Parchappe de Vinay. Démonologie et sorcellerie au XVe siècle. Le Maillet des sorcières. Article paru dans la « Revue de Rouen et de la Normandie », (Rouen), 11e année, 1er semestre, 143, pp. 193-200, pp. 287-294, pp. 350-37, et 2ème semestre, pp. 5-18.
Jean-Baptiste-Maximien Parchappe de Vinay (1800-1866). Médecin aliéniste, il fit ses études à Rouen et à Paris. Avec Guillaume Ferrus (1784-1861) et Jacques-Étienne Belhomme (1800-1880), il fut une figure éminente de la psychiatrie française du XIXe siècle. Il s’opposa à ses confrères de l’époque qui défendaient que la cause de la plupart des maladies mentales pouvait être localisée anatomiquement. Il est l’auteur d’une étude pionnière de la statistique psychiatrique. intitulée Recherches statistiques sur les causes de l’aliénation mentale. Quelques unes de ses publications :
— Quelques considérations générales sur la nature et l’influence des passions. Thèse de médecine. Paris, 5 janvier 1827. 1 vol.
— Recherches sur l’encéphale, sa structure, ses fonctions et ses maladies. Premier mémoire. Du volume de la tête et de l’encéphale chez l’homme. Paris, Just Rouvier et E. Le Bouvier, 1836. 1 vol.
— Des principes à suivre dans la fondation et la construction des asiles d’aliénés. Paris, V. Masson, 1853. 1 vol.
— Du siège commun de l’intelligence, de la volonté et de la sensibilité chez l’homme. Première partie : preuve pathologique. Paris, Victor Masson, 1856. 1 vol.
— Recherches sur l’encéphale, sa structure, ses fonctions et ses maladies. Deuxième mémoire. Des altérations de l’Encéphale dans l’aliénation mentale. Paris, Just Rouvier et E. Le Bouvier, 1838. 1 vol.
— Traité théorique et pratique de la folie. Observations particulières et documents nécroscopiques. Paris, Béchet jeune et Labé, 1841. 1 vol.
— Sur la classification de la folie. Paris : impr. de L. Martinet, 1861. 1 vol.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original., mais avons corrigé plusieurs fautes de composition. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
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DÉMONOLOGIE ET SORCELLERIE
AU XV· SIÈCLE.
LE MAILLET DES SORCIÈRES.
« La croyance à l’intervention d’agens surnaturels dans la génération et la guérison des maladies, caractéristique de l’enfance de l’esprit humain, s’est propagée, malgré les progrès successifs des sciences, jusque dans une période fort avancée de la civilisation moderne. Universellement adoptée et religieusement consacrée chez les peuples primitifs, cette opinion avait été complètement bannie de la science dès les beaux temps de la civilisation grecque et romaine. Pendant la dégénération de l’empire romain, sous l’influence du contact des dogmes religieux et des opinions philosophiques de l’orient, en même temps que se développaient, dans les écoles, le néoplatonisme, dans la société, le christianisme, les doctrines et les pratiques hyperphysiques envahirent de nouveau la médecine.
« Durant la longue période désignée sous le nom de moyen-âge, le surnaturalisme se développa et se systématisa sur la base du dogme chrétien dans toutes les directions de la connaissance humaine, et surtout au point de vue de l’intervention habituelle des démons dans [p. 194] les phénomènes de la nature. A l’appui de cette croyance fondamentale, on invoqua sans hésitation en témoignage les croyances et les mythes de l’antiquité païenne, aussi bien que les traditions juives et orientales ; on admit sans critique, comme faits authentiques et probans, un bizarre et curieux pêle-mêle de fictions mythologiques, poétiques, historiques, de contes, tant absurdes fussent-ils, enfantés par l’amour du merveilleux allié à l’ignorance, dans tous les temps et tous les lieux ; on demanda, enfin, une confirmation des croyances et des faits, à ce que l’esprit humain possédait alors de science physique, chimique, astrologique, médicale et philosophique. Ainsi se constitua en science spéciale le surnaturalisme, qui revêtant, suivant le goût et la nécessité du temps, les livrées de la scholastique, eut, pour la glorification de ses doctrines, ses traités ex-professo et ses chaires publiques, et, malheureusement, aussi, pour leur application pratique, ses tribunaux, sa torture et ses bûchers.
Malleus malefic arum Henrici Institoris et Jacobi Sprengeri.
P. Schoeffer], Moguntiae, 1488. – B. n. F. : RES-H-376 (1)
« Profondément enraciné dans la foi du moyen-âge, le surnaturalisme a survécu à la renaissance des sciences ; il a long-temps et victorieusement lutté contre les attaques, d’abord timides et détournées, puis énergiques et directes, de la science et de la raison.
« Graduellement affaibli de siècle en siècle, il a été définitivement chassé du domaine de la science dès la fin du dernier siècle. Et c’est à peine si, aujourd’hui, malgré les traces profondément empreintes qu’il a laissées dans certains rits et dans certaines formules de culte, le surnaturalisme se trouve encore sérieusement accrédité chez un petit nombre d’individus appartenant aux classes les plus infimes et les plus ignorantes de nos sociétés civilisées. »
C’est ainsi que je résumais, il y a quelques années, dans un travail inédit, les destinées historiques du surnaturalisme. Bien qu’à ma connaissance quelques obscurs séïdes d’une croyance morte eussent, de temps à autre, depuis 1800, essayé de la ressusciter, je ne doutais pas que ce jugement porté sur l’esprit de notre temps ne fût exactement vrai. J’avouerai même que le défaut d’opportunité au point de vue de l’utilité publique, fut le principal motif qui me fit alors renoncer à la publication de mes recherches historiques sur la médecine surnaturelle. L’intérêt scientifique que doit inspirer une doctrine qui, pendant tant de siècles, a exercé une influence si puissante sur la théorie et la [p. 195] thérapeutique des maladies psychiques, et si fâcheuse sur la condition des malades dans leurs rapports avec l’autorité religieuse et civile, me semblait devoir être satisfait et même épuisé dans un chapitre de mon traité sur la folie.
Un Prospectus de journal dont je reproduis ici un extrait, est venu récemment m’apprendre que j’avais trop présumé des progrès de la raison à notre époque et dans notre pays.
EXTRAIT DU PROSPECTUS. — « L’Éclaireur du Midi, ou Répertoire de religion, des sciences occultes, de médecine, d’agriculture, de faits et événemens historiques et surnaturels, des inventions et découvertes utiles, d’économie rurale et domestique et d’annonces diverses. Journal publié par les Frères hospitaliers de Saint-Augustin, paraissant depuis le ler juin 1842… Prix 3 fr. par an.
« … L’Éclaireur du Midi traite des matières de haute philosophie, des bons et des mauvais anges, de leur pouvoir et de leur action sur l’homme, dans les corps de la nature et sur tout l’Univers ; il traite des miracle, de la magie, des pratique superstitieuse, des possessions du démon et de tous les phénomènes surnaturel, qui embarrassent beaucoup de théologiens, et surtout les médecins et les philosophes. Il indique les signes par lesquels on peut faire le discernement des bons et des mauvais esprits. La science de ces matières est indispensable aux confesseurs, pour la direction des âmes et la guérison des maladies spirituelles, comme aussi aux médecins pour la guérison des maladies corporelles. Hippocrate leur recommande expressément d’examiner dans les maladies graves, s’il n’y aurait rien de divin, c’est-à-dire de diabolique, et, dans ce cas, il conseille d’avoir particulièrement recours à la prière. Les confesseurs et les médecins qui ignorent cette science trop négligée dans les séminaires et les écoles de médecine, agissent en aveugles…
« … Voyez-le maintenant aussi, cet esprit de ténèbres, cet ennemi éternel des hommes, parlant de tous côtés par l’organe des possédés cataleptiques et somnambules, faisant croire aux médecins et aux magnétiseurs, tantôt qu’il est l’ange gardien de la personne magnétisée, tantôt qu’il est un fluide qui sait la médecine, toutes les sciences et toutes les langues, qui devine les pensées les plus secrètes, qui perce les montagnes et se transporte en un clin-d’œil dans les lieux [p. 196] les plus éloignés, se jouant ainsi de l’ignorance, de la sottise et de la crédulité des prétendus philosophes. Tous ces phénomènes très réels sont expliqués dans l’Eclaireur du Midi…
« … Il y a des maladies surnaturelles, des maladies naturelles et des maladies mixtes. Les premières réclament exclusivement les remèdes spirituels de la foi ; les autres exigent l’emploi simultané des remèdes spirituels et naturels….
« … La médecine moderne, aveugle et matérialiste, sera éclairée sur les causes, la nature et les véritables remèdes des maladies qu’on appelle improprement nerveuses ou vaporeuses, puisqu’il n’y a point de vapeurs, ni de lésions dans les nerfs, maladies, d’ailleurs, que les médecins ne guérissent point ; parce que, par leurs faux systèmes, ils se sont écartés de la vérité et de la religion ; maladies qui se présentent sous toutes les formes, qui produisent des suicides sans nombre, qui remplissent les établissemens d’aliénés, les hospices, les maisons de santé de toutes sortes de malades, et désolent toutes les familles… »
Après avoir lu ce prospectus, personne, je pense, ne pourra trouver extraordinaire qu’il soit jusqu’à un certain point pris au sérieux, et ne pourra surtout contester qu’il appartienne aux médecins qui ont consacré leur vie à l’étude et au traitement des maladies psychiques, de défendre la science et la raison contre les attaques d’un zèle mal entendu, et de mettre obstacle à la propagation de doctrines erronées et dangereuses. Parmi les moyens de combattre ces doctrines qui se sont offerts à ma pensée, il en est un qui, de tous, m’a paru le plus propre à faire ouvrir les yeux aux hommes les plus prévenus. Il consiste à faire connaître, par un spécimen authentique, emprunté aux plus ardens défenseurs de ces doctrines, ce qu’elles contiennent en puissance de croyances absurdes, et ce qu’elles ont réalisé en acte de pratiques inhumaines et impies. Pour préserver leurs enfans d’une habitude vicieuse par le dégoût, les Lacédémoniens enivraient, sous leurs yeux des esclaves. Le but était louable, le moyen immoral. Pour mettre en garde contre une erreur pernicieuse les ignorans, qui sont aussi des enfans, frapper leurs yeux du spectacle des excès honteux auxquels cette erreur a jadis poussé les hommes, n’est-ce pas tendre à un but louable par un moyen moral ? [p. 197]
ANALYSE DU MAILLET DES SORCIÈRES.
MALLEUS MALEFICARUM, in tres divisus partes, in quibus concurrentia ad maleficia, maleficiorum effectus, remedia adversus maleficia, et modus denique procedendi ac puniendi maleficos abunde continetur, prœcipue autem omnibus inquisitoribus et divini verbi concionatoribus utilis ac necessarius ; auctore Jacobo Sprengero , ordinis Prædicatorum , olim Inquisitore.
L’approbation de l’ouvrage est de 1487. La seconde édition, que j’ai eue à ma disposition, est de 1580.
Les croyances des sociétés du moyen-âge relativement à l’intervention active et incessante des agens surnaturels dans les phénomènes physiques et psychiques, ont été scientifiquement discutées, formulées et résumées dans un ouvrage capital, le Maillet des Sorcière, publié vers la fin du XVe siècle, par Jacob Sprenger, de l’ordre des Prêcheurs, et Inquisiteur de la foi.
Rien n’est plus propre à donner une idée juste et complète des doctrines régnantes, pendant le moyen-Age, sur la question de l’intervention des démons dans les phénomènes humains, que la lecture de ce livre, où Sprenger a exposé, développé et discuté avec tout l’appareil de l’argumentation scholastique, les dogmes adoptés par le catholicisme sur la question des maléfices, où il a consigné les résultats de sa pratique inquisitoriale, et où il a posé les règles à suivre par les inquisiteurs pour détruire les œuvres du démon.
D’après son propre témoignage, Sprenger s’occupait, dès l’an 1435, de la composition de son ouvrage. Il se préparait, dès-lors , à en appliquer les doctrines dans les fonctions d’inquisiteur qui lui furent, plus tard, confiées.
Les autorités civiles et religieuses des lieux où il eut à exercer ces fonctions ne s’étaient pas toujours montrées, à son gré, assez empressées à seconder son zèle pour l’extirpation de la sorcellerie. On discutait, on contestait ses pouvoirs ; on lui opposait des conflits de juridiction. Peu satisfait des résultats de ses poursuites, bien [p. 198] qu’il se glorifie de n’avoir pas fait brûler moins de quarante-huit sorcières en cinq ans, il eut recours au pape.
Une bulle de la première année du pontificat d’Innocent VIII, en 1484, vint lui prêter main-forte.
Cette bulle, dirigée contre l’hérésie des sorcières, énumère les crimes de sorcellerie qui se pratiquent communément, et qui doivent donner lieu à des poursuites, désigne expressément les lieux où doivent être reconnus les pouvoirs des deux inquisiteurs Jacques Sprenger et Henri Institor, savoir : les provinces, cités, terres, lieux et diocèses de Mayence, Cologne, Trèves, Saltzburg et Brème, et gourmande les clercs et les laïques de ces pays, qui, cherchant à savoir plus qu’il ne faut, osent chicaner ces inquisiteurs dans l’exercice de leur office, et ne rougissent pas de leur contester opiniâtrément le droit de punition, d’incarcération et de correction sur la personne des coupables.
Cette bulle dut satisfaire Sprenger, et exercer, sur les pays soumis à sa juridiction inquisitoriale, une influence conforme à ses vœux. Tout porte à croire que cette influence se généralisa. En effet, Sprenger cite un de ses confrères, l’inquisiteur Cumanus, qui, ayant fait brûler quarante-une sorcières en une seule année 1485, dans un seul comté, in comitatu Burbice, ne laissait pas, pour cela, d’y continuer ses poursuites (1).
La bulle d’Innocent VIII, que Sprenger a fait imprimer en tête du Maillet de. Sorcières, énumère en ces termes les œuvres dont un grand nombre d’individus des deux sexes, oublieux de leur salut, se rendent, au mépris de la foi catholique, les diaboliques instrumens :
« Entretenir commerce avec les démons incubes et succubes ;
« Au moyen d’enchantemens, de charmes, de conjurations et autres excès, crimes et délits entachés d’abominables et sacrilèges superstitions, tuer, étouffer ou détruire par soi-même ou par d’autres, les enfans des femmes, les petits des animaux, les fruits de la terre, de la vigne et des arbres, et aussi les hommes, les femmes, les animaux de toute sorte, les vignes, les vergers, les prairies, les pâturages, les céréales, les légumes ; [p. 199]
« Affliger et tourmenter de cruelles douleurs intérieures et extérieures les hommes, les femmes, les chevaux, les moutons, les bestiaux et animaux de toute espèce ;
« Eosdem homines ne gignere, et mulieres ne concipere, vorosque in uxoribus, et muliere ne viris actus conjugales reddere valeant, impedire ;
« Renier d’une voix sacrilège la sainte foi du baptême ; entreprendre et commettre toute sorte d’abominables crimes, à l’instigation de l’ennemi du genre humain. »
Telles étaient, à la fin du XVe siècle, les croyances populaires que sanctionnait la foi religieuse. Ce sont ces croyances que Sprenger s’efforça de consacrer scientifiquement dans un livre destiné par lui, et par son collaborateur Heuri Institor , à devenir le guide des prédicateurs chargés de défendre et de propager ces croyances, le code des inquisiteurs chargés de poursuivre et de punir les malheureux dont ces croyances auraient séduit les passions ou altéré la raison, ouvrage de colère fanatique, dont la pensée principale se révèle dans son titre pittoresque : Malleus maleficarum, le marteau qui devait écraser les sorcières.
La première et la seconde partie du Maillet des Sorcières sont purement théoriques, et comprennent toute la science des maléfices.
Cette science soulève une foule de questions qui sont, dans ces deux parties, longuement, minutieusement discutées ; et toujours la solution la plus antipathique au bon sens est précisément celle que les auteurs trouvent ou adoptent.
La barbarie des termes, la grossièreté du style, l’incorrection de la phrase, rendent l’ouvrage fastidieux à lire, difficile à comprendre. Les contradictions de fait et de raisonnement s’y rencontrent souvent et dans la même page ; les obscénités y abondent ; les réflexions les plus stupidement niaises y foisonnent, et un ignoble ramassis de contes ridicules y sont cités, comme preuves indubitables des croyances les plus extravagantes.
Je n’ai pu me résoudre à analyser méthodiquement une telle production. Suivre les auteurs question par question, chapitre par chapitre, dans l’indigeste et incohérente exposition de leurs doctrines, c’est un mortel ennui que j’ai dû subir, et que j’épargnerai à d’autres. [p. 200]
Je me suis contenté de réunir par groupes des passages textuellement extraits, dans lesquels se résument les doctrines des auteurs sur les principales questions. Si ces extraits d’un livre, où, d’un bout à l’autre et à chaque page, il est outrageusement fait violence au sens commun, au bon goût et à la logique, n’étaient pas parfois de nature à choquer aussi la décence, leur ensemble ne donnerait une idée exacte, ni de la nature de l’œuvre, ni des mœurs du temps, ni de la manière des casuistes.
La 3e partie est un Code de procédure criminelle à l’usage des inquisiteurs en matière de sorcellerie. Je me suis attaché à reproduire fidèlement, dans son ensemble et dans les principaux détails, ce triste monument de ce qu’on appelait la justice au moyen-âge.
M. PARCHAPPE (Rouen.)
(la suite à une prochaine livraison. )
[p. 287]
DÉMONOLOGIE ET SORCELLERIE
AU XV· SIÈCLE.
LE MAILLET DES SORCIÈRES.
— Suite —
1° Réalité des Maléfices.
Sprenger commence par établir que la réalité de l’existence des maléfices est une vérité de foi catholique, et que la négation opiniâtre de cette réalité est une hérésie.
Trois opinions contraires ont été émises :
Les uns se sont efforcés d’établir qu’il n’y a point de maléfices dans le monde, si ce n’est dans l’opinion des hommes qui attribuent aux maléfices des effets naturels dont la cause est occulte.
D’autres concèdent l’existence des sorciers, mais affirment qu’ils ne concourent qu’en imagination aux effets des maléfices.
Une troisième opinion établit que les effets des maléfices sont toutà-fait imaginaires et sans réalité, bien que le démon concoure avec la sorcière pour les produire.
Il réfute ces trois erreurs en invoquant :
1° Le texte de l’Écriture sainte : Deutéronome, Rois Paralipomènes, Exode ; [p. 288]
2° L’autorité des Pères de l’église : saint Augustin, saint Thomas ;
3° La législation : les Décrétales, les Canons, les Lois ecclésiastiques, les Lois civiles.
Après avoir prouvé la réalité des maléfices, l’auteur se demande si ceux qui les nient opiniâtrement doivent être considérés comme manifestement convaincus d’hérésie, ou seulement comme véhémentement suspects.
Il penche vers le premier avis ; mais, tenant compte de la rigueur des peines, de l’ignorance et du nombre de ceux qui sont coupables de cette erreur, il conseille de ne procéder contre eux que comme véhémentement suspects, et de ne les condamner qu’en cas de violent soupçon (2).
2° Conditions des Maléfices.
Trois conditions sont nécessaires pour qu’un maléfice se réalise : le concours des démons, le concours du sorcier, et la permission de Dieu.
Les démons concourent réellement dans les maléfices. Mais il faut distinguer les maléfices des phénomènes naturels qui sont produits par des causes occultes.
Sprenger admet une fascination qui se produit naturellement par une infection de l’air se transmettant en ligne droite de l’œil du fascinateur à l’œil du fasciné. Les vieilles femmes fascinent les enfans. Le basilic fascine l’homme et le tue. Mais, en se servant de miroirs qui répercutent l’air infecté sur le basilic, l’homme peut tuer cet animal.
Les plaies des cadavres saignent en présence des meurtriers. En passant, sans le voir, près du cadavre d’un homme assassiné, on ressent un frisson.
Les maléfices n’ont pas eu lieu du temps de la loi naturelle, à cause du souvenir encore récent de la création. Ils n’existaient pas encore du temps de Job. Le premier inventeur de l’art magique et mathématique fut Zoroastes, qu’on dit avoir été le même que Cham, fils do Noé.
Sprenger établit la nécessité de la permission de Dieu, et justifie cette permission par la considération des péchés commis ou par ceux que Dieu livre aux démons, ou par leurs parens. [p. 289]
Il fournit aux prédicateurs des argumens pour réfuter les objections qui peuvent être faites à cette doctrine.
Le concours du sorcier ne peut faire question ; tout l’ouvrage est destiné à le prouver et à le caractériser.
Il est un fait qui a frappé l’auteur, et dont il a cherché la cause avec un soin tout particulier, c’est que l’hérésie de sorcellerie s’observe beaucoup plus souvent chez les femmes, que chez les hommes. Il trouve la cause de cette différence dans l’infériorité morale de la femme, en preuve de laquelle il cite un grand nombre d’auteurs, tant sacrés que profanes.
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3° Des Sorcières, et des Maléfices en général.
Il est des œuvres superstitieuses moins criminelles que les maléfices des sorcières. L’auteur les range sous le nom de divinations, en trois classes, comprenant de nombreuses espèces.
Les unes se font au moyen de l’intervention expresse et manifeste des démons : prestiges ; divination par les songes, divination pythonique, nécromancie, géomancie, hydromancie, aéromancie, pyromancie. D’autres se font, au moyen de leur intervention tacite, par la considération des dispositions et des mouvemens des astres, des jours, des heures, etc. : horoscopes, aruspices, augures, présages, chiromancie, divination par la baguette.
Enfin, une troisième classe comprend tout ce qui se rattache à ce qu’on appelle sorts, pratiques ayant pour but la recherche d’une chose occulte quelconque, au moyen de l’examen des points, des pailles, des figures formées par le plomb fondu, etc.
Quant aux maléfices des sorcières, leur énormité ne peut se comparer à quoi que ce soit, et dépasse de beaucoup tout ce que peuvent avoir d’odieux toutes ces œuvres, elles-mêmes fort condamnables.
Il y a trois espèces de sorcières (3).
Les unes, en vertu d’une clause particulière de leur pacte avec le diable, ont seulement le pouvoir de guérir les maléfices ; d’autres peuvent bien faire les maléfices, mais ne peuvent les guérir ; il en est, enfin, qui ont le double pouvoir de maléficier et de guérir. Parmi celles qui ont le pouvoir de maléficier, les unes ne peuvent accomplir [p. 290] que certains maléfices déterminés ; d’autres, et ce sont les plus grandes sorcières, peuvent réaliser toute espèce de maléfices.
Voici en quoi consistent les maléfices des sorcières :
Elles mangent les enfans ; elles les vouent aux démons ; elles les tuent ; elles suscitent la grêle, les orages ; elles font prendre le mors aux dents aux chevaux ; elles se transportent au travers de l’air ; elles influencent l’esprit des juges et des présidens, qu’elles forcent à les épargner ; elles procurent le mutisme à elles-mêmes et aux autres pendant la question ; elles effraient et font trembler ceux qui mettent la main sur elles ; elles découvrent les secrets et prédisent l’avenir; elles changent les cœurs par rapport à l’amour ; elles attirent la foudre sur les hommes et les animaux ; elles ôtent la puissance génératrice ; elles causent les avortemens ; elles tuent les enfans dans le ventre de leur mère par le simple toucher extérieur ; elles jettent des maléfices sur les hommes et les animaux, et les tuent, même sans les toucher, par un simple regard ; elles vouent leurs propres enfans aux démons.
Le nombre des sorcières est incalculable, et augmente tous les jours.
Pour donner une idée de la fréquence des maléfices, Spenger affirme qu’il n’y a pas de village, tant petit soit-i1, où il ne se rencontre des femmes pour maléficier les vaches, tarir leur lait, et même les faire mourir.
Rien de plus commun que les sorcières parmi les sages-femmes. L’auteur a souvent recueilli de la bouche même des sorcières repentantes, ce témoignage : personne ne nuit plus à la foi catholique que les sages-femmes ; lorsqu’elles s’abstiennent de tuer les enfans, elles veulent au moins les donner au diable ; pour cela, elles emportent, sous un prétexte quelconque, les enfans hors de la chambre, puis, les élevant en l’air, elles les vouent aux démons.
Une sage-femme, qui fut brûlée, avoua avoir fait périr plus de quarante enfans, en leur introduisant une aiguille par le vertex jusque dans le cerveau, au moment où ils sortaient du sein de leur mère.
4° Du pacte avec le Diable.
Il y a deux manières de faire le pacte avec le diable, l’une solennelle, l’autre privée (4). [p. 291]
Le pacte privé peut se faire à toute heure, et sans la présence du démon.
Les circonstances qui accompagnent le pacte solennel ont été connues par les aveux qu’on a obtenus des sorcières.
Le pacte se fait dans une assemblée, à jour fixe. Le démon s’y montre sons une figure humaine. On renie partiellement ou totalement la foi. On met sa main dans la main du diable. Le diable demande qu’on lui fasse hommage, et qu’on s’engage à lui appartenir éternellement en corps et en âme. Il conseille au récipiendaire de faire de l’onguent avec des enfans.
Treize enfans ayant été dévorés par des sorcières dans le territoire de Berne, une enquête fut dirigée par le juge Pierre, qui obtint d’une sorcière les renseignemens suivans : « Nous cherchons surtout à prendre les enfans non baptisés, et même ceux qui sont baptisés, quand on ne les défend pas par le signe de la croix et les prières ; nous les tuons par nos maléfices dans leurs berceaux ou aux côtés de leurs parens, qui s’imaginent les avoir étouffés, ou qui attribuent leur mort à la maladie ; nous les déterrons en cachette, et nous les faisons cuire dans une chaudière, jusqu’à ce que la chair, séparée des os, soit liquéfiée ; nous séparons ce qui est plus solide pour en faire un onguent qui nous sert dans nos opérations et dans nos translations ; nous introduisons la partie la plus liquide dans des flacons. Il suffit de boire un peu de ce liquide, en accompagnant le fait d’un petit nombre de cérémonies, pour devenir à l’instant maître dans notre art. »
Un jeune homme qui avait été au sabbat avec sa femme, dit, entre autres choses, à Sprenger, qu’on y donnait au diable le nom de petit maître, magisterulus (5).
5° Des moyens que les Démons emploient pour séduire les innocens et contraindre les sorcières.
Les démons emploient divers moyens pour attirer à eux les innocens, et les associer aux crimes des sorcières.
Leur artifice le plus ordinaire consiste à inspirer le désespoir à propos de la perte des biens temporels, et à échauffer les passions luxurieuses. [p. 292
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Souvent aussi les démons emploient la violence pour soumettre les sorcières à leur volonté malfaisante.
De l’aveu de toutes les sorcières que nous avons fait brûler, dit Sprenger, toutes avaient agi contre leur volonté, en accomplissant leurs maléfices, Il est certain, ajoute-t-il, qu’elles n’étaient pas déterminées à affirmer ce fait contrairement à la vérité, par l’espoir de se sauver. Souvent leurs visages gonflés et sanglans ont témoigné de leur véracité, en offrant les traces des coups et des blessures à l’aide desquels les démons avaient vaincu leur résistance (6).
6° Mode d’accomplissement des Maléfices.
Les maléfices s’accomplissent de deux manières : par prestige, lorsque les sorciers opèrent avec l’assistance des démons ; en réalité, quand les démons opèrent eux-mêmes dans les deux cas, la permission de Dieu est nécessaire (7).
Alexander de Ale définit le prestige : une illusion du démon, qui a pour cause, non pas un changement réel dans la chose, mais une erreur de la personne qui juge et qui est trompée par le moyen de ses sens, externes ou internes.
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C’est par prestige que les démons prennent une forme quelconque pour se cacher.
Il cite le fait rapporté par Grégoire, d’une religieuse qui avala un démon en mangeant une laitue, dans laquelle, ou sous la forme de laquelle le démon s’était, de son propre aveu, caché.
C’est par prestiges que se font les transformations d’hommes en bêtes, ainsi que le prouve l’exemple de cette jeune fille qui, par suite d’un maléfice, fut changée en jument à ses propres yeux et aux yeux de ceux qui la regardaient, et que le bienheureux Macaire, devant qui elle fut conduite, voyait, lui, sous sa forme naturelle. Le saint délivra la jeune fille de cette illusion, et lui dit qu’elle était tombée au pouvoir du démon, pour avoir négligé ses devoirs religieux et la fréquentation des sacremens.
Quant aux loups qui ravissent et dévorent hommes et enfans, [p. 293] tantôt ce sont des loups naturels, et le diable n’y est pour rien ; tantôt ce sont des loups vrais aussi, mais qui sont possédés par des démons, sans intervention des sorciers ; enfin, il arrive aussi que la chose a lieu par suite de prestige, au moyen des sorcières : un homme se croyant transformé en loup, et songeant qu’il s’agit en conséquence, tandis que c’est réellement un démon qui, entré dans un loup véritable, fait tout le mal.
7° Du commerce avec les Démons incubes et succubes.
Les questions qui se rattachent au commerce des hommes et des femmes avec les démons succubes et incubes, occupent une place étendue dans le Maillet des Sorcières.
Le commerce avec les démons est beaucoup plus fréquent chez les femmes que chez les hommes, en raison de la nature intérieure de la femme. Toutes les sorcières que Sprenger a livrées au bras séculier, avaient eu des relations impudiques avec le diable pendant un grand nombre d’années, ainsi que l’ont prouvé et leurs aveux et les attestations des témoins.
Plusieurs s’étaient abandonnées à ces abominations dès l’âge de douze ans, d’autres avaient attendu l’’âge de vingt et de trente ans (8).
On ne sait rien de positif sur ce qu’était le commerce des femmes avec les incubes avant l’année 1400 ; les documens historiques manquent. Tout ce qu’on peut admettre avec Nider et Thomas de Brabant. c’est qu, dans les temps antérieurs, les femmes ne consentaient pas à ce commerce, qui leur était imposé de vive force par les démons, tandis qu’actuellement c’est spontanément et volontairement que les femmes se livrent à cette exécrable servitude (9).
Les démons incubes ne s’adressent pas seulement aux femmes qui sont nées par suite des rapports de quelque démon avec d’autres femmes, ou qui ont été vouées au diable par les sages-femmes au moment de la naissance ; ils s’adressent à toutes les femmes indifféremment. Toutefois, ils recherchent de préférence les filles et les femmes qui ont de beaux cheveux.
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Les démons choisissent les jours de fête, et de préférence les plus [p. 294] grandes, Noël et Pâques, pour l’époque de ces abominations, qui, du reste, ne peuvent absolument pas s’accomplir dans les lieux saints.
Il est bon de remarquer que quelquefois les femmes ne sont pas tourmentées en réalité par les incubes, bien qu’elles se l’imaginent. Beaucoup d’apparitions fantastiques proviennent, selon Guillaume, de la maladie mélancolique, surtout chez les femmes, comme le prouvent les visions et les révélations. Guillaume dit avoir vu une femme qui était fermement convaincue que le diable la connaissait intérieurement, et qui racontait, sur ce qu’elle sentait alors, des choses incroyables. Aussi, conclut Sprenger, ne faut-il pas ajouter foi à tout ce que disent les femmes, et faut-il chercher des preuves (11).
Sprenger examine et discute avec beaucoup de détails cette question : y-a-t-il, par le fait des démons incubes et succubes, réellement procréation d’hommes ?
Sprenger n’hésite pas à répondre par l’affirmative.
Il cite Job, saint Augustin, saint Thomas, Bède. Il invoque, pêlemêle, l’antiquité païenne, l’Écriture sainte. Les géans de la Bible, les Sylvains, les Faunes, les Pans, les Satyres, les Hommes velus, pilosi, qui doivent danser au milieu de Babylone déserte, suivant Isaïe, paraissent avoir été les produits de ces alliances monstrueuses.
M. PARCRAPPE (Rouen.)
(suite à la prochaine livraison. )
[p. 350]
DÉMONOLOGIE ET SORCELLERIE
AU XV· SIÈCLE.
LE MAILLET DES SORCIÈRES.
— Suite —
8° Du Maléfice d’amour.
L’auteur établit que les maléfices peuvent disposer l’âme humaine à l’amour ou à la haine.
Les démons ont pouvoir sur le corps immédiatement, et sur l’âme médiatement, par les facultés sensibles intérieures. Ils opèrent à la manière de la maladie dans le cerveau des frénétiques et des maniaques. Les démons peuvent faire mouvoir, à leur gré, le sang, les humeurs et les esprits intérieurs. Sans nul doute, ils peuvent produire l’amour ou la haine, en agissant sur les cinq sens et sur les quatre facultés intérieures : le sens commun, l’imagination, le jugement et la mémoire.
Les faits établissent, au reste, jusqu’à l’évidence, la réalité de cette espèce de maléfice ; et Sprenger en cite un qui lui est propre (11).
« J’ai connu, dit-il, une vieille femme qui a maléficié et fait mourir trois abbés d’un monastère, et qui a rendu fou le quatrième ; ce [p. 351] qu’attestent unanimement les religieux de ce couvent, et ce dont la vieille se vante elle-même hautement, ne craignant pas de dire, à qui veut l’entendre : je l’ai fait, et le fais encore ; et ils ne se débarrasseront pas de mon amour, car je leur en ai fait manger (de meis stercoribus) aussi long que cela ; et elle montrait son bras étendu. J’avouerai, ajoute Sprenger, que si cette femme vit encore, c’est que je n’étais pas compétent. « Ce que, dans son latin barbare, il exprime ainsi : »Fateor autem, quia nobis non aderat ulciscendi et inquirendi super eam facultas, ideo adhuc superest. »
9° Transport au travers de l’air.
Sprenger ne doute pas que les sorcières puissent se transporter dans les airs en corps aussi bien qu’en imagination ; il reconnaît, toutefois, qu’en cela il n’est pas d’accord avec saint Augustin.
A l’appui de sa croyance, il invoque le témoignage du nouveau Testament et la translation de Jésus-Christ par le Diable. Il cite les somnambules, qui marchent sur les toits des édifices les plus élevés sans qu’aucun obstacle matériel, en hauteur ou en largeur, puisse s’opposer à leur passage, et qui se précipitent à l’instant où on les appelle par leur nom, phénomènes que l’on attribue, non sans raison, à l’intervention des démons.
Il s’appuie surtout avec insistance sur les aveux des sorcières, qui, toutes, brûlées ou réconciliées, ont constamment attesté la réalité de leur transport, par le diable, au travers de l’air.
Il raconte plusieurs faits des plus authentiques.
Enfin, pour trancher toute discussion : « Nous sommes deux qui écrivons ce livre, dit-il ; eh bien ! l’un de nous a été très souvent témoin oculaire de tels faits : « sœpissime tales vidit et reperit (12) »
Parmi les faits dont l’authenticité n’est, pour Sprenger, l’objet d’aucun doute, il en est un que je citerai tout au long, et parce qu’il donne une idée exacte de la manière dont se formaient les convictions et s’établissaient les preuves au XVe siècle, en ce qui touche les faits surnaturels, et parce qu’il donne des détails curieux sur le procédé à l’aide duquel les sorcières suscitent les orages :
« Dans le diocèse de Constance , à Walssbut, sur le Rhin, une sorcière, [p. 352] généralement délestée, n’avait pas été invitée à une noce. Pour se venger, elle fait venir le diable, lui conte sa peine, et lui demande de faire tomber de la grêle sur les danseurs, et de disperser la noce. Le diable consent à tout. Il enlève la sorcière et la transporte, au travers de l’air, sur une montagne voisine. Plusieurs bergers la virent passer. Voici, d’après ses aveux ultérieurs, ce qui se passa sur la montagne. Elle creuse une fossette, puis, manquant d’eau pour la remplir, elle pisse dans le trou, et se met, suivant la pratique ordinaire, à agiter, avec son doigt, l’urine dans ce trou. Au même moment, le diable, qui était là, soulève le liquide dans l’air, et fait à l’instant même tomber sur les danseurs de la noce des grêlons gros comme des pierres. Les danseurs se dispersent, et, pendant qu’ils se demandaient entre eux qu’elle pouvait être la cause d’un orage si soudain, la sorcière, qui vient à rentrer dans la ville, excite leurs soupçons. Le récit des bergers change ces soupçons en certitude. La sorcière est arrêtée, elle avoue, et on la brûle (13).
10° Archers sorciers.
Il y a des archers qui sont sorciers, et qui, en perçant le corps du Christ avec des flèches, obtiennent le pouvoir de tuer à coup sûr.
Sprenger raconte, à propos d’un nommé Pincker, archer d’un prince du Rhin, surnommé Barbatus, une anecdote parfaitement semblable à celle dont, suivant l’histoire, Guillaume Tell fut le héros. Seulement, le but proposé à Pincker était un denier posé sur le béret de son fils, et, en expliquant l’usage qu’il comptait faire de la flèche par lui réservée, Pincker dit qu’il s’en serait servi, si, trompé par le diable, il avait tué son fils (14).
11° Possession.
Les démons s’introduisent réellement dans le corps des hommes, et y habitent substantiellement.
Un diable qui s’était introduit dans le corps d’un prêtre, se cachait sous sa langue au moment où il communiait. Interpellé par l’exorciste de dire pourquoi il était assez osé pour ne pas se sauver dès que paraissait son créateur, le diable répondit : « Est-ce qu’il n’est pas [p. 353] permis de se cacher sous un pont sur lequel un saint homme ne fait que passer (15) ? »
Au temps du pape Pie Il (de 1458 à 1462), un des auteurs du Maillet de, Sorcière, qui n’était pas encore inquisiteur, eut l’occasion d’observer un fait de possession fort curieux (16).
Il rencontre, par hasard, dans une hôtellerie de Rome, un bohémien qui avait amené dans cette ville son fils unique, prêtre séculier, pour le faire guérir, parce qu’il était possédé. Le bohémien raconte son histoire à notre auteur, et lui dit que le possédé est à ses côtés.
Un peu effrayé, dit le narrateur, je le regarde attentivement, et, voyant qu’il se tenait fort convenablement à table, et qu’il conversait avec toutes les apparences de la raison, je commençai à douter qu’il fut vraiment possédé, et j’objectai qu’il était peut-être malade.
Le Jeune prêtre me raconta alors comment et depuis quel temps il était possédé. « C’est une sorcière, dit-il, qui m’a donné ce mal. Ayant eu, avec cette femme, qui était fort entêtée, une difficulté relativement à l’administration de ma cure, et ayant dû lui faire des reproches assez durs, elle m’a dit que, sous peu de jours, j’aurais à voir ce qui m’arriverait. Le démon qui s’est établi en moi avoue lui-même que la sorcière a placé au pied d’un arbre le maléfice, et que je ne guérirai pas si on ne l’ôte ; mais il ne veut pas indiquer l’arbre. »
Je n’aurais ajouté que médiocrement foi à ces paroles, poursuit l’auteur, si je n’avais eu promptement des preuves. Je lui demandai comment il se faisait que le démon lui laissât l’usage complet de sa raison, ce qui est tout-à-fait inusité en pareil cas. Il me répondit : « Je ne suis privé de la raison que quand je veux célébrer l’office divin ou visiter les lieux saints ; et le démon a déclaré, en se servant de mes propres paroles, que mes sermons lui avaient causé trop de déplaisir, pour qu’il consentît à me laisser de nouveau prêcher. Et, en effet, au témoignage du père, ce prêtre était un excellent prédicateur.
Voulant, en ma qualité d’inquisiteur, m’assurer de la vérité de toutes ces choses, je le conduisis dans différentes églises pendant quinze jours et au-delà.
A l’église de Sainte-Praxède, où il y a un morceau de la colonne (struœ) de marbre à laquelle fut lié notre sauveur lors de sa flagellation, [p. 354] et dans le lieu où a été crucifié l’apôtre Pierre, il poussa d’horribles hurlemens pendant qu’on l’exorcisait, assurant qu’il voulait s’en aller, puis, peu après, qu’il ne voulait plus.
Constamment, hors du temps de l’exorcisme, et aussitôt après qu’on avait retiré l’étole, ce prêtre se montrait parfaitement calme et sensé. Seulement, s’il venait à traverser une église, et à fléchir le genou pour saluer la glorieuse vierge Marie, le diable lui faisait allonger la langue hors de la bouche. Et comme on lui demandait s’il ne pouvait pas s’empêcher de le faire : cela est impossible, répondit-il ; il est maître de tous mes membres, de tous mes organes ; il faut que je parle et que je hurle quand il le veut, et j’entends les paroles qu’il prononce avec ma langue.
Il y a, dans l’église de Saint-Pierre, une colonne, entourée de fer, qui vient du temple de Salomon, et dont la vertu a délivré un grand nombre de possédés, parce que c’est contre cette colonne que le Christ s’appuya en prêchant dans le temple. Eh bien ! par un dessein caché de Dieu, il ne fut pas délivré, bien qu’on l’eût laissé enfermé auprès de la colonne pendant un jour et une nuit. Le lendemain, après avoir essayé de divers genres d’exorcismes, en présence d’une grande affluence de peuple, on lui demande d’indiquer la partie de la colonne contre laquelle le Christ s’est appuyé. Soudain il se met à mordre la colonne en hurlant ces mots : c’est ici, c’est ici ! Puis il finit par dire : je ne veux pas m’en aller. Interrogé pourquoi : « A cause des Lombards, » dit-il, et, se servant de la langue italienne, qu’il ignorait complètement, « parce que tous font ainsi » ; et il nommait un horrible vice de luxure.
Il me demanda ensuite : « Mon père, que signifient donc ces mots italiens que je viens de prononcer ? » Après que je lui en eus indiqué le sens. « J’avais bien entendu les paroles, répliqua-t-il, mais je n’y avais rien compris. »
Ce démon était de ceux dont notre Sauveur a dit : « Ce genre de démons n’est chassé que par la prière et le jeûne. » L’événement le prouva. Un vénérable évêque, qui avait été chassé de son siège par les Turcs, ayant pris compassion de ce malheureux, le fit jeûner au pain et à l’eau pendant tout le carême, et, employant en outre les prières et les exorcismes, le délivra avec l’aide de la grâce de Dieu, et le renvoya tout joyeux dans son pays. [p. 355]
12° Des personnes auxquelles les maléfices peuvent ou ne peuvent pas nuire.
Sprenger établit que si les maléfices peuvent atteindre quelquefois les pécheurs à cause de leurs fautes, souvent aussi leur innocence ne met pas les justes à l’abri du pouvoir du démon, qui punit sur eux les péchés des sorcières.
Il cite en preuve ce fait de sa pratique.
« L’un de nous, dit-i1, se trouva dans une ville que la peste avait presque entièrement dépeuplée, et où le bruit s’était répandu qu’une femme, précédemment enterrée, avalait lentement son linceul, et que la peste ne cesserait que quand cette femme aurait achevé de dévorer ce linceul. Après avoir tenu conseil, le chef de la justice (scultetus) et le gouverneur de la ville firent ouvrir la fosse ; on trouva que la femme avait dévoré à peu près la moitié de son linceul, qui était engagée dans sa bouche, son cou, et jusque dans son ventre. A cette vue, outré de colère, le chef de la justice tira son glaive, coupa la tête du cadavre et la jeta hors de la fosse. La peste cessa aussitôt. »
C’est ainsi que, par la permission divine, des innocens portaient la peine des crimes de cette vieille, et cela à cause de la tolérance dont ces crimes avaient été précédemment couverts. En effet, une enquête établit que cette femme s’était livrée, pendant de longues années, à la sorcellerie et à la magie.
Il n’y a que trois classes de personnes à qui Dieu accorde le privilège d’être invulnérables aux maléfices des sorcières : les magistrats et les officiers publies qui procèdent contre les sorcières ; les personnes qui, en se conformant respectueusement aux rites ecclésiastiques, emploient licitement, pour se défendre, les armes que l’église elle-même fournit contre la puissance du démon, l’eau bénite en aspersions, le sel consacré pris par la bouche, les chandelles du jour de la Purification, et les rameaux bénis du jour des palmes ; enfin, les personnes que les saints anges protègent de mille manières.
13° Des moyens à employer pour remédier aux maléfices.
Sprenger examine s’il est licite de remédier à un maléfice par un autre maléfice. Les avis sont partagés. Pour l’affirmative sont Scotus, Hostiensis , Goffredus et généralement tous les canonistes. La négative [p. 356] est soutenue par les théologiens anciens, et par un grand nombre d’entre les modernes, notamment par Thomas, Albert. Pétrus de Palude.
L’auteur cherche à concilier ces opinions opposées, et admet, par simple tolérance, l’emploi de ceux des sortilèges qui ne supposent pas l’intervention du démon et le renoncement à la foi (17).
Les remèdes auxquels on doit recourir pour se débarrasser des maléfices, sont les pèlerinages dans les lieux saints, avec confession et contrition, la multiplicité des prières ferventes, l’exorcisme ; on peut, en y mettant des précautions, faire lever le maléfice (18).
Contre la possession, il peut être utile d’employer, outre les exorcismes, la confession, la communion, l’absolution de l’excommunication, les pèlerinages , les prières des saints personnages.
Le diable nous attaque à l’extérieur et à l’intérieur. L’eau bénite remédie aux attaques extérieures, l’exorcisme aux attaques intérieures, et c’est parce que l’exorcisme agit au-dedans, qu’on appelle énergumènes ceux à qui on l’applique.
Le baptême, sous condition, est jugé, par Sprenger, utile non répréhensible dans le cas de maléfice. Les somnambules sont notablement soulagés de leur mal après qu’on les a rebaptisés.
Sprenger entre dans les détails nécessaires à propos des règles que l’on doit suivre dans les exorcismes.
Il conseille aux exorcistes de prendre la chose au sérieux, et de se mettre en garde contre les malices des démons .
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Au reste, Sprenger se plaint amèrement de la préférence accordée de son temps aux remèdes illicites sur les remèdes ecclésiastiques dans les cas de maléfice. Les sorcières qui guérissent les maléfices sont, dit-il, plus courues que les lieux consacrés à la sainte Vierge. Et, pour donner une idée de ce déplorable empressement à consulter les sorcières, il cite un fait vraiment curieux.
Une sorcière de Reichshofen était habituellement consultée par un si grand nombre de maléficiés, que le préposé au fisc (comes campi thelonei) ayant imaginé de lever un impôt d’un denier sur chaque consultant, à l’entrée de la maison de la sorcière, se créa, par ce moyen, un revenu considérable (19). [p. 357]
Si, en face de tant d’absurdités et de niaiseries sérieusement proclamées comme articles de foi par des hommes investis d’un caractère sacré, et chargés de fonctions importantes, la raison révoltée a peine à retenir le sarcasme et le mépris, à l’idée du sort cruel réservé aux prétendus sorciers par suite de ces stupides croyances, le cœur se gonfle d’indignation et saigne de pitié.
Au sein d’une société si ignorante et si crédule, si superstitieuse et si fanatique, on conçoit que les accusations de sorcellerie aient dû se produire partout et à propos de tout.
On concevra tout aussi facilement que les condamnations aient dû être, à peu de chose près, aussi fréquentes que les accusations, si l’on examine quels étaient les procédés de ce qu’on appelait alors la justice à l’égard des accusés. Je ne sais jusqu’à quel point la jurisprudence inquisitoriale, observée à l’égard des accusés de sorcellerie, était une dérogation à la jurisprudence criminelle commune. Je sais que cette jurisprudence était ce que le désir le plus effréné de trouver un coupable dans un accusé, a pu imaginer de plus monstrueusement inique. On en jugera par le résumé des règles tracées pour la poursuite judiciaire des sorciers devant les tribunaux ecclésiastiques et civils, dans la troisième partie du Maillet des Sorcière !
M. PARCHAPPE (Rouen.)
(la suite à la prochaine livraison)
[deuxième semestre, p. 5]
DÉMONOLOGIE ET SORCELLERIE
AU XV· SIÈCLE.
LE MAILLET DES SORCIÈRES.
— Suite et fin —
Le crime de sorcellerie, pour la procédure et pour les peines, est assimilé à l’hérésie.
Ce n’est pas une hérésie simple, mais composée et comprenant un crime ecclésiastique et un crime civil.
Le Juge compétent est l’ordinaire ecclésiastique. Le juge séculier peur connaître de ce crime. L’inquisiteur peut connaître l’un ou l’autre.
La procédure se divise en trois parties : commencement du procès ; continuation du procès ; terminaison du procès.
Le juge doit procéder sommairement, simplement et immédiatement, summarie, simplicitur et de plano, sans criailleries d’avocat, sans appareil de justice. Il doit abréger, autant que possible, la procédure en repoussant exceptions, appels et délais des parties, en réprimant les discussions et les contestations d’avocats et de procureur, en supprimant les témoins superflus (20).
Ces principes généraux une fois posés, il s’agit de régler le commencement du procès. [p. 6]
Les témoins doivent être entendus, l’accusé arrêté ou cité ; perquisition doit être faite dans son domicile.
L’interrogatoire des témoins doit se faire par le juge assisté de son greffier, en présence de deux notables assistans. Les témoins doivent prêter serment.
Sont admis à témoigner : les excommuniés, les complices du crime, les infâmes, les criminels, les esclaves contre leurs maîtres, l’épouse les enfans et les serviteurs, contre, mais non pour l’accusé.
L’inimitié capitale est le seul motif de récusation ; encore faut-il que cette inimitié soit bien et duement établie (21).
Alors s’ouvre ce que les auteurs appellent la continuation du procès, dont les périodes sont subdivisées par eux en douze actes, véritable tragédie où la terreur et la pitié croissent d’acte en acte jusqu’au dénouement.
Toute la procédure tend à l’un de ces deux buts : faire déclarer l’accusé manifestement atteint d’hérésie : obtenir de lui l’aveu de son crime.
Le premier but est presque inévitablement atteint au moyen des pratiques suivantes :
On procède à l’interrogatoire de l’accusé (22) ; on lui fait jurer sur les quatre évangiles de Dieu, corporellement touchés, de dire la vérité ; on lui fait subir un interrogatoire général ; on lui demande, entre autres choses, s’il croit aux sorciers et au pouvoir qu’ils ont de susciter des tempêtes, de maléficier les bestiaux et les hommes. Si l’accusé dit ne pas croire aux sorciers, il devient d’autant plus suspect (23). On l’interroge ensuite sur les faits particuliers de la cause.
Si l’accusé nie, il peut être néanmoins réputé manifestement atteint d’hérésie, d’après les preuves acquises au procès. Ces preuves sont de trois genres : la notoriété publique, infamia, les indices du fait, indicia facti, les dépositions des témoins, dicta testium.
L’accusé doit être réputé manifestement atteint d’hérésie, quand ces trois genres de preuves concourent, ou seulement quand le [p. 7] nombre des témoins est considérable, 6, 8 ou 10, ou bien, encore, quand il y a évidence du fait.
Toujours ou presque toujours l’un de ces cas était le cas de cause.
En effet, la notoriété publique ne manquait presque jamais, puisque c’était d’après la notoriété publique qu’on poursuivait les sorciers.
Dans de telles poursuites, tout était indice du fait. Les témoins pouvaient-ils manquer, lorsque la notoriété publique faisant les sorciers, tout le monde, sans exception, était appelé à témoigner ? Pour raire la preuve, la règle exigeait plus de deux témoins. Mais il n’était pas indispensable que les témoignages se rapportassent au même fait. La concordance des témoignages s’interprétait en ce sens qu’ils devaient se rapporter à des faits de sorcellerie.
Quant à l’évidence de fait, les juges ne devaient pas se montrer bien difficiles, si l’on en juge par l’histoire que les auteurs rapportent comme spécimen d’un cas où se rencontraient tous les caractères de l’évidence de fait.
Dans la ville de Spire, où le fait s’est passé au su d’un grand nombre de personnes, un homme de bien rencontre une marchande à qui il refuse d’acheter quelque chose qu’elle lui offrait. La marchande furieuse lui crie derrière le dos : « D’ici peu, tu voudrais bien ne m’avoir ps refusé ; in brevio piasses et annuisses ! » C’est la formule dont se servent les sorcières quand elles veulent jeter un sort, per avisamenta. L’homme de bien, tout ému et non sans raison, retourne la tête pour voir quelle était la portée de ces paroles. Aussitôt, il est frappé de maléfice, sa bouche se distend et se tire obliquement vers les oreilles, il ne peut la ramener à son état naturel, et reste pendant long-temps horriblement défiguré.
Mais si la notoriété, les témoignages et les indices accusateurs ne manquaient jamais dans la sorcellerie, le pouvoir de détruire ces preuves manquait toujours à l’accusé. Des précautions sûres étaient prises pour lui enlever tout moyen efficace de défense.
Le juge n’est pas tenu de faire connaître à l’accusé les noms des témoins, ni d’accorder la confrontation, à moins que les témoins ne s’y offrent d’eux-mêmes.
La concession de la défense est facultative pour le juge, et il ne doit faire cette concession que sur la demande de l’accusé.
L’accusé n’a pas le droit de choisir son avocat. [p. 8]
Le juge doit bien se garder d’admettre un avocat malveillant et litigieux.
Il doit exiger de l’avocat qui ne se chargera pas de la cause s’il ne la croira pas juste, qui mettra de la modération dans sa plaidoirie.
Il doit l’avertir de bien se garder d’encourir l’accusation de fauteurs d’hérésie, et conséquemment la peine de l’excommunication.
Le juge peut cacher à l’avocat le nom des témoins, et lui communiquer seulement les dépositions.
Faire s’il veut user de son droit de récusation à propos des dépositions entachées d’inimitié capitale, l’avocat doit s’adresser à l’accusé et chercher à lui faire trouver les noms des témoins récusables, au moyen des faits déposés.
Néanmoins, le juge de faire connaître les noms des témoins, mais seulement à l’avocat zélé et dévoué à la justice, « selosum et justitiæamatoem ».
Au reste, le juge des mises en garde contre l’influence de l’avocat, par une réputation anticipée des principaux moyens que la dépense peut employer.
À moins d’un miracle, et il ne s’en faisait pas pour les accusés, le premier but du procès ne pouvait manquer d’être atteint ; l’accusé était réputé manifestement atteint des récits. Il ne s’agissait plus, alors, que d’obtenir de l’accusé l’aveu de son crime.
En effet, l’accusé qui n’a pas avoué, bien qu’il ait été déclaré manifestement atteint des récits, ne peut être condamné à mort. La justice commune exige, pour la condamnation à mort, l’aveu de l’accusé (24). Tous les efforts de la justice doivent donc tendre à obtenir cet aveu.
Or, voici les moyens que le juge doit employer pour arriver sûrement à ce résultat si désirable.
L’acte dixième de la tragédie commence.
Le juge prononce une sentence et signifie à l’accusé qu’il y a des indices suffisans pour qu’on le soumette aux questions et aux tortures.
L’accusé est placé dans un cachot de punition, carcer ad pœnam non jam ad custodiam. On emploie ses amis pour l’exhorter à éviter, [p. 9] Les douleurs de la torture, en avouant la vérité, et pour lui faire entendre qu’un aveu de lui faire obtenir remise de la peine de mort (25). Après des délais suffisans, et des tentatives convenablement répétées, le juge a enfin recours à l’emploi de la torture.
L’accusé est dépouillé de ses vêtements dans le lieu même des douleurs, si c’est un homme, dans un autre, et par des personnes de sexe, si c’est une femme.
Pendant qu’on dispose des instrumens de la torture, le juge, soit de sa propre bouche, soit par l’intermédiaire d’autres gens de bien zélés pour la foi, pressent de l’accusée d’avouer librement la vérité, « ad satendum veritatem liberè » ; s’il refuse, le juge ordonne de le lier avec les cordes, ou de lui appliquer les autres instruments de torture. Ce que doivent faire immédiatement les bourreaux, dont la physionomie ne doit pas exprimer la joie, mais doit simuler la terreur, « et ibi statim obtemperent non lœ, sed quasi turbati (26) ».
Sur la demande de quelqu’un des assistants, le juge ordonne qu’on délie le patient, qu’on le prenne à part, et qu’on exhorte à avouer, en lui promettant, s’il avoue, la remise de la peine de mort, sauf à ne pas tenir plus tard cette promesse.
Six menaces et promesses restées inefficaces, alors le juge fait exécuter la sentence.
L’accusé questionné de la manière accoutumée sans innovation et sans recherche, plus ou moins fortement suivant le crime.
Pendant la question, le juge reprend l’interrogatoire, et le greffier note exactement le mode de la question, les demandes et les réponses.
Si l’accusé, convenablement questionné, « quæestionatus decenter », refuse d’avouer la vérité, on dispose sous ses yeux d’autres instruments de tortures, et on lui dit qu’il aura à soutenir ces nouvelles épreuves, s’il n’avoue.
Si rien ne peut ébranler l’accusé, le juge lui déclare que le lendemain ou le sur lendemain on continuera la question par la torture. Il est important que le jugement à porter spécifiques : on continuera, et non pas : on recommencera ; car il n’est permis de recommencer la torture que dans le cas où de nouveaux indices sont venus avec connaissance du juge… « Tunc pro secunda aut tertia dis quæestionundum [p. 10] ad continuandum tormenta, non ad iterandum, quia iterati nob debent nisi nova supervenissent indica, seretur coram eo sentantia… (27) »
Quand l’accusé a avoué dans les tourmens, il faut avoir bien soin de le conduire dans un autre appartement, et de lui faire reconnaître ses aveux, et déclarer qu’il n’a pas avoué seulement par suite de la violence des tortures.
L’accusé ayant résisté à une première application à la question, dans l’intervalle qui doit s’écouler jusqu’à une seconde épreuve, on a de nouveau recours aux exhortations et aux promesses ; on fait surveiller l’accusé, pour empêcher qu’il ne se suicide (28), et le juge prend les précautions convenables pour remédier au maléfice de taciturnité qui a empêché l’accusé d’avouer.
Le maléfice de taciturnité, est, ce que le juge doit le plus redouter de la part des accusés. C’est ce maléfice qui rend souvent la question trompeuse et inefficace. C’est la crainte de ce maléfice qui doit rendre le juge circonspect à propos de l’application de la question.
Aussi, le Juge ne doit-il rien négliger pour remédier au maléfice de taciturnité.
Il doit faire dépouiller les accusés avant la question, et faire rechercher s’il n’y a rien de caché ou de cousu dans leurs vêtemens.
Il doit raire raser les accusés de la tête aux pieds.
En effet, le maléfice de taciturnité tient à certaines ligatures superstitieuses qu’ils portent, soit dans leurs vétemens, soit dans les poils du corps, « interdum in locis secretissimis non nominandis (28) »
Si cette pratique est jugée déshonnête dans certains pays et en effet elle est jugée telle en Allemagne, on peut se contenter de faire raser les cheveux et de faire boire trois fois par jour à l’accusé à jeun, [p. 11] en invoquant la sainte Trinité, une tasse d’eau bénite dans laquelle en a introduit une goutte de cire bénite. Ce moyen a très souvent réussi aux auteurs.
Toutefois, dans d’autres contrées, les inquisiteurs recommandent expressément l’abrasion générale, et l’inquisiteur Cumanus s’en est fort bien trouvé à propos des quarante-une sorcières qu’il a fait brûler.
C’est encore un très bon moyen, et qui tourmente beaucoup les accusés, que celui qui consiste à leur attacher au cou un billet sur lequel on a écrit les sept mots prononcés pas le Christ sur sa croix, en y ajoutant du sel exorcisé et des rameaux bénits.
Les reliques des saints ont aussi beaucoup d’efficacité.
Le juge un moyen bien assuré au de reconnaître si l’accusé est réellement protégé par le maléfice de taciturnité. Il n’a qu’à faire attention si l’accusé, soit pendant l’interrogatoire, soit la torture, peut verser des larmes devant lui.
L’expérience a prouvé que l’impossibilité des larmes chez l’accusé, quelques efforts qu’il fasse pour pleurer, est un indice très certain qu’on a affaire à un sorcier. Pour être encore plus sûr de son fait, on peut employer la conjuration des larmes de la manière suivante.
Le juge ou un prêtre impose les mains sur la tête de l’accusé, et prononce les paroles suivantes, ou des paroles analogues :
« Je te conjure, par les larmes très amères répandues sur la croix pour le salut du monde par notre sauveur J.-C., par les larmes très cuisantes versées sur ses blessures à l’heure du soir par la glorieuse vierge Marie sa mère, et par toutes les larmes qu’ont répandues dans le monde les saints et les élus de Dieu qui, désormais, a séché toutes larmes dans leurs yeux, afin que, si tu es innocente, tu répandes des larmes, si coupable, non. Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il (30. »
L’expérience a enseigné que plus on conjure ainsi les sorciers de pleurer, et moins ils peuvent parvenir à répandre des larmes, quelques efforts qu’ils fassent pour avoir l’air de pleurer. Il est bon de connaître une ruse souvent employée par les sorcières, qui consiste à mouiller de salive leurs yeux et leurs joues.
Le Juge et les assistans doivent apporter la plus grande attention pour éviter d’être trompés. [p. 12]
Il est surtout bien entendu que la conjuration n’a de valeur que si l’accusé ne pleure pas. Car il pourrait arriver que, par une ruse du diable, et avec la permission de Dieu, une sorcière se prît à pleurer tout de bon, chose facile aux femmes. Ne dit-on pas que pleurer, filer et tromper, c’est toute la femme ? « Cum flere, nere decipere etiam propriem mulierum dicatur. » En pareil cas on aurait toujours la ressource des autres preuves pour convaincre l’accusée (31). Au reste, le juge doit épuiser toutes les ressources de son génie, et ne pas dédaigner de recourir à ceux qui ont l’expérience de ces sortes de choses, pour arriver à lever le maléfice. Il peut même recourir à Dieu directement, et ordonner des jeûnes et des prières publiques.
Il est un autre genre de maléfice beaucoup moins à craindre, sans doute, et dont le juge doit pourtant se garder. C’est le maléfice par lequel, au moyen du toucher ou du premier regard, les accusés amollissent le cœur des juges et les contraignent à l’indulgence.
Les juges doivent prendre leurs précautions pour éviter de se laisser toucher corporellement par les accusés, surtout à nu et aux jointures des mains. Quant à l’influence du premier regard, il est un moyen aussi infaillible qu’ingénieux de l’éviter, c’est de faire introduire l’accusé à reculons devant le juge et ses assistans.
En tout cas, le juge fera bien de porter autour de son cou du sel exorcisé, des rameaux bénis enveloppés avec de la cire bénite, et de se munir de force signes de croix pendant tout le cours de la procédure.
Toutes ces précautions étant prises, on remet l’accusé à la question en l’exhortant à avouer, comme la première fois. Pendant qu’on l’élève de terre, si c’est là le mode de torture employé, le juge doit lire les dépositions sans nommer les témoins, et en disant : voilà ce dont tu es convaincu par témoignages.
Le juge pourra autoriser la confrontation des témoins pendant la question, si les témoins y consentent, et si l’accusé laisse penser qu’il avouera en leur présence.
Enfin, si le juge voit que l’accusé ne veut pas absolument avouer ses crimes, il devra lui offrir de prouver son innocence par l’épreuve du fer rouge. Si l’accusé accepte, comme il arrive toujours, car les sorciers savent bien que le démon les préservera de toute blessure, on devra en conclure que l’accusé est vraiment sorcier. [p. 13]
Mali cette offre n’est qu’un piège, et on se gardera bien d’accorder l’épreuve à l’accusé.
Les auteurs citent une sorcière qui, admise à l’épreuve par un juge inexpérimenté, fit six pas au lieu de trois qui étaient prescrits, en portant le fer rouge sans en être atrocement brûlée, et échappa scandaleusement au supplice.
Tous ces efforts pour obtenir un aveu ayant été inutiles, le juge doit changer de système. Alors on relâche l’accusé, et on cherche à surprendre par la ruse l’aveu qu’on n’a pu arracher par la violence.
L’accusé est placé dans une prison plus douce ; on lui donne bien à boire et à manger ; on le traite avec bonté ; on lui permet de voir ses parens, ses amis ; on redouble les exhortations ; on multiplie les promesses pour le déterminer à avouer.
On tâche de trouver quelque complice, quelque ami agréable à l’accusé. On l’introduit le soir auprès de l’accusé, et, sous prétexte qu’il est tard, on lui laisse passer la nuit dans la prison, à boire, à manger et à causer avec l’accusé. Des témoins sont apostés de manière à tout voir et tout entendre.
On a recours à toute espèce de ruses pour obtenir l’aveu de l’accusé à l’amiable.
En désespoir de cause, voici un excellent moyen :
On envoie l’accusé dans un château : le châtelain simule une absence pour un voyage lointain ; alors des familiers du château, ou même des femmes de bien visitent l’accusée, et lui promettent de lui rendre la liberté tout entière, pour peu qu’elle leur donne un échantillon de son savoir-faire. Si l’accusée donne dans le panneau, elle est confesse et convaincue, et il est bien entendu qu’on n’a garde de lui tenir la promesse faite.
Souvent, disent les auteurs, ce moyen a parfaitement réussi, et ils en citent un exemple.
Au reste, la crainte de violer une promesse ne doit pas retenir ces honnêtes entremetteurs de bûcher, car c’est à peine si le juge lui même est obligé de tenir ses promesses.
En effet, c’est une question très controversée que celle-ci : le juge, pour obtenir l’aveu de l’accusé, peut-il s’engager à lui conserver la vie (32) ?
Les uns pensent que le juge le peut, à la condition que ce sera pour [p. 14] obtenir de l’accusé la dénonciation d’autres sorcières, et ses bons offices pour lever les maléfices, et à condition aussi que la coupable sera conndamné à la prison perpétuelle, au pain et à l’eau.
D’autres croient qu’on ne doit tenir la promesse que pendant un certain temps, après lequel il sera bien de faire brûler la sorcière.
Enfin, il est une troisième opinion : le. juge peut sûrement « secure », promettre la vie sauve, de manière, cependant, à ce qu’ensuite il se décharge de la sentence à porter, en substituant un autre juge à sa place.
Les auteurs trouvent du bon dans ces trois opinions ; ils croient que le juge doit rester libre de choisir celle qui lui paraîtra la meilleure, et ils reconnaissent que certainement beaucoup d’accusés avoueraient, s’ils n’étaient retenus par la crainte de la mort.
D’après ce qui vient d’être exposé, on comprend facilement que, s’il était à peu près impossible qu’à défaut de preuve jugées suffisantes, l’accusé ne fut pas réputé manifestement atteint de sorcellerie, il était presque aussi difficile que le malheureux ne finît pas par céder de guerre lasse, ou à la violence, ou à la ruse, en s’avouant coupable.
Dès-lors, il ne restait plus qu’à prononcer et à faire appliquer la peine, ce qui est la terminaison du procès.
La terminaison du procès est vraiment digne, et du commencement, et de la continuation.
Il serait naturel de croire que l’accusé n’ayant pas avoué, et les preuves suffisantes manquant, l’accusé devrait être réputé innocent, et conséquemment acquitté.
On n’échappait pas ainsi à une accusation d’hérésie et de sorcellerie. Pour être acquitté purement et simplement, il faut, d’abord, que l’accusé n’ait été convaincu, ni par son propre aveu, ni par une production légitime de témoins, ni par l’évidence du fait ; il faut encore et de plus, qu’il n’y ait contre lui aucuns indices graves ou légers du fait, et qu’il ne soit entaché ni de diffamation ni de soupçon.
Dans ce cas, et dans ce cas seulement, la sentence de relaxation doit être prononcée sans condition. Toutefois, le juge doit se contenter d’exprimer dans sa sentence qu’il n’y a rien eu de légalement prouvé contre l’accusé, et il doit bien se garder d’y déclarer que l’accusé est innocent et déchargé de toute poursuite, « insons et [p. 15] immunis » ;
car, s’il arrivait par la suite que l’accusé fût de nouveau déféré et alors convaincu, on pourrait très bien le condamner nonobstant la première sentence d’absolution.
Ainsi, il n’y avait qu’un seul cas où l’accusé eût droit à un acquittement pur et simple, et l’on peut croire que ce cas se présentait fort rarement.
Tous les autres cas possibles venaient se ranger dans des catégories distinctes, et motivaient des sentences et des condamnations spéciales.
Voici la série de ces catégories, avec l’indication des peines encourues dans les cas correspondans :
1° L’accusé est simplement diffamé, c’est-à-dire que, dans un village, dans une ville, dans une province, aux yeux d’un petit nombre d’individus appartenant à une classe quelconque de la société ou aux yeux du plus grand nombre, l’accusé passe pour sorcier.
Dans ce cas, l’accusé est condamné à se purger canoniquement de cette tache.
Il doit, au jour, à l’heure, et dans le lieu indiqués, se présenter devant le juge, accompagné d’un nombre déterminé d’hommes de son rang, bons catholiques, 7, 20, 30, suivant que le juge l’aura décidé.
Là, sur l’Évangile, il jurera qu’il est innocent de l’hérésie dont il est entaché par diffamation, et ses répondans jureront de même qu’ils croient à la vérité de son affirmation.
Faute de satisfaire à cette injonction l’accusé sera considéré comme convaincu du crime.
2° L’accusé est légèrement suspect, quand il y a seulement contre lui de légers indices. Il est condamné à faire abjuration publique dans [p. 16] l’Eglise et en langue vulgaire, ou abjuration secrète dans la chambre de l’évêque, devant un nombre plus ou moins grand de témoins.
3° L’accusé est véhémentement suspect, quand il y a contre lui de graves indices.
Il est condamné à la même peine d’abjuration.
Seulement, s’il retombe dans l’hérésie, il sera punit de la peine des relaps, c’est-à-dire qu’il sera livré au bras séculier pour être mis à mort.
Les accusés légèrement et véhémentement suspects, peuvent être soumis à une pénitence qui consistera, par exemple, à se tenir, à certains jours de fête, à la porte d’une église désignée, ou auprès de l’autel pendant la messe, portant à la main un cierge allumé dont on fixera le poids, ou bien à se rendre en pèlerinage dans un lieu déterminé.
4° L’accusé est violemment suspect, quand il y a contre lui de violens indices.
On doit lui faire subir la question, le retenir en prison, avoir égard à l’impossibilité de verser des larmes, à l’insensibilité pendant la torture, à la rapidité du rétablissement des forces après la torture. Si, par ces moyens, on n’obtient pas de preuve, il faut retenir l’accusé dans les horreurs de la prison, l’y tourmenter pendant au moins un an, et le soumettre à de fréquens examens.
On doit chercher à obtenir la preuve qu’il y a eu diffamation, notoriété. S’il y a eu notoriété, on pourrait bien livrer l’accusé au feu, comme cela se pratique pour le crime d’hérésie, et comme certains juges séculiers le font en cas de sorcellerie (34), mais il vaut mieux procéder avec douceur, « cum pietate ».
On défère à l’acculé la purgation canonique avec vingt ou trente répondans. Si l’accusé se purge convenablement, on lui fait abjurer son hérésie. On lui impose une pénitence. L’accusé portera, pendant une, deux ou plusieurs années, un vêtement noir, ayant la forme d’un camail de moine sans capuchon, avec une croix d’étoffe rouge, longue de trois palmes, large de deux sur la partie antérieure, et une sur la partie postérieure. L’accusé se tiendra, avec ce vêtement semé [p. 17] de croix, à la porte d’une église désignée pendant un temps déterminé, aux quatre fêtes de la Vierge.
Enfin on le condamne à la prison, soit à perpétuité, soit pour un temps déterminé.
5° L’accusé est entaché simultanément de soupçon et de diffamation. Il doit se purger canoniquement, abjurer et subir une pénitence publique. Il se tiendra, par exemple, à la porte d’une église déterminée, pendant la célébration de la messe, la tête découverte, les pieds nus, un cierge à la main, etc.
6° L’accusé est confès et repentant.
Abjuration, exposition sur l’échelle avec le vêtement semé de croix, à la porte de l’église, avec assistance des ministres de la justice séculière ; incarcération perpétuelle au pain de douleur et à l’eau d’angoisse.
7°, 8° et 9″. L’accusé confès et relaps, quoique repentant, l’accusé confès et non repentant, quoique non relaps, l’accusé confès relaps et non repentant, doivent également être livrés au bras séculier pour être punis du dernier supplice. Tout ce que peut obtenir d’allégement à sa peine l’accusé repentant, c’est de recevoir, sur sa demande, les sacremens de pénitence et d’eucharistie.
Il est à remarquer que, bien qu’il soit parfaitement entendu qu’en livrant l’accusé au bras séculier, le juge le livre irrémissiblement au dernier supplice, le juge doit pourtant, dans sa sentence, se servir constamment de cette formule : « Nous te livrons au bras séculier, et, cependant, nous prions efficacement ladite cour séculière de modérer sa sentence de manière à ce qu’il n’y ait pour toi, ni effusion de sang, ni danger de mort. »
Cette formule hypocrite avait pour but de faire retomber sur la justice séculière la responsabilité de l’application de la peine de mort.
L’inquisition, en effet, devait toujours être réputée avoir horreur du sang et du meurtre. Le bûcher donnait, il est vrai, satisfaction à ce tendre scrupule en ce qui concerne l’effusion du sang. Mais un supplice ne peut avoir tous les avantages ; le bûcher tuait. On se tirait d’affaire en chargeant le bras séculier de mettre le feu au bûcher.
Enfin, il peut se présenter encore un cas, celui où l’accusé, atteint et convaincu, a tout et constamment nié.
Dans ce cas, l’accusé doit être retenu dans la prison dure, chargé [p. 18] de chaînes et de fers ; on doit chercher à lui faire avouer son crime ; mais, s’il persiste obstinément dans la négative, il ne peut éviter, à la fin, d’être livré au bras séculier et de subir la mort.
On y procède comme pour les cas précédens. La seule précaution qu’il y ait à prendre, c’est de savoir si les témoins persistent dans leur déclarations. Or, comment n’y persisteraient-ils pas, en face de la peine de la prison perpétuelle au pain et à l’eau, qui les attend en cas de rétractation ?
S’il arrivait, qu’en face du bûcher, l’accusé manifestât l’intention d’avouer et de se repentir, bien qu’on ne dût pas accorder grande confiance à une telle conversion, effet de la frayeur du supplice plus que de l’amour de la vérité, l’auteur du Maillet n’est pas éloigné de croire qu’il fût licite d’admettre les condamnés dans la catégorie des confès et repentans ; mais, certainement, il serait toujours légal, et souvent convenable, de ne tenir aucun compte de cette soumission trop tardive, et de passer outre.
M. PARCHAPPE (Rouen.)
NOTES
(1) P. 250.
(2) P. 14.
(3) P. 220.
(4) P. 224.
(5) P. 225.
(6) P. 228.
(7) P. 127, 128 et suiv.
(8) P. 250.
(9) P. 249 et 250.
(10) P. 277 et 379.
(11) P. 105.
(12) P. 235 et 236.
(13) P. 210.
(14) P. 342 et 343.
(15) P. 300.
(16) P. 295.
(17) P. 360.
(18) P. 385.
(19) P. 366.
(20) P. 478.
(21) P. 415.
(22) L’accusé était presque toujours une femme ; aussi les auteurs oublient-ils à chaque instant qu’il ne s’agit que d’un accusé, et se servent-ils presque constamment, pour le désigner, du mot maleficia.
(23) P. 482.
(24) On verra plus loin qu’après un certain temps d’incarcération, l’accusé atteint et convaincu pouvait être livré au bras séculier, même lorsqu’il n’avait pas avoué.
(25) P. 510.
(26) P. 511.
(27) P. 512.
(28) Sprenger a constaté dans sa pratique que les sorcières, après qu’elles ont fait des aveux, cherchent constamment à se pendre. Le diable leur en donne les moyens, dans la crainte qu’à l’aide d’une bonne contrition et de la confession sacramentelle, elles ne viennet à obtenir leur grâce. Aussi, doit-on exercer une surveillance active, les faire visiter d’heure en heure. Pour peu que les surveillans se négligent, on trouve les sorcières pendues, ou avec leurs cordons, ou avec leurs voiles (p. 228. ) Elles savaient trop bien, les infortunées, qu’il n’y avait pour elle d’autre moyen que le suicide, pour échapper, avant la aveux, à la torture, après les aveux, au bûcher.
(29) P. 517.
(30) P. 515.
(31) P. 516.
(32) P. 512.
(33) Sprenger s’était posé, dans la partie théorique de son ouvrage, cette question délicate : ne pourrait-il pas arriver que les démons fissent passer pour sorcières d’honnêtes femmes, en prenant leur ressemblance au moment de l’accomplissement d’un maléfice ? Sprenger s’était répondu que la chose est impossible. Jamais, dit-il, jusqu’à ce jour, il ne s’est rencontré qu’un innocent ait été ainsi diffamé par le démon, et livré en conséquence au bûcher. Au reste, ajoute-t-il, la simple diffamation n’entraîne aucune peine, et n’a d’autre conséquence que l’injonction de la purgation canonique. Eh bien que, dans ce cas, si l’accusé venait à des pavillons au jour assigné, il dût, d’après les principes, être considéré comme coupable, il y aurait encore une forme à remplir, l’assignation d’adjuration, avant de procéder contre lui afin d’application de la peine due aux relaps (P. 306 et308). Tout cela ne laissait pas que d’être fort rassurant pour les honnêtes femmes qu’il aurait plu au diable de diffamer !
(34) Quand, en raison des dommages temporels, la justice séculière tient à appliquer la peine de mort, le juge ecclésiastique doit bien se garder d’y mettre empêchement.
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