André Ombredane. La psychoanalyse et le problème de l’inconscient. PARTIE 2. Article paru dans la « Revue Philosophique de la France et de l’étranger », (Paris), 47e année, tome CXIII, janvier à juin 1922, pp. 443-471.

OMBREDANNEINCONSCIENT2-0002André Ombredane. La psychoanalyse et le problème de l’inconscient. PARTIE 2. Article paru dans la « Revue Philosophique de la France et de l’étranger », (Paris), 47e année, tome CXIII, janvier à juin 1922, pp. 443-471.

Article en 2 partie. La première partie déjà en ligne sur notre site. 

André Ombredanne (1898-1958). Médecin, et docteur en psychologie. – Directeur du Laboratoire de psychobiologie de l’Ecole des Hautes Etudes de Paris ; Professeur de psychologie expérimentale, Université du Brésil.
Il est surtout connu pour avoir le premier traduit en français en 1962, et augmenté d’une introduction critique l’ouvre fondamental de Hermann Rorschach, Psychodiagnostic. Méthode et résultats d’une expérience diagnostique de perception.
Quelques autres publications parmi plusieurs dizaines :
— Critique de la méthode d’investigation psychologique de Freud. Article paru dans la publication « Le Disque vert », (Paris-Bruxelles), deuxième année, troisième série, numéro spécial « Freud », 1924, pp. 165177. [en ligne sur notre site]
Le langage. Revue philosophique de la France et de l’étranger, III, 1931, pp. 217-271 et 424-463.
Sur le mécanisme des crises d’angoisse vespérales et nocturnes de l’enfant. Bulletin du Groupement français d’études Neuro-Psychopathologiques infantiles, mai 1938, p. 49.
Délire d’influence de type mystique (histoire de Clotilde). Cultura médica, outubro e novembro 1941, ano n°3, no 4 e n°5, 35 p.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. — Les images ont été rajoutées par nos soins. — Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 210]

La psychoanalyse
et le problème de l’inconscient

(suite)

II

Nous avons défini l’inconscient dans ses rapports avec le préconscient, et dans sa nature affective. Il nous faut étudier maintenant le mécanisme suivant lequel l’inconscient agit et se manifeste dans la pensée normale en dépit du refoulement. Nous utiliserons les recherches de Freud sur le rêve, l’esprit (Witz), et les défaillances de la vie journalière (Felilleistungen).

L’activité de l’inconscient dans le rêve.

Le rêve est analogue à ces fantaisies de la veille (Tagträume) dont nous avons parlé à propos de la sublimation. C’est une introversion, une réalisation de désirs inconscients refoulés (Wunscherfüllung). Cette conception a été très discutée ; elle nous semble contenir cependant beaucoup plus de probabilité qu’on ne l’admet ordinairement lorsqu’on y apporte quelques modifications.

Celui qui se surprend, pendant la veille, en train de « rêvasser », constatera toujours que sa pensée se livre à des constructions qui réalisent tel ou tel de ses désirs, ou luttent contre telle ou telle de ses craintes. L’imagination règne en son logis avec son bonnet de folie sur la tête, le jour elle se montre assez discrète, mais la nuit elle ferme sa porte pour mener tranquillement son sabbat. Deux groupes de rêves les uns sont manifestement la réalisation d’un désir ; les autres ne le sont point en apparence. Les rêves où [p. 443] le désir se montre à nu se rencontrent principalement chez les enfants à l’âge où le refoulement est encore faible. Les enfants rêvent qu’ils obtiennent ce qu’ils désirent et n’ont pu encore obtenir. Chez l’adulte les désirs inconscients sont presque toujours déguisés à cause du refoulement qui les contenait à l’état de veille et qui continue à s’exercer quoique plus faiblement dans le rêve. Pour expliquer cette déformation, Freud emploie des métaphores qui peuvent exposer à de graves erreurs d’interprétation. Il compare l’action du refoulement à une censure et le rêve à une série de détours que prend le désir inconscient pour tromper la censure et s’exprimer d’une façon symbolique. Ainsi présentés, l’inconscient a l’air d’un peau-rouge sur le sentier de la guerre, et la censure d’un gendarme borné, alors on reproche à Freud d’avoir expliqué le mécanisme psychique à coups d’entités. Nous montrerons plus loin quels sont les processus que recouvrent ces métaphores. D’où proviennent ces désirs qui se réaliseraient dans le rêve? Ils peuvent avoir trois origines (1).

1° Ce peut-être un désir éveillé pendant le jour et qui, par suite de contraintes extérieures, n’a pu être satisfait.

2° Ce désir peut avoir surgi pendant la veille mais avoir été repoussé, désir insatisfait et refoulé.

3° Il peut n’avoir aucun rapport avec la vie journalière et appartenir à ces désirs qui sont éveillés seulement la nuit et sortent du « refoulé ».

Un désir de la première sorte appartient au préconscient, un désir de la seconde a été refoulé du préconscient dans l’inconscient, le désir de la troisième espèce est incapable de franchir le seuil du préconscient. On peut ajouter une quatrième catégorie de désirs ceux qui se forment pendant la nuit et tiennent à des besoins organiques (faim, soif, besoin sexuel..). De toutes façons, Freud pense que ce qui provoque le rêve appartient à la journée précédente, pour cette simple raison que le rêve ne fait que prolonger un processus inconscient amorcé avant le sommeil. Sans cela, on ne comprendrait pas pourquoi le rêve serait provoqué par des souvenirs plus anciens, que rien n’aurait préalablement réveillés. [p. 445] C’est le minimum de déterminisme qu’exige une investigation scientifique.

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Un grand nombre de rêves d’enfants montrent qu’un désir non satisfait pendant le jour peut provoquer le rêve. Mais il s’agit d’enfants dont les désirs sont très chargés affectivement, comme toutes les représentations infantiles. Chez un adulte, Freud doute qu’un désir préconscient, non satisfait pendant le jour, suffise pour provoquer un rêve. En effet, au fur et à mesure que notre vie instinctive est dominée par notre vie pensante, nos désirs sont de moins en moins chargés d’affectivité comme chez l’enfant. Il est vrai qu’il peut y avoir des différences individuelles, l’un conserve plus longtemps qu’un autre le type infantile des processus mentaux. Mais en général, le désir qui demeure insatisfait du jour précédent n’est pas assez chargé d’affectivité pour provoquer un rêve. Celui-ci ne surgirait pas si le désir préconscient ne prenait pas ailleurs un renfort. Ce renfort vient de l’inconscient. « Le désir conscient ne suscite le rêve que lorsqu’il arrive à éveiller un désir inconscient, s’exprimant de la même manière, et par lequel il se renforce. Ces désirs inconscients, je les considère, d’après les données de la Psychoanalyse des névroses, comme toujours tendus, prêts à se manifester dès que l’occasion se présente pour eux de s’allier à une excitation venue du conscient, et à joindre leur grande intensité à l’intensité plus faible de ceux-là (2) ». On croira que seul le désir conscient s’est réalisé dans le rêve, toutefois une petite bizarrerie dans la forme de ce rêve nous révèlera l’auxiliaire puissant venu de l’inconscient. Ces désirs inconscients, refoulés, sont d’origine infantile. Les désirs préconscients de la veille ont donc un rôle accessoire, ils ne sont que des agents provocateurs du rêve. D’ailleurs ces agents provocateurs ne sont pas nécessairement des désirs. Il est rare que nous puissions arriver à mettre un terme définitif à nos préoccupations d’esprit, lorsque nous nous décidons à chercher le sommeil. Des problèmes inachevés, des soucis torturants, des impressions dominantes prolongent l’activité de la pensée pendant le sommeil. C’est l’idée déjà exposée par Delage en 1891. Dans le rêve reviennent les impressions de la veille qui ont frappé nos sens, mais insuffisamment attiré notre attention [p. 446] ou qui ont été refoulées par un acte de volonté consciente (Tagesreste). On peut classer dans ce groupe :

1° Ce qui n’a pas été terminé pendant le jour, à cause d’un empêchement fortuit.

2° Ce qui est resté inachevé, sans solution, par la faiblesse de notre pensée.

3° Ce qui a été refoulé pendant le jour.

4° Les processus inconscients excités par le travail préconscient.

5° Les impressions indifférentes et, pour ce, demeurées inépuisées. Une pensée de la journée précédente joue pour le rêve le rôle d’entrepreneur. Mais l’entrepreneur ne peut rien faire sans capital. Le capitaliste du rêve est un désir venu de l’inconscient. Parfois le capitaliste est lui-même l’entrepreneur, et c’est le cas habituel du rêve le travail de la journée éveille un désir inconscient qui forme à lui seul le rêve. Il est possible aussi que ces deux processus demeurent parallèles ; l’entrepreneur peut apporter une petite part au capital. Il peut y avoir plusieurs entrepreneurs qui s’adressent au même capitaliste, plusieurs capitalistes qui commanditent le même entrepreneur, etc. (3)

Les sensations organiques éprouvées durant le sommeil ont le même rôle excitateur que les « Tagesreste ». Elles sont interprétées dans le cours du rêve, sans le détourner, ou bien elles peuvent susciter tel désir inconscient qui emprunte son matériel de représentation à telle pensée ou telle imagination de la journée précédente. L’importance accordée par M. Bergson aux lueurs entoptiques est des plus discutable, car il reste à savoir pourquoi telle lueur est interprétée comme ceci et non autrement. Le fameux rêve de Max Simon ne s’explique pas complètement par la sensation d’une jambe repliée dans les draps et ne pouvant s’étendre, même si l’on admet, avec M. Bergson, que la représentation des piles d’or aurait sa source dans quelque lueur entoptique jaune concomitante ; il faut chercher les raisons psychologiques de ce rêve. Cette interprétation des sensations éprouvées au cours du rêve favorise le sommeil et empêche le réveil. C’est en ce sens que l’on peut dire, avec Freud, que « le rêve est le gardien du sommeil » (4). [p. 448]

Lorsque nous avons défini le désir, nous avons dit que la première forme de satisfaction pourrait avoir été une possession hallucinatoire de son objet. L’enfant, dont la conscience est momentanée parce qu’il ne dispose pas encore d’instruments de fixation et de remémoration, ne se souviendra pas peut-être de cet objet, en dehors du besoin. Mais dès que l’excitation reparaît, la perception primitive tend à se reproduire. La réapparition de cette perception réalise provisoirement le désir (Wahrnehmungsidentität). Cette hallucination ne se produit pas chez l’adulte, réduite par la possibilité des réactions motrices utiles. Ces délires hallucinatoires se retrouvent à l’état de veille dans des cas de soif prolongée, d’abstinence, qui ont diminué ou inhibé la puissance active du corps. Dans le rêve, toute motricité, toute attention à l’action sont abolies ; les processus préconscients, clef des réactions motrices adaptées, sont profondément modifiés. Les désirs du rêve se voient donc interdire l’accès du préconscient et de la motricité. Il se produit alors une régression hallucinatoire (5). Au lieu de se propager vers l’extrémité motrice du schéma, l’excitation se propage vers l’extrémité sensible et rejoint le système de la perception. La régression hallucinatoire évoque nécessairement tous les concomitants de la perception première, surtout ses concomitants affectifs, et cela est dû à l’absence d’activité préconsciente réductrice, qui, dans la veille, orientée vers l’action, inhibe le développement affectif des complexes groupés autour de chaque représentation. La régression hallucinatoire est donc une régression aux complexes infantiles.

Dans quelle mesure peut-on accepter cette idée que le rêve est la réalisation d’un désir refoulé ? Ce qui a été surtout critiqué dans cette expression, c’est la présence d’un désir dans le rêve. Il nous semble que c’est sur le mot réalisation que doit porter la critique, car il est vraisemblable que l’activité de l’esprit, en dehors de tout objet, est dirigée par des forces de désir. On ne saurait invoquer l’état de demi-coma du sommeil pour prétendre que le rêve est surtout incohérent et manifeste le plus bas degré d’activité psychique, un automatisme intellectuel inférieur. Le sommeil ne supprime que l’activité motrice, c’est-à-dire la discipline que l’objet impose au sujet ; mais en dehors de cette discipline la [p. 448] représentation n’est pas nécessairement déréglée ; elle obéit aux suggestions venues du sujet suivant une logique que nous déterminerons plus loin. MM. Régis et Hesnard reprochent à Freud d’avoir donné au mot désir un sens trop vaste et d’avoir créé le « désir négatif », c’est-à-dire la crainte. Cette remarque est juste, mais si la crainte est la prévision d’une certaine peine, c’est aussi, et surtout, l’effort pour l’éloigner. Or il nous semble que la crainte, qui se manifeste dans le rêve, est bien plutôt une série d’efforts pour éluder la situation pénible qu’une dramatisation des souffrances redoutées. Le rêve garde sa fonction cathartique. Cependant il y a des rêves pénibles, angoissants. Nous avons vu quelle conception Freud se fait de l’angoisse. C’est un équivalent, au sens médical du mot, d’une excitation réprimée ; d’une détente nerveuse arrêtée avant sa fin. L’apparition de l’angoisse dans le rêve tient donc à des conditions organiques actuelles. Mais ces conditions peuvent être réalisées par autre chose qu’une Libido insatisfaite ; celle-ci n’est que la cause la plus fréquente. Dans beaucoup de rêves d’angoisse, celle-ci est liée tout simplement à une gêne organique due à une mauvaise position, à un certain étouffement. Nous avons vu un cauchemar avec angoisse chez une femme, dont la tresse, enroulée autour de son cou, l’étranglait.

Nous discuterons moins la présence de désirs inconscients dans le rêve que la réalisation de ces désirs. Peut-on dire qu’un désir inconscient qui se trouve éveillé au cours d’un rêve, mais est immédiatement dérivé, a été récuse ? La régression hallucinatoire à l’objet propre du désir n’a pas eu lieu, et l’« affekt » a été dérivé, dès le début de son développement, sur des éléments accessoires, sur des représentations associées, ou des représentations contraires, par le seul effet du refoulement qui détermine un phénomène de déplacement affectif, de changement de valeur des représentations, comme nous le verrons dans la logique du rêve. On peut dire que le désir directement réalisé par le rêve est celui de dormir. Les rêves de pollution ne sauraient être invoqués là-contre, car le rêve, dans ce cas, interprète le processus physiologique et ne le provoque pas. D’ailleurs, à la longue, le rêve de pollution ne réveille plus. Nous proposons cette théorie modifiée de la Wunscherfüllung.

1° Le désir réalisé par le rêve est avant tout celui de dormir. « Le rêve est le gardien du sommeil. » [p. 449]

2° Certains désirs peuvent être réalisés par le rêve, c’est-à-dire, parvenir à la perception hallucinatoire de leur objet (rêves d’enfant).

3° Certains désirs des adultes, reliquat de la veille, peuvent être réalisés au cours du rêve, mais cela se présente peu souvent pour les raisons suivantes la condition essentielle pour qu’un reliquat de la veille apparaisse dans le rêve, est que son contenu affectif n’ait pas été épuisé. D’autre part un désir refoulé pendant la veille rejoint presque toujours un désir inconscient refoulé. Ce complexe de désirs ne se réalise pas dans le rêve à cause du refoulement, du déplaisir secondaire attaché à sa réalisation. Ainsi le refoulement est à la fois la condition de la formation d’un rêve et l’obstacle à la réalisation du désir qui l’a provoqué. Les désirs de la veille refoulés artificiellement ont des chances de se réaliser dans le rêve lorsqu’ils ont assez de charge affective.

4° Un complexe de désirs refoulés se trouve normalement, non pas réalisé, mais dérivé dans le rêve. D’où cette formule pour les rêves d’adultes le rêve est une dérivation de désirs refoulés. Cette dérivation peut donner aux représentations oniriques une valeur symbolique.

5° Les désirs sexuels sont ceux qui ont le plus de chance de se réaliser dans le rêve parce que ce sont des désirs très violents et que, d’autre part, le refoulement exercé sur eux par la plupart des adultes, n’est pas un vrai refoulement, consenti par le sujet. C’est un refoulement artificiel, une contrainte extérieure, sociale, que le sujet cherche en toute conscience à éluder le plus possible.

6° L’angoisse proprement dite est liée à des sensations organiques pénibles que le rêve interprète.

7° Une certaine anxiété peut tenir à l’opposition de deux désirs également puissants. Elle peut accompagner une impossibilité d’achever une opération entreprise, marque d’un tel conflit de désirs.

8° L’anxiété peut être provoquée par un état affectif pénible, reliquat de la veille (crainte, remords, etc.) ; cette anxiété témoigne que l’activité préconsciente continue durant la nuit. Le sommeil est mauvais, coupé de réveils brusques ; des séries de rêves analogues se succèdent, souvent c’est le même thème qui est indéfiniment repris. Dans ces conditions le rêve apparaît, non pas comme la réalisation de la crainte, mais comme une réaction contre elle. [p. 450] L’imagination se livre à quelque construction par laquelle se trouvent écartés l’objet ou la raison de la crainte, jusqu’à ce qu’un état de demi-conscience ramène brusquement le sentiment de la réalité et l’anxiété première. Toutefois, lorsque le sujet se trouve dans un état de dépression profonde, il peut avoir des cauchemars très pénibles, mais cela nous reporte aux rêves à base d’angoisse.

On pourrait reprocher à Freud de considérer chaque rêve comme un tout qui réalise un désir, de ne pas tenir compte de la formation du rêve au fur et à mesure de la dérivation. L’orientation du rêve est relativement contingente, des complexes nouveaux peuvent être éveillés au cours de la dérivation, de telle sorte que la fin du rêve n’ait plus le même fond affectif que le début. Mais Freud fait la part assez grande aux associations superficielles qui ne supposent pas, nécessairement, un lien affectif profond, et qui peuvent diriger le rêve en suscitant des complexes nouveaux. Il accorde un rôle important aux associations verbales, au cours du rêve. Une expression concrète est toujours riche en interférences. Dans quelques cas les procédés de condensation, de déplacements que nous décrirons parmi la logique du rêve, se font presque uniquement par l’intermédiaire des mots qui sont prononcés dans le rêve ou qui désignent les objets. Les mots ont, pour ainsi dire, une ambiguïté prédestinée, qui leur donne une importance exceptionnelle dans l’orientation du rêve. Cette ambiguïté des mots est utilisée, au plus haut point, par les névropathes (obsédés, paranoïaques, schizophrènes). En tous cas, on peut accorder à Freud qu’un rêve, et même tous les rêves d’une nuit, voire de plusieurs nuits successives, offrent souvent une direction générale, une même tonalité affective. Par ailleurs, Freud accorde une importance vraiment excessive aux désirs érotiques. bien qu’il reconnaisse que le rêve n’est pas toujours la réalisation d’un désir érotique (5). Il est curieux de noter que lorsque Freud raconte ses propre rêves, la trame en est rarement sexuelle ; est-ce l’effet d’un choix judicieux, ou d’un refoulement ? des deux peut-être. [p. 451]

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Merci à Françoise Vercellin

L’activité de l’inconscient dans le trait d’esprit.

L’activité des désirs refoulés se manifeste dans les mots d’esprit encore plus nettement que dans le rêve. Freud distingue les mots d’esprit sans arrière-pensée (harmloser Witz) et les mots d’esprit tendancieux (tendanzioser Witz). Les premiers ne paraissent devoir leur agrément qu’à la technique ; en réalité, ils expriment une tendance infantile celle de jouer avec les mots sans tenir compte de leur signification, les combinant de manière à atteindre l’effet agréable du rythme et de l’assonnance. Même à un âge plus avancé, l’enfant déforme les mots par certaines adjonctions, substitutions, réduplications, ou bien il se fabrique pour ses jeux une langue propre. Ce jeu ne peut durer, il est de plus en plus refoulé par la critique de la Raison. Alors, apparaît la plaisanterie (Scherz) consistant dans un alignement de mots et d’idées à contresens, par l’effet de certaines assonnances, homonymies, etc. ainsi le primitif jeu de mots résiste à la critique. Le mot d’esprit se distingue de la plaisanterie en ce qu’il est tendancieux. Le jeu de mots, primitivement étranger à toute autre tendance entre secondairement en relation avec les tendances que nous allons décrire. En même temps qu’il les libère, le jeu de mots les renforce. Le plaisir d’un mot d’esprit provient donc de deux sources satisfaction d’une tendance refoulée et jeu de mots primitif. Celui qui fait le mot d’esprit feint de ne s’attacher qu’au jeu de mots et, grâce à ce subterfuge, la tendance est satisfaite. Le plaisir du jeu de mots est alors un plaisir prétexte.

Plusieurs tendances, dont deux principales, se font jour par les mots d’esprit : la tendance sexuelle, la tendance agressive, puis les tendances cynique et sceptique.

L’obscénité (Zote) est l’évocation volontaire de choses sexuelles par le discours, adressée à une personne par laquelle on est excité sexuellement et qui, par l’obscénité, apprend l’excitation de celui qui parle et se trouve excitée à son tour. A la place de cette excitation en retour, la honte ou la gêne peuvent être provoquées, ce qui est d’ailleurs souvent un aveu d’excitation. Le contenu de l’obscénité embrasse plus que le sexuel, il comprend aussi le scatologique qui provoque également la honte et la gêne. Le scatologique appartient surtout aux obscénités infantiles. [p. 452]

L’obscénité est comme une mise à nu (Entblössung) de la personne à qui elle est adressée. Cette curiosité sexuelle est une des composantes primitives de la libido. Lorsque la femme (6) se défend, le discours d’excitation sexuelle est, à lui-même, son propre but ; l’agression sexuelle, arrêtée au seuil de l’acte, se contente de provoquer et de voir l’excitation chez la femme. Le refus de s’abandonner, de la part de la femme, est’ donc la première condition d’une obscénité. L’agression refoulée devient souvent hostile et appelle les composantes sadiques de l’instinct sexuel. Le cas idéal de la résistance chez la femme est réalisé lors de la présence d’un troisième personnage. Chez le peuple campagnard, dans une petite auberge, l’entrée de la servante ou même de l’hôtesse provoque les obscénités. Sur un plus haut degré de l’échelle sociale, le contraire se produit, les hommes réservent pour « entre eux » cette conversation destinée primitivement à la femme.

L’esprit tendancieux demande trois personnes celle qui fait la plaisanterie — celle à qui elle est adressée — une troisième en qui se réalise le but de la plaisanterie plaisir et rire.

L’impulsion libidineuse de la première personne, lorsqu’elle ne peut être satisfaite, éveille une tendance contre la deuxième personne et appelle à l’aide la troisième, qui était primitivement gênante. Par l’obscénité, la femme est mise à nu par le premier devant le troisième, dont la libido se trouve ainsi satisfaite. Dans le peuple, l’obscénité est souvent très crue elle satisfait le premier et fait rire le troisième. Ce n’est que plus haut, sur l’échelle sociale, qu’interviennent les conditions formelles de l’esprit. L’obscénité est spirituelle et ne peut être tolérée qu’à ce prix. Le procédé employé le plus souvent est l’allusion, c’est à dire le remplacement, par un détail, d’un rapport éloigné que l’auditeur reconstruit dans sa pleine obscénité. Le mot d’esprit permet la satisfaction d’une tendance en dépit d’un obstacle l’obstacle ici est l’incapacité de la femme, dans les rangs élevés de la société, de supporter l’expression nue du sexuel. La force qui rend impossible la jouissance d’une obscénité nue est le refoulement dû à l’éducation et à la nécessité où se trouve la femme de se défendre contre l’agression sexuelle. Cette renonciation à des [p. 453] possibilités de plaisir primitives est plus ou moins pénible. L’esprit tendancieux fournit un moyen de remédier à cette renonciation.

Les impulsions hostiles contre nos semblables sont soumises depuis notre enfance et depuis l’origine de la société à un refoulement progressif. Le cercle des amis s’agrandit. « Où l’on dit maintenant Pardon, on flanquait jadis une gifle », dit Lichtenberg. L’hostilité qui aboutit à des actes est défendue par la loi mais remplacée par l’invective. L’insulte était autrefois un préparatif au combat, geste d’assurance ou de triomphe. L’impossibilité des actes violents a modifié la technique de l’insulte qui a maintenant pour but l’enrôlement du troisième personnage contre notre ennemi. En rendant l’adversaire petit, vil, comique, nous faisons rire le troisième, nous le gagnons à notre cause. « Mettre les rieurs de son côté », dit le proverbe.

Une des impossibilités de l’insulte directe tient à ce que l’adversaire est haut placé, c’est une autorité qu’il faut respecter. Le mot d’esprit libère de cette contrainte.

Un roi trouve dans sa province un sosie.

— « Votre mère a-t-elle servi dans la résidence ? demande-t-il au paysan.

L’autre, du tac au tac

— « Non, Majesté, mais mon père. »

Le roi visite une clinique chirurgicale, assiste à une amputation et félicite le chirurgien

— « Bravo, bravo ! mon cher conseiller privé. »

L’opération terminée, le chirurgien s’incline devant le roi et dit : « Ordonnez-vous, Majesté, que j’ampute aussi l’autre jambe ? » Les objets de l’agression peuvent être, non plus des personnes, mais des institutions, des préceptes de morale ou de religion, que l’on ne peut pas attaquer ouvertement. Voici un mot de Heine à son lit de mort. Comme un prêtre de ses amis lui révélait la mansuétude divine et lui faisait espérer le pardon de ses péchés, Heine passe pour avoir répondu : « Bien sûr qu’il me pardonnera, c’est son métier. »

Les Juifs ont fait un grand nombre de traits mordants contre le caractère et les institutions du peuple juif. [p. 454]

Le cynisme est une forme d’esprit tendancieux à fond d’égoïsme et de sadisme.

Les mots d’esprit peuvent exprimer des tendances sceptiques. A quoi peut-on croire ?

Deux Juifs se rencontrent en wagon à une station galicienne. — « Où vas-tu ? » dit l’un. — « A Cracovie », répond l’autre. — « Vois comme tu es menteur ; si tu dis que tu vas à Cracovie, c’est que tu veux me faire croire que tu vas à Lemberg, mais je sais à présent que tu vas réellement à Cracovie. Pourquoi donc mens-tu ? »

On pourrait objecter que ces « tendances » de l’esprit ne sont pas inconscientes. Certes elles n’en ont pas l’air, mais leurs racines plongent souvent très loin dans l’affectivité de l’individu. Tous les hommes ne sont pas capables de se servir de l’« esprit » de la même manière. Il y a des situations particulières et des conditions psychiques qui favorisent l’éclosion de l’esprit tendancieux. — Dans les Reisebilder, Heine nous montre le pédicure Hirsch-Hyacinth, se vantant de ses rapports avec Salomon Rothschild. Il dit : « J’étais assis près de Salomon Rothschild et il me traitait comme un égal, tout à fait famillionairement. » C’est Heine qui parle derrière ce Hirsch-Hyacinth qui est comme une parodie de lui-même. Chacun sait que Heine avait, à Hambourg, un oncle qui était l’homme riche de la famille. Cet oncle s’appelait Salomon comme le vieux Rothschild ; Heine désirait épouser sa fille ; mais la cousine se refusait et l’oncle traitait le poète, comme un parent pauvre, très « famillionairement ». On sent derrière la boutade d’Hirsch-Hyacinth une sérieuse amertume. C’est sur de tels complexes affectifs qu’a germé le mot « famillionairement ». Un cas typique est celui des Juifs. Les Juifs ont l’esprit aigu et leurs mots d’esprit ont leurs racines bien loin dans l’affectivité de l’individu et de la race. Ils ont plié sous tant d’orages !

L’activité de l’inconscient dans les menus faits de la vie journalière (7).

Certaines insuffisances (Felhleistungen) de nos facultés psychiques, et certaines manières d’agir qui paraissent sans dessein, fortuites, se révèlent à la psychoanalyse, réellement déterminées [p. 455] par des motifs inconscients. Pour être rangée dans cette catégorie une défaillance doit satisfaire aux conditions suivantes :

1° Elle ne peut dépasser une certaine mesure, laissée à notre appréciation, « dans la marge du normal ».

2° Elle doit avoir le caractère d’un trouble passager. Nous devons avoir accompli correctement auparavant la même opération, et avoir, chaque fois, le sentiment que nous la ferons correctement au besoin.

3° Lorsque nous percevons la défaillance, nous ne pouvons saisir aucun de ses motifs ; nous devons être tentés de l’expliquer par l’inattention ou le hasard.

Dans ce cas entrent les oublis, erreurs, lapsus linguæ et calami, fautes de lecture, de préhension, et tout ce qu’on appelle actions fortuites.

Les conditions de l’oubli d’un nom qu’on ne peut retrouver quoique « on l’ait au bout de la langue », sont les suivantes :

1° Une certaine disposition à oublier ce nom.

2° Un processus de refoulement ayant eu lieu peu auparavant.

3° La possibilité d’une association extérieure entre le nom en question et l’élément précédemment refoulé.

4° La possibilité d’un lien plus intérieur entre les deux thèmes. Parmi les complexes inhibiteurs se révèlent des complexes familiaux, professionnels. Un homme oublie le nom d’un étranger parce que celui-ci porte le même nom que lui. Ou bien le mot oublié est associé directement ou indirectement à un complexe dont l’éveil serait désagréable. Un monsieur Y. aimait sans espoir une dame qui se maria bientôt avec un monsieur X. Quoique Y. connaisse X. et soit en relations d’affaires avec lui, il oublie toujours son nom au point d’être forcé de le demander (cité par Jung). Le lapsus linguæ se produit lorsqu’on vient de refouler quelque pensée que l’on ne tient pas à exprimer. Cette pensée refoulée peut être demeurée consciente, ou ne jamais l’avoir été. Des actions faites, semble-t-il, au hasard, sont en réalité déterminées dans l’inconscient. Freud cite ce remarquable exemple. Dans l’intention de publier l’observation d’une malade, Freud se demande quel surnom il va lui donner. Au premier abord il semble que les noms vont se présenter en foule. Or un seul lui vient à l’esprit Dora. C’est le nom de la bonne de sa sœur. « Aussitôt me [p. 456] vient à l’idée un petit événement du soir précédent. Je voyais sur la table de ma sœur une lettre avec la suscription : MademoiselleRosa W. » Étonné, je demande qui s’appelle ainsi et j’apprends que Dora a nom Rosa mais qu’elle a dû changer de nom parce que ma sœur s’appelle Rosa. Je dis, plaignant cette fille Les pauvres gens, ne pas pouvoir seulement garder leur nom (8). » Suit une série de pensées qui se perdent dans l’obscurité de la rêverie. Lorsque le jour suivant Freud veut chercher un nom pour une personne qui ne peut garder le sien, il n’en trouve pas d’autre que Dora. Plus tard, voulant lire l’observation de cette malade en conférence, Freud veut changer encore une fois le nom parce qu’une de ses assistantes s’appelle Dora, il pense : « Maintenant, il ne faut pas que j’aille prendre le nom de mon autre assistante. » Le nom Erna lui vient à l’esprit. Par après, il s’aperçoit que la deuxième assistante a pour nom de famille Lucerna.

La logique du rêve.

La logique du rêve présente comme caractères généraux d’une part, la manifestation directe de l’affectivité et l’agencement des formes représentatives, non pas d’après leurs rapports conceptuels, mais d’après leur valeur affective pour le sujet, la représentation est symbolique ; d’autre part, une modification importante de cette expression symbolique primitive, par la présence du préconscient et son action de refoulement. Il faut donc distinguer dans le rêve les idées latentes (Traumgedanken), et le contenu apparent du rêve (Trauminhalt) qu’on doit interpréter pour remonter jusqu’aux idées latentes et aux complexes affectifs.

La condensation (Verdichtung).

Le contenu du rêve est concis, pauvre, laconique, en comparaison de la richesse des idées latentes que l’analyse découvre. Sous quelles lois se fait cette sélection des éléments qui passent des idées latentes dans le contenu du rêve ? Chaque élément du contenu du rêve se montre surdéterminé, c’est-à-dire que l’analyse le rattache à plusieurs idées latentes, d’où l’on peut conclure que ces idées ont concouru à la détermination de cet élément. Inversement chacune des idées latentes peut être représentée par plusieurs éléments du [p. 457] rêve. Ce sont les éléments les plus surdéterminés qui apparaissent dans le rêve, par un procédé analogue à celui du scrutin de liste. L’élément surdéterminé peut donc être secondaire, accessoire, puisque ce n’est pas son intérêt direct qui le détermine, mais sa participation à un plus grand nombre d’idées latentes. Il se forme ainsi des images composées (Mischbildungen).

  1. a) Des traits peuvent être empruntés à une personne, d’autres à une autre personne et ainsi de suite.
  2. b) Une personne déterminée peut être prise comme représentant en même temps plusieurs autres personnages.
  3. c) La condensation peut se faire suivant un procédé analogue à celui de Galton plusieurs visages se projetant les uns sur les autres, les traits communs se renforcent, les traits dissemblables s’estompent et ne peuvent être interprétés dans l’image composite. La condensation comprend donc un triage des éléments qui se présentent plusieurs fois dans les idées latentes, puis la formation d’une unité nouvelle, et enfin la projection de ce composé dans le rêve. La condensation ne doit pas être considérée comme l’œuvre de sélection d’une entité, pas plus que dans la philosophie de M. Bergson, l’action ne choisit entre les souvenirs : « La ressemblance est jouée avant d’être pensée », dit M. Bergson. De même la condensation est un phénomène primitif, spontané. Dans ces images composites, les objets, les localités sont traités comme les personnes. Il en va de même pour les mots. Des formations de mots bizarres et comiques sont le résultat d’une telle condensation. Un collègue avait envoyé à Freud un nouvel article où une découverte physiologique était, à l’avis de Freud, surestimée, traitée avec des épithètes extraordinaires et excessives. Freud rêve la nuit suivante cette phrase : « Das ist ein norekdaler styl (9) ». Après beaucoup de peine, Freud découvre que ce mot est formé de Nora et Ekdal, deux personnages d’Ibsen. De ce collègue, Freud avait lu récemment un article sur Ibsen. Ces formations de mots ressemblent à celles des schizophrènes ou des enfants.

Le déplacement (Verschiebung).

Les éléments du rêve ont une valeur différente de celle qu’ils [p. 458] ont dans les idées latentes. Tel élément important des idées latentes n’apparaît pas, et un élément insignifiant prend une place essentielle dans le rêve. Cela tient, semble-t-il, à la surdétermination. Mais un élément important des idées latentes est souvent aussi surdéderminé, c’est un centre de rayonnement psychique. On doit conclure qu’il se produit là un déplacement de l’« affekt », un changement des valeurs. Il est aisé de reconnaître dans ce processus l’action du refoulement, de la censure. Les idées latentes sont déguisées (Traumentstellung). Les métaphores employées par Freud ont l’air de présenter ce déguisement comme une ruse des désirs inconscients, destinée à tromper la censure, ruse d’une entité contre une autre entité. Et d’ailleurs, dira-t-on, la censure du préconscient n’est-elle pas abolie par le sommeil, pourquoi l’idée latente ne s’exprimerait-elle pas ouvertement ? C’est mal comprendre la nature du refoulement. Le principe du refoulement est double : 1° Le souvenir d’une perception est refoulé dans la mesure où celle-ci provoquerait une souffrance. 2° Par suite de l’institution d’une discipline secondaire, beaucoup de désirs primaires entraîneraient du déplaisir s’ils étaient satisfaits, malgré le plaisir primitif qui leur demeure attaché. L’intensité du déplaisir secondaire finit par être beaucoup plus grande que celle du plaisir primaire. Or, une représentation a d’autant moins de tendance à se produire que la réaction affective qui l’accompagne est plus pénible. On ne saurait voir dans ce phénomène aucune action téléologique d’entités. Mais nous avons vu pour quelles raisons les désirs refoulés demeurent très puissants. L’activité préconsciente, réductrice, est en grande partie abolie pendant le sommeil ; toutefois lorsqu’un des agents provocateurs du rêve appartenant à la journée précédente, vient à éveiller un désir inconscient, refoulé, celui-ci, par le seul effet du principe de déplaisir, ne s’exprime pas directement, ne se réalise pas ; son intensité affective est dérivée ; elle se porte sur des détails accessoires, sur des représentations associées ou opposées. Ce phénomène de déplacement n’est pas nouveau pour nous, nous l’avons rencontré dans le fétichisme sexuel, dans la sublimation de la libido. Freud n’est pas le premier à avoir noté ce processus psychologique. Lehmann (10 employé, avant lui, le même terme « Verschiebung » [p. 459]

  1. Sully (11) a étudié le « transfert » des sentiments, et Ribot (12) a repris la même analyse ; seulement ce transfert se fait, d’après ces auteurs, par voie de contiguïté et de ressemblance, tandis que Freud y ajoute le facteur essentiel du refoulement qui modifie profondément les conditions et la nature de ce phénomène.

L’affectivité dans le rêve.

Au cours du rêve, les manifestations affectives ne semblent pas liées au contenu représentatif, comme elles le seraient dans la veille. Tel objet épouvantable ne provoque aucune frayeur et telle image insignifiante est accompagnée d’une forte émotion. L’analyse apprend que le contenu représentatif subit des déplacements et des substitutions, tandis que les « affekts » demeurent fixes ; dans un complexe qui a subi l’action de la censure, ils constituent la partie résistante qui seule nous permet d’établir exactement les thèmes profonds du rêve. En réalité, le rêve présente un certain refoulement de l’affectivité. Cela tient principalement à ce que le sommeil empêche les manifestations motrices, sinon sécrétoires. Cependant Freud ajoute que cet arrêt des réactions affectives peut être aussi une deuxième conséquence de la censure comme le déguisement était la première. Entendons que la force affective des désirs refoulés se trouve dérivée avant que la réaction affective ait eu le temps de se développer, de s’alimenter par la conscience d’elle-même. Ainsi les décharges affectives et le contenu représentatif ne forment pas cette unité indissoluble que Freud a l’habitude de leur attribuer. Les deux éléments sont soudés l’un à l’autre de telle manière qu’une dissociation soit cependant possible.

Le travail du rêve peut faire subir aux manifestations affectives une transformation en leur contraire. Freud accorde une grande importance à ce procédé qui contribue à tromper la censure, ou plus exactement, qui est un résultat de la censure.

Un effet remarquable du refoulement est la formation de couples affectifs dont les éléments sont deux tendances contraires, par exemple, le couple instinctif amour-haine ; le renforcement d’un des [p. 460] éléments par les ordres et les interdictions de la discipline préconsciente, entraîne par réaction un accroissement de la tendance inconsciente, refoulée, contraire. Il existe donc une disposition à affecter chaque représentation de deux sentiments contraires. C’est ce que Freud appelle l’Ambivalence. Ce phénomène est normal dans la mesure où la tendance inconsciente demeure correctement refoulée ; il prend une grande importance, d’après Freud, dans les maladies mentales, surtout dans la névrose d’obsession. Cette ambivalence peut se manifester au cours du rêve, par une succession ou une rivalité des sentiments contraires.

La Représentation plastique.

Le rêve ne procède pas par opérations conceptuelles et discursives (jugements, raisonnements abstraits), il s’exprime par des images concrètes qui ont une valeur pour le sujet, par des symboles. Ces symboles sont surtout des images visuelles. Le symbolisme repose sur les phénomènes primitifs de condensation et de déplacement. On peut concevoir une symbolique collective mais son domaine est assez restreint ; elle se fonde sur les proverbes, citations, allusions connues, chansons populaires, etc., elle varie avec les civilisations, les peuples, les religions, les niveaux d’éducation, etc. Toutefois beaucoup de symboles subjectifs se retrouvent, à peu près les mêmes, chez nombre de personnes parce qu’ils reposent sur des ressemblances et des analogies objectives. Freud cite un rêve personnel typique (13). Voulant exprimer ce jugement un tel est un imbécile et un gredin, il prête à cette personne les traits caractéristiques de l’oncle Joseph qui a cette réputation-là dans la famille un visage allongé et une barbe jaunâtre.

Étant donnée l’importance que Freud accorde aux désirs sexuels dans le rêve, il s’est attaché à étudier le symbolisme sexuel. « Le plus grand nombre des symboles oniriques sont des symboles sexuels (14) ». Il est inutile de nous attarder à décrire tous les objets qui peuvent être pris pour symboles des organes ou des rapports sexuels. Ce symbolisme se rencontre dans la pensée normale, [p. 461] éveillée ; la plupart des jeunes gens, vers l’âge de la puberté, sont toujours prêts à donner une signification sexuelle à tout ce qu’ils voient, ou entendent, sous couleur de plaisanterie. Cette tendance à la symbolisation sexuelle s’affirme en raison directe du refoulement collectif. Les névropathes, obsédés, paranoïaques, schizophrènes présentent le phénomène du symbolisme au plus haut degré. Freud pense que les idées latentes peuvent contenir des relations logiques, et il recherche comment ces rapports s’expriment plastiquement dans le rêve. Les discours et opérations intellectuelles qui se présentent au cours du rêve ne sont que des pastiches, des réminiscences et des allusions. Ils sont traités comme des objets faisant partie du matériel des souvenirs.

Beaucoup de relations logiques sont traduites par la simultanéité. Lorsque deux éléments sont côte à côte dans un rêve, c’est qu’il y a un rapport d’union intérieure entre les idées correspondantes. Un rapport de cause à effet peut être figuré de la manière suivante : — ou bien un rêve préliminaire renferme les causes et le rêve principal, les conséquences, — ou bien on voit un objet se transformer en un autre ; dans ces deux cas la causalité est transposée en succession. L’alternative (ou bien… ou bien…) est difficile à exprimer. Le rêve unit les parties homologues en leur donnant même valeur, ou bien l’alternative est marquée par une indécision, par le flou du tableau onirique, ou encore le rêve apparaît séparé en deux phases.

Ce sont les rapports de ressemblance, de communauté, qui sont le plus facilement figurés. Le rêve procède à une unification, soit par identification, soit par composition. Il y a identification lorsque une seule personne se trouve dans des situations se rapportant à plusieurs autres. La composition comprend les procédés par lesquels se forment les images composites. L’identification et la composition traduisent soit une communauté réelle entre plusieurs personnes, soit une communauté désirée ; le désir peut viser à une substitution, et le rêve l’exprime par l’identification. Rêver d’une autre personne, c’est souvent s’identifier soi-même à elle. Inversement derrière le moi peut se cacher un autre personnage. Ou bien le tableau onirique peut présenter à la fois le moi et des personnes différentes qui représentent le moi. Dans le même rêve le moi peut donc être figuré plusieurs fois et de diverses manières. [p. 462]

Les mêmes unifications se produisent pour les objets, les localités.

La représentation par le contraire est fréquente dans le rêve. Freud la compare à l’ironie qui, dans les mots d’esprit, laisse entendre le contraire de ce qu’elle dit. Ce procédé se rattache étroitement à la constitution des couples affectifs de sentiments contraires, à l’ambivalence des représentations.

Enfin l’absurdité de telle ou telle partie du rêve exprime souvent une protestation, une sorte de justification par l’absurde.

Ces quelques remarques présentent le plus grand intérêt pour la détermination de ce que l’on pourrait appeler la logique de l’inconscient. On peut affirmer qu’il est inexact de dire que les rapports logiques entre les idées latentes se transposent dans les procédés figuratifs du rêve. Il semble plus probable que les relations sont senties, avant que d’être pensées, dans la mesure où leurs termes ont une valeur pour le sujet. On pourrait désigner le principe général de cette logique par le mot dont M. Lévy-Bruhl définissait la mentalité prélogique : la participation (15). On pourrait formuler ainsi le principe de participation affective.

1° Les représentations participent les unes des autres dans la mesure où elles peuvent provoquer le développement du même complexe affectif. Chacune aura, par ce fait, une valeur symbolique subjective.

2° Une même représentation peut participer de plusieurs complexes affectifs qui la surdéterminent.

3° La participation peut être essentielle ou accidentelle essentielle, lorsque la représentation est liée directement au complexe qui lui donne sa valeur, accidentelle, lorsque à la suite d’un déplacement provoqué par le refoulement, l’intérêt porte sur un élément accessoire, sur une représentation associée, ou particulièrement sur une représentation contraire.

4° Cette participation peut avoir pour termes le sujet lui-même, le moi, et des êtres étrangers au moi, d’autre part la valeur de l’objet se trouve déterminée par la possibilité qu’il a de participer aux complexes affectifs du sujet. En ce sens, la perception est une interprétation affective. Un phénomène curieux, mis en lumière [p. 463] par l’étude des névroses (paranoïa, névrose d’obsession), est celui de la projection. Le sujet projette au dehors un état affectif ; il attribue à des objets un pouvoir de provoquer l’angoisse, alors que cette angoisse ne provient que de sa libido, c’est la phobie. Ou bien, dépassant ce stade de la phobie, il accusera les objets et les gens, ou même se vengera sur eux de ces conflits qui n’ont leur cause qu’en lui-même, et c’est la porte ouverte aux délires d’interprétation. La projection est dans une certaine mesure un phénomène de la conscience normale.

5° Le refoulement provoque la création de couples affectifs de contraires dont les intensités sont fonction l’une de l’autre.

6° La condensation ne tient pas compte des différences de temps, ni d’espace. Le déplacement détruit les relations logiques conceptuelles et discursives.

7° Les participations se déterminent en grande partie au cours de l’enfance.

La participation affective a été beaucoup étudiée par les psychologues depuis Flournoy et Ribot. A Freud appartient d’en avoir expliqué le mécanisme par la théorie des complexes, et de lui avoir donné des sources infantiles.

Le rapport entre ces modes de la pensée inconsciente et certains procédés de la logique collective que M. Lévy-BruhI a étudiés dans les sociétés inférieures, est frappant. Est-ce à dire que ces modes de pensée individuelle aient une origine collective ? Non, certes, puisqu’ils correspondent à ce qu’il y de plus individuel dans la pensée les complexes affectifs. Cela nous montre que ce n’est peut-être pas un vain effort que de chercher à relier les représentations collectives aux représentations individuelles et d’ailleurs la ressemblance est encore plus grande entre la mentalité des sociétés inférieures et celle de certains névropathes. De là toutes les études psychoanalytiques sur la psychologie collective. Nous n’avons pas l’intention de les envisager ici.

La recomposition secondaire.

Le quatrième moment important du rêve est la recomposition secondaire (secundäre Bearbeitung). L’activité préconsciente joue un certain rôle dans la constitution du rêve. Elle fait des interpolations et des amplifications telles que le rêve présente un [p. 464] enchaînement, qu’il ait l’air d’une histoire extravagante, mais d’une histoire tout de même. Le sentiment qu’on a beaucoup rêvé et peu retenu tient souvent, dit Freud, à l’absence de telles interpolations. La recomposition secondaire se fait en partie au réveil, dans l’effort de remémoration du rêve. Mais elle s’effectue aussi au cours du sommeil. La conscience du rêve, disions-nous, est intermédiaire entre la perception et la réflexion. Semblablement une rêverie de la veille s’organise comme’ un roman, mais sans que nous nous rendions bien compte de la détermination de ses éléments par l’inconscient. D’ailleurs beaucoup de ces histoires que nous nous racontons à nous-mêmes pendant la veille, peuvent être reproduites dans le rêve, et s’intercaler brusquement entre les éléments déterminés par les idées latentes. Cette recomposition secondaire rappelle le phénomène décrit par M. Blondel. Les malades, qui ne peuvent éliminer de leur représentation son contenu cénesthésique, s’expliquent leurs troubles morbides en empruntant les catégories et le langage de la pensée normale. Leur délire est ainsi une recomposition secondaire à travers laquelle il faut aller chercher les complexes morbides.

La technique de l’esprit (Witz).

Nous retrouvons dans les mots d’esprit une technique voisine de celle du rêve.

La condensation (Verdichtung).

Le mot « famillionairement » de Heine condense deux phrases et son caractère plaisant disparaîtrait si ces deux phrases étaient in-extenso. La condensation fait disparaître une phrase ; toutefois il subsiste un élément suppléant, un « ersatz » qui s’accroche à la première phrase. Le résultat est un moi composée. La condensation peut se faire avec une légère modification d’un des deux termes : « J’ai voyagé tête à bête avec lui. »

Condensation.

  1. a) Avec formation de mots composites ;
  2. b) Avec modification.

Emploi du même matériel de mots.

  1. a) Dans le sens général et le sens restreint ;
  2. b) Avec changement dans l’ordre des mots ; [p. 465]
  3. c) Avec une légère modification ;
  4. d) Dans le sens plein et le sens décoloré.

Double-sens.

  1. a) Nom propre à signification commune ;
  2. b) Sens propre et sens métaphorique ;
  3. c) Double-sens de situation ;
  4. d) Équivoque ;
  5. e) Double-sens avec allusion.

L’emploi du même matériel de mots et le double-sens sont des cas particuliers de condensation.

Le déplacement (Verschiebung).

Le déplacement est indépendant de l’expression verbale, il opère sur les idées.

L’absurdité, le contre-sens a pour but de souligner une autre absurdité, de la montrer à l’interlocuteur.

La représentation par le contraire est très fréquente dans les mots d’esprit. C’est le procédé par excellence de l’ironie qui est une des principales formes de l’esprit tendancieux.

L’expression indirecte permet de faire entendre une chose que l’on ne peut dire. L’esprit procède par allusion. L’allusion peut être servie par une ellipse.

Elle utilise la condensation, le double-sens, la modification.

Unification et comparaison.

L’unification est une sorte d’identification qui classe ensemble des objets différents.

Comme la comparaison, l’unification a souvent pour but une dégradation.

Ces principaux procédés de l’esprit ressemblent à ceux du rêve. La condensation, le déplacement, la représentation par le contraire, l’absurdité, la représentation indirecte, l’allusion, le symbolisme, se retrouvent dans la technique du rêve. La condensation semble nous révéler que le mot d’esprit se forme par un plongeon d’une pensée préconsciente dans l’inconscient. Le mot d’esprit a le caractère d’un éclat brusque et involontaire ; une allusion recherchée [p. 466] et rarement spirituelle. La condensation est le signe du travail inconscient qu’a subi l’idée.

Le rêve et l’esprit se distinguent dans la mesure où le rêve est une production psychique asociale ; il n’a rien à communiquer à autrui ; compromis intérieur entre les forces psychiques, il demeure même incompréhensible pour le sujet. Par contre, l’esprit est la forme d’activité la plus sociale parmi celles qui visent à l’acquisition du plaisir, il réclame plusieurs personnes. C’est un jeu qui se développe. Le rêve est une réaction du sujet contre les désagréments de la vie. L’esprit est un jeu qui tend à l’acquisition du plaisir. Ce sont là les deux pôles de la vie psychique réaction contre la souffrance et recherche du plaisir.

La technique des defaillances de la vie journalière.

Les oublis de noms, les lapsus linguæ et calami présentent des processus de condensation, déplacement, représentation indirecte, ou par le contraire. Prenons l’exemple d’un oubli de nom propre. Généralement ces noms oubliés sont aussi mal remémorés ; les efforts de remémoration produisent des « ersatznamen » (noms vicariants).

Au cours d’un voyage à Ragune, en Herzégovine, Freud entre en conversation avec un étranger et lui demande s’il connaît les fresques de (.?.), à Orvieto. Le nom oublié était Signorelli. A la place, deux « ersatznamen » se présentent Botticelli et Bolitraffio. L’oubli du nom s’explique par la conversation antérieure. Le thème délaissé a troublé le nouveau thème. Freud avait demandé à son voisin s’il connaissait les mœurs des Turcs en Bosnie-Herzégovine, leur confiance dans le médecin et leur fatalisme. Quand le médecin annonce que le malade est perdu, il s’entend répondre « Herr was ist da zu sagen, ich weiss wenn er zu retten wäre hättest du ihn gerettet. »

Remarquons les mots :

Signorelli — Bosnien – Herzégonine

Herr (16) — Botticelli — Bolitraffio

L’évocation des mœurs turques avait provoqué dans l’esprit de Freud une série de pensées qu’il avait refoulées comme peu séantes : [p. 467] il s’agissait de l’importance attachée par les Turcs au plaisir sexuel. Pendant un séjour à Trafoi, Freud avait appris qu’un Turc, dont les fonctions sexuelles étaient troublées, s’était tué. (Thème mort et sexualité.) Le mot Trafoi rejoint le nom de Bolitraffio. Ainsi donc une série de pensées refoulées se mêlait à la recherche du nom de Signorelli, et l’entraînait dans son refoulement.

Le Sentiment.

Nous voudrions montrer l’intérêt des études psychoanalytiques sur l’affectivité, en déterminant à leur lumière la notion si obscure de sentiment.

Les théoriciens se sont toujours attachés à expliquer les sentiments dans leur forme, distinguant des sentiments simples et des sentiments complexes formés à partir de ceux-là. Ils furent amenés ainsi à considérer tel ou tel sentiment comme un phénomène qui se définit par ses conditions actuelles, organiques ou intellectuelles, et comme en dehors du sujet. Pourtant c’est une vérité banale que le sentiment est la face subjective de la Représentation. Que les physiologistes (Ribot-James-Lange) fassent la part belle aux sensations cénesthésiques et aux réactions périphériques, — que Wundt, Külpe et leur école rattachent les sentiments à un certain degré de la sensation, — que les intellectualistes invoquent avec Herbart la tendance des représentations à se maintenir dans la conscience, ou avec Spencer, la plus ou moins grande accumulation de sensations actuelles ou naissantes, ou bien, comme les philosophes du XVIIe siècle, qu’ils considèrent les sentiments comme des jugements confus sur l’état des forces du corps, tous négligent dans leurs définitions le contenu des sentiments, c’est-à-dire leur essence subjective, la valeur d’une représentation pour le sujet. Dans la mesure où cette valeur est déterminée, elle l’est par toute l’évolution psychologique de l’individu, par tout son passé. Sur cette matière ce sont les aliénistes, et en particulier ceux de l’école française qui ont apporté les observations les plus précieuses à la psychologie. C’est le contenu des sentiments que Freud s’est efforcé de déterminer, leur origine et les conditions de leur apparition. Toutefois sa théorie rend également compte de la forme des sentiments provoqués par le refoulement de la pensée préconsciente. On pourrait en effet distinguer les sentiments primaires et les sentiments [p. 468] secondaires au refoulement. Les sentiments primaires correspondraient à peu près à ce qu’ont étudié les théoriciens du sentiment, à des tendances et des états affectifs simples s’expliquant suffisamment par leurs conditions actuelles, intellectuelles et organiques. Mais il n’en va plus de même pour les sentiments secondaires tels que dégoût, pudeur, honte et la plupart des sentiments moraux. Il faut tenir compte du refoulement, de son degré, des conditions dans lesquelles il s’est effectué, pour expliquer non seulement le contenu mais aussi la forme de ces sentiments secondaires. La constitution de couples de tendances contraires et la nature de leur équilibre jouent ici un rôle primordial. L’insuffisance d’une théorie, comme celle de Ribot, qui rattache le dégoût à l’instinct de conservation et considère les sentiments moraux comme innés (17), est manifeste.

La libido caractérise l’affectivité infantile ; c’est une recherche du plaisir organique éprouvé primitivement au hasard des excitations puis la répétition de ce plaisir devient de moins en moins fortuite une tendance se forme. La diversité des manifestations de la libido témoigne de leur origine accidentelle et les perversions montrent qu’on ne saurait parler ici d’une « tendance à être ». A côté de cette libido, s’organisent des tendances à fuir les perceptions pénibles les deux pôles de la vie affective se constituent fuite de la souffrance, recherche du plaisir. La discipline de l’éducation va modifier profondément cette activité infantile qui ne suit d’autre règle que celle de la satisfaction immédiate. Des règles très diverses s’imposent à l’enfant, revêtues d’un caractère obligatoire. « Il faut, il ne faut pas », dogmatise l’éducateur, avec la menace de la sanction. Alors se produit le renversement affectif qui achève de déterminer le refoulement. Aux plaisirs et déplaisirs primaires se superposent et s’opposent les plaisirs et les déplaisirs secondaires. Puis, au hasard des constitutions et des circonstances, l’affectivité se fixe dans un équilibre normal ou bien tourne à la perversion, à la névrose, à la sublimation et, de plus en plus, cette affectivité cesse de se renouveler, l’adulte utilise indéfiniment le capital de ses souvenirs affectifs. Ces souvenirs affectifs ne sont ni une émotion pure, ni un simple souvenir intellectuel, ce sont des désirs ou des [p. 469] aversions déterminés par un complexe affectif, et liés à certaines représentations, soit directement, soit indirectement, à la suite d’un déplacement affectif. Le sujet n’a généralement pas conscience de leur origine. L’émotion primitive peut être renouvelée, mais le plus souvent elle est inhibée ou dérivée avant d’avoir pu se développer. C’est à ces souvenirs affectifs que nous proposons de donner le nom de sentiments, et non pas aux émotions actuelles, dans la mesure où elles ne contiennent aucun souvenir affectif. Nous refuserons par exemple le titre de sentiment au plaisir causé par une bonne digestion, à la satisfaction sexuelle, à la surprise provoquée par une détonation violente inattendue, etc. Toutefois les émotions sont rares, auxquelles ne se mêle pas un souvenir affectif. On conçoit la prodigieuse diversité des sentiments puisque les souvenirs affectifs dépendent de l’évolution psychologique individuelle. Un sentiment ne saurait donc se définir par ses conditions organiques ni par son contenu représentatif, mais par les complexes affectifs qui le sous-tendent, et le degré variable de culture, de refoulement ou de sublimations que ces complexes ont subi. Ainsi peuvent se déterminer, chez le normal, une multitude de sympathies, de préférences, de phobies, de scrupules, d’idées obsédantes, de symbolismes divers.

Le complexe parental tient une place énorme dans la vie sentimentale et cela tient à ce que les parents ont été les premiers objets d’amour et d’aversion pour l’enfant. Les relations qu’un garçon peut avoir avec sa mère, l’absence ou la présence de frères et sœurs, une éducation faite « dans les jupons de la maman », ou, au contraire, de bonne heure avec des camarades ; l’attitude observée par l’enfant entre père et mère ; la sublimation précoce de l’amour pour la mère qui devient un être d’exception; les atteintes que cette sublimation peut recevoir, etc., toutes ces conditions ont une importance primordiale dans la constitution de la sentimentalité de l’individu. On a souvent eu raison de critiquer l’emploi fait par les psychoanalystes de l’Œdipus-complexe. La plupart du temps des opérateurs maladroits suggestionnent le malade et ne font que contrôler, par cet artifice, des idées a priori. Mais l’importance accordée par Freud au complexe parental, est en grande partie justifiée.

Les sentiments moraux ont leur origine dans les processus de la pensée secondaire ; ils ont le refoulement à leur base et cela leur [p. 470] donne un caractère spécial. Ils s’opposent à des tendances primitives, libidineuses, hostiles, égoïstes, jalouses. Chacun d’eux constitue avec la tendance primaire opposée un couple de contraires affectifs. Kant a eu raison de réagir contre le sentimentalisme fade des Anglais et de J.-J. Rousseau, qui présentait la vertu comme naturelle et aimable. Le sentiment de l’obligation tel que Kant le définit est le type des sentiments moraux, c’est-à-dire des conflits entre les passions individuelles et la contrainte de la loi morale. Un sentiment peut être conforme à la moralité sans avoir ce caractère critique ; mais on ne peut pas dire qu’il soit alors subjectivement moral ; c’est une simple question de définition. Rien n’est plus erroné et dangereux que de fonder la moralité sur les sentiments, car ils ne sont pas primitifs, ils ne sont que le signe d’une activité orientée vers des fins que pose et expérimente le sujet, ou, pour parler plus pratiquement, la conscience collective. Enfin notons l’intérêt de la Psychoanalyse dans la détermination de la valeur. Transportée sur le terrain de la sociologie, la valeur perd toute vie. La sociologie ne peut étudier que des valeurs figées dans les institutions, et pour ainsi dire mortes. Ce qui lui échappe, c’est la valeur en acte, individuelle, par laquelle on pourrait définir la conscience du réel, ou plus exactement la détermination du réel par la conscience. Cette valeur en acte n’est pas seulement définie par l’action présente, mais aussi par toute l’affectivité de l’individu et d’ailleurs nous avons indiqué dans quelle mesure, et de quelle manière les influences collectives participaient à la constitution de cette affectivité.

Telle est la manière dont la Psychoanalyse pose et essaye de résoudre le problème de l’inconscient. Nous avons présenté plutôt une interprétation d’ensemble qu’un exposé servile des idées de Freud. Nous nous sommes efforcé de dépouiller cette théorie de son schématisme téléologique. On a reproché à Freud d’avoir multiplié les entités l’Inconscient, le Préconscient, le Refoulement, la Censure, le Rêve, etc. « Le rêve est lui aussi une fonction providentielle, il est le gardien du sommeil…, nous soulage de nos instincts réprimés, prépare nos activités futures, etc. La Censure, avec ses « instances », est une sorte de faculté, d’entité fort intelligente et qui, semblable à une incarnation du « lieutenant général [p. 471] de la police royale » des siècles passés, arrête au passage les messagers de l’inconscient, les grime, les déguise fort habilement, et ne les abandonne qu’après en avoir fait les créatures du pouvoir conscient (18) ».

Nous avons essayé de montrer comment, sous les métaphores il était facile de retrouver une théorie où la tétéologie laisse au mécanisme sa part. Pour prendre l’exemple de la Censure, nous lui avons enlevé son habit de lieutenant général de la police, nous avons indiqué comment le refoulement se fonde sur les principes primitifs du plaisir et du déplaisir et comment on peut voir en lui la manifestation d’une « vis a tergo » aussi bien que d’une idée directrice. Nous ne saurions mieux caractériser le refoulement avec son double aspect téléologique et mécanique, qu’en rappelant la phrase d’Hamelin : « Pour reprendre la lumineuse formule de Claude Bernard, la finalité ne fait rien. Elle ne fait pas le triage des mécanismes. Elle condamne seulement à rester abstraits, irréels, inexistants les mécanismes qui ne satisfont pas à ses exigences. » Le reproche fondamental qu’il est banal mais juste de faire à la psychoanalyse, c’est la tendance excessive de son auteur à la systématisation hâtive, à l’affirmation que ce qui vaut pour un grand nombre de cas, s’applique à tous ; et c’est la croyance quasi mystique de beaucoup de disciples de Freud, que la Psychoanalyse renferme le canon de la pensée humaine. Toutefois elle n’en demeure pas moins un grand système psychologique qui vaut mieux que le mépris dont on l’a trop longtemps couvert.

ANDRÉ OMBREDANE.

 

NOTES

(1) Traumdeutung, 1900, VII, Psychologie des Traumvorgänge, e) Zur Wunscherfüllung.

(2) Traumdeutung, 1900, VII, e) Zur Wunscherfüllung. P. 326.

(3) Traumdeutung, 1900, VII, e) Zur Wunscherfüllung. P. 326.

(4) Traumdeutung, cap. V, Die somatischen Traumquellen, 1ère édit., p. 161.

(5) CF. Vorlessungen zur Einführung in die Psychoanalyse, XIXe conférence, 2e édit., p. 340.

(6) Nous supposons, ce qui est le plus fréquent, que l’agression sexuelle est dirigée par l’homme contre la femme

(7) Zur Psychopathologie des Alltagslebens, 1917, Berlin.

(8) Psychopathologie des .Alltagslebensens, 1917, p. 199.

(9) « C’est un styleNorekdal ».

(10) Lehmann, Die Hauptgesetze des menschlichen Gefühislebens, p. 268.

(11) J. Sully, The human Mind, II, 76.

(12) Ribot, Psychologie des sentiments, I, chap. XII, p. 176.

(13) Traumdeutung, IV, Die Traumenstellung, 1re édit., p. 96.

(14) Vorlessungen zur Einführung in die Psychoanalyse, 2e édit., 1918, X, p. 165.

(15) Lévy-Bruhl, Les fonctions mentales dans les sociétés inférieures.

(16) Herr = Monsieur = Signor.

(17) Ribot, Psychologie des sentiments, 1II, p. 212 et 296.

 

 

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