confesseur conjure sa pénitente de parler : « Il me prit aussitôt un tremblement extraordinaire par tout le corps, que je ne pouvais m’arrêter, mes dents faisaient un si grand bruit les unes contre les autres que je ne pouvais parler. Ce tremblement me dura bien une demi-heure. » (17)

Tenons compte des exagérations, du parti pris, et aussi des transformations de la vérité opérées dans le récit des religieuses. Il n’en reste pas moins que de nombreux témoi­gnages prouvent bien l’existence d’hallucinations et obsessions de caractère collectif. Sœur Barbe de saint Michel, sœur Marie de saint Nicolas, sœur de saint Laurent, Madeleine Bavent enfin (et nous reviendrons sur ce dernier cas) sont victimes de troubles analogues. Un vent de folie et de névrose soufflait sur le monastère et atteignait à son paroxysme en ces années 1642 et 1643 (18). [p.

III. —Phase ecclésiastique du procès.

François de Péricard subissait fortement l’ascendant du provincial des capucins de Normandie, le P. Esprit de Bosroger (19). Que le P. Esprit ait voulu mettre fin aux désordres qui se déroulaient dans une maison pratiquant la règle de saint François, nous ne saurions l’en blâmer. Mais nul ne peut l’approuver d’avoir montré dans toute l’affaire un fanatisme et une mauvaise foi, dont son livre la Piété affligée, paru en 1652 est la meilleure preuve ; d’ailleurs cet ouvrage aurait été menacé, avant même sa publication, de la condamnation de l’archevêque de Rouen et n’aurait dû d’être épargné qu’à la promesse, non exécutée, d’en arrêter la diffusion (20).

Quoi qu’il en soit, le P. Esprit, envoyé par M. d’Évreux, à Louviers, aurait été frappé d’une réflexion de Madeleine Bavent ; au cours d’une exhortation qu’il faisait aux religieuses, il aurait déclaré que « les plus grands diables ne sont que des mouches ». Madeleine aurait répliqué avec colère : « Ce sont des mouches, bien, bien, on verra en peu de jours les mouches du P. Esprit. » Le lendemain même cinq religieuses auraient été prises de crise (21).

Madeleine Bavent ne relate pas cette scène et rapporte la venue de l’évêque et ses conséquences aux accusations de la sœur Anne de la Nativité, possédée de Léviathan, plus coupable qu’elle, à l’en croire, et qui la détestait (22). François de Péricard avait déjà, au cours de l’année précédente, ouï Madeleine Bavent en confessions (23). Quand, le 1er mars 1643, il reparaît dans le monastère de Saint-Louis-et-Sainte-Bllsabeth, c’est pour entendre, d’une commune voix, l’ensemble des possédées accuser la pauvre fille d’être la cause du mal. Au cours des exorcismes qu’il pratique, et durant lesquels les démons sont censés parler par la bouche de leurs victimes, les noms de Madeleine et de Picard reviennent constamment. Les exorcistes s’informent des noms des démons, des charmes qu’ils ont pu répandre dans le couvent. La réponse est que le charme le plus fort est le corps de Picard, inhumé dans la chapelle du couvent, devant la grille du chœur ; Madeleine [p. 433] Bavent charge, elle aussi, la mémoire de l’ancien directeur, et l’accuse d’actes contraires à la chasteté commis sur sa personnes (24).

Le 12 mars 1643, le juge ecclésiastique condamnait Madeleine Bavent, reconnue magicienne, à la perte de sa qualité de religieuse et à la prison perpétuelle avec jeûne au pain el à l’eau trois jours par semaine. Enfin, au mépris du droit, sans même nommer un curateur au cadavre, chargé, suivant l’usage, de représenter l’accusé décédé en cas de procédure criminelle posthume, l’officialité décidait que le corps de Picard serait exhumé secrètement et porté en un lieu profane (25).

Dans le plus grand mystère le corps de Picard fut déterré ; on le trouva bien conservé, et les démons se hâtèrent d’expliquer, afin de parer à l’objection que les idées du temps auraient permis d’élever, que, bien loin d’être une preuve de sainteté, cette constatation confirmait leurs aveux ; car (ô nouveauté !) « la chair des excommuniés ne pouvait pourrir en terre sainte ». Pour mieux s’assurer le silence des témoins, l’évêque les menaça d’excommunication s’ils venaient à révéler leur secret (26). [p. 434]

  1. —Intervention des autorités civiles.

Les autorités ecclésiastiques désireuses d’éviter un scandale avaient agi bien légèrement. François de Péricard eût mieux fait de prendre modèle sur l’évêque d’Angers, Miron, qui, dans les dernières années du XVIe siècle, déjoua la supercherie de la possession de Marthe Brossier en lui faisant apporter des livres profanes ou en citant des phrases latines sans portée religieuse ; la malade entra en crise comme s’il s’était agi d’objets ou d’invocations sacrés. Peut-être le procédé un peu brutal, employé par l’archevêque de Rouen, aux dires de Laugeois, successeur de Picard dans la cure du Mesnil-Jourdain et défenseur de sa mémoire, se fût-il révélé bon : le prélat menaça du fouet des religieuses trop excitées, et tout rentra dans l’ordre.

En tous cas les secrets sont difficiles à garder, et déjà l’on jasait, lorsque des chiffonniers découvrirent le cadavre dans la marnière où il avait été jeté, le puits Crosnier. Peut-être furent-ils attirés par l’odeur, car la parfaite conservation qui avait été constatée lors de l’exhumation semble avoir subi quelque altération : les personnalités officielles venues pour constater le fait et procéder au transfert du corps en éprouvèrent l’inconvénient. Le 20 mai 1643, procès-verbal était -dressé par le lieutenant du bailli seigneurial de Louviers de « la visitation d’un corps mort, entier et non consommé, trouvé dans la fosse appelée Puits Crosnier, lieu servant de voierie ordinaire, et reconnu par plusieurs personnes l’ayant vu et visité que c’était le corps dudit Picard. (27)

On conçoit l’émoi de la population. Le corps fut transporté dans les prisons de Louviers, mais les héritiers de Picard se mirent en demeure de faire réintégrer leur parent dans les droits et honneurs qu’Ils estimaient légitimes.

Le 20 mai, Étienne et Roch Le Picard, frère aîné et neveu du défunt, présentaient une requête au Parlement de Rouen tendant « à ce qu’il leur fût accordé mandement pour faire remettre ledit corps dans la terre, au lieu où il avait été inhumé, ou en tel autre lieu saint qui serait désigné par le dit bailli de Louviers, et qu’il leur fût permis user des censures ecclésiastiques pour avoir connaissance des personnes qui avaient déterré le dit corps et jeté icelui à la voirie. » Le 21, Étienne Le Picard adressait en son nom et au nom des autres parents, une plainte à M· Antoine Routier, lieutenant criminel du bailli de Rouen au siège du Pont de l’Arche, réclamant l’ouverture d’une information. Enfin le Parlement, faisant [p. 435] droit à la requête, ordonnait, le 22 mai « que, par Me François Auber, conseiller en la dite cour, il serait informé de Iadite exhumation, circonstance et dépendances, ensemble pourvu de l’inhumation dudit corps, si le cas y échéait et sur les occurrences ainsi qu’il appartiendrait. » (28)

Dès l’ouverture de son information, le lieutenant criminel apprit des témoins que l’auteur de l’exhumation était l’autorité ecclésiastique. Ce fut donc un appel comme d’abus contre François de Péricard et la sentence du 12 mars 1643, que les héritiers portèrent devant le Parlement, juge naturel de ces sortes de procès. Y-eut-il, au cours de l’information, un arrêt du Conseil des parties, ordonnant que le corps serait inhumé de nouveau au frais de l’évêque, arrêt à l’exécution duquel fit surseoir le promoteur d’Évreux, alors à Paris, qui obtint le renvoi définitif du procès au Parlement de Rouen ? Madeleine Bavent le prétend (29) ; mais l’arrêt du Parlement, dans son exposé, ne mentionne pas cette sentence, et qui plus est, Laugeois défenseur ardent de son prédécesseur, n’en parle pas plus. Il pourrait être intéressant de rechercher dans les archives du Conseil des parties, si l’on trouve trace d’un semblable arrêt ; en l’absence de preuves, il est permis d’émettre un doute.

Aux termes mêmes de la commission dont était chargé Me François Auber, sieur de La Haye, conseiller clerc au Parlement, les « circonstances et dépendances (30) » se trouvaient jointes à la question de l’exhumation. Il s’ensuit que le procès criminel pour magie et sortilège qui allait s’engager était lié à l’appel comme d’abus, et que, par suite, le Parlement devait en connaître en première instance.

Un ecclésiastique accusé de sortilège accompagné de maléfices relevait de la juridiction laïque ; il avait à répondre, en effet, d’un délit privilégié, c’est-à-dire, pour reprendre la définition de Muyart de Vouglans (31), d’un de ces délits « que commettent les ecclésiastiques et qui, à cause de leur atrocité, doivent être punis par des peines plus fortes que celles qui sont prononcées par les canons ». La connaissance en était spécialement réservée aux juges royaux. Jousse fait remarquer que, pour un cas privilégié donné, il peut y avoir deux sentences, l’une du juge ecclésiastique comportant des peines canoniques, l’autre du juge séculier auquel est réservé la [p. 436] « vengeance publique » mais que ce fait ne saurait porter atteinte à l’adage Non bis in idem, « car un ecclésiastique peut par une même action pécher et contre les canons, dont la vengeance est réservée aux seuls juges d’église, et contre la police ou tranquillité publique, dont le magistrat séculier est seul protecteur (32) ». L’instruction de tels procès devait être faite conjointement, par le magistrat civil et un fonctionnaire ecclésiastique, et, dans le cas où l’instruction revenait au Parlement, un conseiller clerc, suivant un usage confirmé par l’édit de 1695, était commis par l’évêque. En l’espèce François Auber avait toutes qualités.

Enfin, la mort ne pouvait éteindre l’action publique contre Picard, en vertu du principe Extinguitur crimen mortalitate, car il s’agissait de l’une des ‘exceptions admises par notre ancien droit : le crime de lèse majesté divine.

Cependant, François de Péricard effrayé des proportions, que menaçait de prendre l’affaire, tenta d’en arrêter les effets en s’adressant à la régente et en obtenant l’évocation du procès ; par arrêt du conseil M. Bérillon de Morangis, conseiller du roi, fut chargé d’informer, et Anne d’Autriche envoya une commission de son Conseil de conscience composée de Charles de Montchal, archevêque de Toulouse, Jacques Charton, pénitencier et chanoine de l’église de Paris et Samuel Martineau, également chanoine de Paris ; un jeune médecin de la maison de la reine, Yvelin leur était adjoint (33).

Il est fort regrettable que l’avis d’Yvelain n’ait pas été suivi. Dans la curieuse polémique que, par la suite, il engagea avec adversaires Lamperière et Magnart (34), il réfute les prétendues preuves de possession et donne l’explication la plus sensée qu’un médecin du XVIIe siècle pouvait fournir. Quelles preuves met-on en avant ? La connaissance des langues étrangères ? Une religieuse à laquelle on disait « Veni ad locum praeparaium » traduit : « oui, oui, prépare-toi ». Une autre a [p. 437] bien obéi à des commandements faits en latin, mais ils étaient extraits du bréviaire, et celui qui les faisait les accompagnait de gestes clairs. Quant à l’intelligence du grec basée sur le fait qu’une des religieuses aurait embrassé la paume de la main du P. Ragon, des témoins disent que ce ne fut pas sans peine ni sans que des signes intelligibles eussent éclairé le sens des mots.

Les possédées, dit-on, découvrent des choses cachées. Elles indiquent les endroits où les démons ont dissimulé des charmes, et elles les décrivent ; mais qui peut se porter garant de l’absence de supercherie ? Au surplus, lorsque l’événement dépasserait la nature, les prédictions ne se réalisent plus : ainsi en fut-il de ce papier qui devait descendre du ciel dans les mains de M. d’Évreux.

En dépit des affirmations, les religieuses ne manifestent aucune connaissance des sciences, et ne sont pas plus capables de connaître les secrets des personnes en présence desquelles elles sont placées. Et Yvelin de citer cette anecdote cocasse : « Car je me moque de ce qu’une d’entre elles dit à un gentilhomme (qui était sans doute fort connu puisque l’on lui permit l’entrée dans le couvent) qu’il avait voulu avoir trois cornes et qu’il n’en aurait que deux ; en effet, il avait eu dessein d’être jésuite qui n’ont (sic) que trois cornes à leur bonnet, et depuis était en volonté de se marier.

Quant aux actions physiques surnaturelles, il n’en a pas été constaté, à moins qu’on fasse état d’une farce inventée par Yvelin lui-même pour s’amuser de la crédulité de ses interlocuteurs : « Je leur dis que j’avais vu cinq religieuses aller sur de fort petites branches, et voler d’arbre en arbre comme des oiseaux, et avaient toujours été sur un gros mûrier, encore était-il si facile d’y monter qu’un petit enfant de trois ans y aurait grimpé sans miracle. »

On a dit encore que les crises des prétendues possédées ne semblaient affecter en rien leur constitution. Or Yvelin a remarqué souvent que le pouls et la respiration marquaient, après certaines scènes d’agitation, une fréquence et une élévation anormales ; Marie Chéron, possédée de Grongade, âgée de 15 ans, a failli payer de sa vie une longue et pénible séance d’exorcisme qui dura de 9 heures du matin à 5 heures du soir. On peut d’ailleurs ajouter à la critique d’Yvelin que la médecine moderne a constaté que, sauf exceptions, les manifestations hystériques les plus tapageuses, ne semblent pas altérer l’état général.

Les partisans de la possession faisaient grand état des chutes violentes des religieuses non suivies de la moindre [p. 438] blessure. Sœur Barbe de saint Michel s’est cependant plainte au médecin « d’avoir la tête toute pleine de bosses pour l’avoir trop souvent et trop rudement remuée ». Au surplus, c’est aujourd’hui un fait d’observation courante que l’hystérique se blesse rarement au cours de ses chutes et qu’il sait choisir l’emplacement.

Enfin le fait suivant ne paraissait explicable que par une intervention diabolique : depuis douze ans, Madeleine Bavent souffrait d’une affection au sein, et depuis quatre ou cinq ans, un ulcère s’était formé. Or, lors de son emprisonnement, l’ulcère fut guéri en trois jours, à tel point qu’il n’en restait plus la moindre marque, si ce n’est une petite cavité. Mais ici intervient le jugement d’un médecin de Louviers, Bréant, qui examina plusieurs fois l’endroit malade : « Il laisse par son discours un grand soupçon que cette bonne religieuse ait entretenu cet ulcère pour s’exempter de l’austérité des règles de sa religion, laquelle aussi n’eut pas plus tôt ôté la lente qu’elle y mettait, qu’il s’est cicatrisé de lui-même, de laquelle cicatrice ils veulent faire un autre miracle, en pouvant faire autant de tous les cautères que l’on laisse fermer. » N’est-ce pas, ici, le lieu de rappeler ces prétendus œdèmes, abcès, phlyctènes, escharres hystériques que les observateurs ont reconnu être l’œuvre de la simulation, provoqués et entretenus par quelque subterfuge ?

Certes Yvelin n’a pas été sans être grandement surpris en entendant les blasphèmes et paroles ordurières proférés par ces religieuses au moment de la confession ou de la communion ; il n’aurait pas été éloigné d’y voir une manifestation diabolique, si des cas semblables n’avaient été constatés, dont la supercherie est évidente. Que n’a-t-on d’ailleurs présenté à ces religieuses des hosties non consacrées ? Leur réaction eût été intéressante. A l’encontre d’Yvelin, et peut-être pour répondre à l’objection, le P. Esprit de Bosroger raconte que l’expérience fut faite deux fois sous cette forme : à la sœur Marie du Saint-Sacrement, on présenta douze hosties dont une consacrée marquée d’un signe qui la rendait reconnaissable seulement pour François de Péricard et le P. Esprit, en lui demandant de désigner l’hostie consacrée ; à la sœur Marie de Jésus, ce furent onze hosties consacrées et une seule non consacrée ; les deux expériences auraient réussies (35).

Nous pouvons cependant nous demander si, comme dans le cas des langues étrangères, les exorcistes ne mirent pas sur la voie leurs patientes, soit par geste, soit en ayant fait sur [p. 439] l’hostie une marque si évidente qu’on pouvait facilement éventer la ruse.

Et Yvelin de conclure fort pertinemment : « Je ne veux pas attribuer tout ce défaut à une fourberie : je crois qu’il y a de l’erreur dans l’imagination de quelques-unes de ces filles, dont l’esprit est si faible qu’ils font le diable auteur du moindre accident qui leur arrive. Auxquelles rêveries ne contribue pas peu la confusion d’espèces que leur conversation mutuelle et le récit qu’elles se font l’un à l’autre de leurs imaginations apporte dedans leur débile cerveau : de sorte que si l’on suit aussi peu l’avis qu’a donné le médecin, de les séparer, qu’on a fait tous les autres conseils par lui donnés, afin de parvenir à une exacte connaissance de cette possession, il y a grande apparence que toutes les autres religieuses courront la même fortune que celles-ci. »

Le malheur voulut qu’une explication aussi naturelle heurtât les préjugés des enquêteurs. Il est possible que la truculence de ce gros homme et son goût pour des plaisanteries plus appréciées parmi les « carabins » que dans les milieux ecclésiastiques aient nui à l’autorité de son opinion. En tous cas la commission décida de faire appel ·à deux médecins rouennais, Jean de Lamperière, sieur de Montigny, auteur d’un Traité sur la peste qui avait soulevé de vives discussions, et son neveu Pierre Magnart. Ces derniers conclurent sans réserve à la possession, ainsi que le montrent la violente et discourtoise polémique qu’ils engagèrent avec Yvelin et les conclusions de la commission.

Les envoyés de la reine étaient arrivés à Louviers le lundi 24 août 1643. Le 10 septembre, ils mettaient le point final à leurs travaux et en faisaient connaître le résultat dans un bref rapport. Les religieuses ne souffraient pas d’un mal auquel les ressources de la médecine pussent être du moindre secours. L’horreur que des filles, par ailleurs « fort simples, sages, ingénues, modestes et éloignées de ces extravagances et fureurs et incapables de faintises et malices » éprouvait à l’égard des choses saintes, ne pouvait s’expliquer sans une intervention démoniaque. Le document fait état des actes qui, d’après les enquêteurs, dépassent les possibilités de la nature, il mentionne les incurvations du tronc en arrière formant arc de cercle signalées par Charcot : « Elles courbaient leurs corps en arrière en forme d’arc sans s’appuyer des mains, ne touchant la terre que des talons et du front, et demeuraient en un temps notable en cette posture, et le septième du mois deux de nous aurions vu une des dites filles nommée sœur du Sauveur, surprise de son agitation en [p. 440] nous parlant, laquelle s’étant renversée par terre, se serait tout d’un coup un peu élevée en sorte qu’elle ne touchait à terre que du talon du pied droit, ayant le corps renversé en arc, la tête quasi jusqu’aux talons : ce qui aurait duré l’espace d’un Ave Mariaet plus. »

Viennent ensuite l’absence de fatigue après les exorcismes, les chutes violentes, l’intelligence du latin et du grec, la découverte des charmes. Nous citerons ce curieux passage qui montre l’importance de la suggestion dans le cas des prétendues possédées, et la possibilité où elles étaient de reproduire avec exactitude des états antérieurs : « La fille de saint Michel… appelant à son secours le démon qui travaillait une des autres filles agitées, et le dit seigneur évêque d’Évreux lui ayant permis d’y aller, si c’était la volonté de Dieu, au même instant la fille qu’il agitait demeura libre, et la convulsion de l’autre redoubla, en sorte qu’elle tomba tout d’un coup à la renverse sans aucun mouvement ni usage des sens, avec telle pesanteur et roideur que personne ne lui pût lever la tête ou les pieds ; et aussitôt qu’elle fut exorcisée, et que le dit seigneur évêque eut fait commandement aux démons de la laisser, sa convulsion cessa, et elle demeura libre du démon qui la possédait, et sans aucune lassitude ni douleurs ; et ce qui est grandement admirable, celle qui était demeurée libre rentra au même instant dans son agitation. »

Voici la conclusion du rapport : « Ayant mûrement considéré lesdites particularités, avec les marques que l’Eglise donne des énergumènes, nous aurions tous jugé d’un commun avis en nos consciences, que lesdites filles sont les unes et les autres vraiment possédées et les autres obsédées et malificiées ». A la suite de résultats aussi beaux, le cardinal Mazarin prit sa plume pour envoyer ses félicitations à Péricard : « Pour moi qui fais profession d’honorer le mérite, et qui ne lui ai jamais refusé mon témoignage, vous devez croire que je ne manquerai point de faire valoir le vôtre auprès de S. M. » Paroles douces au cœur de M. d’Évreux, mais qui ne parvenaient cependant pas à apaiser les soucis causés par une si malencontreuse affaire (36).

Au nom du Conseil privé, Morangis avait interrogé Madeleine Bavent les 27 et 31 août 1643; le lieutenant criminel du Pont de l’Arche, Routier, reçut commission du Conseil et poursuivit l’information. Un arrêt du Conseil du 30 juin 1645 réservait enfin au parlement de Rouen le jugement de l’affaire ; il n’y aurait donc pas d’évocation (37). [p. 441]

Nous n’entreprendrons pas de faire le récit de tous les exorcismes pratiqués au cours de l’enquête. Il est préférable pour éviter les redites de dégager les faits essentiels.

La découverte des charmes et leur destruction étaient la première condition de la délivrance du monastère. Le P. Esprit de Bosroger précise l’importance de ces découvertes : « Souvent le diable met fin à ses détestables opérations, lorsque les charmes périssent ; premièrement parce qu’il a été poussé à nuire aux hommes par la vertu du pacte, lequel n’a plus de force après qu’il est anéanti ; en second lieu, d’autant qu’il ne reste plus rien en cette affaire qui oblige le magicien d’honorer le démon lequel étant ferme en ses promesses, il se lie plus étroitement avec le magicien en vertu de la paction, tâchant de séduire plusieurs autres personnes sous prétexte de cette exécrable fidélité qui cesse incontinent par l’anéantissement des maléfices. » (38)

Du 14 juin 1643 au 3 janvier 1644, douze charmes furent ainsi rendus. Généralement ce sont des hosties enveloppées dans un chiffon souillé ; tel charme aurait été destiné à entretenir la discussion dans le couvent ; tel autre, à combattre la chasteté ; tel autre, à inspirer des blasphèmes, et ainsi de suite.

Ce fut un sujet d’émerveillement pour les enquêteurs de constater que Ià où les religieuses le leur indiquaient, ils découvraient ces charmes, tels qu’ils leur avaient été décrits. Les charmes étant cachés dans le sol, on creusait une fosse sur l’emplacement indiqué par la possédée ; une fois la fosse creusée, on y faisait descendre la religieuse préalablement fouillée ; celle-ci, munie d’un pic ou d’un bâton, indiquait, sans jamais toucher, le point où se trouvait le charme qu’on ramassait alors ; toute l’opération se passait au milieu d’une grande assistance.

Voilà qui semble parfait. Mais à examiner les choses de près, cette impression favorable disparaît. Jamais ces découvertes n’ont lieu en plein jour. Voici les heures :

2 juillet, 10 heures du soir ; 16 juillet, 10 heures ½ ; 14 août, 10 heures ½ ; 5 septembre, 8 heures ; 29 novembre, 11 heures ; 15 décembre, entre 1 heure et 2 heures du matin ; 3 janvier, 6 heures et 11 heures du soir.

A quoi le P. de Bosroger qui abuse vraiment de la crédulité de ses lecteurs répond : « La quantité de flambeaux qui brûlaient, dissipait par leur lumière multipliée toute l’obscurité de la nuit, en sorte que les bords et la circonférence [p. 442] des fosses ne formaient pas même de l’ombre qu’on n’eût pu éviter pendant le jour ; car qui aurait voulu allumer des chandelles en plein midi pour ôter cette ombre ? »

On peut douter aussi de l’efficacité de la surveillance exercée sur les possédées pour les empêcher de dissimuler un objet dans leurs vêtements. Un cas de supercherie fut constaté, qui fit quelque bruit. Le 16 décembre, vers 7 heures du soir, une religieuse fut conduite sur le bord d’une fosse creusée dans l’église extérieure du monastère ; au bout d’un moment elle déclara qu’on avait assez creusé en montrant un point du bout de sa gaule, longue de douze pieds ; en même temps elle faisait tomber un peu de terre en déclarant (rappelons-nous que le diable est censé parler par la bouche des possédées) que c’était pour cacher le maléfice. Les efforts faits en vue de découvrir le sortilège dans la fosse ayant été inutiles, le démon ordonna de vider la terre qui avait été remuée. Une partie de cette terre fut vidée dans un chapeau, que M. de Marueil, fils du premier président de Rouen, examina sans y rien découvrir. Alors la religieuse soutint que le charme y était bel et bien, et qu’on ne le découvrirait pas si elle ne s’en occupait ; elle se précipita sur ce monceau de terre : mais M. de Busserolles, conseiller en la Cour des aides de Rouen, s’aperçut qu’elle tenait le pouce et le petit doigt d’une main serrés l’un contre l’autre ; il lui saisit aussitôt la main et fit constater aux assistants qu’elle avait entre ses doigta le maléfice, « une hostie marquée de trois gouttes de sang, avec ces trois lettres, un D, un M et un B », —« ce qui émut tellement l’assemblée, ajoute un témoin, que l’on cria tout haut qu’il fallait brûler le couvent, les filles et leur équipage ; M. d’Évreux même commençait à se déclarer détrompé, mais le P. Esprit lui rassura l’esprit, et appliquant un emplâtre à ce mal, dit que ce pouvait être un artifice du diable, qui aurait voulu mettre ce maléfice entre les mains de cette fille pour entretenir dans leur opinion ceux qui ne croient point cette possession ». (39) L’affaire fit un tel bruit que François de Péricard dut écrire à la régente une lettre longue et embarrassée pour lui expliquer l’incident : « C’est avoir perdu le sens, proclame-t-il, et ignorer entièrement la nature et les procédures des démons, que de ne les pouvoir croire capables, ou coupables une seule fois des illusions et des tromperies, dont nous avons fait depuis un an tant d’expériences. » [p. 443]

Que dire enfin de ce charme découvert par Marie Chéron, possédée du démon Grongade, le 1er août 1643 ? Bosroger n’ose même pas en parler. Le ms. HF 34 de la bibliothèque Sainte-Geneviève, qui contient des copies faites par diverses mains des procès-verbaux des exorcismes nous renseigne sur ce point. Ce maléfice ou reliquaire de Picard aurait été composé du cœur d’un enfant de Picard né durant le Sabbat ; Picard, David et Madeleine auraient tué l’enfant, âgé de 8 ans et 2 jours, ils lui auraient enlevé le cœur sur lequel ils auraient placé deux hosties consacrées ; des papiers signés des trois magiciens y étaient joints et le tout était enfermé dans une boîte, sur laquelle était écrit le mot relique de la main de Picard. L’absurdité d’une pareille découverte dut sauter aux yeux des enquêteurs, puisque, par ailleurs, elle n’a pas été retenue. Elle nous montre l’atmosphère inconcevable dans laquelle se passaient ces opérations et les fables qui troublaient l’esprit d’une partie des personnes mêlées aux événements (40).

Le premier charme rendu Ie 14 juin fut un billet que Marie Langlois, en religion sœur Marie du Saint-Sacrement, possédée par Putifar, prétendait lui avoir été extorqué par le démon. On le trouva dans sa cellule derrière un lambris : « Il n’y avait seulement, dit Bosroger, qu’un simple morceau de papier blanc, large de deux doigts, où il n’y avait autre chose que ce signe : sœur Marie du Saint-Sacrement. » Avouons que la religieuse ne s’est pas mis en frais d’imagination ni quant à la composition du charme ni quant à son emplacement,

Le 8 décembre furent découverts au coin de l’autel, du côté de l’Évangile, deux papiers écrits en caractères cabalistiques et prétendûment signés l’un de Pierre David, l’autre de Picard. Les religieuses s’empressèrent d’interpréter les deux documents : le premier écrit était le testament de David laissant à Picard la direction des religieuses pour la plus grande gloire du « Dieu Belzebut « ; par son testament, Picard se vouait à Belzebut et promettait de continuer les enseignements de David « à l’honneur et gloire du même Dieu ».

Que dire aussi de la boîte d’hosties rendue au cours de la procession du Saint-Sacrement ?

La sœur Anne de la Nativité jette cette boîte que son démon Léviathan est censé lui avoir mise entre les mains ; les démons la reconnaissent pour avoir appartenu à Picard [p. 444] qui s’en servait au sabbat ; à l’intérieur on découvre des hosties, que Léviathan aurait recueillies entre les mains des magiciens auxquels elles servaient des charmes. Madeleine Bavent, dans un moment de sincérité, nous apprend d’où vient cette boite : « On prétend qu’elle vient du Sabbat, et elle vient du grenier où elle a traîné longtemps, et quelques religieuses l’y peuvent avoir vue. On croit qu’elle a été jetée par miracle, et la fille l’a tirée de sa manche pour la jeter, bien que M. le Pénitencier le nie, alléguant qu’il la tenait par un bras ; et des personnes présentes attestent l’avoir aperçue. » Et elle conclut par cette opinion sur tous les charmes découverts : « En la vérité de Dieu je ne doute point qu’elles ne les composent aussi bien que tous les ingrédients de la boîte. » (41)

Les descriptions contenues dans les récits des exorcismes donnent les indications les plus précises sur la névrose hystérique dont étaient atteintes les possédées. Nous pouvons classer les religieuses dans cette catégorie de malades dont l’hystérie se double d’une tendance irrésistible au mensonge, ces « hystériques, —pour reprendre les termes même employés par Dupré et Logre, —qui ne paraissent jamais ni tout à fait conscients, ni tout à fait inconscients de la comédie pathologique qu’ils subissent et organisent à la fois. » (42)

Quelques exemples justifieront cette affirmation :

« Cependant la sœur Barbe qui avait les deux démons, demeura collée contre terre, proche la porte, les bras étendus roides comme des barres de fer : le pied droit étendu et roide de la même sorte, ne paraissant plus de talon, et ce pied étant fait comme le dessus de la main lorsque l’on essaie avec le second doigt de toucher le poignet, mais ce qui est étonnant, la tête pesante de la plus grande pesanteur qui se puisse dire, en sorte qu’avec tous les efforts que tout le monde y apporta, l’on ne put aucunement la lever, ni détacher de la terre, que tout au plus pour y couler le petit bout des doigts, et cette fille demeura lors immobile, roide, pesante, spécialement en la tête, et étendue par terre l’espace d’une demie heure… » [p.445]

… Après quoi, elle « commença à crier, hurler, se remuer en convulsions et se débattre contre terre selon les ordinaires mouvements de son propre démon. (48)

Le P. de Bosroger nous révèle que les religieuses étaient atteintes de chorée rythmique et il s’écrie : « Est-il donc imaginable à un homme de probité, de sens et de raisonnement, que dix-sept ou dix-huit filles aient si facilement appris ces soupple-sauts, et qu’elles les fassent en la manière et en la longueur d’un temps, et en la fréquence renouvelée de tant d’actes que ne sauraient faire de la sorte les plus habiles et les plus agiles corps ? » (44)

Du 29 septembre au 5 octobre, l’abbé Le Gaufre, ancien maître des comptes entré dans les ordres par piété et sous l’effet de l’enthousiasme qu’il avait éprouvé à l’égard de l’abbé Bernard, dit le pauvre prêtre, essaya de l’effet des reliques du P. Bernard sur les religieuses. Nous retiendrons surtout du récit dédié à la régente qu’il nous a laissé de son intervention les preuves réitérées d’obsessions et impulsions sacrilèges de nos pauvres malades. Les blasphèmes contre la Vierge reviennent très fréquemment. Citons cette anecdote qui ne manque pas de piquant ! « Pensant partir ce matin (lundi 5 octobre) j’eus la pensée de célébrer la sainte messe à la chapelle de Lorette, où une partie des possédées vinrent l’entendre. Pendant laquelle ils ne firent que se plaindre et maudire celui qui m’avait donné l’inspiration de la dire. De quoi t’es-tu avisé, chien, criaient-elles tout haut, nous pensions bien que tu t’en irais sans dire la messe en cette chienne de chapelle qui nous fait enrager. Elles venaient me tirailler par le bas de mon aube, par le chasuble ; disaient : il n’y a pas moyen de faire rire ce chien, il est trop attentif à ce qu’il fait ; proférant les paroles sacramentelles criaient : ces chiennes de paroles nous font enrager, dis-en d’autres. Deux ou trois passèrent derrière l’autel et me regardaient en face, car la séparation n’est que d’un chassis, en sorte qu’on voit à travers, elles faisaient mille singeries et s’avisaient de mille extravagances. Pour vous avouer franchement, Madame, j’eus bien de la peine à m’empêcher de rire, et je ne pus si bien faire, qu’après la sainte Communion (continuant leur artifice, disant : il est de belle humeur et d’une nature riante, il rira, et riaient les premières) qu’el­ les n’eussent quelque prise sur moi, car j’eus beaucoup de peine à achever la messe, ayant devant et derrière ces [p. 446] démons qui me tentaient, en sorte que je n’osais me tourner pour ne pas commettre par faiblesse quelque indécence. » Le pauvre abbé s’obligea à une confession publique pour réparer les distractions que ces pitreries lui avaient fait commettre (45).

Nous n’avons pas manqué d’être frappé par un exorcisme pratiqué le 25 mars 1644, jour du vendredi saint, à l’issue duquel la sœur Marie du Saint-Sacrement fut censée délivrée de son démon Putiphar. Cet exorcisme dura cinq ou six heures ; « les plus horribles contorsions, convulsions et suspensions de sens » tourmentent la religieuse ; enfin, après de nombreux blasphèmes et des prières répétées de la part des exorcistes, le démon empruntant pour s’exprimer la voix de la sœur du Saint-Sacrement déclare que la Vierge lui enjoint d’écrire ces mots : « Vive Jésus », et de quitter le corps de la possédée. Après une nouvelle crise, la malade se sent libre, et l’on trouve sur la poitrine les mots « Vive Jésus » surmontés d’un cœur et avec une croix au-dessous en caractère rouge : « Cette marque, ajoute Bosroger, a été vue de plus en plus rougissant durant la première année de son impression, et comme se nourrissant et accroissant dans la chair selon la nourriture du corps, conservant sa rougeur en son extension, sans rien prendre de la blancheur de la chair, et paraît plus éclatante les vendredis depuis trois heures après midi, heure qu’elle fut gravée, et à présent on la voit encore ; mais presque blanche, néanmoins bien exprimée, quoiqu’il y ait plus de cinq ans que le démon l’a gravée. » (48)

Aucune explication décisive ne peut être proposée. La supercherie est très possible, d’autant que le récit nous est donné par le P. de Bosroger, dont la virulence n’est pas sans s’agrémenter d’une dose de mauvaise foi. Cependant nous n’avons pu nous empêcher de rapprocher ce cas d’un autre, plus récent, donc plus contrôlable, étudié par les docteurs Osty, Jean Vinchon et J.-Ch. Roux (47). Mme Olga Kahl, longtemps malade, ayant conservé une lésion cardiaque, pourvue d’une hérédité qui la prédisposait à jouir de facultés paranormales, réagit d’une façon particulière à certaines images ou idées. Des expériences faites en présence et sous la direction de praticiens éprouvés ont montré que le sujet [p. 447] possède le singulier pouvoir d’inscrire sur sa peau en lignes rouges des mots ou images qu’il pense fortement ou qui lui sont suggérés. Par exemple, quelqu’un pense un mot, et, ce faisant, prend la main de Mme Kahl ; il se forme sur l’avant­ bras de celle-ci des figures rouges dont l’ensemble constitue le mot pensé ; toutes les lettres n’y figurent pas toujours, mais alors un espace marque la place de la lettre qui manque.

Les expérimentateurs n’ont pas manqué de montrer la plus grande prudence dans leurs conclusions ; cependant si les faits relatés se révèlent par la suite constants et formellement établis, on voit tout l’intérêt de résultats qui feraient fléchir quelque peu la rigueur des principes émis par Babinski, déniant à la suggestion toute action sur les nerfs vaso-moteurs. En tous cas nous livrons le fait à ceux que leur formation pourrait éventuellement rendre aptes à élucider une question de prime abord troublante.

Signalons aussi un symptôme bien significatif : sœur Marie du Saint-Sacrement et sœur Louise de l’Ascension resteront pendant un an sans pouvoir marcher ; puis à la suite de neuvaines elles recouvreront l’usage de leurs membres (48). La malice des démons ne se contentait pas d’inspirer aux possédées des désordres violents ; elle se satisfaisait aussi d’actes plus ordinaires et moins redoutables. » Ces misérables invitent et conduisent le plus souvent ces pauvres religieuses possédées d’aller de grand matin au desçu des autres fourrager à la dépence pour friponner et manger ce qu’ils rencontrent et trouvent, afin que par ce moyen les empêcher de communier, de sorte qu’il convient bien que les officiers de ladite maison aient un grand soin à bien y prendre garde. » (49)

Les exorcismes ne manquaient pas d’attirer les plus hauts personnages de la province. Le duc de Longueville, gouverneur de Normandie, s’arrêta à Louviers le 13 novembre 1643.

  1. —Inculpation du vicaire Boullay.

Procès de Madeleine Bavent.

A cette malheureuse affaire allait se trouver mêlé, bien malgré lui, le vicaire de Picard au Mesnil-Jourdain, Thomas Boullay (50). A la mort de son curé, il éprouva de vives Inquiétudes [p. 448] pour sa situation, nous apprend Laugeois ; en effet, ses mœurs n’avaient pas toujours été pures, et l’on est en droit de s’étonner que Picard ait gardé un auxiliaire si peu à l’abri de tous reproches; pour cette raison Laugeois se refusa à le conserver malgré de nombreuses supplications et, pour couper court à ses prières, installa un vicaire la veille du dimanche de Laetare. Boullay ayant trouvé un poste dans la région de Chartres, venait de quitter le pays quand un décret de prise de corps du 2 juillet 1644, lancé par le lieutenant criminel Routier, l’atteignit. Madeleine Bavent et les religieuses venaient, en’ effet de porter contre lui l’accusation de sorcellerie ; on l’aurait vu au sabbat, et il aurait trempé aux horreurs qui s’y pratiquaient. Les preuves réunies contre Boullay étaient cependant si faibles que, si nous en croyons Laugeois, les enquêteurs eux-mêmes l’auraient sollicité de s’évader et lui auraient fait remettre les clefs de la prison dans ce but. Mais fort de son innocence, le malheureux vicaire s’y refuse, espérant au surplus être par la suite indemnisé du préjudice causé. Alors on décide de tout mettre en œuvre pour le confondre, et voilà que le hasard vient au secours des accusateurs. La fameuse plaque d’insensibilité est trouvée à l’endroit même, ajoute-t-on, qu’avaient indiqué les démons. Il s’agit, il est vrai, nous apprend Laugeois, « d’un calus qui lui était resté d’un certain mal qu’il avait et dont le chirurgien de Beaumont qui l’avait pansé et guéri avait rendu le témoignage. » Qu’importe ! On tient la preuve qui permet d’élever tout l’édifice de l’accusation (51).

Deux autres personnages furent inquiétés, on ne sait trop pourquoi : François Duval, sergent, garde des bois de l’archevêque de Rouen, et Louis Vassoult, du faubourg Saint­ Germain de Louviers. Sans doute l’inanité des charges relevées contre eux apparut-elle, car ils ne figurent plus dans l’arrêt. Cependant Duval était encore en prison, au moment où le P. Desmarets recueillait les confidences de Madeleine Bavent (52). Au surplus voici le procédé qu’on avait employé contre lui, selon Madeleine Bavent : « Les filles de Louviers l’ont accusé de plusieurs choses ; comme d’être marqué, et que je le savais bien ; d’avoir paru dans ma chambre, etc. Après qu’elles en eurent parlé en ces termes, M. le pénitencier [p. 449] me vint confesser : Il me tourmenta deux heures la tête ; me fit une infinité de signes de croix, afin que je dise que cela était. Toute ennuyée et lasse que j’étals, je lui dis à la fin pour demeurer en repos : Et bien puisque vous le voulez, cela est. Il me dit : Ce n’est pas tout, il le faut témoigner en public, on vous l’amènera l’après dîner ; c’est un vieillard. Lui-même s’y trouva dans le temps qu’on l’amenait ; et comme il entra, il me dit : Le voilà, et je répondis : Oui le voilà. Je laisse à juger si c’est là une excellente conduite, pour faire reconnaître un homme. » (53)

Les charges retenues contre les accusés et résumées par le P. Esprit de Bosroger sont plus accablantes pour les juges que pour les prétendus coupable (54).

Contre Madeleine Bavent nous trouvons tout d’abord son aventure de jeunesse avec le cordelier Bontemps, qui l’aurait fait venir au sabbat ; elle s’y maria au démon Dagon qui lui passa une bague au doigt. Revenant sur cet aveu dans son autobiographie, Madeleine nie cette aventure ; elle aurait appris la magie d’une certaine Charlotte Pigeon qui, par deux fois, se fit admettre dans le couvent et le quitta à cause des tourments que les diables lui faisaient subir. Elle n’avoue avoir fréquenté le sabbat que conduite par Picard ; d’ailleurs (et nous retrouvons ici la marque d’origine de toute la folie du couvent) ce prêtre éprouvait à son égard une passion coupable qu’il lui avoua en confession : « Il me pria de l’aimer comme il m’aimait, et il commença de me vouloir caresser et même toucher impudiquement. Je n’eus point d’autres sortes de confessions du depuis. »

Le diable lui est apparu sous la forme d’un chat après qu’elle avait communié ; se dressant contre elle et approchant son museau de sa bouche, il aurait essayé de lui enlever l’hostie. A la suite de quoi elle fut transportée au sabbat.

Puis ce sont les horreurs du sabbat, le pacte signé par Madeleine avec le diable, les profanations commises avec Picard et les autres magiciens ; souvent elle et Picard ont piqué avec une pointe des hosties consacrées dont il sortait du sang ; jamais cependant les hosties consacrées au sabbat ne répandaient de sang. Dans ses interrogatoires Madeleine avoue avoir adoré le bouc du sabbat ; elle se rétracte dans son Histoire : « Les diables y sont souvent (au sabbat) en demi-hommes et demi-bêtes, quelquefois seulement en figure [p. 450] d’hommes… Je ne les ai point vus sous la forme du bouc, dont parlent les filles, ni aperçu qu’on leur rende l’hommage de l’adoration par quelque cérémonie spéciale, et jamais on ne m’en a parlé : leur place m’a semblé être assez près de l’autel. » Elle a participé à la confection des charmes ; les sorciers en auraient formé un avec quelques gouttes de son propre sang et une hostie qu’après avoir reçue pour la communion, elle n’avait pas avalée ; le tout étant mêlé « en forme de boullot » qu’elle portait sur elle ; par la suite, nous l’avons vu, elle nie l’existence de ces maléfices.

Elle avoue cependant avec persévérance d’autres actes non moins absurdes. « Le jour d’un vendredi saint, une femme apporta son enfant nouveau-né. On fit dessein de l’attacher en croix ; et premier que de l’y attacher, ils lui appliquèrent de petites hosties par les endroits qui devaient recevoir les clous au travers desquelles on les perça ; comme aussi on lui ficha d’autres clous en la tête en forme de couronne ; on lui perça encore le côté, et puis ils le détachèrent, pour en prendre les parties principales à l’usage de leurs maléfices… Le jour du jeudi saint j’ai vu faire la cène d’une horrible manière. On apporta un enfant tout rôti. Il fut mangé de l’assemblée. » Ou encore : « Deux hommes de condition, très bien couverts, ont paru au sabbat ; mais chacun en son particulier, et non tous deux ensembles, ni en un même jour. L’un d’eux fut attaché en croix tout nu, et eut le corps percé, dont il mourut aussitôt. Il avait refusé de pratiquer leurs maudites cérémonies, et s’en était moqué. L’autre fut attaché à un poteau et éventré. On le pressait et violentait de renier Dieu et les sacrements ; ce qu’il ne voulut pas faire. » Comme si des personnes de condition pouvaient disparaître sans qu’une enquête soit ouverte et que leurs noms soient connus !

Ajoutons aussi les fables racontées par Madeleine sur ce papier de blasphème que lui remit David avant de partir pour Paris ; ensuite cet épouvantable papier fut confié à Picard et souvent produit au sabbat. Malgré tous les exorcismes dont le manuscrit de la bibliothèque Sainte-Geneviève nous entretient surabondamment, il ne fut jamais rendu par les démons.

Enfin les relations coupables.que Madeleine prétendait avoir entretenues avec Picard et une fois, au sabbat, sur l’ordre de ce dernier, avec Boulay s’ajoutèrent aux charges relevées contre elle.

Dans son Histoire, Madeleine se plaint longuement des traitements qu’on lui infligea dans la prison de l’officialité d’Évreux ; elle attribue aux moyens de pression employés les [p. 451] aveux qu’il lui est arrivé de faire de choses fausses. Le pénitencier d’Évreux, Delangle, qui la visitait alors et assurait sa direction spirituelle est tout particulièrement pris à partie. « On ne saurait s’imaginer ce que j’ai enduré durant ma prison d’Évreux, qui a continué cinq ans, j’ai été tenue trois ans et demi dans les cachots, tant de la cave que d’en haut. J’y jeûnais mes trois jours prescrits, au pain et à l’eau, sans rémission ; et les autres jours, j’étais assez mal nourrie. Trois ou quatre fois on m’en a tiré plus morte que vive, et j’ai passé cinq fois sept jours sans manger ni boire, dans mes désespoirs. On m’a fait visiter par divers médecins et chirurgiens quatre fois au moins avec des tourments assez violents ! et la tête piquée de toutes parts et toute en sang me grossit comme un boisseau. Durant un très long temps personne ne me voyait ni parlait, et M. de Longchamp gardait même, par l’ordre de M. Évreux, la clef de mon cachot, craignant que les concierges ne me donnassent un peu d’air. J’étais dans des puanteurs et des ordures insupportables. »

Aussi ne faut-il pas s’étonner si, à plusieurs reprises, elle tenta de mettre fin à ses jours : « Ce fut dans ce même mois qu’étant tirée de la basse fosse, je me donnai en un désespoir trois coups de couteau ; l’un au bras, pour me couper les veines ; l’autre à la gorge, pour me couper le sifflet et le dernier au ventre, où je le tins quatre heures enfoncé jusques au manche ; et le remuant de fois à autre pour m’achever plus promptement. Je perdis beaucoup de sang et devint extrêmement faible. La seule plaie du ventre s’apostuma, et je n’y mis pourtant qu’un peu d’eau fraîche, n’ayant autre chose à y mettre … Les désespoirs me continuant, trois jours après cette action noire, j’en entrepris une, qui ne l’était pas moins. Je pris du verre, le brisai, le broyai et le pris par cuillerée, n’usant d’autre chose pendant quelques jours, afin d’avancer ma mort. Cela me fit venir quantité de sang par la bouche et tomber souvent en défaillance. (55)

Les enquêteurs rapportèrent au démon les sévices dont avait souffert la malheureuse ; c’est lui qui lui avait porté les coups de couteau ; c’est lui qui lui avait présenté le verre pilé. Le pénitencier Évreux, dans le procès-verbal de ses entretiens avec la prisonnière, met toute sa crédulité au service de cette thèse. Au surplus, les possédées répandaient le bruit ; et le démon était censé par là même avouer ses [p. 452] méfaits. La réalité est plus simple, et Madeleine Bavent elle­même nous explique ces prétendus prodiges : « J’avais trouvé le couteau dans la basse fosse, en tâtonnant partout ; car je n’y voyais point ; et pour le dérouiller, je l’aiguisai quelque temps. Le verre était d’une bouteille pleine de vin que M. le pénitencier m’avait envoyée par aumône. »

D’autres désirs de suicide reprirent Madeleine Bavent ; elle attribue leur échec à l’intervention d’un ange, que son esprit surexcité et d’ailleurs affaibli par la détention dut lui représenter, à moins qu’il ne faille voir dans ce dernier trait tout simplement une invention.

« Pour essayer d’avancer ma fin, ne pouvant faire autre chose, je voulus retenir mes incommodités de mois. Cela me causait de grands étouffements et je vomissais tout par la bouche… Lasse et ennuyée de vivre de la façon qu’on me traitait, je pris environ quinze jours après ce que j’ai dit présentement, des araignées. En vérité j’en pris de toutes les sortes, et à toutes sauces ; de petites et de grosses ; de vives et de mortes ; d’entières et de pilées. Comme j’eus vu que cela me faisait seulement affaiblir, vomir, languir et non pas mourir, je pense à un autre poison. Sous prétexte qu’Il y avait des rats en mon cachot, j’en fais acheter par un pauvre garçon qui cherchait son pain ; et il ne manqua pas de m’en apporter. Je l’apprête, et il était déjà tout battu et accommodé pour le prendre, quand la même apparition se montre. » L’ange lui fait jeter le poison.

Madeleine porte au surplus la plus formelle accusation contre les enquêteurs ecclésiastiques d’Évreux. Elle prétend qu’un nommé Bellard, convaincu de sorcellerie, et dont le témoignage avait été produit contre elle, sur le point d’être conduit au supplice, à Évreux, fut confronté avec elle ; il reconnut que rien n’était fondé dans ses allégations et qu’au surplus il aurait touché six sols du pénitencier d’Évreux pour charger Madeleine ; cinq juges étaient présents, le pénitencier fut convoqué et refusa de paraître (56). Si le fait est exact, il est vraiment accablant pour des hommes qui n’auraient plus alors la seule excuse d’une crédulité excessive.

Les charges relevées contre Picard et Boullay présentent un égal caractère d’invraisemblance. Quel besoin avons-nous d’y insister plus ?

Notons toutefois que Boullay garda une attitude courageuse durant tout le procès, aucune pression ne parvint à lui faire avouer les charges ineptes retenues contre lui. Le P. Esprit [p. 453] du Bosroger en conclut qu’il était « fortifié par une opiniâtreté diabolique et par le charme du silence assez commun aux magiciens ». (57)

On peut s’étonner qu’un procès n’ait pas été entrepris contre la mémoire de Pierre David. Les événements s’y opposèrent, Sœur Marie du Saint-Esprit (ou plutôt le démon Dagon) avait cependant révélé que le corps de David « inhumé dans l’église paroissiale Notre-Dame dudit Louviers, la seize années expirées se trouverait tout entier et sans aucun dommage ni diminution, aussi frais que s’il eût été tout nouvellement posé ». Sous l’emplacement indiqué, une fouille entreprise à l’insu du curé de Notre-Dame, sur l’ordre de M. d’Évreux, révéla que rien ne s’y trouvait ; on finit par découvrir quelques ossements inhumés à la manière habituelle des prêtres, la tête vers le chœur ; mais le cadavre n’était nullement bien conservé. Au surplus les hommes qui avaient été employés à ce travail attendirent en vain leur paiement. La révélation du démon était apparue fausse ; mieux valait faire le silence sur ce point (58).

  1. —Arrêt du Parlement de Rouen.

Lorsque le procès vint devant le parlement, François de Péricard n’occupait plus son siège épiscopal : le 21 juillet 1646 la mort l’avait emporté. Le souci que lui avait causé l’affaire de Louviers n’avait pas été certainement sans hâter sa fin ; Madeleine Bavent se fait l’écho des peines que le prélat lui avait confiées dans le temps même où il intervenait efficacement pour assurer à la malheureuse un traitement plus humain : « Il me répondit que l’affaire de Louviers était bien embrouillée, qu’il n’y connaissait plus rien ; qu’il fallait que la Barré (sœur Anne de la Nativité, principale accusatrice de Madeleine) fut une grande sainte ou une grande magicienne ; qu’il voudrait ne s’en être jamais mêlé. » (59)

Le 21 mai 1647, les accusés quittaient Louviers au milieu de l’hostilité générale. Le corps de Picard suivait ce cortège, enfermé dans son cercueil. Malgré le désir du parlement, la mère Françoise de la Croix, accusée par les religieuses et par Madeleine Bavent d’avoir participé au sabbat et à la confection des sortilèges, n’était pas du convoi ; par arrêts du Conseil des 20 janvier, 14 et 15 mars, 21 juin et 14 juillet 1647, [p. 454] les décrets de prise de corps lancés contre elles avaient été cassés (60). A Rouen, l’accueil fut hostile ; la curiosité aussi s’en mêla, ainsi que nous rapprend Madeleine Bavent : « On me conduisit à la prison de l’archevêché, sans m’ordonner un morceau de pain seulement pour ma nourriture. Tout le monde y venait voir par curiosité, et je pense qu’on prenait garde si on ne voyait point des diables à mes côtés. J’oyais des discours qui ne me consolaient guères ; car on n’en disait pas moins qu’ailleurs : que je méritais d’être brûlée à petit feu toute vive ; qu’il fallait inventer pour moi de nouveaux supplices, etc. Dieu ne laissa pas d’inspirer quelque personne de condition, de m’envoyer quelque petit ordinaire pour me sustenter. » (61)

Le conseiller Costé de Saint-Supplix ayant été chargé du rapport, l’arrêt fut rendu le 21 août 1647. Sur le point de l’appel comme d’abus, il faisait droit à la requête et convenait que « par le juge d’Église il a été mal, nullement et abusivement procédé à l’exhumation du corps dudit Picard. »

Mathurin Picard et Thomas Boullay sont déclarés « dûment atteints et convaincus des crimes de magie, sortilège, sacrilèges et autres impiétés et cas abominables, commis contre la majesté divine. »

« Pour punition et réparation des quels crimes ordonne que le corps dudit Picard et ledit Boulay seront ce jourd’hui délivrés à l’exécuteur des sentences criminelles, pour être traînés sur des claies par les rues et lieux publics de cette ville et étant le dit Boulay devant la principale porte de l’église cathédrale Notre-Dame, faire amende honorable, tête, pieds nus et en chemise, ayant la corde au col, tenant une torche ardente du poids de deux livres, et là demander pardon à Dieu, au roi et à la justice. Ce fait être traînés en la place du Vieil Marché et là y être ledit Boulay brûlé vif, et le corps dudit Picard mis au feu jusques à ce que les dits corps soient réduits en cendres, lesquelles seront jetées au vent. » (62) [p. 455]

Le testament de Picard était annulé, ses biens et ceux de Boullay confisqués, mille livres en étant prélevés au profit des religieuses de Saint-Louis. La question ordinaire et extra­ ordinaire sera appliqués à Boullay avant l’exécution pour déclarer ses complices.

« Sœur Simone Gaugain, dite la petite mère Françoise » est décrétée de prise de corps ; sœur Catherine de la Croix, Anne Barré et sœur de Sainte-Geneviève sont citées à comparaître comme témoins. Le jugement de Madeleine Bavent est différé jusqu’à exécution de ces deux décisions.

Les religieuses seront transférées du monastère de Saint­ Louis « en autre monastère, chez leurs parents ou en telles maisons religieuses ou séculières… jusques à ce qu’autrement y ait été pourvu ». Le monastère sera affecté à « l’usage d’autre religion d’hommes de ladite ville de Louviers, par vente, échange ou autrement les échevins de ladite ville ouïs et être les deniers qui en proviendront, et revenu dudit monastère employés au rétablissement du couvent et communauté des dites religieuses professes en ladite ville de Louviers ou autre lieu du diocèse, ainsi qu’il appartiendra ».

Enfin, pour éviter le retour de semblables incidents, les évêques de la province « seront exhortés et admonestés » d’envoyer des confesseurs extraordinaires dans les couvents de femmes trois ou quatre fois par an, pour y entendre les confessions.

Cet arrêt fut-il rendu sans résistance ? Si nous en croyons le curé Laugeois, les conclusions du procureur général Courtin n’auraient pas été conformes aux termes de l’arrêt, et ce magistrat aurait même réclamé, le lendemain de l’exécution, toutes chambres assemblées, que ses conclusions fussent insérées dans les registres ; la Cour y aurait consenti. A vrai dire les registres du parlement ne contiennent ni ces conclusions ni la réclamation.

Le même Laugeois rapporte que, peu après l’exécution, un membre du parlement reprocha au conseiller de Brinon son absence le jour où l’arrêt fut mis en délibéré ; sur la réponse de M. de Brinon qui prétextait son absence durant les débats : « C’est pour cela, dit l’autre, que Dieu vous punira de vous être absenté, car infailliblement votre présence eut soutenu le poids de la balance. Votre avis en eût amené d’autres, et votre ferme équité eût protégé l’innocence qu’on a suppliciée comme coupable. » (63) [p. 456]

Quoi qu’il en soit, souhaitons, pour l’honneur de la magistrature du XVIIe siècle, que le bon sens ait rallié une minorité sans doute, mais une minorité comprenant les esprits les plus distingués du parlement.

N’est-ce pas un dénouement digne d’un drame romantique que ce supplice du feu infligé aux lieux mêmes qui reçurent le dernier soupir de notre héroïne nationale ? Et la pensée peut-elle considérer sans horreur l’image de ce cadavre et de cet homme en pleine vie consumés par les mêmes flammes sur le même bûcher ? Du moins Boullay fit-il une belle mort, dont son confesseur, le P. Renault, prêtre de l’Oratoire, put rendre témoignage ; l’espoir de la vie future lui procura l’appui que réclamait cette fin tragique.

Pour les autres chapitres, l’arrêt du parlement ne reçut pas d’application. Par arrêt du 7 septembre 1647, le Conseil privé cassait de nouveau le décret de prise de corps contre la mère Françoise ; il la renvoyait devant l’officialité de Paris « et en cas d’appel au parlement de Paris, et icelle interdite au parlement de Rouen, et à toutes autres cours et juges. » Le procès traîna devant l’officialité, et le cardinal Mazarin lui-même fut tenu par les pamphlétaires pour responsable de ce retard. Enfin, par sentence du 5 mai 1653, l’officialité innocentait définitivement la mère Françoise qui devait finir ses jours, le 14 octobre 1655, comme simple religieuse dans la maison de la place Royale où elle avait été supérieure. Quant à Madeleine Bavent elle dut à cette circonstance d’éviter une reprise de son procès et mourut peu d’années après dans la prison de la Conciergerie où, « grosse et grasse », elle vivait « à son aise » et « jouissait d’une pleine et entière liberté », selon Laugeois.

Pour l’attribution du couvent de Saint-Louis à une communauté d’hommes il n’en fut rien fait, et, jusqu’à la Révolution, les hospitalières y demeurèrent.

VII. —Conclusion.

Quelle conclusion tirer de ce procès ? Gardons-nous de croire qu’il recueillit l’approbation unanime des contemporains. Déjà auparavant dans d’autres affaires semblables, des esprits éclairés, médecins et membres du clergé, avaient su découvrir la vérité sous la supercherie. Laugeois se fait l’écho des esprits modérés dans son ouvrage resté manuscrit jusqu’à ces dernières années, et intitule le chapitre II de son exposé : « Qu’il n’est pas constant qu’il y eut possession [p. 457] parmi les religieuses de Louviers. » Et il cite les propos tenus par M. de Cospean, évêque de Lisieux : « De re incerta cerdum fecere scandalum ? »

Nous noterons cependant la persistance dans les esprits des idées relatives aux cas de sorcellerie en général. La Bruyère lui-même, s’il avoue que des exagérations aient été commises, admet des cas douteux (64). En 1670, le roi ayant grâcié quatre sorciers condamnés par le parlement de Rouen au bûcher dans les affaires de la Haye du Puits et de Carentan, le Parlement adressa des remontrances où nous lisons : « Ce sont, Sire, des vérités (les faits révélés au cours de ces procès ) tellement jointes avec les principes de la religion que, quoique les effets en soient extraordinaires, personne, jusqu’ici, n’a pu les mettre en question. » (65) A la veille de la Révolution, Muyart de Vouglans reprenant à son compte la réalité des cas de sorcellerie, ajoute cette amusante explication : « Si ces exemples ont été plus fréquents dans les siècles d’ignorance, ce n’est que parce que dans ce temps-là tout le monde croyait, en sorte que le démon ne pouvait séduire les hommes autrement que par la voie de la superstition… Au lieu que, dans un siècle comme le nôtre, où l’on se fait gloire de ne rien croire, et de révoquer en doute les vérités de la religion les plus constantes, la continuité et la fréquence de ces prestiges ne permettant plus de douter de l’existence des démons à ceux qui oseraient la nier, tendrait nécessairement à renverser un empire, que cet ennemi du genre humain a tant d’intérêt d’étendre et de conserver. » (66)

A notre époque, si nous considérons la crédulité de tels de nos contemporains, dont certains cependant se piquent de culture, sans vouloir imputer la responsabilité de ces errements à une doctrine quelconque, comment n’en pas chercher la cause dans la faiblesse de l’esprit humain et dans la séduction que le merveilleux et l’extraordinaire exercent sur lui ?

Ernest HILDESHEIMER, archiviste départemental de l’Aisne.

Notes

(1) L’épisode qui fait l’objet de cet article a été étudié naguère dans un travatl, paru dans le Bulletin de la société d’études diverses de l’arrondissement de Louviers (t. V, 1898), avant d’être édité en volume : Lucien BARDE, le Couvent de Saint-Louis-et-Sainte-Elisabeth et les possédées de Louviers. (Louviers, 1900). Ce travail, consciencieux et appuyé sur des documents, est contestable quant à l’interprétation de certains faits. Le sujet a été repris par H. BREMOND (Histoire littéraire du sentiment religieux en France, t. V, p. 402-404 et t. XI, p. 157-169), mais d’une façon forcément incomplète, voire inexacte. Les principales sources de cette histoire sont : l’autobiographie de Madeleine Bavent, ou plutôt les notes que le P. Desmarets, oratorien, sous-pénitencier du diocèse de Rouen, son confesseur, rédigea en 1647 d’après les renseignements recueillis au cours des entretiens qu’il eut avec sa pénitente dans la conciergerie du palais de Rouen et en plein accord avec elle : Histoire[p. 423] de Magdeleine Bavent (Paris, 1652 ; réimprimé à Rouen, chez Lemonnier, en 1878) ; LAUGEOIS, l’Innocence opprimée ou défense de Mathurin Picard, curé du Mesnil-Jourdain (publiée dans leBulletin de la société de l’histoire de Normandie, t. IX (1900-1904), p. 128-162) ; un factum anonyme intitulé Récit véritable de ce qui s’est fait et passé à Louviers touchant les religieuses possédées, extrait d’une lettre écrite de Louviers à un évesque(Paris, 1643, 8 pages) ; le pamphlet du provincial des Capucins de Normandie : Esprit du BOSROGER, la Piété affligée ou discours historique et théologique de la possession des religieuses dites de Sainte-Élisabeth de Louviers(Rouen, 1652) ; un Recueil de pièces sur les possessions des religieuses de Louviers(Rouen, 1879) ; et quelques autres documents cités plus bas, notes 34, 39, 40, 45, 49, 55.

(2) Histoire de Magdeleine Bavent ; chap, XIII : « Ce digne homme était un des plus doux et bénins prélats que la terre ait jamais portés. »

(3) Histoire de Magdeleine Bavent, chap, VII.

(4)LAUGEOJS, l’Innocence opprimée, chap. v.

(5) Histoire de Magdeleine Bavent, chap, VII.

(6) Voir L. BRÉAUTÉ, Fondation des couvents de Saint-Louis, Sainte­ Elisabeth et Saint-François de Louviers(Louviers, Impr. Boussard), et l’ouvrage de Barbe.

(7) E. de BOSROGER, la Piété affligée. 1. l, chap. IV. Par souci de commodité, nous avons, dans nos citations, restitué l’orthographe moderne.

(8) MICHELET, la Sorcière, livre II, chap. VIII.

(9) Publié dans l’ouvrage de Barbe et par Huet dans le Bulletin de la Société des études diverses de l’arrondissement de Louviers, t. VIII, (1994), p. 33-36.

(10) Arch. mun. de Rouen. État civil, Reg. nO 569: « Le lundi XVII jour dudit moys fut baptizée Magdelène, fille Me Guillaume Bavent, son parain Me Guillaume Vandart ; ses maraines Magdalène… » La fin de l’acte manque soit que le scribe ait été négligent, soit encore que l’eau ou le temps ait effacé les noms des marraines.

(11) L. Barbe fait remarquer que le père de Madeleine était marchand en gros ; par conséquent il faut abandonner l’affirmation toute gratuite de Floquet d’après laquelle notre héroïne aurait appartenu à la plus basse classe. Barbe émet l’hypothèse que l’oncle Sadoc serait « le même que Léon Sadoc qui fut consul en 1598 et prieur des marchands en 1627 » (p. 161). Voici ce que dit l’auteur du Récit véritable sur Bontemps : « lequel depuis est mort apostat après avoir été chassé de ce saint Ordre, comme un membre pourri et capable d’infecter par sa contagion quelques-uns du même ordre. »

(12) LAUGEOIS, l’Innocence opprimée, chap, v et VII.

(13) BOSROGBR, la Piété affligée. 1. I, chap. IV.

(14) BOSROGER, la Piété affligée, 1. I, chap. x.

(15) BOSROGER, la Piété affligée, 1. I. chap. x.

(16) BOSROGER, la Piété affligée, 1. I. chap, XI.

(17) BOSROGER, 1. I, chap. XII.

(18) BOSROGER, la Piété affligée, 1. I. chap, X ; Histoire de Magdeleine Bavent, passim. Rappelons que la question des troubles hystériques n’est pas encore pleinement éclaircie. On sait comment Babinski a ramené cette affection aux caractères suivants : troubles provoqués par la suggestion et curables par la persuasion, caractérisés par la faculté qu’a le sujet de reproduire avec exactitude des états antérieurs ; Pierre [p. 432] Janet a complété ces recherches. Sur la doctrine de l’église relative à la possession voir l’article Possession diabolique, dans le Dictionnaire de théologie catholique, t. XII (1934), col. 2635-2647.

(19) LAUGEOIS, l’Innocence opprimée, chap. III ; Extrait d’une lettre écrite par un docteur en théologie de la ville de Rouen au sieur Du Bal.

(20) LAUGEOIS, l’Innocence opprimée, Introduction.

(21) BOSROGER, la Piété affligée, 1. III, chap. 1.

(22) Histoire de Magdeleine Bavent, chap. XIII.

(23) Histoire de Magdeleine Bavent, chap. XII, XIII, XIV.

(24) BOSROGER, la Piété affligée, 1. III, chap. 1 ; Histoire de Magdeleine Bavent, cbap. XIII.

(25) Voici comment Bosroger s’explique au sujet de l’entorse faite aux règlements du royaume : « Il sait bien qu’il y a des formes à garder, qu’il faut créer un curateur au cadavre ; il n’ignore pas non plus, que s’il le fait, il rendra la chose publique, et flétrira un ordre vénérable aux anges mêmes… » Et voici l’artifice juridique imaginé. « On connaît que cet homme est magicien et impie, indigne de participer aux choses saintes, et au repos des fidèles ; l’évêque qui est son vrai, naturel et propre juge, et qui a seul le pouvoir immédiat sur ce criminel, et sur l’Eglise d’où il le tire, suffit en rigueur, pour la forme accidentelle du curateur prescrite par le for séculier(c’est nous qui soulignons) : l’on s’en peut dispenser pour l’honneur du sacerdoce, auquel doivent prendre part tous les tribunaux du christianisme » (1. I, chap. 1) La sentence de l’officialité est reprise dans l’exposé de l’arrêt du Parlement du 21 août 1647 reproduit dans Bosroger et à la suite de l’Histoire de Magdeleine Bavent ; cf. cette Histoire, chap. XIII et XIV. L’ordonnance criminelle de Saint-Germain-en-Laye d’août 1670, titre XXII (Isambert, t. XVIII, p. 414-415) règle de manière définitive la question du curateur au cadavre. Autre grief : l’exhumation a été clandestine ; les autorités civiles n’ont pas été avisées. Les registres secrets du Parlement, à la date du 21 août 1647, fol. 177 V° et 178 gardent les traces de ce reproche ; il y est question du rapport « touchant l’appel comme d’abus desdits héritiers de l’ordonnance du feu sieur evesque d’Évreux et exhumation du corps dudit Le Picard et ejection d’iceluy à la voirie sans y avoir appellé le bras séculier ».

(26) BOSROGER, la Piété affligée, 1. III, chap. 1 ; Histoire de Magdeleine Bavent, chap. XIII ; Récit véritable… extrait d’une lettre écrite de Louviers à un évêque.

(27) Arrêt du Parlement du 21 août 1647.

(28) Arrêt du Parlement du 21 août 1647.

(29) Histoire de Magdeleine Bavent, chap. XVIII.

(30) Arrêt du Parlement du 21 août 1647.

(31) Institutes au droit criminel, part. I. chap. IV.

(32) Traité de justice criminelle, t. I, p. 290. Il faut, en effet, distinguer le délit commun, passible de peines canoniques et justiciable des tribunaux ecclésiastiques et le délit privilégié qui entraîne des peines afflictives et relève de la justice séculière.

(33) Arrêt du Parlement, 21 août 1647 ; BOSROGER, la Piété affligée,. passim.

(34) Voir : YVELIN, Examen de la possession des religieuses de Louviers(Paris, 1643) ; Jean de LA VIGNE, Response à l’Examen de la possession des religieuses de Louviers, à Monsieur Levilin(Évreux, 1643) ; Censure de l’Examen de la possession des religieuses de Louviers(1643) ; Apologie pour l’autheur de l’examen de la possession des religieuses de Louviers. A Messieurs L’Emperière et Magnart, médecins à Rouen(Paris, 1643) ; Responce à l’apologie de l’Examen du sieur Yvelin sur la possession des religieuses de Saint-Louys de Louviers(Rouen, 1644).

(35) BOSROGER, la Piété affligée, 1. II, chap. V.

(36) Attestation de messieurs les Commissaires … (s. l. n. d., 4 pages), reproduite dans BOSROGER, la Piété affligée, 1. II, chap. VIII.

(37) Arrêt du Parlement, 21 août 1647.

(38) Sur les charmes, voir BOSROGER, la Piété affligée, 1. I, chap. VII, VIII et IX.

(39) Extrait d’une lettre écrite par un Docteur en théologie de la ville de Rouen au sieur Du Bal.

(40) Les principaux passages de ce manuscrit ont été publiés dans le Recueil de pièces sur les possessions des religieuses de Louviers.

(41) Histoire de Magdeleine Bavent, chap. XVI.

(42) Madeleine Bavent avoue avoir simulé la possession: « Il (le pénitencier d’Évreux) s’était amusé à me faire des exorcismes avec le bon Monsieur Gaufre ; me traitait en possédée, et je le trompai d’importance ; car je la contrefis, pour lui donner le passe-temps qu’il cherchait ; et j’imitai parfaitement ce que j’avais vu pratiquer aux filles et à la sœur Barré, sa grande sainte… » (Histoire, chap, XVIII).

(43) BOSROGER, la Piété affligée, 1. II, chap. I.

(44) Ibid.

(45) Récit véritable de ce qui s’est fait et passé aux exorcisme. de plusieurs religieuses de la ville de Louviers, en présence de monsieur le pénitencier d’Évreux et de Monsieur Le Gauffre(Paris, 1643).

(46) BOSROGER, la Piété affligée, 1. II, chap. v.

(47) Revue métapsychique, mars-avril 1929, novembre-décembre 1936 et novembre-décembre 1937.

(48) BOSROGER, la Piété affligée, 1. II, chap. v

(49) Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. HF 34 ; voir leRecueil de pièces, cité supra, n. 1.

(50) Son nom est parfois orthographié Boullé (par exemple par [p. 448] Bremond ; l’orthographe Boullay est celle d’une signature autographe produite dans l’ouvrage de Barbe.

(51). LAUGEOIS, l’Innocence opprimée, chap. VII ; BOSROGER. la Piété affligée, passim; Histoire de Magdeleine Bavent, passim; Arrêt du Parlement, 21 août 1647.

(52) Histoire de Magdeleine Bavent, chap. XVI.

(53) Histoire de Magdeleine Bavent, chap. XVI.

(54) BOSROGER. la Piété affligée, 1. III ; voir aussi Histoire de Magdeleine Bavent, passim.

(55) Voir sur ces faits, outre l’Histoire de Magdeleine Bavent, le Procès verbal de M. le Pénitencier d’Évreux, de ce qui lui est arrivé dans la prison, interrogeant et consolant Magdeleine Bavent magicienne à une heureuse conversion et repentance(Paris, 1643).

(56) Histoire de Magdeleine Bavent. Chap. XVIII.

(57) BOSROGER, la Piété affligée. 1. III, chap. v.

(58) Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. HF 34.

(59) Histoire de Magdeleine Bavent, chap. XVIII.

(60) Voir l’arrêt du Conseil d’etat du .7 septembre 1647 publié à la suite de l’Histoire de Magdeleine Bavent.

(61) Histoire de Magdeleine Bavent, chap. XVIII.

(62) On notera que l’arrêt ne mentionne pas, à l’encontre de Boullay, une dégradation préalable, alors que dans le procès fait pour les mêmes motifs au vicaire Louis Gaufridi, l’arrêt du Parlement d’Aix du 30 avril 1611 s’exprime ainsi : « … avant que de procéder à ladite exécution sera mis préalablement entre les mains de l’évêque de Marseille, son diocésain, ou à défaut, d’autre prélat de la qualité requise pour être dégradé à la manière accoutumée. » Ainsi la théorie d’après laquelle le clerc est dégradé en raison même de l’énormité de sa faute et qui libère le juge séculier d’une formalité gênante est déjà bien fixée (cf. CHÉNON, Histoire générale du droit français public et privé, t. Il, 1erfasc., p. 496).

(63) LAUGEOIS, l’Innocence opprimée, chap. VIII.

(64) Caractère De quelques usages, n° 70.

(65) FLOQUET, Histoire du parlement de Normandie. t. V, p. 724.

(66) Lois criminelles de la France (Paris. 1780). 1. III. chap. I, n° VI.

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