Henri Piéron. Rêves d’animaux. Extrait de la « Revue de psychiatrie et de psychologie expérimentale », (Paris), 4ème série, 9ème année, tome IX, 1904-1905, pp. 79-81.
Henri Louis Charles Piéron, (1881-1964). Psychologue. De 1923 à 1951, Il fut titulaire de la chaire de physiologie des sensations au Collège France.
Parmi ses très nombreux travaux et publications nous avons retenu :
— (avec Nicolas Vaschide).Prophetic Dreams in Greek and Roman Antiquity. Article parut dans la revue anglaise « The Monist », volume XI, january, 1901, pp. 162-194.[en ligne sur notre site]
— (avec Nicolas Vaschide). La croyance à la valeur prophétique du rêve dans l’Orient antique. Partie 1. Extrait de la « Revue de synthèse historique », (Paris), tome troisième, juillet-août 1901, pp. 151-163. [en ligne sur notre site]
— (avec Nicolas Vaschide). La croyance à la valeur prophétique du rêve dans l’Orient antique. Partie 2. Extrait de la « Revue de Synthèse Historique », (Paris), octobre 1901, pp. 283-294. [en ligne sur notre site]
— (avec Nicolas Vaschide). Le rêve prophétique dans les croyances et les traditions des peuples sauvages. In « Bulletin de la Société d’anthropologie de Paris », (Paris), Ve série, tome 2, 1901, pp. 194-205. [en ligne sur notre site]
— (avec Nicolas Vaschide). Le rêve prophétique dans la croyance et la philosophie des Arabes. Article paru dans le « Bulletin de la Société d’anthropologie de Paris », (Paris), Ve série, tome 3, 1902, pp. 228-243. [en ligne sur notre site]
— Une enquête sur la psychologie du rêves. Extrait de la « Revue de psychiatrie et de psychologie expérimentale », (Paris), 4ème série, 2ème année, tome IX, 1905, p. 215-216.
— Etudes de cents nuits de rêves. Extrait de la « Revue de psychiatrie et de psychologie expérimentale », (Paris), 4ème série, 2ème année, tome IX, 1905, p. 342.
— L’Évolution de la mémoire, Paris, Flammarion, 1910. Bibliothèque de philosophie scientifique.
— Le Problème physiologique du sommeil. Paris, Masson, 1913.
— Le Cerveau et la pensée, Paris, Alcan, 1923. Nouvelle collection scientifique.
— Éléments de psychologie expérimentale, Paris, Vuibert, 1925.
— Psychologie expérimentale, Paris, A. Colin, 1927.
— La Connaissance sensorielle et les problèmes de la vision, Paris, Hermann, 1936.
— (Avec Georges Heuyer) Le Niveau intellectuel des enfants d’âge scolaire (publication de l’Institut national d’études démographiques, 1950.
— Les Problèmes fondamentaux de la psychophysique dans la science actuelle, Paris, Hermann, 1951.
— Vocabulaire de la psychologie (avec la collaboration de l’Association des travailleurs scientifiques), Paris, Presses universitaires de France, 1951.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
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OBSERVATIONS DE PSYCHOLOGIE ANIMALE
PAR H. PIÉRON.
Rêves d’animaux. — Lucrèce dans son livre sur la nature du monde, signalait déjà, poétiquement, l’existence de rêves chez les animaux, dont il montrait la similitude avec ceux de l’homme. —Il faut avouer que depuis on ne s’est jamais attaché sérieusement à préciser nos connaissances, bien vagues, sur cette question ; et à vrai dire, ce n’est pas fort commode. — Voici cependant quelques petits faits à ce sujet.
1). — Un gros chat angora, très doux, vivant en appartement ; il lui arrive fréquemment en dormant de remuer les pattes, comme pour marcher, et parfois de siffler (1), comme lorsqu’attaqué il veut effrayer, circonstance qui dans sa vie est cependant très exceptionnelle et très rare.
2). — Un petit chien terrier anglais, intelligent, très gâté, vieux (douze ans). Il a l’habitude, le soir, avant de se coucher, de caresser sa maîtresse qu’il ne peut quitter un seul instant dans la journée, pour lui dire bonsoir. Il lui arriva un jour de faire quelque sottise qui lui valut d’être grondé le soir au lieu de recevoir les caresses habituelles ; il alla se coucher en gémissant. Il s’endormit ; mais un certain temps après (une heure environ), sa maîtresse l’entendit geindre, puis hurler lamentablement dans son sommeil ; peu après il se réveillait. Il courut alors vers sa maîtresse pour la caresser, et, ayant été bien reçu, il s’en retourna vers sa couche où cette fois il se plongea dans un sommeil très calme.
On assiste ici à la genèse d’un rêve assez intense pour provoquer ces manifestations extérieures, qui, seules, peuvent nous annoncer la probabilité de manifestations psychiques dans le sommeil des animaux : le vide résultant de l’absence de satisfaction d’une vieille habitude, le chagrin de ne pas être pardonné par une maîtresse aimée d’une passion véritable, suffisaient pour provoquer dans l’esprit de cette bête endormie d’un sommeil peu profond, des images pénibles, et des réactions motrices.
3). — Voici maintenant sur le même chien une expérience faite pendant son sommeil, une après-midi : on vint approcher de son nez une petite chienne voisine de même race, et que, malgré son âge, il ne dédaignait pas de courtiser ; il aspira l’air, dressa ses oreilles, et fit entendre de petits gémissements tendres, sous l’influence très évidente, d’un rêve où jouait un rôle la petite chienne voisine.
4). — Petite chienne d’un an, de race mêlée ; on lui met près du museau, quand elle dort, un morceau de sucre, gâterie qu’elle [p. 80] aime fort ; sans se réveiller, elle passe sa langue sur ses babines, et fait des petits mouvements de tête ; elle continue encore quelque temps après que le morceau de sucre est ôté. Son sommeil est assez profond ; on peut la déplacer, lui nouer les pattes; les chatouillements provoquent des réflexes (tardifs d’ailleurs) mais l’ani mal ne se réveille pas.
5). — Chien assez jeune, endormi ; ne se réveille pas sous l’influence des bruits voisins ; on lui met un morceau de sucre qu’il adore, près du museau ; une seconde après, il aspire, entr’ouvre les yeux, et, encore engourdi, allonge la gueule et saisit le sucre.
Il y a donc des perceptions électives qui peuvent provoquer le réveil de l’animal ; comme les perceptions auditives répondant à des passions ou à des préoccupations réveillent une personne pro fondément endormie (le cri léger d’un enfant pour sa mère), ainsi les perceptions olfactives pour le chien peuvent provoquer le réveil, quand elles se rapportent à une préoccupation dominante à moins que la perception en soit intégrée dans un rêve.
L’analogie avec le mécanisme du rêve chez l’homme paraît frappante.
- Le sommeil chloroformique chez la mouche. — La mouche (musca domestica) incomplètement chloroformée présente quelques phénomènes assez intéressants : Je place une dizaine de mouches dans un ballon de verre en y faisant parvenir par la base, des vapeurs de chloroforme, aussitôt que les mouches tombent, étourdies, je les expose à l’air où elles restent d’abord inertes. Ensuite les mouches peuvent se diviser en deux catégories : d’une part, celles qui demeurent longtemps inertes ; d’autre part, celles qui présentent des signes de grande agitation. Voici une de ces mouches, immobile, les pattes repliées ; elle reste sur le dos; remuée, elle fait à peine un léger mouvement ; mise sur ses pattes et poussée, elle marche et s’arrête ; poussée un peu fort, elle tombe sur le dos ; au bout de quelques répétitions de ce manège, elle se dégourdit un peu, surtout quand on lui a soufflé légèrement dessus ; mise sur le dos, elle s’agite pour se relever et saisit la plume qu’on lui tend ; remise sur ses pattes, elle marche un peu, s’arrête et s’engourdit, à moins qu’on ne la secoue brusquement ; si on s’y prend très doucement, elle peut être maniée, mise sur le dos sans réaction; on peut lui replier ou lui étendre les pattes; une excitation un peu forte, et elle se remue spontanément. Elle marche, rencontre une règle, monte, mais au milieu de son excursion s’engourdit, glisse, s’affaisse un peu ; on peut la faire s’affaisser complètement. Cependant elle s’agite davantage et une dernière excitation un peu forte lui fait prendre son vol (2).
Mais d’autres, pendant ce temps, ne sont pas restées inertes : On en voit voleter en faisant vibrer leurs ailes avec une rapidité [p. 81] vertigineuse, mais se soulevant à peine ; deux d’entre elles un peu remuées, se mettent sur la tête, et, agitant leurs ailes tournent de droite à gauche sur leur tête comme axe ; dans cette position, elles se frottent l’abdomen avec l’extrémité de leurs pattes postérieures, ce que d’autres font, posées à plat (pour permettre à leurs stigmates de respirer un air plus pur que l’air chloroformé qu’elles ont aspiré d’abord).
Bientôt elles s’agitent un peu plus et prennent successivement leur vol.— Quelle a été l’influence du chloroforme sur les ganglions de la mouche ? D’abord il y a eu inertie motrice due à l’intoxication ganglionnaire assez profonde ; ensuite s’est produite la désintoxication et il est probable que les ganglions cérébroïdes se sont désintoxiqués les derniers, mais les phénomènes n’ont pas été identiques. On pourrait penser que les mouches inertes étaient plus intoxiquées que les autres ; mais elles n’ont pas présenté de phase d’agitation, On peut donc supposer que l’action a consisté dans la production d’une sorte d’ivresse à phénomènes variables. (Ces effets chez l’homme ne varient-ils pas dans de très grandes proportions ; l’ivresse d’une même substance peut exciter ou engourdir ; le chloroforme a donné aux uns des sensations délicieuses, à d’autres une vague impression très pénible). Dans une catégorie, incoordination, perte d’équilibre, agitation désordonnée ; dans l’autre catégorie, engourdissement moteur, sommeil interrompu momentanément par des excitations un peu fortes ; dans les deux cas intoxication assez analogue à l’ivresse.
Notes
(1) C’est le pffff ! caractéristique, qui fait reculer le chien.
(2) Ces phénomènes sont assez analogues à ceux d’animaux décérébrés, tels que les pigeons.
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