A. de Saint-Marc. Un cas de possession. Article parut dans la revue « L’Echo du merveilleux », (Paris), 1899, pp. 304-306 sur 2 colonnes.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
[p. 304 – colonne 2]
UN CAS DE POSSESSION (?)
Il y a quelques jours, la plupart des journaux publiaient le fait-divers suivant;
« Un singulier accident a eu, lieu hier rue Antoinette. On a relevé, vers trois heures du malin, M. Sevin, ingénieur-électricien, qui était tombé de la fenêtre de son appartement. Le malheureux avait une jambe cassée et une blessure à la tète. En outre, il avait les mains singulièrement brûlées. Transporté à Lariboisière, Sevin a déclaré qu’il avait été blessé au cours d’une expérience de spiritisme. »
Je ne sais pourquoi ces mains brûlées me faisaient soupçonner quelque fait merveilleux, quelque contact extra-naturel. La main joue un grand rôle dans les phénomènes spirites. Ce sont les mains qui, réunies, mettent les tables tournantes en mouvement, et ce sont des mains qui apparaissent le plus souvent matérialisées. M. Gaston Mery a raconté ici même comment il avai t eu occasion de serrer quelques-unes de ces mains qui résistaient d’abord à l’étreinte et fondaient ensuite comme du beurre. La main de la religieuse de Loos, dont nous parlons plus loin, avait, elle, plus de consistance ; elle laissait des traces de brûlures et d’ecchymoses. .
Bref, la suite de cet incident m’intéressait. Mais, après avoir énoncé ce fait cependant curieux, les journaux gardaient le silence. Pas le moindre supplé ment d’enquête. Je me suis donc décidé à la fuire moi-même et il me parait encore que cela en valait la peine.
La rue Antoinette est une petite rue des hauteurs de Montmartre qui va de la rue des Martyrs à la place des Abbesses.
Pour me renseigner, j’entre tout d’abord chez le pharmacien de la rue, car je pense, non sans raison, que le blessé aussitôt relevé a dû être transporté dans la pharmacie la plus voisine.
Je ne me suis pas trompé ; je recueille là, en eflet, quelques renseignements intéressants. L’un des garçons de la pharmacie a vu M. Sevin évanoui. Il portait à la tête une blessure énorme et avait une jambe cassée.
Voilà, direz-vous, une cause de mort bien naturelle.
- Sevin est un fou qui, il y a quinze jours, a été frappé d’insolation et, dans un accès de fièvre chaude, s’est précipité par la fenêtre du troisième étage. Il est mort. Pas la moindre parcelle de merveilleux.
Oui ; mais attendez ! Le garçon de la pharmacie n’a pas vu seulement la blessure à la lête, il a vu les mains.
— Comment étaient-elles brûlées ? ai-je demandé.
—Oh ! monsieur, ce n’est pas brûlées qu’il faut dire. Elles étaient littéralement carbonisées, sans une trace sanglante, comme aurait fait l’application d’un fer rouge, ou, mieux encore, la pression d’un étau incandescent. Après exurnen , les médecins déclarèrent qu’il n’y avait pas lieu à amputation et que les doigts carbonisés et quasi-coupés tomberaient d’eux-mêmes. [p. 305 – colonne 1]
Mais voici le pharmacien lui-même qui connait Savin et l’a vu avant sa mort, à différentes reprises.
— C’était, me dit-il, un chercheur, une manière de savant et d’inventeur, sans cesse occupé de chimie ou d’électricité ; son appartement était une sorte de laboratoire où s’entassaient les fioles, les éprouvettes, les alambics ; dans une de ses expériences, il se sera brûlé grièvement et, affolé par la douleur, aura sauté par la fenêtre.
C’est encore une explication très plausible, n’est-il pas vrai ? Mais quelque chose me dit que ce n’est pas encore la bonne… Je sais qu’à peine revenu à lui, M. Sevin a parlé d’apparition, d’esprit, et qu’il a déclaré avoir eu les mains brûlées au cours d’une expérience de spiritisme…. J’abandonne difficilement cette piste ; j’y reviens même avec obstination. J’insiste particulièrement sur l’étrangeté de la brûlure,
— Etrange, en effet, me répond le pharmacien. La main droite surtout était affreusement brûlée ; les doigts étaient carbonisés jusqu’à la paume; quant à la main gauche, seules les extrémités des phalanges étaient brûlées comme si cette main se fùt efforcée de dégager l’autre, prise dans un étau brûlant.
Je poursuis mes questions, mais le pharmacien de la rue Antoinette ne croit pas au spiritisme et ne me donne que de faibles indications, sur les expériences de M. Sevin.
— Par contre, il m’apprend un fait qui ne manque pas d’intérêt. Bien qu’il fût pauvre et presque indigent, Sevin avait, comme on dit, un cœur d’or. Il faisait le bien autour de lui, soignait des malades et même accomplissait pour les sauver des actes héroïques. C’est ainsi qu’il a sauvé une petite fille atteinte du croup. L’opération de la trachéotomie, une fois pratiquée par le médecin, il n’hésita pas à insuffler de l’air dans les poumons de l’enfant au moyen d’un tube de verre.
— D’ailleurs, me dit le pharmacien, , vous pouvez vous renseigner vous-nième auprès de cette dame, Mme Septuveult, qui habite maintenant rue Lavieuville.
Certes, voilà une excellente source de renseignements, mais, auparavant, je vais interroger le concierge de M. Sevin, rue Antoinette.
Le brave homme me fait à son tour un récit succinct et très clair.
— On l’a trouvé là, me dit-il, en me montrant un coin de la cour près du mur d’une sorte de hangar.
La fenêtre de la cuisine, par laquelle il s’est jeté, est immédiatement au-dessus du hangar ; l’un de ses carreaux est brisé. En tombant, l’infortuné ingénieur a rebondi sur le toit du hangar et est venu s’abattre au milieu de la cour.
Mon interlocuteur a vu également les brûlures des mains, il ne peut parvenir à s’expliquer leur origine.
Je lui demande la description des lieux, et dans quel état se trouvait la cuisine après que le malheureux se fut précipité.
— La porte, une fois enfoncée, me répond-il, nous avons été frappé de voir allumé le petit fourneau à gaz de la cuisine ; le bec de gaz qui s’y trouvait était, également allumé et brûlait encore. A part cela, rien… Seulement, à côté du fourneau, il y a l’ait une pièce de cinq francs. [p. 305 – colonne 2]
— Avez-vous entendu le bruit d’une explosion ou d’une détonation quelconque ?
— Pas le moins du monde .
Le concierge de la rue Antoinette a vu M. Sevin le lendemain et les jours suivants à l’hôpital Lariboisière. Le malade avait toute sa connaissance et s’exprimait parfaitement ; un léger défaut de bégaiement qui embarrassait ordinairement sa voix avait même complètement disparu.
— Eh bien ! demandai-je à mon interlocuteur, avez-vous interrogé votre locataire au sujet des causes mystérieuses de l’accident ?
— Oui, monsieur, mais il ne voulait rien dire. « Ne me parlez pas de cela, s’est-il écrié, dès que je lui en ai dit un mot ; je reçois ici beaucoup de visite, tout le monde m’en parle et je n’en dirai rien à personne. »
Je quitte alors la maison de l’accident et je me rends rue Lavieuville, à quelques pas de là, chez l’ancienne concierge de M. Sevin.
Mme Septuveult est absente ; elle est en garde chez un malade, c’est sa fille aînée qui me reçoit pendant que l’on va chercher sa mère.
Immédiatement, je me rends compte que la famille Septuveult n’est nullement familiarisée avec les théories spirites et les phénomènes plus ou moins merveilleux ; cependant, la jeune fille met une telle discrétion dans ses renseignements, se retranchant toujours derrière la personne de sa mère, que je me sens enfin plus près de la solution de ce singulier problème.
Voici Mme Septuveult. C’est une femme d’une quarantaine d’années dont le visage respire la simplicité et la franchise. Je n’ai pas le temps de décliner mes titres et qualités et, dès que j’ai prononcé le nom de M. Sevin, elle se répand en éloges sur le compte du malheureux.
Je m’y attendais et j’attends que cette façon d’oraison funèbre soit terminée pour en venir à l’objet tout spécial de ma visite.
Chose curieuse : le mot de spiritisme n’étonne nullement Mme Septuveult. M. Sevin qu’elle connaissait de longue date, était, dit-elle, « en communication avec les esprits. »
— Comment cela ? Au moyen des tables tournantes ?
— Oh ! du tout, monsieur. Il communiquait avec tel esprit qu’il lui plaisait sans avoir besoin d’intermédiaire.
Là-dessus, Mme Septuveult me donne des preuves fort anciennes, ma foi, du commerce de M. Sevin, avec des entités de l’au-delà. Mais je ne suis pas autorisé à en parler.
J’apprends, en revanche, que le défunt était en l’apports fréquents avec l’esprit de Michelet, et surtout avec celui de Leybach.
— Oh! celui-là ! s’écrie Mme Septuveult, qui ne semble pas porter Leybach dans son cœur ; c’est lui qui a fait faire au pauvre M. Sevin toutes ses folies et qui lui a mis en tète le désir de la possession.
— La possession, dis-je alors, comment l’entendez vous ? Voulez-vous dire que ce malheureux désirait être possédé ? [p. 306 – colonne 1]
— C’est cela même, me répond Mme Septuveult ; et c’est ce Leybach qui est cause de sa mort.
Qu’on pense de ceci ce que l’on voudra, qu’on croit à la possession ou que l’on n’y croit pas, ce n’est pas mon affaire ; mais il m’appartenait de contrôler un point qui, de près ou de.Ioin, semblait appartenir au « merveilleux ».
Si étrange qu’il apparaisse, je me contenterai de remarquer que ce n’est pas la première fois que l’Echo du Merveilleux a eu à s’occuper de semblables traces mystérieuses laissées sur un corps humain par une étreinte en apparence extra-naturelle.
Dans le numéro du 15 avr il 1898 se trouve le récit d’une curieuse apparition. Une sœur de la communauté d’Hénin-Liotard aurait aperçu une supérieure défunte qui, selon sa propre expression, lui aurait pincé le bras.
Or, la manche de son vêtement retroussée, on fut stupéfait de voir quatre marques rouges transversales comme si une main de feu y avait été appliquée.
Au lieu de la main d’une religieuse, imaginez la poigne vigoureuse du musicien Leybach. Ne serait-ce pas une explication saisissante de la mort du malheureux Sevin ?
Bien entendu, je n’attache à cette hypothèse qu’une importance toute relative.
Mais un dernier fait.
Mme Septuveult avait souvent reproché à M. Sevin ses recherches passionnées et son commerce avec les esprits.
Or, quand elle lui rendit visite à l’hôpital Lariboisière, le premier mot du blessé fut celui-ci :
« Ah ! madame, vous aviez bien raison, voici dans quel état ils m’ont mis. »
A. DE SAINT-MARC.
Fernand Desmoulin – Dessin exécuter au crayon noir – copie
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