Joseph Lévy-Valensi. Spiritisme et folie. Article paru dans la revue «L’Encéphale. Journal mensuel de neurologie et de psychiatrie», (Paris), cinquième année, premier semestre, 1910, pp. 496-716.
Joseph Lévy-Valensi (1879-1943). Médecin, neuropsychiatre, Professeur à la Faculté de médecine de Paris, historien de la médecine. Interne, entre autres, de Gilbert Ballet puis chez Fulgence Raymond, il fait connaissance chez celui-ci du jeune agrégé Henri Claude. Ilfut aussi chef de clinique de Jules Déjerine à la Salpêtrière. Reçu au concours de l’agrégation en 1929, il aura été pendant treize ans agrégé dans le service du professeur Henri Claude à Sainte-Anne (Paris). En octobre 1939, Lévy-Valensi devient titulaire de la chaire d’Histoire de la Médecine à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris. Quelques publications :
— Les vertiges. Avec 42 figures. Paris, Nobert Maloine, 1926. 1 vol.
— Diagnostic neurologique. Avec 395 figures. Paris, J.-B. Baillière et fils, 1925. 1 vol. – Deuxième édition. Paris, J.-B. Baillière et fils, 1932. 1 vol.
— L’automatisme mental dans les délires systématisés chroniques d’influence et hallucinatoires. Le syndrome de dépossession. Rapport de psychiatrie présenté au Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française, XXXI-Paris, Masson et Cie, 1927. 1 vol.
— Délire spirite et pithiatisme. Article paru dans la revue «L’Encépahle», (Paris), vingt troisième année, 1928, pp. 947-951. [en ligne sur notre site]
— Délire spirite, écriture automatique. Article paru dans les « Annales médico-psychologiques », (Paris), XIIIe série, 89e année, tome deuxième, 1931, pp. 126-140. [en ligne sur notre site]
—Délire archaïque (astrologie, envoûtement… magnétisme). iArticle paru dans les « Annales médico-psychologique », (Paris), XIV série, 92e année, tome 2, 1934, pp. 229-232. [en ligne sur notre site]
— La médecine et les médecins français au XVII° siècle. Avec 51 planches et 86 figures dans le texte. Paris, J.-B. Baillière, 1933. 1 vol. — Deuxième édition avec 123 figures dans le texte. Paris, J.-B. Baillière et fils, 1939. 1 vol. — Troisième édition. Avec figures dans le texte. Paris, J.-B. Baillière et fils, 1948. 1 vol.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé plusieurs fautes de typographie. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
[p. 696]
SPIRITISME ET FOLIE
par
J. LÉVY-VALENSI
Interne des hôpitaux de Paris.
Né en Amérique, en 1847, le spiritisme comptait à Paris, en 1906, 37000 adeptes (1).
Cela n’a rien qui doive surprendre. Le spiritisme ne solutionne-t-il pas au mieux du désir des hommes le problème angoissant de l’au-delà ?
Toute critique serait audacieuse et vaine, si le spiritisme ne constituait pas un danger social.
Les adeptes les plus fervents de cette nouvelle religion sont les premiers à s’indigner contre les gens de mauvaise foi, les escrocs qui se glissent dans leurs rangs. Ceux-là ne nous intéressent pas, ils relèvent des tribunaux. C’est à la cohorte des hommes honnêtes et convaincus qui constituent la clientèle des salons spirites, que le médecin a le devoir de s’adresser et de dire : « Gardez-vous de faire germer la folie en croyant semer l’espérance ! »
Les cas de troubles mentaux consécutifs à la pratique du spiritisme sont très nombreux. Tous les aliénistes conservent le souvenir de tels délires. Les observations publiées en France ne sont cependant pas très nombreuses, nous avons pu en recueillir dix-huit, dont trois personnelles (2).
Il est probable que, pour beaucoup, cette variété de délire a paru banale.
D’ailleurs, un grand nombre, parmi ces malades, échappent aux médecins, dont ils se méfient, et, souvent inoffensifs, circulent librement, offerts à la curiosité, voire à l’admiration de leurs concitoyens. [p. 697]
Lorsque nous eûmes l’honneur d’être l’interne de M. le professeur Gilbert Ballet, nous observâmes deux cas de folie spirite, présentés à la Société de psychiatrie, en collaboration avec notre collègue et ami Boudon (3).
A cette époque, notre maître nous conseilla de grouper tous les faits analogues connus. C’est ce que nous avons essayé de faire.
I. CE QUE SONT LES FOUS SPIRITES
Parmi les spirites convaincus, il faut distinguer les croyants, les médiums, les fous. Les premiers échappent à notre critique, les derniers nous appartiennent. Que faut-il penser des médiums ? C’est une question que nous ne voulons pas aborder. Depuis les travaux qui ont mis en lumière l’hypnotisme, le somnambulisme, tous les phénomènes de la désagrégation mentale, on considère la médiumnité comme un phénomène du même ordre.
Des livres remarquables et universellement connus ont été écrits sur cette matière ; nous n’avons pas la prétention d’ajouter aux ouvrages de M. Janet : l’Automatisme psychologique, l’État mental des hystériques ; de M. Grasset : le Spiritisme devant la science, l’Occultisme d’aujourd’hui et d’hier.
« Les médiums, quand ils sont parfaits, dit Janet, sont des types de la division la plus complète, dans laquelle les deux personnalités s’ignorent complètement et se développent indépendamment l’une de l’autre. »
M. Grasset ajoute que le « médium est doué d’une vive imagination polygonale. » On sait que le polygone de M. Grasset est la subconscience.
La médiumnité semble donc être un état pathologique transitoire véritable, équivalent du sommeil hypnotique, du somnambulisme, variété de l’automatisme psychologique. Le médium, abstraction faite de son terrain névropathique, n’est un malade qu’au moment de la « transe », au moment où il veut se désagréger.
Imaginons que cette désagrégation soit devenue une habitude, qu’elle se fasse malgré le malade, et l’hallucination, origine du délire, est constituée.
Il est certain que tel qui devient médium ne devient pas nécessairement aliéné ; il existe des prédispositions qui favorisent le [p. 698] passage de l’un à l’autre état. M. Violet (4) dans son intéressant ouvrage, a mis en relief de façon saisissante ce que sont les spirites sur lesquels doit s’abattre la folie ; il vient de parler des névropathes : « Puis les paranoïaques consentant rarement à sortir de l’incognito que leur orgueil considère comme un piédestal et leur susceptibilité comme un bouclier. Puis, au milieu de la foule, les débiles, armés de la foi du charbonnier, suivant le mouvement, comme les moutons de Panurge, encombrant une vie qui leur est déjà pénible, d’un amas de connaissances incomprises ou aveuglément acceptées jusqu’à leurs extrêmes conséquences. Puis, au fond, dans l’ombre, les tristes, les timides, les « scrupuleux », immobiles et muets, que la mélancolie morbide guette, ces prédisposés parmi les gens sains, ces savants chercheurs, ces enthousiastes raisonnés et intelligents, ces prédisposés qu’on rencontre partout ailleurs où il y a foule, mais qui viennent là se griser de mystère, comme d’un poison dangereux pour eux seuls. »
Nous allons retrouver tous ces personnages en feuilletant les observations, au nombre de dix-huit, dont onze extraites de l’intéressante thèse de Duhem (5).
OBSERVATION I. — (Sollier et Boissier.) Femme de trente-six ans. L’intelligence paraît brillante au premier abord, plutôt médiocre en réalité. Sa famille appartient à l’orthodoxie israélite, la religion n’a cependant occupé qu’une place minime dans son éducation. Elle se trouvait supérieure à son entourage qu’elle dédaignait et s’absorbait dans des rêveries ; après avoir méprisé sa famille, elle méprisa son mari « trop vulgaire pour partager l’élévation de son âme et de sa tendresse ».
OBSERVATION II. — (Gilbert Ballet et Dheur.) Homme de vingt-huit ans, docteur en médecine, parents névropathes, une tante hystérique, un frère adepte du spiritisme.
Bon catholique ; perdit la foi rapidement sous l’influence des doctrines évolutionnistes et matérialistes.
OBSERVATION III. — (Duhem.) Homme de cinquante-deux ans, fondeur. Élevé au séminaire et destiné à l’état ecclésiastique. Quitte le séminaire à la suite d’une aventure amoureuse.
OBSERVATION IV. — (Séglas.) Femme de quarante et un ans, sagefemme. Caractère excentrique. Esprit enclin au merveilleux.
OBSERVATION V. — (Joffroy.) Femme de trente-huit ans, professeur de français. Père mort de paralysie générale, mère fait du spiritisme. Caractère indocile ; a toujours été considérée comme une déséquilibrée, a eu une série d’aventures romanesques. [p. 699]
OBSERVATION VI. — (Vigouroux.) Femme de cinquante-sept ans. Intelligence débile, éducation religieuse ; a fait du spiritisme le jour où elle a compris « qu’on peut vivre avec Dieu sans suivre les exercices compliqués de la religion catholique ».
OBSERVATION VII. — (Gilbert Ballet et Monier-Vinard.) Homme de quarante-sept ans, gardien de cimetière. Rien dans les antécédents, sauf la syphilis à trente-six ans.
OBSERVATION VIII. — (Dheur.) Femme de trente-neuf ans. Parents nerveux, plusieurs originaux dans la famille. Syphilis à vingt ans, mari mort paralytique général.
OBSERVATION IX. — (Sollier et Boissier.) Étudiant en médecine, hérédité névropathique, une sœur obsédée et phobique. Plusieurs aliénés dans la famille.
Dans l’enfance, il a eu des tics, de l’onychophagie. Il était très émotif et pratiquait l’onanisme.
Plus âgé, il a été agoraphobique, superstitieux ; a eu des préoccupations religieuses ; c’est, en somme, un grand psychasthénique.
OBSERVATION X. — (Dheur.) Femme de trente ans, sans profession. Père nerveux et débile ; mère mélancolique ; un frère dément précoce ; un autre a fait des tentatives de suicide.
Elle est très religieuse, a eu des doutes angoissants.
OBSERVATION XI. — (Joffroy.) Magnétiseur. Pas de renseignements.
OBSERVATION XII. — (Marie et Vigouroux.) Femme de quatre-vingt-deux ans, très affectée par la mort d’une petite-fille. Ce grand chagrin marque le début des troubles.
OBSERVATION XIII. — (Janet.) Femme de vingt-huit ans. Mère nerveuse ; a eu des crises d’hystérie.
OBSERVATION XIV. — (Janet.) Homme de quarante-deux ans.
OBSERVATION XV. — (Janet.) Femme de trente-sept ans; a contracté la syphilis. Rien à noter dans l’hérédité.
OBSERVATION XVI. — (Boudon et Lévy-Valensi.) Femme de quarante ans, grecque orthodoxe ; éducation religieuse ; très pieuse et superstitieuse.
OBSERVATION XVII. — (Boudon et Lévy-Valensi.) Femme de quarante-huit ans, juive ; parents névropathes ; un oncle tiqueur : un frère nerveux ; un autre fait du spiritisme.OBSERVATION XVIII. — (Lévy-Valensi et Lerat.) Femme de trente-sept ans, très énergique, intelligence moyenne ; pas religieuse, mais très superstitieuse ; cliente des cartomanciennes et diseuses de bonne aventure ; accidents névropathiques.
Par ce rapide exposé des antécédents de nos malades, nous pouvons nous rendre compte déjà de certaines particularités. Le sexe semble jouer un certain rôle et sur dix-huit cas, nous trouvons douze femmes pour six hommes. L’âge est indifférent, de trente à cinquante ans le plus souvent. Les professions dites libérales sont [p. 700] fréquentes : médecins, sage-femmes, professeurs. En somme, il s’agit d’individus ayant reçu une certaine instruction.
L’hérédité est chargée ; on trouve souvent dans la parenté des névropathes, des psychasthéniques plutôt que de véritables aliénés.
Enfin, ces malades, avant de tomber dans la vésanie, avant même de se livrer au spiritisme, étaient des anormaux. Rarement ce sont de vrais malades ; comme l’étudiant en médecine de l’observation IX, le plus souvent, ce sont des dégénérés. La dégénérescence mentale domine, en effet, tous les délires spirites. Parmi ces malades, les uns, simples dysharmoniques, se font remarquer par certaines originalités de caractère, certains écarts de conduite ; les autres ont toujours été considérés comme des débiles.
Selon la catégorie à laquelle nous avons affaire, nous verrons le délire emprunter une forme différente ; assez bien charpenté, parfois constituant les étranges romans que M. Grasset appelle romans polygonaux, mais, le plus souvent, délire puéril de débile.
Il est un point qui serait intéressant à étudier, c’est le rapport du spiritisme avec la religion.
En fait, la plupart des spirites sont recrutés parmi les hommes élevés religieusement. Cependant, les religions n’acceptent pas le spiritisme dans leurs dogmes. Le spirite n’est plus un homme religieux, au sens précis du mot ; c’est un mécontent, un évadé de la religion.
Les religions ont compris le danger de ces pratiques. Elles ont réagi contre la tendance naturelle du croyant à pénétrer les mystères de l’au-delà. L’Église, en particulier, qui se méfie du mystique que favorisent les messages divins, condamne le spirite qui les provoque. Le décret de la Sacrée Congrégation de l’Inquisition du 28 juillet 1847 dit « qu’il n’est pas permis d’appliquer des principes et des moyens purement physiques à des choses et à des effets purement surnaturels, afin que ceux-ci se manifestent physiquement ; car ce serait une tromperie tout à fait illicite et approchant de l’hérésie (6). »
Le docteur Lapponi écrit : « Lo spiritismo di oggi e sempre pericoloso dannoso, immorale, riprovevole e da condannera da interdire severissimamento, senzo restrizione, in tutti, suii gradi, [p. 701] in tutte le sue forme, et sotto tutte le sue possibili manifestazioni (7). »
M. Godfroy Rupert, au nom du protestantisme, considère le spiritisme comme déplorable au point de vue mental, moral et physique (8).
Le rabbin Dante A. Lattes, au contraire, déclare que : « Ses phénomènes et son hypothèse aident le sentiment religieux et moral et apportent un grand avantage et beaucoup de lumières aux faits de notre histoire, aux pratiques et aux croyances de notre foi. »
Malgré quelques notes discordantes, la très grande majorité des ministres des religions proscrivent la pratique du spiritisme.
C’est pourquoi les hommes véritablement religieux ne deviennent que rarement des spirites. Les spirites sont, le plus souvent, des mécontents de la religion, des évadés de l’orthodoxie religieuse.
Le vénérable archidiacre Colley, d’ailleurs partisan de la doctrine spirite, écrit : « Pour plusieurs millions de chrétiens qui ne sont pas satisfaits de leur religion, le spiritisme se présente vraiment comme un envoyé de Dieu pour sauver les hommes de ce matérialisme sadducéen qui ne voit rien au delà du tombeau. Le spiritisme est une cure pour le manque de foi. Surtout parce qu’il fournit une preuve scientifique de la continuation de la vie. Au delà de la tombe, le spiritisme est comme le couronnement de tout ce qu’il y a de plus précieux dans chaque religion. »
II. COMMENT LE SPIRITE DEVIENT FOU
Dès le début de cette étude, nous avons indiqué le rôle que nous croyions devoir faire jouer à l’automatisme dans la genèse des délires spirites. C’est là une opinion qui ne nous est pas personnelle et que Gilbert Ballet, Janet, Grasset, Duhem, Violet, etc., ont déjà soutenue.
On sait que chacun de nous possède intimement unies deux personnalités. L’une consciente, faite de perceptions immédiates et de volonté ; l’autre, subconsciente, constituée par nos souvenirs, groupés pour former les différentes fonctions psychiques. [p. 702] La personnalité consciente fait des emprunts continuels à ces fonctions. Les souvenirs ne constituent-ils pas, d’ailleurs, notre véritable personnalité ? Nous n’existons que par la fusion de notre passé et de notre présent. Supprimons le souvenir du passé, et cela se voit dans les amnésies, et une nouvelle personnalité sera créée. Supprimons, par le sommeil hypnotique, la notion du présent et aussitôt l’autre partie de notre moi entrera en action. C’est exactement ce qui se passe dans la transe du médium, avec, parfois, la conscience de l’automatisme.
Chez le délirant spirite, l’automatisme va agir à l’insu du malade, la désagrégation mentale va s’effectuer sans provocation de la part du médium. Un jour, il se trouvera en face d’une personne étrangère qui est lui-même et qu’il ne reconnaîtra point. Sa subconscience, subitement, aura constitué cette personnalité, elle s’opposera à sa personnalité consciente dans des luttes souvent douloureuses.
Dans cet ordre de faits, l’automatisme a abouti au dédoublement de la personnalité. Le malade n’a pas conscience de son automatisme.
Si on étudie avec soin ces malades, on assiste parfois à un autre mécanisme de l’éclosion de l’idée délirante. Il s’agit encore d’automatisme, mais d’automatisme conscient. M. Janet, puis M. Séglas et son élève Cotard (9) ont bien mis en évidence ce phénomène curieux.
Le sentiment d’automatisme fait partie du syndrome psychasthénique. Le malade sent qu’il se meut, qu’il parle sous une influence étrangère (délire de persécution à forme psycho-motrice de Séglas) ; de là à interpréter en idées de possession, de domination il n’y a qu’un pas, il est vite franchi.
En somme, l’automatisme agit de deux façons selon qu’il est conscient ou non conscient.
Dans le premier cas, le malade est un possédé ; dans le second, c’est un persécuté. Ces distinctions ne sont pas, d’ailleurs, toujours fondées, les deux idées délirantes sont souvent mêlées, ou se transforment l’une dans l’autre.
Parmi les dix-huit malades dont nous avons signalé les observations, dix-sept sont médiums. Le dix-huitième (obs. XI) ne touche qu’indirectement à notre sujet, c’est un persécuté-persécuteur sans hallucinations ; c’était un magnétiseur et non un spirite. [p. 703]
Parmi nos dix-sept malades, seize furent conduits à la folie par la médiumnité. Camille S… (obs. I) eut des hallucinations auditives avant de s’adonner au spiritisme. Elle s’y livra ensuite et devint médium auditif.
La plupart de nos malades sont des médiums écrivains — douze sur dix-sept — les autres sont intuitifs, auditifs, visuels. D’ailleurs, les différentes médiumnités peuvent se rencontrer sur le même sujet. Quand l’esprit prend complètement possession du médium, parle par sa bouche, le médium est dit désincarné (l’esprit est incarné).
L’éclosion du délire fait souvent suite à une longue pratique de la médiumnité, parfois elle est presque contemporaine des premiers exercices ; un bel exemple nous est fourni par l’observation XVIII.
Mlle B… — Va, en fin d’octobre dernier, chez une femme médium à qui elle demande d’évoquer l’âme de son père. Le médium écrit sous la dictée du père de la malade.
Trois semaines plus tard, autre consultation, même résultat. Mlle B… rentre chez elle très préoccupée.
Le lendemain, elle sent sa main droite « comme électrisée et qui marchait toute seule et elle se mit à écrire des choses qui ne lui passaient pas par le cerveau ». Elle accumule les écrits. Elle déclare qu’elle est médium, que son père est en elle. Un mois plus tard, elle a des hallucinations de toute nature, c’est une délirante qu’on doit interner.
Chez cette malade, la désagrégation mentale était en puissance, la consultation du médium n’a été que le prétexte à l’éclosion du délire.
En général, c’est au bout de plusieurs mois de médiumnité que le spirite verse dans la vésanie.
III. CONSTITUTION DU DÉLIRE SPIRITE
Le délire spirite est constitué par les éléments les plus disparates, comme le délire mystique, dont il n’est qu’une modalité. Cependant il nous a semblé possible de mettre en relief, au moyen des observations élémentaires, quelques caractères particuliers.
A. Les hallucinations ;
B. L’érotisme ;
C. Les réactions défensives ;
D. La contagion.
A. Les hallucinations. — Le délire spirite est en général un [p. 704] délire hallucinatoire. L’hallucination est un élément de l’automatisme psychique et c’est elle qui conditionne le plus souvent le délire du spirite.
On a signalé chez les spirites délirants toutes les variétés d’hallucination, mais la plus fréquente est l’hallucination auditive, surtout sous sa forme psycho-motrice.
1° Hallucinations auditives. — La première hallucination auditive du spirite est le « raps ». On sait qu’il s’agit là de bruits frappés dans la table. Le spirite qui a provoqué ces « raps » en séance, d’une façon quelconque, entend un jour des bruits analogues dans ses meubles, dans les murs de sa maison. Ces bruits existent parfois réellement et ce n’est que l’interprétation qui est délirante. Souvent ces bruits sont entièrement hallucinatoires.
Bientôt l’hallucination auditive devient plus précise ; le malade entend des voix. Les propos qu’elles tiennent sont divers. Le plus souvent, ce sont propos déplaisants, insultes grossières, paroles obscènes. Fréquemment, ce ne sont que conseils ridicules, ordres d’accomplir certains actes contraires aux convenances, aux mœurs, de faire certains gestes dépourvus de sens.
Au contraire, l’hallucination peut avoir un caractère favorable. Il se passe chez les spirites ce qui se passe chez nombre de persécutés. Un système de défense s’élabore. Aux insultes répondent des encouragements, des conseils. Le bon esprit entre en lutte contre le mauvais et les hallucinations agréables et désagréables concordent et alternent.
Dans certains cas, les hallucinations auditives sont seulement agréables. Il en est ainsi de Cam. Stein (obs. VII). Deus lui a promis d’être son amant spirituel ; Saturne lui a fait des propositions plus précises. Un autre lui dit qu’elle est bonne et pure, et reproche à son mari de n’avoir pas su lui donner le bonheur, etc.
Ces hallucinations revêtent quelquefois le caractère nettement extérieur. Il en est ainsi de notre malade (obs. XVI), qui, persécutée par un jeune démon, en entendait distinctement la voix à son oreille.
Le plus souvent, ce n’est pas ainsi que les choses se passent. Le malade entend des voix en dedans de lui-même. Cam. Stein « entend une voix très douce qui parle dans sa poitrine ». P… (obs. XI) entend des voix dans sa tête. Notre malade de l’observation XVIII entend successivement la voix dans sa tête, son cœur, son estomac.
2° Hallucinations motrices. — Les hallucinations motrices [p. 705] constituent des éléments importants du délire spirite et parmi celles-ci une place à part revient aux hallucinations verbales motrices.
Hallucinations verbales motrices. — M. Séglas a particulièrement insisté sur ce symptôme.
L’hallucination verbale motrice est caractérisée par la sensation qu’a le malade que « l’on parle » au moyen de ses organes vocaux.
M. Séglas établit trois degrés dans l’hallucination verbale motrice :
1° L’hallucination verbale kinesthétique simple, et sans mouvements des organes de la parole, le malade a la sensation de parler ;
2° L’hallucination verbale motrice proprement dite qui s’accompagne de mouvements d’articulation plus ou moins perceptibles ;
3° L’impulsion verbale dans laquelle le malade parle sous l’impulsion du persécuteur.
L’hallucination verbale motrice est un des éléments caractéristiques du délire spirite.
Observation 1 : « La voix parle par sa bouche ».
Observation II : « A d’autres moments, c’est Dieu ou son père qui parle directement par sa bouche. La personnalité alors s’efface complètement… il parle à la troisième personne comme si c’était un étranger qui parlait par sa bouche. »
Mme P… (obs. IV). — Une nuit « elle fut forcée de chanter malgré elle, sa voix avait un timbre admirable et les morceaux qu’elle chantait, sans les connaître, étaient aussi admirables ».
La malade de l’observation VI raconte que les esprits s’emparent parfois de ses organes et parlent par sa bouche. Alors les paroles qu’elle émet ne sont pas d’elle, elle ne fait que les comprendre par les mouvements d’articulation, et elle est surprise de l’élévation des pensées qu’elles expriment.
Nous pourrions multiplier les exemples, nous ferons seulement remarquer déjà l’importance de ces modalités d’hallucination pour la constitution du délire. On voit aisément l’hallucination auditive externe engendrant le délire de persécution, tandis que les hallucinations auditives internes ou psychiques et les hallucinations verbales motrices engendreront des délires de possession.
Hallucinations graphiques motrices. — Ce groupe est aussi important, faisant partie de la médiumnité il accompagne le délire du spirite.
Nous pourrions remplir de longues pages de citation sur ces hallucinations. Bornons-nous à dire qu’il en est de fausses et de vraies. [p. 706]
Parmi les fausses, il faut citer la curieuse malade de M. Janet (obs. XV), qui donnait ses consultations par écrit mais sans aucune prétention sérieuse à la médiumnité, une autre variété est l’écriture sous dictée. Le malade écrit ce que lui dicte l’hallucination auditive.
Enfin, entre l’hallucination graphique vraie et ces fausses hallucinations, il faut placer l’écriture semi-mécanique. Ici le malade est poussé à écrire, mais il sait ce qu’il va écrire. L’automatisme n’est pas absolu, c’est ce que l’on trouve dans l’observation III.
Nous ne nous étendrons pas sur ce qu’écrivent nos malades. Injures, éloges, conseils médicaux, notions astronomiques on trouve de tout.
D’ailleurs, l’hallucination graphique est l’équivalent de l’hallucination auditive et grapho-motrice. C’est sur son contenu que s’élaborent les systèmes délirants dont nous aurons à parler plus loin.
Lévitation. — Parmi les hallucinations motrices, une des plus intéressantes est celle du déplacement du corps. La plus simple est celle de l’alcoolique qui rêve qu’il tombe dans un précipice.
Le spirite s’élève dans les nues; un bel exemple de cette hallucination nous est fourni par l’intéressante observation de Gilbert Ballet et Monier-Vinard (obs. VII).
« Depuis près d’un an, il lui arrive souvent d’être transporté loin du lieu où il se trouve. Les esprits persécuteurs l’emportent parfois ainsi à de grandes distances, l’entraînant avec eux. Il parcourt de la sorte les planètes ; il en a exploré un grand nombre, mais il ignore le nom de la plupart d’entre elles, et c’est la planète Saturne qu’il visite le plus souvent. C’est vers le milieu de la nuit que cela lui arrive ; il se sent alors « partir sur sa pensée », il traverse d’immenses espaces, et les esprits mauvais veulent alors le tuer à coups de fluide. Arrivé dans Saturne, « il se matérialise », reprenant son aspect et sa forme ordinaires. Il nous a écrit lui-même le récit de l’un de ces voyages.
« J’ai vu une chaîne de montagnes aux bords de la mer Saturnine ; elles sont couvertes de rochers et d’herbages, peuplées d’animaux de toute espèce. Au pied des montagnes, une plaine des plus grandes, des plus fertiles. Les habitants de ces pays sont comme nous, ne pouvant pas aller partout et me rendre compte de tout, j’étais obligé de demander à un esprit que je ne connaissais pas. Il me montra le château de Saturne et me renseigna sur tout ; il m’expliqua la ville de Lestaphonoff, là je reconnus que c’était un esprit de ma famille qui est ma mère. » M. le professeur Gilbert [p. 707] Ballet compare justement ce récit aux récits du célèbre visionnaire Swedenborg.
3° Hallucinations visuelles. — Les hallucinations visuelles n’occupent pas dans les délires spirites une place prépondérante. Cependant, on les rencontre assez fréquemment ; ce sont le plus souvent des visions mystiques.
D… (obs. III) aperçut un matin au-dessus de son lit un voile triangulaire de grandes dimensions ayant à peu près la forme du cœur de Jésus, dit-il, et couvrant tout le plafond de la chambre; ce voile était de couleur bleuâtre, d’une nuance indescriptible, et portait écrit en lettres de diamant le mot : INRI.
Au-dessous de ce voile était un puits à la margelle d’or, avec un seau dont le diamètre était égal à celui de l’orifice même du puits. Il vit ce seau descendre et remonter, mais vide, en même temps qu’il entendait distinctement les paroles suivantes : « Première descente du Christ sur la terre, le seau descend à vide et remonte sans avoir trouvé la vérité. »
G… (obs. VII) a vu des animaux hideux, serpents, crapauds, lézards. Il a vu son propre esprit sous forme d’un homme habillé de noir (10).
Le plus souvent, les hallucinations visuelles sont moins précises. Ce sont des ombres vagues, des traînées lumineuses, des points brillants et souvent il ne s’agit que d’illusions.
4° Hallucinations olfactives et gustatives. — La malade de l’observation IV trouve au café un goût de laudanum.
Notre malade (obs. XVI) trouvait un goût étrange aux aliments, le diable lui faisait sentir de mauvaises odeurs. Nous trouvons également des hallucinations de cette nature chez la malade de l’observation XVIII.
5° Hallucination de la sensibilité générale. — Ces hallucinations ne sont pas très fréquentes. Le plus souvent, les malades se plaignent de recevoir du fluide ou des courants électriques. Notre malade de l’observation XVI est intéressante à ce point de vue. Persécutée par un démon qu’elle n’a jamais vu, elle le connaît néanmoins très bien par le tact et elle nous en fait la description suivante : « Il est long de 20 centimètres, a une tête et une longue queue, mais pas de bras. Il a une très petite bouche et cinq dents dont trois pointues. »
6° Hallucinations cénesthésiques. — M. Séglas a insisté sur le rôle des troubles de la sensibilité interne et des hallucinations qu’ils engendrent. Il a montré le rôle joué par ces phénomènes [p. 708] morbides dans les altérations de la personnalité. Nous allons retrouver ces troubles chez certains de nos malades.
Mme P… (obs. IV) est dévorée par « un tænia cucurbitain » qu’on a fait pénétrer dans son corps où elle le sent remuer et qui la dévore.
M. B… (obs. IX) « ne le sent plus, lui, même il ne sent ni sa tête, ni son corps, ni ses membres. Tantôt il ne sent pas son corps, tantôt il s’étire et en même temps il sent et voit ses membres s’allonger comme du caoutchouc, etc., etc. »
Parmi les troubles cénesthésiques, il faut étudier dans un groupe à part, les troubles de l’ordre génital.
B. Érotisme et troubles des fonctions génitales. — Les rapports de l’érotisme et des folies mystiques ont été depuis longtemps établis. Les folies spirites n’échappent point à cette règle. Nous allons voir, parcourant successivement toutes les observations, la confirmation de cette règle.
OBSERVATION I. — Les premières manifestations délirantes chez C… apparaissent après son mariage avec un homme incapable de la satisfaire. Durant toute sa maladie, elle a des préoccupations amoureuses ; on la surprend se livrant à l’onanisme. Elle se plaint de mourir d’amour inassouvi.
Elle a des amours mystiques. Deus presse ses lèvres contre les siennes. Les caresses deviennent même plus pressantes et procurent à la malade des sensations voluptueuses complètes. « Cette possession est étrange, dit-elle, c’est une douce quiétude qui m’envahit. »
OBSERVATION III. — Depuis environ trois mois, les esprits ont commencé par lui « nouer l’aiguillette ». « Tu coïteras fluidiquement comme nous ou tu ne coïteras pas, lui ont prédit ses voix. » Et en effet, « lorsqu’il cherche à pratiquer le coït avec sa maîtresse, l’érection ne peut pas durer longtemps ; il sent qu’il devient de plus en plus impuissant, et au lieu d’achever le coït d’une façon normale il sent sur le bout de la verge comme une fraîcheur qui l’arrête ».
OBSERVATION VII. — Frigidité absolue depuis quatre ans. Spermatorrhée nocturne qu’il attribue aux excitations des esprits.
OBSERVATION XVI. — Le démon qui a persécuté la malade se livre à des attouchements sur ses seins, ses organes génitaux.
OBSERVATION XVII. — La malade a constamment la, sensation d’être violée.
C. Réactions défensives. — Quelques malades réagissent contre les persécutions qui leur viennent de l’au-delà. Les uns se contentent de suivre les conseils que leur donnent leurs « protecteurs » par la voie graphique ou verbale, les autres sont obligés d’être plus ingénieux. Beaucoup font appel aux ministres de leurs cultes, qui tentent l’exorcisme. [p. 709]
Nos deux malades des observations XVI et XVII sont assez curieuses à ce point de vue.
Mme P… a successivement consulté un prêtre catholique et un prêtre grec qui l’ont exorcisée sans résultat.
Mme X… a consulté rabbins, prêtres et sorciers, qui ont tous vainement essayé de chasser le mauvais esprit. Un mage parisien et un cheik ne furent pas plus heureux.Les défenses sont parfois plus matérielles. Mme P… poursuit son démon à coups de bâton qu’elle s’applique énergiquement sur le corps. Elle prend des bains sulfureux, met de la « mort aux rats » sur ses seins pour l’empoisonner. Enfin dernièrement elle s’est fait fabriquer une cuirasse en carton destinée à protéger sa poitrine contre les dents de son persécuteur.
D. La contagion des folies spirites. — Le livre remarquable de Calmiez sur la folie religieuse contient d’intéressantes narrations des grandes épidémies de folies mystiques. On pourrait ajouter de nombreux chapitres à cet ouvrage, car notre siècle de progrès voit encore de semblables aventures.
Les épidémies de folie spirite n’ont pas l’extension des folies mystiques de jadis ; il faut croire qu’il y a tout de même dans le monde quelque chose de changé. Ce sont des épidémies discrètes, limitées, parfois de simples folies à deux. Dans ces cas, d’ailleurs, l’avantage n’est pas au sexe fort. C’est toujours la femme qui entraîne le mari.
L’exemple le plus typique de ces folies à deux nous est fourni par l’observation I.
Le mari de Camille S… est d’une crédulité toute spéciale. Il croit que sa femme est médium incarné. Il reconnaît lorsqu’elle parle la voix de sa mère morte depuis plusieurs années. Lorsqu’un esprit se manifeste il salue et prodigue des marques de respect. Bientôt « il écrivit lui-même sous la dictée des désincarnés ».
OBSERVATION IV. — Le père et le frère partagent le délire et veulent intenter un procès au médecin qui la garde à l’asile.
OBSERVATION VI. — Le mari devient médium écrivain, jusqu’au jour où des occupations importantes le détachent du spiritisme.
OBSERVATION X. — La mère de la malade est demeurée convaincue que sa fille a été possédée du démon, alors que celle-ci guérie se rend compte du caractère morbide des troubles qu’elle éprouva.
OBSERVATION XII. — Le mari était un spirite fervent.
OBSERVATION XIII. — La mère et la tante de la petite malade la crurent inspirée de Dieu tant qu’elle eut des hallucinations d’un caractère mystique.
OBSERVATION XVIII. — Dans cette observation, la malade était une femme très énergique, qui dirigeait en despote sa maison et son mari. [p. 710]
Pendant une dizaine de jours, ce pauvre homme crut au pouvoir médiumnique de sa femme, et fit partager sa conviction à sa jeune fille. Bien plus, bientôt, la nouvelle se répandit dans le quartier que Mme B… était médium et tous les voisins vinrent solliciter des consultations qu’elle accordait volontiers.
En somme, nous voyons dans ces cas plutôt de la crédulité que des états morbides. Le croyant va quelque fois plus loin, mais il ne dépasse pas le stade de désagrégation mentale.
IV. COULEUR DU DÉLIRE SPIRITE
Dans tout délire, il y a, à considérer à côté des éléments constitutifs, l’idée directrice qui donne au délire son homogénéité. Cette idée n’est pas toujours seule, d’autres idées parasites persistent autour d’elle. Néanmoins, l’étude minutieuse du malade permet souvent de trouver cette idée dominante qui donne au délire sa couleur. Cette idée est différente selon le terrain sur lequel a germé le délire.On délire toujours, dit M. Marie, dans le cercle de ses idées et de ses croyances.
Le délire n’est-il pas souvent la simple amplification colossale des tendances naturelles des hommes ?
Le fou spirite est en général un débile, aussi ses idées sont-elles de pauvres idées.
1° Idées de grandeur. — Elles ont, chez nos malades une forme particulière ; ce sont des idées d’apostolat, de rôle à jouer, etc. Leur préoccupation constante est de faire reconnaître leur médiumnité.
La malade de l’observation XVIII était venue à la Salpêtrière dans ce seul but et elle couvrait les murs de sa cellule de cette affirmation : « Je suis le premier médium du monde. »
Camille Stein (obs. I) se dit l’apôtre d’une religion que modestement elle appelle le « kamianisme ». Tout un système théologique est élaboré par elle.
M. P… (obs. II) est également apôtre : « Il s’est fait complètement raser, porte les cheveux coupés très courts, parle sur un ton grave et incisif, n’admettant aucune discussion, la contradiction ne faisant naître chez lui qu’un sourire de pitié. »
Chez la plupart des malades, ce sont les mêmes idées d’apostolat, de missions à remplir qui dominent. Elles sont d’ailleurs intimement unies à des idées moins agréables.
2° Idées de persécution. — Ces idées jouent un rôle capital dans [p. 711] la constitution du délire des spirites. On pourrait, sans trop exagérer, dire qu’elles sont presque tous les cas connus.
On trouve, en effet, ces idées délirantes dans les observations II, III, IV, V, VI, VIi, VIII, X, XVI, XVII, XVIII.
Le malade de l’observation XI est un persécuté persécuteur typique.
3° Idées mélancoliques. — Ces idées sont moins fréquentes que les précédentes.
M. P… (II) a des idées d’auto-accusation « il s’accuse sans cesse en des plaintes, des lamentations, des révoltes contre lui-même ».
Ces idées se retrouvent chez Mme B… (IX) avec des idées d’humilité. « Il essaye par mortification et par ordre des esprits de boire de son urine et de manger des excréments. » Pour obéir aux mêmes ordres, il a essayé de se tuer.
Un bel exemple d’idées mélancoliques nous est fourni par la malade de l’observation XVIII.
Elle a des phases d’anxiété pendant lesquelles elle se plaint : « Mon père m’affirme que ma fille est morte ; on l’a crucifiée ; on lui arrache les yeux, on lui coupe la langue ; mon mari a été assassiné ; ma maison est en feu. Que vais-je devenir ? » A côté de ces idées de ruine, nous relevâmes des idées de négation : « Je n’ai plus de cœur, plus d’estomac.»
V. FORME DU DÉLIRE SPIRITE
Si nous passions en revue les dix-huit observations qui ont servi de thème à notre étude, nous verrions que chacune a une particularité, si bien que l’on pourrait décrire autant de formes que de cas.
Cependant un caractère important réunit la plupart d’entre eux : la systématisation. Il s’agit, en vérité, de pauvres systèmes. Le persécuté du délire chronique explique son délire, le discute, trouve des arguments ; le délirant spirite accepte tout sans discussion : le premier était un raisonneur, il est un croyant. Aussi quelle systématisation fragile; les idées les plus contradictoires se succèdent sans ordre, sans lien. Le malade était tout à l’heure un demi-dieu, il est maintenant un pécheur repentant. Il existe d’ailleurs tous les degrés dans la systématisation. La malade de l’observation 1 peut être considérée comme un type de délire systématisé religieux assez bien charpenté; la malade de l’observation XVIII constitue le type le plus frappant de délire polymorphe ; la systématisation existe, mais à un degré infime.
Un autre caractère commun à la plupart de ces délires, c’est [p.712] leur début brusque, leur marche rapide. Nous voilà loin de la lente systématisation du délire chronique.
Enfin il est un caractère important que l’on retrouve dans tous ces cas : c’est la satisfaction. Nos malades sont des persécutés, ce sont des mélancoliques, mais ils sont satisfaits. Alors que le délirant chronique arrive après une longue étape à la mégalomanie, le délirant spirite y arrive de suite et la malade de l’observation XVIII, le jour même où éclate son délire, se déclare : « Premier médium du monde ».
Systématisation fragile, début brusque, marche rapide, idées de satisfaction continuelles sont des caractères de délires des dégénérés.
C’est dans cette catégorie qu’il faut placer les délires des spirites.
Sont-ils autre chose que des délires religieux ? Ce sont les délires d’une religion nouvelle. La folie comme toute chose se met au goût du jour.
Le professeur Joffroy admet ce rapprochement entre délires spirites et délires mystiques. « La plupart des délires spirites, dit-il, ne sont autre chose que des délires systématisés religieux apparaissant comme eux sur un fond mental particulier. Et les délires chroniques religieux ne diffèrent guère en somme du délire chronique de persécution que par l’existence des hallucinations de la vue (11). »
VI. CLASSIFICATION
M. Violet fait deux groupes des folies spirites :
1° folies d’origine spirite, ce sont les cas qui nous ont retenu ;
2° folies à teinte spirite.
Ce sont des malades atteints d’affection mentale quelconque qui empruntent au spiritisme les éléments de leur délire. Et M. Violet étudie les délires spirites chez les paralytiques généraux, déments précoces, etc., c’est là un groupe de faits que nous ne retiendrons pas.
Parmi les folies d’origine spirite, M. Violet fait encore une division en médiumnopathie externe et médiumnopathie interne. Ce dernier groupe correspond à la variété psycho-motrice du délire de persécution de M. Séglas.
Nous croyons que cette division élégante ne correspond pas à la réalité des faits. Chez le même malade, on trouve fréquemment en même temps ou successivement les éléments des deux délires. [p. 713]
D’ailleurs une classification des délires spirites est presque impossible à cause de leur polymorphisme. Elle semble inutile.
VII. PRONOSTIC
Le 18 juin 1908 à la première réunion de la Société de psychiatrie, M. le professeur Gilbert Ballet demandait ce que deviennent les délirants spirites.
L’étude des observations n’est pas défavorable. Nous voyons fréquemment les malades s’améliorer. Quelques-uns guérissent complètement, en conservant seulement quelques bizarreries d’allure. Beaucoup font des rechutes ; il en est enfin qui ne guérissent pas. La malade de notre observation XVI, persécutée par un démon depuis de nombreuses années, ne paraît pas s’améliorer beaucoup. La malade de l’observation XVIII, pour laquelle nous avions porté un pronostic plutôt favorable, est encore internée à l’asile de Vaucluse et son état n’est nullement amélioré.
Beaucoup d’ailleurs, parmi ces malades, échappent à l’internement et vivent dans la société. Nous en connaissons personnellement quatre dans ces conditions.
Le malade de l’observation VII, ancien gardien de cimetière, mène une existence misérable mais libre ; il ramasse des bouts de cigares !…
La malade de l’observation XV erre dans les rues de Paris en sandales, vêtue de sa seule tunique de soie, un mouchoir noir sur sa tête rasée. On la rencontre fréquemment avec un autre type du pavé parisien. C’est un individu vêtu de blanc et à tête de Christ, qui se fait le protagoniste d’une « médecine naturiste ».
La malade de l’observation XVII voyage de pays en pays, consultant les sorciers des différentes contrées où elle passe.
Enfin, nous voyons fréquemment notre malade de l’observation XVI ; quoiqu’elle vienne se plaindre fréquemment des tribulations auxquelles la soumet son persécuteur, elle a la mine floride et le teint frais. Lorsqu’on l’interroge, on s’aperçoit qu’elle a quelque tendresse pour son persécuteur et qu’elle serait peut-être en peine s’il venait à lui manquer.
Ce ne sont d’ailleurs pas là des arguments suffisants pour considérer les délirants spirites comme des favorisés du sort !…
VII. CONCLUSIONS
Le spiritisme est le refuge des mécontents de la religion. [p. 714]
Il est à celle-ci ce que la physique est à la métaphysique, c’est du moins sa prétention.
Parmi les adeptes du spiritisme, il existe un grand nombre de dégénérés. C’est chez eux que se développent les délires.La médiumnité, forme de l’automatisme psychologique, prépare et conditionne l’éclosion du délire.
Le délirant spirite est un médium dont la « transe » est continue et non voulue.
Le délire spirite est un délire hallucinatoire. L’hallucination n’est que le degré extrême du dédoublement de la personnalité.
Le délire spirite est un délire de débiles.
Il ne constitue pas une classe spéciale de délires, mais un chapitre de la folie religieuse.
Toute question médicale doit se terminer par un chapitre de traitement. La médecine n’est-elle pas l’art de guérir ? En médecine mentale, au moins, hélas ! la thérapeutique est bien limitée.
Cependant, chez les spirites délirants, on obtient quelques résultats par l’isolement. Ce qu’il faut avant tout, c’est arracher le malade à son entourage. Soustrait à l’influence de son milieu, sevré des pratiques spirites, le malade reprend peu à peu conscience de sa personnalité. Le médecin pourra aider la cure en luttant par la persuasion contre l’automatisme.
Pratiquement, les résultats ne sont pas très encourageants. Si la thérapeutique est presque impuissante, en est-il de même de la prophylaxie ?
Elle se résume dans cette proposition : lutter contre la tendance à l’automatisme.
C’est tout un chapitre de l’éducation qu’il faudrait écrire ici ; l’éducation est, en effet, toute la prophylaxie.
Dès le commencement de sa vie organique (12), l’homme parcourt les étapes successives accomplies dans le cours des âges par ses ancêtres du monde animal. Soumise à cette loi fondamentale de l’ontogénèse, notre activité psychique parcourt la même évolution, et les manifestations des premiers stades de la vie de l’esprit se retrouvent les mêmes chez l’homme primitif, chez le sauvage et chez l’enfant des civilisations modernes.
L’enfant est donc un primitif. Il arrive au monde avec le dépôt ancestral des étonnements et des peurs qui assaillent l’humanité aux prises avec un univers qu’elle parcourt sans le comprendre, [p. 715] et, par conséquent, il se montre à la fois curieux, car il désire savoir, et craintif, car il a le souci de vivre.
L’enfant est curieux et craintif. Toute l’éducation devrait être la satisfaction de cette curiosité et l’apaisement de cette crainte.
Le rôle de l’éducateur est de ne semer dans les esprits que des notions exactes et saines. Les mères sont souvent de détestables éducatrices et les contes dits innocents qui bercent les jeunes enfants préparent déjà les débordements de l’imagination.
L’éducation religieuse précocement imposée pourra avoir aussi de funestes effets. Le jeune enfant ne sait pas ce qui est admirable dans les religions, l’enseignement moral, l’étude de l’évolution continue de l’esprit humain. Il y voit seulement ce qui plaît à son imagination, et pour lui la Bible est la suite des merveilleux contes de fées.
Et maintenant, avons-nous le droit de dire : il faut interdire le spiritisme.
Ce serait être bien sûr de soi que prendre une pareille détermination. En quelle matière le fameux « que sais-je » est-il plus justifié ? Il est trop facile de nier, bornons-nous à ne pas croire et en attendant les preuves convaincantes, endormons-nous sur « le mol oreiller du doute » !
Le spiritisme est-il une vérité ? Peut-être. Est-il un danger ? Certainement. S’il attire des personnalités distinguées, des intelligences d’élite, il attire aussi la foule des débiles chez lesquels le délire est en puissance. Le spiritisme en favorise volontiers l’éclosion.
Il faudrait placer à la porte du salon spirite un contrôle sévère, véritable filtre à travers lequel ne passeraient que les hommes sains d’esprit, les autres demeureraient à la porte.
C’est là, d’ailleurs, chose impossible pratiquement et philosophiquement. Le critérium de l’homme sain d’esprit est encore à trouver. Où ira-t-on le chercher ? Certes pas à la porte du salon spirite.
D’ailleurs, quelle loi assez puissante pourrait discipliner la tendance invincible de l’esprit humain vers le merveilleux. Que l’on interdise le spiritisme et il renaîtra semblable à lui-même ou sous une forme nouvelle.
Tous les efforts seront vains ; la foule s’empressera toujours autour des baquets magiques et des tables tournantes. Rien n’empêchera que pour certains le salon spirite ne soit l’antichambre de l’asile,
OBSERVATIONS (13)
I. SOLLIER et BAISSIER. (Thèse de Duhem, p. 19.)
II. Gilbert BALLET et DHEUR. (Soc. médico-psycholog., 27 avril 1903.)
III. DUHEM. (Th., p. 53.)
IV. SÉGLAS. Leçons cliniques.
V. JOFFROY. (Archiv. gén. de méd.. janvier 1907, n° 2 et 4.)
XI. JOFFROY. (Auch. gén. de méd., janvier 1907, n° 2 et 4.)
XII. VIGOUROUX. (Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France. Marseille, avril, 1899.)
XII. MARIE et VIGOUROUX. (Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France. Marseille, avril 1899.)
VII. Gilbert BALLET et MONIER-VINARD. (Soc. médico-psychol., 7 avril 1903.)
VIII. DHEUR. (In thèse Duhem.)
IX. SOL LIER et BAISSIER. (In thèse Duhem.)
X. DHEUR. (ln thèse Duhem.)
XIII. JANET. (In Névroses et idées fixes, p. 174.)
XIV. JANET. (In Névroses et idées fixes, p. 335.)
XV. JANET. (Soc. de psychiatrie, 18 mars 1909.)
XVI. LÉVY-VALENSI et BOUDON. (Soc. de psychiatrie, 18 juin 1908.)
XVII. LÉVY-VALENSI et BOUDON. (Soc. de psychiatrie, 18 juin 1908.)
XVIII. LÉVY-VALENSI et LERAT. (Soc. méd. psychologique, 1909.)
OUVRAGES CONSULTÉS
DUHEM. Contribution à l’étude de la folie chez les spirites. (Thèse de Paris, 1906. Steinheil.)
VIOLET. Le Spiritisme dans ses rapports avec la folie. Bloud et Cie, 1908.
GRASSET. Le Spiritisme devant la science. Masson, 1904.
GRASSET. L’Occultisme. Masson 1907.
JANET. L’Automatisme psychologique. Masson, 1894.
JANET. Divination par les miroirs. (Bull. de l’Univ. de Lyon, juillet, 1897.)
JANET. L’État mental Ides hystériques. (Bibl. Charcot, Debove, Ruef, 1894.)
JANET. Névroses et idées fixes.
Gilbert BALLET. Swedenborg. Masson, 1889.
BALL. La Folie religieuse. (Leçons sur les maladies mentales, Paris, 1887.)
Jules BOIS. Le Monde invisible, 1902.
COSTE. Phénomènes psychiques occultes. Montpellier, 1894. DUPOUY. Sciences occultes et physiologie psychique.
FLAMMARION. Les Forces naturelles inconnues. (La Revue, 1906.)
Th. FLOURNOY. Des Indes à la planète Mars. Alcan, 1900.
Th. FLOURNOY. Nouvelles Observations sur un cas de somnambulisme avec glossolalie. Alcan, 1902.
Joseph LAPPONI. L’Hypnotisme et le Spiritisme. 1907.
MAXWELL. Les Phénomènes psychiques. 1903.
MYERS. Human personality. 1903.
VIGOUROUX. Spiritisme et folie. (Presse médicale, 1899.)
Georges VITOUX. Les Coulisses de l’au-delà. Chamuel, 1901.
NOTES
- DUHEM. Thèse de Paris, 1906.
- On trouvera à la fin de cet article les indications bibliographiques concernant ces observations avec les numéros par lesquels nous les désignerons.
- BOUDON et LÉVY-VALENSI. Société de psychiatrie, 1908. — L’Encéphale, 1908, 2e sem., p. 115.
- VIOLET. Le Spiritisme dans ses rapports avec la folie. Bloud, 1908.
- DUHEM. Contribution à l’étude de la folie chez les spirites. (Thèse de Paris, 1906.)
- R. P. Pie Michel ROLFI. La Magie moderne ou l’hypnotisme de nos jours.
- Le spiritisme est toujours dangereux, damnable, immoral et répréhensible ; il doit être condamné et interdit sévèrement, sans restriction, à tous ses degrés et sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations possibles.
- M. GRASSET. L’Occultisme. Masson, 1907.
- COTARD. Société de psychologie, 8 janvier 1909.
- Il s’agit là de cette variété d’hallucinations dites autoscopiques externes récemment étudiées par MM. Sollier-Bain, etc.
- Archiv. gén. de médecine, 1904, n° 1.
- J. DUPRÉ. Mythomanie. (Bulletin médical, 1901, nos 23, 25, 27.)
- Les observations de I à XI sont relatées dans la Thèse de Duhem, Paris, 1906.
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