C. Leblanc. Cauchemar. Extrait de « Encyclopédie moderne. Dictionnaire abrégé des sciences, des lettres, des arts, de l’industrie, de l’agriculture et du commerce. Nouvelle édition entièrement refondue et corrigée de près du double, publiée par MM. Firmin Didot frères sous la direction de M. Léon Renier », (Paris), vol. VIII, 1847, col. 57-60.
Les [colonne] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Par commodité nous avons renvoyé la note originale de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
[colonne 57]
Cauchemar. (Médecine.) On donne le nom de cauchemar à une sorte de délire qui ne survient que durant le sommeil et pendant lequel le malade, en proie à une forme particulière de songe, éprouve un sentiment plus ou moins pénible d’oppression, de suffocation, mêlé d’anxiété, de frayeur, avec gêne dans les mouvements, avec impossibilité d’articuler les sons avec efforts pour crier, jusqu’à ce qu’un réveil en sursaut lui rende la liberté de ses fonctions et de son intelligence (1). Hippocrate avait observé le cauchemar, et il le mentionne dans ses écrits : « II y en a, dit.il, qui, dans le sommeil, crient et gémissent ; certains qui se sentent étouffés ; quelques-uns qui sautent du lit, qui marchent et sont hors de leur raison, jusqu’à ce que, après s’être [colonne 58] réveillés, ils se trouvent aussi sains qu’auparavant et jouissent parfaitement de toutes leurs facultés on remarque seulement qu’ils sont pâles et faibles (2) » Cælius Aurelianus, Galien, ont également décrit cette affection qui, dans les livres des anciens, se trouve désignée sous le nom de έφιάλτης, έπζολή, πνιγαλίων, incubus, oppressio nocturna, ludibria Fauni, etc., etc.
Chez les modernes, les observations et par suite les théories, se sont multipliées, sans qu’on soit arrivé à aucune explication bien satisfaisante. Il parait toutefois que la cause du cauchemar réside dans le cerveau, qui n’est susceptible que d’un sommeil peu tranquille, et qui est souvent troublé par de l’agitation et des réveils en sursaut, surexcité qu’il est, soit par des affections morales pénibles, des travaux excessifs de l’esprit, des sensations vives, soit par un état de plénitude de l’estomac, ou par quelques maladies, surtout par celles que l’on nomme nerveuses.
Le cauchemar s’observe chez les femmes hystériques, chez les hypocondriaques, chez les hommes timides, chez les individus impressionnables et nerveux et plus particulièrement chez les enfants, et chez les jeunes sujets à l’âge de puberté. Avec les années, il diminue, pour peu que l’on ait soin d’éviter tout ce qui peut irriter les nerfs, accélérer la circulation et stimuler trop fortement les voies digestives. Cette affection est ordinairement sporadique, c’est-à-dire qu’elle n’atteint que des individus isolés on l’a vue cependant être quelquefois épidémique, et frapper un grand nombre de personnes. Nous citerons à ce sujet, le fait suivant, rapporté dans le Dictionn. des se. Médicales : « Le premier bataillon d’un régiment français ayant fait, en Italie, une marche forcée, durant une journée très-chaude, eut à souffrir, deux nuits de suite, des accidents de cauchemar les soldats étaient couchés tout habillés, sur de la paille, dans un lieu étroit et malsain. S’étant soustraits à cette influence nuisible, ils évitèrent la récidive de l’accident. »
Le cauchemar, ainsi que toute autre espèce de sommeil, est, pour le séméiologisle un indice de l’état du cerveau. Si le phénomène se renouvelle fréquemment, chaque nuit par exemple, sans avoir pour cause une affection des viscères de l’abdomen ou du thorax, il annonce toujours que le centre nerveux n’est point calme, qu’il est malade ou en voie de le devenir, ou qu’il n’a point recouvré un état parfait de santé, s’il sort de maladie. Le traitement du cauchemar n’est autre que celui des diverses causes qui le produisent. S’il provient d’une surcharge de l’estomac, [colonne 59] produite par un repas trop voisin du coucher, on doit supprimer ce repas, ou au moins manger peu ; s’il dépend d’influences morales, d’excès d’études, l’indication se présente d’elle-même. Si ce sont les viscères thoraciques ou abdominaux qui, par leur état de souffrance, exercent une réaction, fâcheuse sur le cerveau, il faut guérir ces organes ; le cauchemar est-il le symptôme d’une affection cérébrale, telle que la folie, l’hystérie, l’hypocondrie, ce sont ces maladies qu’il faut traiter.
Nous terminerons cet article par une description de la maladie qui en fait le sujet. Cette description pleine de vérité, est empruntée à l’ouvrage que nous avons cité en commençant.
Au milieu de son sommeil, et généralement dans la première moitié de la nuit, un individu est pris d’une oppression très-grande c’est avec peine qu’il peut dilater sa poitrine, pour y introduire une certaine quantité d’air; au centre épigastrique, il sent une constriction excessive en songe il croit qu’un corps pesant et volumineux repose sur son ventre et sur son thorax, et son imagination donne à ce corps une forme, un caractère particulier tantôt c’est un cheval monstrueux, un homme difforme, une vieille femme qui semble bondir sur le corps du patient et y reposer de tout son poids ; tantôt c’est un fantôme, un démon qui vient l’embrasser fortement, et lui faire subir une sorte de strangulation ; pour celui-ci c’est un singe énorme qui s’est introduit furtivement dans l’appartement et s’est glissé sous la couverture du lit ; pour celui-là, c’est un chat, un gros chien. D’autres fois le patient a été transporté sur le bord d’un précipice, il veut fuir mais une main ennemie le retient et paralyse ses mouvements. En butte à une position aussi cruelle le malheureux atteint de cauchemar, veut échapper an danger, mais il ne peut se mouvoir, il veut appeler à son aide, et reste sans voix il veut éloigner ce songe affreux, et demeure sous son influence. Son anxiété est extrême, il s’agite enfin avec violence, il laisse exhaler des cris confus, de sourds gémissements ; enfin il se réveille en sursaut, le corps couvert de sueur, en proie à des palpitations violentes, à une céphalalgie intense, quelquefois à un violent mouvement fébrile, et il ne reprend le libre exercice de ses sens, il n’échappe au sentiment de terreur et de peine qui l’accable, qu’après plusieurs minutes passées dans un état de rêvasseries confuses. Le reste de la nuit s’écoule, sans qu’il puisse retrouver le sommeil ou, s’il le retrouve, ce sommeil est léger et peu réparateur. Parfois, cependant, il retombe dans un accablement profond, et y est de nouveau assailli par les mêmes terreurs. [colonne 60]
« Le lendemain, à son réveil, le malade accuse une grande faiblesse, un sentiment de courbature des douleurs contusives se font sentir dans tous les membres ; l’intelligence n’est pas libre ; il se plaint de pesanteur de tête, d’inaptitude au travail ; il mange sans appétit, et passe ainsi toute sa journée dans un état de malaise général. »
II s’en faut cependant que tous les accès de cauchemar se présentent avec une série de symptômes aussi effrayants ; le plus souvent, ils ne durent que quelques minutes ; le réveil est d’autant plus prompt, que l’état de malaise a été plus prononcé et si le sommeil ne revient plus aussi profond que d’abord, cependant quelques heures de repos suffisent pour faire oublier au malade l’accident qui lui est survenu.
C. LEBLANC.
Notes
(1) Compendium de médecine pratique.
(2) De morbo sacro liber, c. 1.
LAISSER UN COMMENTAIRE