Alfonse Maeder. Psychopathologie et pathologie générale. Article paru dans la revue « L’Encéphale », (Paris), dix-neuvième année, 1924, pp. 163-177.
Alphonse Maeder est né le 11 septembre 1882 à La-Chaux-de-Fonds, en Suisse romande et mort le 17 janvier 1971 à Zurich, en Suisse alémanique. Psychothérapeute et médecin psychiatre, très proche de S. Freux, il est chargé de traduite et rendre compte, des avancées de la psychanalyse. Egalement très proche de E. Jung, il se séparera de Freud en 1913, après que Freud lui eu reproché et l’eut critiqué dans son interprétation « mystique » de l’interprétation des rêves.
Plusieurs contributions dont deux importantes que nous mettrons en ligne sur notre site :
– Freud et la psychanalyse des névroses.
– La langue d’un aliéné. Analyse d’un cas de glossolalie. Article paru dans les « Archives de psychologie », (Genève), tome IX, 1910, pp. 208-216. [en ligne sur notre site]
– Sur le mouvement psychanalytique. Un point de vue nouveau en psychologie. Article parut dans la revue « L’année psychologique », (Paris), volume 18, 1911, pp. 359-418. [en ligne sur notre site]
– De la psychanalyse à la psychosynthèse. in l’Encéphale, Journal mensuel de neurologie et de psychiatrie. Vingt-et-unième année. Paris, H. Delarue. n°8,1926, pp. 577-589? [en ligne sur notre site]
– Essai d’interprétation de quelques rêves. in « Archives de psychologie », (Genève), vol. 6, 1907, pp. 354-375. [en ligne sur notre site]
– Une voie nouvelle en psychologie. Freud et son école. in »Coenobim », (Milan, Lugano),n°3, janvier 1909,
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
[p. 163]
PSYCHOPATHOLOGIE ET PATHOLOGIE GÉNÉRALE1
par
A. MAEDER
(Zurich)
INTRODUCTION : CONSIDÉRATIONS MÉTHODOLOGIQUES
L’étude scientifique de l’homme est aujourd’hui répartie en plusieurs disciplines : morphologie, physiologie, psychologie et sociologie qui, toutes, explorent le même objet, mais l’examinent sous divers aspects, expressions d’une nécessité intérieure du développement, d’une différenciation naturelle de la science. Le caractère essentiellement analytique de ces disciplines risque de nous faire perdre de vue l’unité de leur objet, soit de l’homme comme tel. Un mouvement d’orientation synthétique s’impose, afin que la science réalise une appréhension intégrale de son objet. Nous chercherons dans ce travail à englober les faits pathologiques qui ressortissent au plan physique et au plan moral, en partant de l’existence de deux disciplines autonomes, de la biologie et de la psychologie, car, méthodologiquement parlant, ces dernières ne doivent pas être mêlées l’une à l’autre comme on l’a fait souvent. Ne mit-on pas en rapport le phénomène de l’association des idées avec la structure du cerveau (fibres associatives) et la conscience avec une fonction de son écorce ? C’était retomber dans l’erreur du physicien et du chimiste, qui voulaient expliquer le processus vital en restant dans la physique et dans la chimie et qui se refusaient à reconnaître la différence qui existe entre les phénomènes organiques et anorganiques, conception purement mécanique de la vie dont la faillite est aujourd’hui avérée. De même le chercheur à orientation biologique avait cru pouvoir saisir les phénomènes psychologiques à l’aide de concepts purement biologiques. L’autonomie du psychisme n’était pas suffisamment reconnue : or, en méthodologie, la psychologie doit être absolument indépendante de la biologie, comme la biologie elle-même l’est des sciences naturelles d’ordre anorganique.
L’étude scientifique de l’homme se poursuit dans deux directions [p. 164] différentes : appliquer les conceptions d’une discipline à l’autre est une faute de méthode. L’homme lui-même, l’objet de cette recherche scientifique, est unité, et la simple somme des résultats particuliers des branches spéciales de la science ne saurait nous en donner une idée intégrale. Il faut donc gagner un point de vue nouveau pour embrasser simultanément les divers domaines et établir leur vrai rapport synthétique.
Actuellement ce processus est en voie de réalisation : la séparation si longtemps tranchée entre les considérations morphologiques et physiologiques (soit anatomiques et fonctionnelles) fait insensiblement place à une vue plus large, plus globale des choses. Rappelons, par exemple, l’enrichissement de la pathologie générale, restée pendant longtemps pathologie cellulaire, et qui est en train d’absorber la pathologie humorale : plus vaste encore la tentative de Monakow dans sa Biologie du monde des instincts, où il applique des considérations anatomiques et embryologiques, physiologiques, pathologiques, psychiques et cliniques à l’étude de l’instinct.
Mais nous retournons à notre affirmation première : la nécessité de réaliser en nous la conscience de l’unité de l’homme. Un des obstacles qui nous arrêtent git dans notre propre point de vue : nous avons oublié que la distinction entre le subjectif et l’objectif, le physique et le moral, la structure et la fonction est toute relative : elle n’est que l’expression d’une opération analytique de la fonction de connaissance qui nous est propre. Elle ne gît pas dans la nature des choses mêmes. C’est à nous de tendre à l’unification, à la synthèse des résultats obtenus. Nous n’y réussirons que grâce à une attitude nouvelle. L’orientation de notre pensée scientifique est unilatérale, purement intellectuelle, analytique et causale. Or, nous l’avons décrétée seule correcte et valable : l’affirmation n’est néanmoins que partiellement juste et regrettablement dogmatique. Il existe une autre forme de la pensée, qui doit être cultivée aussi : c’est la pensée d’orientation synthétique, intuitive et finale. Cette forme doit subir une différenciation, que la première a déjà réalisée. Mais pour cela il nous la faut reconnaître et adopter. Par la pensée analytique et intellectuelle nous saisissons les différences individuelles, ce qui sépare : par la pensée intuitive, les éléments communs, ce qui unifie. La « psychologie en profondeur » (Tiefenpsychologie-Psychoanalyse) use de ces deux formes de la pensée. Rappelons, par exemple, la conception freudique de la conversion, qui permet de suivre la transformation de l’émotion en excitation corporelle, la conception de la libido selon Freud et selon Jung, ou la hormè de Monakow ; ce sont des étapes sur cette voie.
Dans ce travail nous nous occupons essentiellement, au point de vue synthétique, de pathologie générale et de psychopathologie. Il y a quelque vingt ans nous possédions deux pathologies générales, l’une reliée à l’anatomie pathologique, l’autre à la clinique, interne et externe. [p. 165]
L’apparition de la première physiologie pathologique (du professeur Krehl, de Heidelberg) fut un premier pas dans la direction de la synthèse. Depuis lors, plus d’une passerelle fut jetée pour relier les deux rives. Cependant il n’existe toujours pas, que je sache, d’ouvrage qui embrasse tout le domaine et nous ne possédons même pas les éléments d’une pathologie générale qui comprenne les phénomènes anatomiques, physiologiques et psychiques dans leur ordre hiérarchique. Il n’existe malheureusement guère de collaboration entre les représentants des différentes disciplines. L’histoire de la maladie de Basedow, où psycho-neurologue, médecin interne et chirurgien travaillent chacun pour soi, en est une illustration remarquable. L’accès de sa pathogenèse n’est vraisemblablement possible que par l’étude coordonnée des phénomènes du système nerveux sympathique (y compris la sécrétion interne) et de l’affectivité (excitation génésique, peur). Tant que nous n’aurons pas de médecins dont le savoir embrasse et la psychologie et la biologie, il serait nécessaire que les spécialistes de chacune de ces branches travaillent en collaboration, dans un esprit commun. Alors une vue synthétique se dessinerait, qui ouvrirait la voie à la thérapie. La spécialisation outrée produit une sorte de déformation psychique : l’intérêt général du médecin se rétrécit. Un rôle fâcheux revient encore à certain trait caractéristique de notre temps : nous voulons parler de l’instinct de puissance, qui influence aussi la psyché du savant, si froid et si objectif fût-il en apparence. Son attitude envers l’objet de ses recherches s’en ressent et son rapport avec ses collègues en est troublé. Or le respect réciproque, le sentiment de solidarité imposé par la tâche commune sont des conditions humainement nécessaires pour que le travail synthétique puisse porter ses fruits. Séparer l’homme de la science, comme nous nous plaisons fréquemment à le faire, est chose impossible.
Nous abordons les rapports de la médecine et de la psychologie. Chacun connaît des cas où une affection corporelle grave (pneumonie, tuberculose, ulcère de l’estomac, etc.) se déclare au milieu d’un grave conflit moral. Le médecin considère généralement cette maladie comme purement corporelle et donne au conflit moral qui a précédé la valeur d’un adjuvant, d’une cause occasionnelle. Examinons de plus près une affection de ce genre :
Une jeune fille réservée et timide, mais de nature délicate et profonde, tombe amoureuse d’un homme de qualités brillantes, plein de verve, de tempérament passionné et très mondain. Elle se donne à lui, croyant à son honneur et à la vérité de son sentiment. Mais elle s’aperçoit bientôt que l’amour n’est pour lui que convoitise sexuelle : il devient vite indifférent et finit par l’abandonner sans se soucier de la blessure qu’il lui inflige. Elle se sent trompée, polluée, mais elle l’aime toujours et cherche de loin à le comprendre et à l’excuser ; au fond du cœur, elle hait sa fausseté et son dévergondage, mais se défend contre [p. 166] cette haine qu’elle s’efforce d’enfouir sous l’amour qui subsiste toujours : elle n’ose se confier à personne et se renferme entièrement en elle-même. Peu à peu une modification profonde de son être s’accomplit, elle commence à se tourmenter d’amers reproches : sa haine se détourne lentement de son amant pour revenir sur elle-même ; incessamment obsédée par une impitoyable autocritique destructive, elle se perd toujours davantage dans une sourde négation de la vie. Sa foi dans la vie, dans les hommes, est sapée à sa base, sans qu’aucun trouble extérieur ne se manifeste. L’état devient chronique. Un beau jour, elle prend froid i catarrhe des bronches rebelle, qui évolue vers la tuberculose.
Ni cure d’altitude, ni cure de repos, ni traitement médicamenteux n’agissent. Le cas reste stationnaire. Nous voyons ici, sous forme d’une haine latente, un agent destructif, émanant du grave conflit moral resté sans solution ; retirée de son objet primordial (l’amant), cette haine se dirige contre le sujet lui-même : son effet se manifeste d’abord dans le plan psychique, comme dépression, obsession, auto-négation et pour finir, méfiance et haine de la vie : ensuite elle réussit à passer dans le plan physique. Une aspiration à la mort s’éveille ; qui tend à la désagrégation à la fois physique et morale, volonté autodestructive qui mine lentement la constitution générale.
Le diagnostic classique serait : tuberculose avec troubles moraux comme facteur prédisposant. L’intérêt se concentre exclusivement sur l’agent infectieux (contagion par bacille de Koch) et le reste s’y subordonne. Mais est-ce bien la seule, la véritable interprétation du cas ?
Il me semble que non, d’autant plus que la malade n’a pas raconté un mot de son histoire intime à ses médecins : elle fit simplement allusion à « un chagrin » qu’elle aurait eu. Faut-il respecter son silence ou avons-nous le devoir d’explorer son état psychique ? C’est là, croyons-nous, la condition sine qua non pour nous faire saisir sur le vif l’essentiel du cas. Car l’agent destructif issu du conflit moral est ici élément pathogénique primordial et déterminant ; le rôle de l’infection n’est que secondaire. Le succès même de la cure psychothérapique en témoigne : la guérison du processus tuberculeux ne commença qu’avec le moment où la malade surmonta sa haine et se réconcilia avec la vie.
Cette interprétation heurte la pensée médicale qui nous est coutumière : de par l’attitude prise une fois pour toutes, nous ne voyons que les causes exogènes ; nous ne sommes habitués à diagnostiquer que les troubles anatomiques ou physiologiques ; le facteur psychique nous reste encore invisible et insaisissable, ainsi que l’étaient les bactéries pour Virchow au temps où Semmelweiss soutenait contre lui la thèse de l’origine infectieuse de la fièvre puerpérale. N’est-ce peut-être pas notre positivisme qui nous borne l’horizon et nous rend insensibles aux processus plus subtils ? Nous reviendrons en détail, au cours de ce travail, sur la question de l’agent destructif : c’est maintenant le passage des [p. 167] phénomènes psychiques aux phénomènes physiques qui exige notre attention.
La sensation comme fonction psychologique paraît avoir une importance particulière en qualité d’intermédiaire entre les phénomènes psychologiques et physiologiques. En effet, le type dit sensitif (qui, selon la définition de Jung, aurait la sensation pour fonction fondamentale et adaptative) semble posséder à un haut degré la tendance de dériver les conflits psychiques dans le plan physique. La localisation du processus se fait selon une détermination fort précise. La transformation (soit le transvasement) de cette onde d’excitation d’un plan dans l’autre est encore bien énigmatique. On constate des troubles du système nerveux sympathique : tonus, irritabilité, circulation, nutrition, sécrétion (plus particulièrement interne). Ils sont non seulement fonctionnels : vraisemblablement il s’en produit également de purement organiques (2), surtout s’il s’agit d’une certaine qualité d’excitation à orientation destructive. Ce facteur paraît avoir une très grande importance dans l’étiologie de beaucoup d’ulcères de l’estomac, où l’on réussit à découvrir des affekts [sic] refoulés depuis des années, de nature destructive tout à fait spécifique, mais parfaitement inconscients au malade lui-même. Pour lui, tout semble tourner autour de son estomac et des symptômes qui en découlent : il nie obstinément son conflit, au médecin et à lui-même. Un intérêt assidu et une sympathie intelligente peuvent seuls l’amener à reconnaître et à élaborer sa situation psychique. C’est au suc stomacal ou à quelque autre ferment autolytique qu’est dévolu ici le rôle d’agent destructif (comme au bacille de Koch dans le cas cité plus haut). On comprendra sans peine que la simple constatation de l’agent destructif ne saurait suffire au point de vue thérapeutique. Le médecin doit acquérir la connaissance de ces problèmes, qui lui permettra de lutter avec efficacité contre l’agent destructif et de guider la lutte du malade.
Reste maintenant à parler d’un mélange spécifique de phénomènes physiques et psychiques qui demande une attention particulière. Le cours des affections physiques chroniques se complique par l’intervention secondaire de facteurs psychiques : d’abord subtile et insaisissable, [p. 168] elle reste souvent inconsciente au malade lui-même et inobservée de son entourage (le médecin y compris). C’est une mobilisation de complexus psychiques qui s’accomplit dans le courant de la maladie : une foule de facteurs inhibiteurs et négatifs se manifestent et s’organisent lentement autour du processus morbide purement physique, y prennent part, renforçant la désagrégation et débilitant les tendances de défense et de guérison. Freud parle de fuite dans la maladie : l’idée s’applique non seulement aux psycho-névroses et aux névroses traumatiques, mais aussi aux maladies organiques. C’est une régression psychique du malade à une attitude infantile. Quelque chose en lui profite de la situation de malade organique, soit pour se soustraire au devoir, soit pour s’assurer à bon marché une position privilégiée à l’égard de son entourage. Le médecin n’a plus seulement affaire à l’insuffisance cardiaque ou à la paraplégie, mais à toutes les puissances négatives de l’inconscient du malade. Tout ce que ce dernier garde en lui de primitif, de négatif, tout ce qui a été refoulé ou n’est pas encore assimilé et intégré dans le psychisme, tout cela s’organise en une redoutable puissance plus ou moins invisible qui s’allie au mal physique.
L’impuissance relative de la thérapie des affections physiques chroniques dépend en grande partie de cet ordre de choses. Ce qu’il faut avant tout surmonter ici, c’est le puissant refoulement dont le malade use envers son conflit, par lequel il dresse une haute barrière entre le médecin et lui. Ses moyens de défense sont souvent de camouflage raffiné. Un entraînement psycho thérapeutique spécial du médecin s’impose ici, pour lequel ce dernier n’est guère préparé. C’est une des raisons pour lesquelles le public moderne prête une confiance toujours moindre au médecin et va chercher secours ailleurs. Le seul moyen efficace de combattre le charlatanisme consiste à saisir la tâche thérapeutique dans toute son ampleur, ce qui nécessite une meilleure préparation des médecins. C’est là une question de principe que nous avons le devoir de méditer sérieusement : question de notre attitude scientifique envers l’objet de notre étude, envers l’homme, comme une unité, et de notre outillage méthodologique et technique.
Pour une autre raison d’ordre extra-médical, cette question théorique de la connaissance (attitude intégrale envers l’homme considéré comme unité) est importante : nous voulons parler des phénomènes parapsychiques que la science soumet aujourd’hui à une recherche toujours plus exacte. Les observations sur les médiums (lévitation et matérialisation), sur les yoghis hindous et les derviches orientaux — nous écartons dès l’abord les si nombreux subterfuges conscients et inconscients — nous obligent à gagner un point de vue nouveau, à rompre le cadre des formes de notre pensée biologique et psychologique. Des corrélations nouvelles entre le plan physique et psychique semblent en résulter, qui existent à côté des autres, jusqu’à présent seules connues et généralement [p. 169] acceptées. Nous n’irons pas de l’avant en continuant à nier obstinément et passionnément ou en nous contentant d’une critique objective : seul, l’intérêt éclairé et intelligent pourra nous aider.
Autrement passionnant encore, pour nous autres médecins, sont les processus de guérison qui se produisent en dehors de notre sphère médicale, au sein de certains mouvements sociaux et religieux (Christian Science, théosophie, miracles religieux dans les endroits de pèlerinage, etc.). Leur explication dite scientifique, généralement en vogue, est parfaitement insuffisante. Toute affection guérie, pour elle, est psychonévrose : la guérison même serait le résultat d’une simple suggestion ou autosuggestion. Avant que l’on puisse élucider des phénomènes aussi compliqués, que dépendent du concours de facteurs physiques, psychiques, sociaux et religieux, il faudrait se tourner vers le problème si ardu du développement spirituel au sens profond et véritable du mot. Par l’intériorisation, qui est une différenciation et une hiérarchisation des fonctions psychiques grâce à une discipline de l’être tout entier, de nouveaux rapports, de nouveaux échanges entre le physique et le moral deviennent possibles et s’établissent, dont nous ne pouvons encore apprécier la fécondité thérapeutique. C’est une nouvelle Amérique à découvrir.
PSYCHOPATHOLOGIE ET PATHOLOGIE GÉNÉRALE
Essayons maintenant d’appliquer les points de vue énoncés plus haut à quelques problèmes essentiels de la psychopathologie et de la pathologie générale. Nous allons d’abord décrire les faits observés, pour passer ensuite aux idées directrices.
Distinguons ici :
- Les métamorphoses régressives et les néoformations comme effets de l’agent destructif.
- Les phénomènes de défense et l’essai de restitution comme réaction de l’organisme et effet de l’agent créatif.
MÉTAMORPHOSES RÉGRESSIVES ET NÉOFORMATIONS (PARAPHÉNOMENES)
Examinons un état de dépression mélancolique : la situation est dominée par un sentiment pathologique de tristesse et de culpabilité, qui peut aller jusqu’au désespoir, le tout plus ou moins mêlé de crainte. Les autres sentiments sont presque totalement inhibés. L’inhibition semble résulter d’une lutte contre tous les sentiments positifs. Cette lutte s’étend même au dehors du sujet, jusqu’aux sentiments positifs, optimistes des gens de l’entourage, qui finissent eux-mêmes par souffrir du malade. L’inhibition s’étend également à la pensée, qui devient monoïdéique ; à la sensation (sensation de dépérir, d’être [p. 170] mort) ; à la volonté (aboulie). Elle pénètre jusque dans le plan physique, elle s’attaque à l’innervation (constipation grave, hypofonction du tractus stomaco-intestinal (motilité et sécrétion), troubles de la nutrition et de la circulation, etc ). Le malade exerce une influence inconsciente et suggestive sur son entourage qu’il opprime ou excite violemment à la contradiction. Nous voyons ici la forme larvée d’une activité purement négative : envers lui-même, envers la vie, le mélancolique fait preuve de nihilisme systématique. Sous les sentiments de dépression anxieuse se cache une volonté de se détruire, de détruire, une haine aveugle, inconsciente, que l’analyse seule permet de découvrir, et que la tendance générale au suicide des mélancoliques confirme pleinement. Chaque psychiatre connaît le raffinement et le froid calcul propres à ces malades, lorsqu’ils sont dominés par cette tendance. Résumons-nous : la personnalité consciente du mélancolique est tombée sous l’empire d’une puissance destructive (d’ordre psychique) ; elle s’y est, pour ainsi dire, livrée. C’est cet état passif de dépression qui détermine le sentiment intensif de culpabilité si caractéristique de cette affection mentale. Nous appelons-cet agent psychique d’ordre extra-individuel et endogène agent destructif.
Cet agent destructif doit être recherché dans d’autres phénomènes psychiques. Constatons dès d’abord qu’il ne s’agit pas d’un affekt personnel issu d’une stase ou d’un simple conflit. Son caractère, au contraire, est tout à fait impersonnel : son ingérence dans l’activité psychique déclenche une grave désagrégation. Son contact avec la sensation, par exemple, provoque la formation de peurs hypocondriaques parfois absurdes, mais toujours inquiétantes ; la pensée devient rumination, critique destructive, doute systématique (cas graves de psychasténie et de schizophrénie). Un rôle essentiellement dynamique lui revient dans le mécanisme des phobies et de l’obsession, symptômes connus pour leur rénitence : sous son influence, certaines poussées instinctives sont perverties (sadisme, morphinisme, cocaïnisme). On observe en outre dans sa symptomatologie des violences insensées, des tendances autodestructives ou criminelles — phénomènes de métamorphose régressive qu’on définira d’une façon générale comme dégradation de la personnalité.
L’anatomie pathologique connaît, de son côté, la métamorphose régressive et la dégénérescence des tissus qui est un phénomène parallèle. Nous avons affaire à un facteur tout à fait élémentaire dont l’influence se manifeste dans tous les graves phénomènes morbides. Sa nature endogène demande encore à être étudiée de près.
En étudiant la vie normale, nous y rencontrons, dans les plans psychique et physique, des processus constructifs et destructifs qui se déroulent selon une coordination précise bien que peu connue. Dans l’enfance l’élément constructif l’emporte encore sur l’élément destructif ; [p. 171] dans la vieillesse, c’est le contraire. Le chimisme biologique est dominé par le couple d’oppositions : assimilation et désassimilation (ana- et catabolisme). Si nous passons au plan psychique, nous y trouvons l’ambivalence des phénomènes primordiaux : la formation typique des couples d’opposés qui régissent une phase entière de l’individuation, l’évolution psychique dont Gœthe donne une excellente image par son « Stirb und werde » (meurs et renais). La vie même est inconcevable sans la collaboration de l’élément constructif et destructif.
Certains troubles de la structure et de l’activité de l’organisme nous mettent en présence particulièrement immédiate de l’un ou de l’autre des deux agents en question. Ainsi nous réalisons le côté destructif contenu dans la fonction digestive en étudiant la genèse de l’ulcère de l’estomac, mais reconnaissons que, dans la fonction digestive, l’action destructive est orientée utilement. Dans certaines circonstances, les ferments autolytiques contenus dans les cellules sont activés : dans la métamorphose des insectes, par exemple, ce sont eux qui déterminent la dissolution du tractus stomaco-intestinal de la chenille, qui, ayant perdu son importance, subit une autolyse pour faire place aux organes sexuels caractéristiques du stade de l’insecte parfait. Cette autolyse est le produit d’un agent destructif « dirigé » (gerichtet). Dans l’enfance de l’homme, l’atrophie du thymus est un phénomène analogue. Il n’y a rien de mystérieux dans l’existence de cet agent destructif : nous arrivons toujours davantage à la conviction qu’il s’agit d’un facteur vital d’ordre élémentaire (3).
Il existerait, par conséquent, dans la vie normale une coordination déterminée des processus constructif et destructif ; l’étude des phénomènes de défense sera un auxiliaire précieux pour élucider la question. La défense nous est connue par la pathologie : elle agit fort probablement aussi à l’état normal (bien qu’inconsciemment), comme fonction de protection contre l’agent destructif, qu’elle maintient par là dans des limites appropriées. Dans le processus morbide se produirait soit l’affaiblissement de l’appareil de défense, soit une intensification de l’activité destructive, soit les deux ensemble. Cette conception est fondée sur nos analyses approfondies de graves psycho-névroses et psychoses. Il est impossible, vu le cadre de ce travail, de communiquer en détail [p. 172] les faits qui nous servent de base ; nous nous contentons d’en indiquer les idées directrices.
Reste à dire quelques mots sur l’emploi en pathologie des trois préfixes : hyper, hypo et para. Hyper se rapporte à l’intensification d’un état ou d’une fonction, tels l’état affectif et l’association d’idées (Ideenflucht) dans la manie ; (parallèle biologique : hypertrophie des muscles cardiaques, hypertonie du système artériel, artériosclérose). Hypo indique la diminution d’un état ou d’une fonction, tels l’état affectif de dépression, le ralentissement de la faculté associative. Para veut dire à côté, contre — le terme s’applique aux néoformations et aux métamorphoses régressives. Les hyper– et hypophénomènes sont donc des modifications quantitatives du normal ; le paraphènomène en est une modification qualitative — effet d’un nouveau et redoutable élément destructif, de l’agent destructif lui-même. Systèmes délirants, idées obsédantes, phobies, sont des néoformations typiques, parallèles aux tumeurs et néoplasmes de l’anatomie pathologique. Rumination, manie du doute, états d’hypochondrie sont des phénomènes de métamorphose régressive (comparables aux métamorphoses régressives et à la dégénérescence des tissus) ; ils sont l’expression d’une désagrégation.
PHÉNOMÈNES ET FONCTIONS DE DÉFENSE
Il est d’observation courante qu’un complexus à fort coefficient émotif, inassimilable pour le moi conscient, est expulsé du champ de la conscience par un acte volitionnel ou automatique. Un tel complexus est maintenu par force sous le seuil de la conscience et est, par là même, isolé, exclu de la vie consciente. Il s’agit du refoulement (Freud), qui est un phénomène de défense (4). Le processus, normal en soi, est parfaitement justifié tant qu’il reste provisoire. Son danger commence avec la fixation, soit lorsque le conscient se dérobe avec persistance à l’examen d’une expérience vécue qu’il devrait soumettre à la critique et élaborer pour en assimiler certains éléments.
L’attitude d’indifférence (sorte d’anesthésie sans éclipse de la conscience) quelquefois adoptée par la psyché pour se soustraire à une impression de trop grande intensité est un autre moyen de défense. L’entêtement (Trotz), le négativisme même deviennent, dans certaines circonstances, moyens de défense et d’isolation. Le psychologue connaît aussi, chez certains animaux, l’attitude de « faire le mort » ou l’automutilation d’un segment de membre pour faciliter la fuite. [p. 173]
De tous ces phénomènes (et d’autres encore qui leur sont parents) nous dérivons une fonction (ou tout un groupe de fonctions) de défense et de protection. Monakow en a reconnu la forme biologique et psychologique la plus générale et lui donne le nom d’ecclisis.
La réaction de l’organisme à toute lésion débute par la défense, qui est un essai de combattre l’agent nocif, de le détruire si possible et d’enrayer le processus déclenché. Le phénomène se complique par la tendance de l’organisme à supprimer les suites de la destruction par un effort de restitution, expression d’une qualité caractéristique de la vie organique, fait fondamental de l’autonomie vitale (H. Driesch).
L’activité de l’organisme se concentre sur la défense ; les formes habituelles de l’activité sont momentanément reléguées à l’arrière-plan. Une forme de défense psychique est caractérisée par la résistance, sorte de contre-offensive dirigée contre l’agent destructif (comme agent nocif endogène par excellence). Nous l’appelons la fonction alexique (la théorie de l’immunité admet l’existence d’alexines formées dans la lutte contre les toxines). L’examen psychologique de la vie des saints et des mystiques de toutes les religions illustre clairement cette fonction alexique. Ces hommes ont su tenir tête (avec plus de succès que les aliénés de nos jours) au choc des forces destructives qu’ils personnifiaient sous les traits de diables et de démons. La fonction alexique joue un grand rôle dans cette lutte qui fait partie de l’intégration de la personnalité religieuse.
Une autre forme de défense est la fonction lytique (lysis = dissolution) : elle assume la dissolution des vues, attitudes, conceptions, relations et systèmes reconnus faux et désuets. Citons l’idée du sacrifice dont l’importance religieuse est si grande. Psychologiquement parlant, sacrifier veut dire abolir la puissance prédominante d’un instinct, renoncer à une attitude unilatéralement volitionnelle ou intellectuelle, surmonter la fixation infantile au père, enfin désagréger un système délirant. Le côté intellectuel de la fonction lytique est la saine critique ; son côté émotif (mais sous forme encore non différenciée et primitive) est le remords, le regret, le repentir. Inutile de dire qu’il s’agit ici d’une considération purement psychologique de ces phénomènes, qui peuvent (et doivent) aussi être envisagés du point de vue éthique ou religieux. Tout le groupe des fonctions de la défense appartient au système des régulations psychiques.
Une courte comparaison biologique s’impose ici : trois groupes de phénomènes dominent aujourd’hui la pathologie générale : l’inflammation, la fièvre, et l’immunité — tous considérés comme processus de défense et de guérison. Nous ne citerons que : la limite de démarcation dans la nécrose ; la formation du mur de leucocytes autour du foyer inflammatoire (soit son enkystement, qui peut aller jusqu’à la calcification) ; la formation des antitoxines pour neutraliser les toxines (alexine, [p. 174] bactériolysiner etc.); l’activité des cellules lymphatiques dans la phagocytose (absorption des corps étrangers, tels que bactéries, etc.) ; les cellules géantes des tubercules et leur activité dissolvante. Rappelons encore l’organisation du thrombus, qui non seulement facilite la résorption du coagulum mais écarte en même temps le danger de l’embolie ; l’hypertrophie des granulations, formant paroi impénétrable à l’irruption des bactéries dans l’organisme, etc. Nous retrouvons la fonction lytique et alexique de la psychopathologie dans la conception moderne de la fièvre comme phénomène de défense.
L’hypertrophie des tissus dans la granulation des blessures (dont nous venons de parler) et la production de l’état d’immunité permanente permettent de reconnaître l’existence d’un autre facteur qui dépasse la défense : ils nous font penser à la restitution et à la guérison — soit au développement nouveau que la crise peut inaugurer.
PROCESSUS DE RESTITUTION ET DE GUÉRISON.
FONCTION D’AUTOGUÉRISON
ET INTÉGRATION DE LA PERSONNALITÉ
L’essai en restitution fait suite à la résistance et à la dissolution. La guérison d’une blessure consiste en la réparation de la structure (formation de nouveaux tissus) et de la fonction de la partie lésée; on parle de restitutio partialis ou de restitutio ad integrum, selon que la guérison est partielle (cicatrice ou perte fonctionnelle), ou intégrale. Le processus de régénération, plus spécialement étudié chez les animaux inférieurs par la biologie expérimentale, lui est parent, de même que la production de l’immunité passagère ou durable dans la physio-pathologie. Toutefois ce n’est pas restitution pure et simple (soit guérison de la maladie infectieuse en question), car l’organisme crée ici une qualité nouvelle, l’immunité, dont la durée dépasse celle de la maladie; c’est donc un enrichissement, un état nouveau qui se produit. L’affermissement de la santé que l’on constate souvent chez des enfants qui ont surmonté avec succès une des maladies typiques de leur âge appartient à la même catégorie de faits. Il s’agit d’un nouvel état.
Trop peu d’attention a été accordée jusqu’ici au phénomène de la restitution et à sa théorie. L’idée d’un instinct de guérison existait dans la médecine antique : mais comme elle était imbue de mysticisme religieux, il fallut l’abandonner. La médecine contemporaine n’en possède pas encore un équivalent. Les poussées instinctives de guérison existent néanmoins, tout comme les poussées instinctives de défense (refoulement, etc.). Nous avons déjà parlé plus haut de la différenciation de ses poussées qui contribue à la formation de la fonction de défense proprement dite. Quelque chose d’analogue a lieu dans la guérison. Voyons la chose de plus près : les cas les plus favorables à l’examen du processus de guérison sont incontestablement ceux d’autoguérison, car l’absence [p. 175] de toute influence extérieure permet d’en constater le mécanisme, plus exactement d’y observer le jeu des forces naturelles. Nous avons, entre autres, étudié dans ce but le cas historique de l’autoguérison de Benvenuto Cellini, racontée par lui-même dans sa biographie. Jusqu’à trente-cinq ans, Cellini se distinguait par une impulsivité anormale, une labilité et une agitation voisine de la poriomanie : révolté typique à complexus paternel négatif correspondant, il présente une attitude sexuelle ambivalente (homosexuelle et homoérotique, hétérosexuelle mais non hétéroérotique). Après avoir réussi (par la protection injuste du pape) à échapper à une juste condamnation pour assassinat perpétré dans la colère, il devient la proie d’une névrose dans laquelle se déroule, par une sorte de compensation, toute une procédure d’auto-condamnation et de punition. Affection morale grave, qui porte avant tout le caractère d’auto-châtiment : états crépusculaires avec angoisse, dépression, tentatives de suicide, introversion intensive avec visions prospectives de délivrance et de pardon. Il finit par en sortir victorieux. Ses visions et ses rêves soigneusement notés permettent de suivre psychanalytiquement le long processus de restitution. Une certaine transformation de la personnalité (non pas seulement une guérison de la névrose) se produit. Cellini, qui était d’un individualisme ombrageux et morbide, devient relativement sociable. Il rentre dans le rang, reconnaît une autorité supérieure, accepte le principe directif (fonction téléologique), qui, dans sa névrose, était ancré dans l’homosexualité ; il gagne même une certaine religiosité. Au lieu de continuer ses querelles et ses rixes, il se met au travail et devient l’admirable artiste que l’on sait. Ses plus grandes œuvres datent d’après sa guérison : le Persée de la Loggia dei Lanzi, à Florence, [ou Sauveur d’Andromède (symbole de l’âme), héros triomphant du dragon (symbole de la primitivité)] et le Christ sur la Croix, au Prado de Madrid.
Le savant moderne est encore trop méfiant à l’égard des phénomènes de cet ordre, surtout là où apparaît une forme religieuse. Ils ont droit à un examen inspiré du plus libre esprit scientifique, car ils font incontestablement partie du champ de l’étude psychologique, bien qu’on puisse les examiner encore à d’autres points de vue. La condition sine qua non est d’éviter toute confusion et toute méprise. (Encore une question foncièrement méthodologique !) Ces phénomènes de restitution et de guérison font également partie du grand groupe des régulations.
L’instinct de conservation de l’individu se manifeste dans l’organisme non seulement par les réactions de la défense contre l’agent nocif, mais encore par le renouvellement continu des éléments morphologiques qui subissent l’involution renouvellement des globules du sang, des cellules des muqueuses et de l’épiderme, croissance des cheveux et des ongles). Dans la restitution (guérison), le travail de renouvellement est encore bien plus intense. L’agent destructif en fournit le [p. 176] stimulus, mais la cause même, la force motrice du processus proprement dit, gît dans la propriété naturelle de renouvellement du protoplasme. La vie est création incessante, mais aussi mort ininterrompue des parties : le correspondant de l’agent destructif est l’agent créatif ou constructif. Les phénomènes de compensation, de restitution et de renouvellement sont effets de l’agent créatif, de même que les phénomènes de désagrégation normale et morbide sont soumis à l’agent destructif.
La croissance et le développement eux-mêmes rentrent dans la même catégorie que le renouvellement et la restitution. Nous touchons ici à un point essentiel pour la psychologie comme pour la psychopathologie. Le rôle du développement est tout à fait exceptionnel dans le plan psychique, inversement au plan physique où ses limites sont fort étroites. L’homme garde la faculté de se développer psychiquement et spirituellement jusqu’à un âge avancé, à condition toutefois de savoir « diriger » sa vie et de la soumettre à une juste discipline. En d’autres termes, sa faculté de régénération psychique est infiniment plus grande que sa faculté de régénération physique. On peut trouver des matériaux précieux sur le développement et la formation de qualités nouvelles dans le processus de guérison : nous l’avons déjà constaté dans l’histoire de Cellini, où non seulement les symptômes ont disparu et la personnalité s’est stabilisée, mais un enrichissement important s’est produit ; les fonctions auparavant latentes ou refoulées sont activées, la force créatrice proprement dite de l’artiste est libérée et sa conception de la vie s’est transformée. Il s’agit donc, dans la guérison de ces troubles psychiques, d’une phase importante de l’intégration de la personnalité.
Il nous faut mieux saisir le processus de restitution, à commencer par les phénomènes du repentir, de la compréhension intérieure (Einsicht), et surtout de la pénitence (volonté de se modifier, de se guérir). C. L. Schleich compare quelque part la pénitence aux granulations d’une blessure en voie de guérison. La comparaison est exacte, du moins en partie : le repentir se rattache plutôt au stade préliminaire de la dissolution, soit au détachement des anciennes erreurs, alors que la pénitence ou l’exercice pénitentiel est connexe à leur correction proprement dite, soit au processus même de restitution. La conception courante du repentir et de la pénitence fait partie d’un système éthique et religieux : c’est là une interprétation et une réglementation spéciales de certains phénomènes psychiques parfaitement justifiées, mais qui ne nous regardent pas ici. Nous cherchons à saisir ces phénomènes d’une façon purement psychologique.
La pénitence devient un essai de réalisation d’une vue nouvelle, acquise dans une expérience personnelle (repentir) : lutte contre une attitude reconnue régressive, fausse et non adaptée et sa correction — acceptation de fonctions négligées (soit latentes et non développées) pour [p. 177] les assimiler à la structure hiérarchique de la psyché, tout cela avec le concours de la volonté consciente et disciplinée, de la raison et de l’intuition, sous l’égide de la fonction téléologique (5).
Alors que la pénitence d’ordre religieux aurait pour but la réconciliation avec la divinité offensée, le processus de guérison correspond au rétablissement de l’équilibre troublé et à la reprise d’une ligne normale de développement : car les psycho-névroses et les psychoses fonctionnelles sont essentiellement produits de déviation et inhibition du développement. Ainsi, les deux éléments essentiels de la guérison sont : la restitution et la reprise de l’intégration de la personnalité.
NOTES
(1) Conférence faite à la Société suisse de psychiatrie le 25 novembre 1923, à Zurich.
(2) Voici un exemple de trouble purement fonctionnel : une jeune femme divorcée souffre, depuis sa dernière menstruation, il y a trois semaines, d’une ménorrhagie dont elle ne peut trouver la raison : auparavant son état physique était parfaitement satisfaisant. L’analyse d’un rêve fait découvrir une excitation sexuelle des plus intensives qui avait échappé au contrôle vigilant de la conscience et de son self-control. Ce n’est pas le lieu d’expliquer la chose plus en détail. Il suffit de savoir que, l’excitation devenue consciente par l’analyse, la ménorrhagie s’arrêta sur l’heure : la menstruation suivante fut parfaitement normale. Mais à la place du symptôme physique supprimé, l’excitation sexuelle devint consciente. La jeune femme eut donc à faire face à une tâche nouvelle : surmonter cette excitation, l’élaborer, pour la sublimer sans tomber dans le refoulement, ce qui nécessite un travail qu’un traitement psychothérapeutique bien compris doit faciliter.
(3) Le point de vue ne pourrait-il éclairer d’un jour nouveau le problème des tumeurs malignes ? Le déchainement de la croissance des tissus qui a lieu dans le sarcome ou dans le carcinome est de caractère absolument destructif. La question ne peut se résoudre que par l’examen minutieux et approfondi d’un grand nombre de cas particuliers, sans jamais perdre de vue le psychodynamisme (comme pour le cas de tuberculose cité plus haut). Les inlassables recherches de l’origine infectieuse supposée de ces néoplasmes semblent ne pas vouloir aboutir. L’horizon où on les enferme est évidemment beaucoup trop étroit.
(4) Dans tous les cas psychogènes d’impuissance sexuelle de l’homme ou d’anesthésie sexuelle de la femme que j’ai observés et traités ces dernières années, j’ai invariablement constaté comme facteur efficace une défense psychique (mesure de-protection) contre une sexualité hypertrophiée ou pervertie, sous forme soit de refoulement de l’excitation actuelle, soit d’inhibition statique d’une sexualité encore latente.
(5) L’ascension du Mont de la Purification dans la Divine Comédie du Dante est une admirable image des luttes et des souffrances du processus de guérison, exprimée par un grand visionnaire dans le langage de son époque.
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