Des Incubes & des Succubes, & si les Demons peuvent engendrer. Chapitre du « Recueil général des questions traictées ès Conférences du Bureau d’Adresse, sur toutes sortes de Matieres ; Par les plus beaux esprits de ce temps. A Paris, Chez Lovis Chamhoudry, 1651, tome troisième, cent vingt-huitième conférence du lundi neufiesme, février 1637, pp. 369-378.
Un des rares textes en français, et un des tous premiers, qui traite de la reproduction des Incubes et des Succubes.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. — Les images ont été rajoutées par nos soins. — Nous avons respecté scrupuleusement l’orthographe et le grammaire de l’original afin de restitué ce textes dans « son unité », mais avons mis à jour la typographie. — Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
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Des Incubes & des Succubes, & si les
Demons peuvent engendrer
Deux sortes de gens péchent en cette matière, le vulgaire superstitieux & ignorant qui rapporte tout au miracle, & fait tout faire par les Saints ou par les démons :& les athées & libertins qui se croyent ni les uns ni les autres. Les Médecins tenant le milieu, sçavent distinguer ce qu’il faut attribuer à la nature & à ses mouvements ordinaires [p ; 370] d’avec les choses surnaturelles : entre lesquels il n’y a point d’apparence de placer les maladies & indisposition telle qu’est l’Incube, appelé par les Grecs Ephialtes, & du vulgaire pezard : qui se définit un empeschement de la respiration, de la voix & du mouvement, avec oppression du corps, qui nous représente en dormant quelques poids sur l’estomach. Sa cause est une vapeur grossière, bouchant principalement le derriere du cerveau, & empeschant l’issuë des esprits animaux destinez aux mouvements des parties : laquelle vapeur est plus aisée à dissiper que l’humeur qui fait le care, apoplexie & autres symptomes qui sont pour cet effet de plus longue durée que celle-ci : lequel cesse aussi-tost que cette vapeur est dissipée. Or d’autant que les passions de l’esprit & du corps fournissent ordinairement de matiére aux songes : comme il se void en ce qui ont faim & et sont amoureux, qui penseront manger ou voir ce qu’ils aiment : ou ceux qui ayant douleur en quelques parties, songent qu’on les y blesse : la respiration la plus nécessaire de toutes les fonctions animales estant empesché, on s’imagine aussi-tost [p. 371] avoir un fardeau qui peze sur la poitrine, dont il empesche la dilatation. Et pour ce que le cerveau est occupé dans l’Incube, toutes les fonctions animales en sont blessées : l’imagination dépravée : le sentiment, obtus : le mouvement, empesché. Ce qui fait que ceux qui sont attaquez de ce mal, essayent bien de s’éveiller : mais ne pouvant se mouvoir ni parler, ils ne le font qu’à toute peine. Et bien que la cause de ce desordre soit dans nous-mêmes, néanmoins la malade croid qu’on le veut estrangler par quelques violences externes : à laquelle l’imagination déjà dépravée se porte plustost, qu’à penser aux comptes internes, celle-là estant plus sensible & plus commune. C’est ce qui a donné lieu à l’erreur du vulgaire, qui rapporte ses effets à l’esprit malin : au lieu de s’en prendre à la malignité d’une vapeur, ou de quelque humeur pituiteux & grossier, laquelle fait impression que le ventricule ; dont la froideur et la foiblesse produite par le défaut d’esprit & de chaleur, qui tiennent toutes les parties en arrest, sont les plus manifestes cause. Moins encor peut-il être cause de la génération : laquelle estend un effet de la [p. 372] faculté naturelle : & celle-ci de la végétante, elle ne peut convenir aux démons, qui est un pur esprit.
Le2° dist : Comme c’est être trop grossier de vouloir recourir à des raisons surnaturelles, lors que les naturelles sont évidentes : aussi, c’est estre trop sensuel que de vouloir chercher la raison de tout dans la nature, & de rapporter à une simple pituite & à une imagination blessée, les accouplemens des démons avec les hommes, lesquels on ne peut nier sans démentir une infinité de personnes de tous aages, sexes et conditions à qui ils sont arrivez, et mesme sans accuser des Arrêsts des Cours souveraines qui les ont condamnez. Car pour ne rien dire des naissances d’Hercule, Aenée, Alexandre, Servius Tullius, & quantité d’autres héros engendrés par les faux dieux de l’Antiquité qui n’estoient autre que les démons, non plus que les Faunes, Satyre, & le principal d’entr’eux Pan, chef des Incubes appelé Haza par les Hébeux, comme le chef des succubes Lilith : ni de ses geans dint il est parlé dans la Genèse qui ont esté engendrez [p. 373] selon quelques pères par les Anges : L’Angleterre a eu son Merlin Coccaye Chancelier & grand magicien né d’un Incube. Le Poitou des Comtes engendrez d’un succube à demi-femme & et demi-serpent appelé Méllusine : la Pologne, des Princes de la race des Iagellons venus d’un autre en forme d’Ours : la Hongrie, des peuples entiers, appelez Huns :Nez des Arlunes sorciéres Gotiques & des Faunes. Iusques à present dans l’isle Hispaniole, au rapport de Chieza en son histoire du Perou, le demon appelé des habitans Corocote, se mesle avec leurs femmes, & les enfans qui en viennent ont des cornes : comment aussi chez les Turcs ces gens qu’ils appellent Nefesoliens, sont cruz estre engendré par l’opération du démon : soit ils empruntent une semence estrangère qu’ils peuvent transporter presque en un instant : & par ce moyen conserver ses esprits, & empescher leur écoulement & transpiration : soit par leur propre vertu, puisque tout ce qui se peut faire naturellement, comme elle a semence, se peut aussi faire par les demons. Veu que dans l’ordre des choses naturelles, les supérieurs [p. 374] & les plus nobles contiennent éminemment, & à un degré plus parfait, les puissances des inférieurs & moins parfaits. Voire combien ils ne pourroient faire de semence propre, il ne s’ensuit pas de la qu’ils ne puissent produire une créature parfaite : la nature, dont le démon à une entière connoissance, pouvant avoir diverses voyes pour parvenir à une mesme fin. Mais comme le démon fait les actions naturelles des animaux par des moyens surnaturels : comme de voir, sans organe de la veuë : de mouvoir les choses corporelles, sans attouchements : de se transporter d’un lieu en un autre : sens commensuration des espaces du milieu, pour ce qu’il n’a point de quantité : ainsi peut-il faire un animal parfait sans observer les conditions des agents ordinaires. Aussi la nature d’elle-mesme, nous faisant voir les transformations estranges, comme des cheveux d’une femme enfermez en du fumier se changer en des serpents : un certain gui tombant dans l’eau, en des canes : il ne faut point douter que celui qui a une très-parfaite connoissance de tous ses secrets ne puisse par l’application des agents aux [p. 375] patiens produire des animaux parfaits.
Le3e dict, Que le démon estant un esprit d’impureté, il ne se plaist pas seulement de combattre la pureté des hommes par ses illusions, il veut être de la partie. Lorsque qu’il se mesle avec la femme il ne s’appelle incube : avec une homme, succube. Pour le succube, il est certain qu’il ne peut engendrer dans soy faute de lieu convenable pour recevoir la semence & la réduire de puissance en art & manque de sang pour nourrir le fœtus durant neuf mois. Il est plus difficile de résoudre ces incube peut engendrer en autrui. Chacun demeure d’accord que le diable avec la permission de Dieu, sans laquelle il ne peut rien, à la puissance de mouvoir tous les corps d’un lieu en un autre : & qu’il peut par ce moyen se forger un corps d’air, ou de quelque autre matiére grossière : ou à faute d’icelle, prendre un corps n’aguère mort qu’il peut animer d’une chaleur estrangère & lui donner tel mouvemens qu’il voudra & à toutes ses parties. Mais pource que la generation requiert les trois choses : la diversité de sexe : l’accouplement du masle [p. 376] & de la femelle, & l’écoulement de quelques matiéres qui contienne en soy la vertu formatrice des parties dont elle est issue : le diable peut bien faire rencontrer les deux premières conditions : mais jamais la dernière, qui est une semence propre & convenable, d’esprit & d’une chaleur vitalle : sans laquelle elle est inféconde & stérile. Car il n’a point de son chef de cette semence, puisque c’est ce qui reste de la dernière coction : laquelle ne se fait qu’en accord actuellement vivant, tel que n’est pas celui qu’il a : & cette semence qu’il a pu mendier d’ailleurs lorsqu’elle a esté epanduë hors du vaisseau de nature, ne peut être fœcondé, faute de ces esprits, lesquels ne se peuvent conserver que par une irradiation qui se fait des parties nobles dans les vaisseaux spermatiques : dans lesquelles seuls comme elle peut-estre produite, aussi ne peut-elle estre conservée hors d’iceux : tout ce qui a la puissance de conserver une chose, pouvant aussi la production.
Le 4° dict, Qu’il n’y avoit rien de surprenant dans l’incube ; qui n’est rien qu’un symptome de la faculté animale accompagné [p. 377] de trois circonstances : sçavoir, la respiration empeschée, le mouvement lezé & une imaginations voluptueuses. La première est causée par une matiére pituite pituiteuse, cruë & froide : laquelle venant à pesez dans le fond de l’estomach : celui-ci tire en bas le diaphragme auquel il est attaché par sa partie supérieure : lequel estant affaissé & n’ayant pas son mouvement libre, la respiration dont il est le principal organe, est empesché. Le mouvement est aussi empesché par des fumées grossiéres élevées des hypochondres & des veines du mezentere : qui estant les premières voyes des alimens abondent en impureté & vapeurs grossieres : lesquels s’emparan de la partie postérieure du cerveau, empeschent le commerce des esprits animaux dédiés aux mouvement de toutes les parties : mais particulièrement celui du diaphragme par l’obstruction de deux couples de mère qui sorte de la 4e & 5e vertebre du dos, & qui lui communiquent le mouvement, lequel est arresté de la même façon par ces vapeurs grossieres que le sentiment durant le sommeil par des vapeurs plus tenuës qui occupe la partie antérieure du cerveau plus molle, comme [p. 378] ces premières saisissent principalement le derrière & les ventricules postérieurs. Ce qui fait que ceux qui dorment sur le derrière de la teste, y sont plus sujets que ce qui reposent sur l’un des costez. Enfin, l’imagination voluptueuse qui accompagne, bien que plus rarement, cet accident, est produite par l’abondance ou la qualité de la semence : laquelle envoyant son espéce dans la phantaisie : elles se forme un objet agréable, & remuë la puissance motrice : celle-ci la faculté expultrice des vaisseaux spermatiques : laquelle se dégage de cette matiére excrémenteuse avec l’imagination voluptueuse qui se figure des incubes ou succubes vénériens.
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