Luis Rinn. Ordre religieux des Aouïssya fondé par Aouïs-ben-Karani. Chapitre XIII, extrait du live « Marabouts et Khouan. Etude sur l’Islam en Algérie », (Alger) Adolphe Jourdan, 1884, pp. 163-165.

RINNMARABOUS0002Luis Rinn. Ordre religieux des Aouïssya fondé par Aouïs-ben-Karani. Chapitre XIII, extrait du live « Marabouts et Khouan. Etude sur l’Islam en Algérie », (Alger) Adolphe Jourdan, 1884, pp. 163-165.

Louis Rinn (1868-1905). Conseiller du gouvernement, vice-président de la société historique d’Alger, ancien chef du service central des affaires indigènes.
Quelques publications :
— Deux chansons kabyles sur l’insurrection de 1871.
— Nos frontières sahariennes. 1886.
— Histoire de l’insurrection de 1871 en Algérie. 1891.

 

[p. 163]

ORDRE RELIGIEUX DES AOUÏSSYA,
fondé par
Aouïs-ben-Karani.
Mort en l’an 37 (657-58 de J.-C.)

Omar-Abou-Assa-ben-el-Kheittab-el-Farrouk (1), compagnon du Prophète et deuxième khalife de l’Islam, se montra, toute sa vie, Musulman rigide, austère et exalté. Son fanatisme religieux ne le fit cependant jamais s’écarter des règles de la justice. On dit même qu’avant d’être revêtu du pouvoir souverain, il trancha, un jour, la tête d’un Musulman qui, ayant perdu son procès contre un juif, n’avait pas voulu se soumettre à la sentence.

Plus tard, quand il fut investi de l’imamat, et que son empire s’étendit de l’Inde jusqu’à Tripoli de Barbarie, il portait un burnous troué et rapiécé, resté légendaire chez les Musulmans qui discutent encore sur le nombre de ses déchirures.

Il couchait parmi les pauvres, sur les degrés de la mosquée de Médine, et c’est de là qu’il montait sur la tribune qui lui servait de trône, et où il donnait ses audiences aux princes et ambassadeurs de Perse et de Syrie. Son enseignement était, comme sa conduite politique, extrême dans sa sévérité et son rigorisme.

Ce fut à cette école que se forma Aouïs-ben-Omar ; dit El-Karani, c’est-à-dire natif de Karn dans le Yemen. Frappé, sans doute, par tout ce qu’il avait vu et entendu [p. 164] et entrainé par le délire d’une imagination que les macérations avaient surexcitée, il déclara, un jour, que l’archange Gabriel lui était apparu en songe, et qu’il lui avait ordonné de quitter le monde, pour se livrer à une vie contemplative et pénitente. Il lui avait, en outre, indiqué et révélé la voie à suivre et les pratiques à observer : une abstinence continuelle, l’éloignement de la société, le renoncement à tous les plaisirs et la récitation, jour et nuit, de prières incessantes.

Ce fut l’an 37 de l’Hégire (657-58 de J.-C.) que Aouïs, fort de la révélation qu’il disait avoir reçue, se mit à recruter des adeptes, avec lesquels il organisa l’ordre religieux qui porte son nom. Plus tard, «  il se mit en communication directe avec l’âme du Prophète et redoubla d’austérité. Son zèle l’entraina jusqu’à se faire arracher toutes les dents, en l’honneur, disait-il, du Prophète, qui en avait perdu deux dans un combat ; et il imposa cette étrange mortification à tous ses disciples (2).

Aouïs-ben-Karani n’était pas affilié à l’ordre des Seddikya, mais il avait suivi l’enseignement d’Ali-ben-Abou-Thaleb.

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L’ordre des Aouïssya est resté localisé dans le Yemen et le Levant ; il est inconnu en Algérie. Mais nous l’avons cité parce que le cheikh Snoussi, qui descend du khalife Amar-ben-Abou-Khettab, paraît avoir une très grande considération pour cet ordre, auquel il est affilié et qu’il donne comme un de ses meilleurs appuis :

« Cet ordre, dit-il t a conduit un grand nombre de Croyants à l’éducation spirituelle par des initiations progressives. Les adeptes [p. 165] reçoivent l’initiation de l’âme même du saint Aouis ; mais, celui qui aspire à entretenir les âmes sans tache, ne peut arriver à cette félicité qu’en se dépouillant de ses habitudes mondaines, en s’imposant la solitude pour penser exclusivement à ces âmes, et en se désintéressant des vanités terrestres.

Cependant il est à remarquer que, si dans l’Yemen, en Égypte et en Tripolitaine, la personnalité d’Aouïs-ben-Karaoi est en grand renom de sainteté, bon nombre de Musulmans hanéfites, non congréganistes, n’admettent pas, comme légitime et régulier, l’ordre des Aouïssya : « parce que, disent-ils, cet ordre a pour point de départ une révélation que rien ne prouve ni ne démontre. »

C’est pour réfuter cette objection, que le cheikh Snoussi cite plusieurs pages de généalogie s’entrecroisant et tendant à établir qu’Aouïs fut le disciple des khalifes Amar-ben-Abou-Khetab et Ali-ben-Abou-Thaleb, et qu’il donne aussi une liste de grands docteurs musulmans ou de saints authentiques qui, d’après lui, furent les adeptes et les continuateurs d’Aouïs-ben-Karnni.

Nous manquons, d’ailleurs, de détails précis sur le règle de l’ordre des Aouïssya et sur le formulaire de ses prières ; elles sont relatées dans un livre de cheikh Snoussi, intitulé : « El-Salsabil » (3) que nous n’avons pu nous procurer.

NOTES

(1) El-Farrouk, le judicieux.

(2) D’après la bibliothèque orientale de d’Herbelot, la vie de Aouïs-ben-Karaoi a été écrite par Jafés (section 146 de 80n histoire). — Jafès, dont le nom exact est Abdallah-ben-Asäd-el-Yemeni, mort l’an 770 de l’Hégire (1368-69 de J.-C.), a écrit un livre intitulé : Raouth-er-Riahin, contenant la vie de tous les saints et théologiens musulmans, du 1er siècle de l’Hégire à l’an 750 (1349-30 de J.-C.). Nous n’avons pu malheureusement, nous procurer ce livre ni à la bibliothèque d’Alger ni ailleurs.

(3) Si-Snoussi a, dans ce livre développé « toutes les pratiques à observer dans 40 ordres. » C’est lui-même qui s’exprime ainsi dans le manuscrit auquel nous sommes déjà redevables de tant de détails précieux. Il y a n intérêt réel à pouvoir se procurer le Salsabil, dont le titre exact est :

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« La source jaillissante les autorités sur lesquelles s’appuient les 40 voies. »

 

 

 

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