Trois cas de paramnésie. Extrait des « Annales des Sciences Psychiques », (Paris), XXIIIe année, 1913, pp. 283-284.
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TROIS CAS DE PARAMNÉSIE
En 1907, j’habitais Varsovie où je travaillais à la cause révolutionnaire. Comme j’étais très excitée et que nous traversins des moments fort émouvants et dangereux, je rêvais souvent la nuit aux choses ou événements en rapport étroit avec ma vie d’alors. De sorte que je voyais de coutume dans mes rêves, soldats, perquisitions et tueries. Cependant, un jour, j’eu un rêve qui me frappa particulièrement parce qu’il était étrange et saugrenu au point que j’en ai retenu chaque détail.
Je rêvai d’une place inconnue, d’une ville gaie, lumineuse, parée comme pour une fête, pleine de gens en costumes voyants. Au milieu des rues se dressaient des poteaux enrubannés de rouge, aux longues bandes flottantes, surmontées de lanternes est de drapeaux, (disons entre parenthèses que, n’ayant jamais été à l’étranger plus loin que Berlin, je ne pouvais connaître le carnaval du Midi que par ouï-dire).
Au milieu de cette scène inconnue je me voyais moi-même, examinant avec intérêt ce spectacle si peu familier. Tout à coup, je vis traverser la place à un jeune homme, un certain Z…, que je connaissais vaguement, l’ayant rencontré aux réunions de notre parti, et que je savais lier à l’un de nos amis, me tenant de près. Je me réveillai à ce moment tout étonné d’avoir vu dans mon rêve des choses aussi bizarres et un homme qui m’intéressait si peu faisant parti, dans une certaine mesure, de cet étrange tableau. Je me rappelle exactement la réflexion que je fis au réveil sur la bizarrerie des rêves, tant m’avait frappé dans ce tableau la présence incompréhensible d’une personne à qui je ne pensais jamais.
Un an et demi après je me trouvais à Menton à l’époque du carnaval. Sitôt arrivé à la place Nationale où avait lieu la fête je me rappelai par une brusque révélation de rêves réalisés en ce moment. Je vis les bannières flottantes, le soleil illuminant les blanches maisons, les fleurs, les poteaux et les costumes multicolores de la foule. [p. 283, colonne 2]
Je me tournai vers la personne qui m’accompagnait pour lui conter la bizarre coïncidence de mon rêve d’autrefois avec le moment présent. « Ce serait bizarre, dis-je, si Z. allait se trouver ici en ce moment ». Je le croyais loin, en Russie, en prison. Tout à coup je le vis traverser la place et s’approcher de nous. Il venait d’arriver à Menton dans la matinée.
Le récit ci-dessus a été communiquée à notre ami M. R. Warcollier, Secrétaire adjoint de la S. U. E. P. par Mlle X., fille d’un de nos abonnés. C’est une intellectuelle, très instruite, surtout en psychologie, élève de Binet, rédactrice à l’Année Psychologique. Elle ne s’intéresse point particulièrement à nos recherches. Le rêve dont il s’agit est arrivé à une de ses amies, du même milieu intellectuel – licenciée ès sciences, je crois. Malheureusement, comme c’est une révolutionnaire russe, il est impossible de connaître et de publier son nom. Nous aurions bien voulu obtenir le témoignage de la personne avec laquelle elle se trouvait à Menton, au moment où M. Z. apparu, comme dans le rêve. Malheureusement, l’espace de temps passé entre le moment où la jeune fille russe dite à son ami : « Ce serait bizarre si Z. allait se trouver ici en ce moment », et le moment où elle signalait en effet cet homme semble avoir été si court, on pourrait objecter que Z. se trouvaient déjà à portée de vue de la jeune fille quand celle-ci en parla, et qu’elle l’avait vu déjà, subconsciemment.
Ce qu’il aurait fallu pour écarter en ce cas l’explication qu’on se plaît, dans les milieux scientifiques, a donner à la paramnésie (spectacles enregistrée d’abord par la subconscience ; sensation du déjà vu quand la conscience normale entre en jeu, de façon qu’on suppose avoir déjà vu la scène en rêve), se serait qu’on pût présenter une preuve que la jeune Russe avait raconté son rêve avant qu’il ne se réalisât.
C’est l’objection qu’on peut faire aussi au récit suivant, que nous empruntons à la Revista de Ciencias Psiquicas de Caracas (Vénézuéla), de Févier dernier. Ce fait, qui ressemble au précédent mais en certains détails (une place dans une ville gaie, parée comme pour une fête, etc.), Est écrit par le Dr Valarino de Lorena, ancien plénipotentiaire de Nicaragua et consul général d’El Salvador. [p. 284, colonne 1].
Le 15 janvier de l’année courante, je rêvais que je me trouvais dans une petite ville d’aspect moderne. L’église attira mon attention ; j’y entrai et je vis qu’elle était partagée en trois nefs, et qu’elle avait quelques autels latéraux. Je me dirigeai du côté Sud-Est de la place de l’église et je vis que l’angle était occupé entièrement par un magasin de comestible : à l’Est, il y avait une grande maison d’un seul étage, avec trois fenêtres. Je m’arrêtai devant cette maison, je vis passer des voitures et des automobiles chargées de personnes gaies et en fête. En outre, j’observai qu’au Nord du même angle de la place s’étendait une avenue, toute pavoisée, à l’extrémité de laquelle s’élevait un autre édifice d’un étage, peint en jaune.
Je me réveillai avec le rêve tellement gravé dans ma mémoire, qu’il me semblait voir nettement la ville et tous ses détails.
Deux jours après, le 17, je me rendis à Maracay, une ville petite mais florissante, à 130 kilomètres de Caracas, afin de passer quelques jours avec mon ami le général Gomex, Président de la République, qui s’y trouvait pour assister aux fêtes qui s’y célèbrent chaque année.
Je n’avais jamais été à Maracay et je n’en avais jamais vu des vues ou des photographies.
Ma surprise a été grande en arrivant dans mon automobile à la place de Maracay. L’endroit n’était pas étranger ; il me semblait l’avoir vue depuis peu.
J’entrais dans l’église : c’était bien celle que j’avais vue en rêve. Assez ému, je traversai la place, me dirigeant à l’angle Sud Est. J’ai vu le même magasin de comestible, l’avenue pavoisée, avec la maison peinte en jaune, à son extrémité.
La maison aux trois fenêtres, du côté de l’Est, était la même que j’avais rêvée : mon étonnement fut à son comble lorsque au même moment, je vis défiler les voitures et les automobiles, devant la maison, telles que le les avais vues en songe.
Tout se passa exactement comme je l’avais rêvé cinquante-huit heures auparavant. Je laisse aux hommes de science le soin de juger ce fait.
Ce troisième récit et de M. Jolivet-Castellot, directeur des Nouveaux Horizons, de Douai ; nous l’empruntons à un des derniers numéros du Journal du Magnétisme :
Ce rêve date de 1894 ; je le transcris d’après les notes que je consignai dès mon réveil (1).
La nuit du 29 au 30 janvier 1894, j’avais eu [p. 284, colonne 2] un songe lucide qui me conduisait à H… près Lille (endroit que j’avais entrevu deux fois seulement et où se trouvait l’habitation de M. X majuscule… avec lequel je devais avoir probablement à faire ; je devais dans ce but, rendra avec ma mère visite à M. et à Mme X… ; Je ne connaissais point cette dernière). Je savais dans mon rêve, que je me rendais à H… accompagné de ma mère pour voit X… ainsi que son mari.
J’arrivai à une gare, puis m’arrêtai sur un point inconnu de moi, au-dessous duquel une rivière jaunâtre coulait ; à l’horizon, des maisons de village, des arbres… Et pendant que j’étais là, survint Mme X… qui nous dit : « mon mari devait venir avec moi à votre rencontre, mais il a dû s’absenter ».
Je voyais très bien Mme X… ; (au début du rêve, je la définissais mal ; j’éprouvais comme un sentiment de tension pénible pour dégager cette dame d’une sorte de brume) ; ses cheveux bruns, sa coupe de physionomie, sont teint coloré ; les yeux seuls demeuraient vague. Puis les décors s’obscurcirent et mon rêve s’évanouit.
En éveillant, je me rappelai parfaitement les traits de Mme X…, le ponts sur la rivière et je me fis la réflexion : « puisque je vais aujourd’hui même 30 janvier à H…, je jugerai de la valeur de mensonges – si valeur il y a ».
Quelle ne fut point la satisfaction, lorsque parut la dame si impatiemment attendu par moi, de reconnaître la vision de la nuit dernière, son teint un peu rouge, ses bruns cheveux, son visage allongé ; les yeux seuls me parurent inconnus, ce qui concordaient avec le rêve.
Mais la coïncidence devait aller beaucoup plus loin – si l’on peut employer le terme de coïncidence. Mme S… nous apprit que son mari était absent et regrettait de ne point nous avoir rencontré, ma mère et moi.
Nous partîmes ensuite à travers le visage et nos pérégrinations nous conduisirent sur un pont que je ne connaissais pas, n’ayant jamais gagné ce côté-là de H…, bon sur une rivière de couleur très jaunâtre. Au loin des maisons et des prairies, la campagne. C’était le pont de mon rêve.
Plusieurs fois déjà, dans mon existence, il m’est arrivé d’avoir des rêves analogues et de reconnaître ensuite les endroits : villes maisons, personnes, jardins, etc., que j’avais aperçu en songe. Mais je ne me suis guère astreint à noter ces phénomènes.
Note
(1) On remarquera que, s’il en est ainsi, le rêve a été consigné par écrit avant que la reconnaissance, se produisit. N. de la R.
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