Raoul Leroy. Les hallucinations lilliputiennes. Article paru dans les « Annales médico-psychologiques, (Paris), neuvième série, tome deuxième, soixante–septième année, 1909, pp. 278-289.
Communication originale faite dans la séance du 25 juillet 1909, de la Société médico-psychologique.
Raoul Leroy (1869-1941). Médecin psychiatre, ancien interne des asiles de la Seine. Il est à l’origine du concept de « l’hallucination lilliputiennes » dont nous présentons ici le texte princeps et qui sera suivi de très nombreux travaux sur la même question juste après la première guerre mondiale. André Breton y puisera quelque idée dans un de ses poèmes en 1934. Quelques publications :
— Les persécutés persécuteurs. Paris, 1896.
— La responsabilité des hystériques. Rapport présenté au congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française, Seizième session, Lille, 1-7 aout 1909. Lille, Le Bigot frères, 1906. 1 vol. in-8°, 2 ffnch., 177 p., 1 fnch.
— Le syndrome des hallucinations lilliputiennes. Article paru dans la revue « L’Encéphale », (Paris), seizième année, 1921, pp. 504-510. [en ligne sur note site]
— Manuel technique de l’infirmier des établissements psychiatriques : à l’usage des candidats aux diplômes d’infirmier de ces établissements. 3e édition revue, corrigée et augmentée / Par les Drs Roger Mignot et L. Marchand ; Préface de R. Leroy ; [Préface de la 1re édition par P. Sérieux et Ed. Toulouse ; Préface de la 2e édition par le Dr Henri Colin.] / Saint-Amand, impr. Bussière , 1939.
— (avec) Rogues de Fursac. Les hallucinations lilliputiennes. Article paru dans la revue « L’Encéphale », (Paris), quinzième année, 1920, pp. 189-192.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
[p. 278]
Les hallucinations lilliputiennes,
par M. Raoul Leroy.
Je désire attirer l’attention de la Sociétés médicaux-psychologiques sur une variété d’hallucinations visuelles rarement observées et qui offre un véritable intérêt clinique.
Ces hallucinations ont pour caractère essentiel de représenter des êtres ou des objets définis, avec des dimensions relativement exiguës, tout en conservant leurs proportions relatives, d’où le nom d’hallucinations lilliputiennes que je propose de leur donner. C’est un monde de Lilliputiens qui apparaît aux yeux du malade surpris : petits chevaux, petits personnages, tout cela parfaitement proportionné, de la hauteur d’un doigt environ et cette expression s’applique aussi bien à notre sujet que le mot de Swift se retrouve quelquefois dans les rares cas du genre signalé par les auteurs.
De tels troubles psycho sensoriels ont le rapport le plus étroit avec la micropsie. Mais tandis que celle-ci est très connue et a donné lieu à d’intéressants travaux, surtout chez les paralytiques généraux, les épileptiques, les hystériques, certains dégénérés, sa variété hallucinatoire semble avoir passé presque inaperçue. On peut rencontrer pourtant les hallucinations lilliputiennes dans la plupart des maladies mentales et même sous forme d’hallucinations conscientes. Elles existent le plus souvent, en dehors de la micropsie, alors que le sujet à une conception absolument normale de la grandeur des objets qui l’environnent, la perception de petitesse ne portant que sur l’hallucination.
Je désire, d’abord, rappeler une observation curieuse de micropsie rapportés par Girma chez un paralytique général.
« D…, Pierre, trente-trois ans, épileptique depuis l’âge de douze ans. Au milieu de symptômes qui nous ont permis de poser le diagnostic de paralysie générale, nous relevons des hallucinations de l’ouïe presque continuel de nature gaie et désillusions de la vue remarquable. Les hommes et les choses qui paraissent d’une [p. 279] petitesse et d’une exiguïté de formes inconcevables : c’est un véritable monde de Lilliputiens dans lequel il se trouve. Il en ligue jusqu’aux larmes. Quant à lui, ils se sont grands, dominant tout le monde, et cependant, quand il regarde ses pieds, il les trouve aussi très petit (1). »
c’est également chez un paralytique général que j’ai eu l’occasion de rencontrer les hallucinations lilliputiennes les plus remarquables. L’observation de ce malade présent un tel intérêt, qu’il est indispensable de la donner avec quelques détails. Elle offre un type parfait de ces troubles psycho-sensoriels particuliers. Leur multiplicité, leur constance, leurs précisions me permettront d’en déduire les caractères propres.
X…, Célibataire, issu d’une famille n’ayant jamais présenté aucune tare, présente à l’âge de quarante ans des symptômes de paralysie générale. La marche de l’affection fut classique avec une forme complètement démentielle, sans excitation des délires. Trois ans après le début de la maladie, X… a une attaque congestive d’une demi-heure de durée. Le lendemain apparaît un délire hallucinatoire intense. Le malade raconte qu’il a vu quelqu’un dans l’escalier, que les meubles de sa chambre ont changés de place, qui voit des vaches rouges sur le mur (hallucinations visuelles différenciées), des mots écrits (hallucinations visuelles verbales) et que son lit et plein de sel, de poivre et de verre pilé. Il remplace à terre des filles imaginaires qu’il pelotonne et secoue les rideaux de sa fenêtre pour enlever ceux qu’il voit.
Les jours suivants, le malade éprouve les mêmes hallucinations. Ce sont toujours des fils qu’il pelotonne et jette au feu, des personnes qui entrent dans sa chambre ; on pose des fils électriques autour de lui ; on a changé la fenêtre ; il se croit dans un bateau qui s’ouvre en deux ; il lui semble que tout grandit autour de lui : « Vous ne vous apercevez donc pas que nous grandissons », dit-il. Il voit des têtes de femme sur le mur, des perroquets dans la cheminée ; sur son pantalon reluisent des choses qu’il veut enlever avec son couteau ; sur le parquet marchent des bêtes, des mouches, des poissons. Il passe son temps à enlever sur sa manche droite des fils imaginaires, qu’il va mettre dans un seau de toilette, des fils [p.280] jaunes ou noirs, quelquefois blancs. « C’est incroyable, dit-il, je ne sais d’où viennent ces piles et comment il se forme », et pendant des heures et les scènes s’en débarrasser. C’est toujours sur le même côté droit qui se forme ; or, le malade offre un peu d’hémiparésie de ce côté.
Au bout de deux mois, ce délire hallucinatoire si intense se modifie ; au fil et aux visions précédentes s’ajoutent d’autres objets imaginaires dont le caractère est d’être de très petite taille, des lilliputiens pour ainsi dire. Le malade aperçoit de petites poules de la grosseur d’un gros hanneton : c’est pour le cours sur le sol, sur ses genoux, il fait le geste de les ramasser à pleines mains et de les déposer sur la cheminée. En se mettant à table, il éclate de rire en apercevant sur une assiette des petits hommes et des petits chevaux de la hauteur d’un doigt.
Dans la cheminée se trouve des petits monticules, de petites buttes de cendres d’où sortent des petits bébés, un petit vieillard qui tire la langue. Une bûche tombe et il s’écrie : « Hou ! désastre complet » ; mais des flammes se détachent une petite mulâtresse, une petite dame qui joue de l’éventail, de petits messieurs qui vont causer dans un coin. La pauvre dégraisse et brûlée ainsi que le chapeau de la dame à l’éventail.
Ajoutons que les illusions lilliputiennes sont nombreuses ; les petites visions que nous venons de signaler correspondre à des ombres provenant du foyer, à des flammes.
Voici le tableau complet du délire hallucinatoire du malade pendant une journée. On voit s’enchevêtrer des illusions et des hallucinations de toute nature : auditives, visuelles, élémentaires, visuelles différenciées et verbales visuelles.
Z… Ce réveil à huit heures du matin, lucide, heureux de vivre comme toujours. Une heure après, il s’excite, se lève, dit qu’on lui jette des fils « qui coulent comme l’eau d’une fontaine » toujours sur son bras droit. Il aperçoit par terre une nuée de pucerons et de petites femmes qui en ont peur et se sauvent. Ce spectacle le fait rire. Bientôt les pucerons mangent les femmes et il ne reste plus sur le parquet que leurs robes jaunes et des taches de sang.
Il lit une inscription sur son pantalon : « le tombeau », écrit au crayon rouge et sur l’armoire : « ante spiram ». le malade des jeunes de bon appétit ; après quoi, il ramasse les fils en quantité, dit qu’on a collé du papier sur les portraits de famille accrochés au mur et les entend parler. L’un des personnages lui fait signe de la tête. Une porte s’ouvre dans le mur ; l’armoire change de place. Un bouquet de fleurs se change en bouquet de têtes d’homme ; sur l’armoire un petit nègre sort par une ouverture secrète et se met à courir. Il aperçoit dans [p. 281] la cheminée de petits poissons, ceux-ci se changent en petits soldats qui lui lancent des fils.
Je ne suivrai pas le malade dans son délire hallucinatoire qui dura, absolument semblables, jusqu’à l’époque de sa mort, survenue à la suite de la nouvelle ictus épileptiforme. J’insisterai sur les nombreuses hallucinations lilliputiennes observées pendant trois mois :
Une petite femme attachant les lacets de ses chaussures ;
De petites poupées qui dansent ;
De petits bonshommes sortant des bûches de bois placé près du foyer et se battant ;
De petites bicyclettes courant autour de la chambre ;
De petits soldats sortant du tapis de la chambre et allant se perdre dans le feu de la cheminée, après avoir défilé en bataillons serrés ;
De petits corbillards.
Ces hallucinations visuelles sont multiples, fugaces, mobiles, colorées. Tout ce petit monde marche, court, danse, se transforme, paraît et disparaît en quelques minutes. Les personnages sont habillés de vêtements aux couleurs voyantes.
La grandeur est à peu près de 10 à 15 centimètres. Ainsi, le malade doit un jour de petits bonshommes courir sur le marbre de la cheminée et se cacher derrière les cadres à photographie. Il monte même dans une petite chaise à porteurs qui étaient comme ornement de fantaisie sur cette cheminée.
Le malade se montrait peu surpris de ces visions singulières qui les faisaient rire aux éclats. Il croyait absolument à la réalité de ces petits objets et voulait quelquefois ramasser les petits soldats et les petites bicyclettes pour les données comme jouet à son jeune neveu âgé de quelques années.
Telle est l’observation de ce paralytique général chez lequel les hallucinations lilliputiennes se sont montrées avec une abondance et une durée vraiment remarquables. Je n’en ai rencontré aucun cas aussi caractéristique. Les circonstances qui ont accompagné ces troubles ont, comme nous le verrons, une valeur considérable pour leur conception étiologique. La seconde observation qu’il m’a été donné de recueillir concerne une débile atteinte de délire hallucinatoire, qui se trouve encore actuellement en traitement dans mon service de Ville-Evard.
D…, Berthe, âgée de dix-neuf ans, et fille d’une mère qui a été internée à Ville-Evrard ; elle [p. 282] présente des stigmates physiques de dégénérescence et a toujours eu une mentalité peu développée. Au commencement de mars 1909, cette jeune fille perd le sommeil et présente des idées de persécution avec hallucinations de l’ouïe, elle entend des mots grossiers, a peur d’être assassinée. En même temps surviennent des hallucinations de la vue, des squelettes, des lions, une statue de la République, tout ceci se produisant dans la journée. Un soir, Berthe D… aperçoit autour de la veilleuse, placée sur la table de sa chambre, de nombreux petits soldats de la hauteur d’un doigt, habillés d’uniformes bleus et rouges. Ceci tournent autour de la veilleuse, là saluent et disparaissent au bout de quelques instants. Cette malade a traversé une période de violentes agitations pendant six semaines et se trouve maintenant en pleine convalescence.
Notre collègue, M. Trénel, a eu également l’occasion de rencontrer des troubles hallucinatoires analogues. Une femme atteinte de démence vésanique, voyez courir sur son corps de petits bonshommes et de petites bonnes femmes habillées de couleurs jaunes et rouges qu’elle appelait ses lutins et auquel elle causait toute la journée à voix basse. Elle les regardait monter le long de ses jambes, sur son dos et prétendait qu’ils entraient dans son dos par une ouverture.
Les hallucinations lilliputiennes ne sont pas fréquentes ; tout au moins en trouve-t-on de rares exemples dans les auteurs. Avec en les plus curieux que je puisse citer se trouve dans Taine (2) qui l’a tiré de Macnisch (3).
« Dans l’été de 183, un gentleman de Glascow, d’habitudes dissipées, fut saisi du choléra, mais guérit. La guérison ne fut accompagnée de rien de particulier, excepté la présence de fantômes de trois pieds de haut environ, proprement habillés de jaquettes couleur pois vert et des culottes de la même couleur. Cette personne, étant un esprit supérieur et connaissant la cour des illusions, n’ont pris aucune inquiétude, quoiqu’elle en fut souvent hantée. À mesure que ses forces revenaient, les fantômes apparaissaient moins fréquemment et diminuaient de grandeur, jusqu’à ce que, à la fin, ils ne furent pas plus grands que son doigt. Une [p. 283] nuit qu’il était ainsi seul, une multitude de ces lilliputiens parurent sur la table et l’honorèrent d’une danse. Mais, comme il était occupé ailleurs et points d’humeur à jouir d’un tel amusement, il perdit patience, et, frappant rudement la table, il s’écria avec une violente colère : « allez à vos affaires, impudents petit coquin ! que diable faites-vous ici ? » Toute l’assemblée disparue à l’instant et il n’en fut jamais incommodé »
Leuret (4) rapporte également un cas d’hallucinations lilliputiennes tiré d’un vieux livre ecclésiastique : « une nuit le démon vint frapper à la porte de la cellule du bienheureux Macaire et lui dit : « Lève-toi, abbé Macaire, et allons à la collecte ou les frères sont réunis pour les vigiles…, viens et tu verras nos œuvres. » L’abbé se rendit à la collecte ou ses frères célébraient les vigiles, et il pria Dieu de lui montrer si le diable avait dit vrai. Aussitôt, il vit dans toute l’église une foule de petits Ethiopiens couvrirent çà et là, s’agiter comme s’ils avaient des ailes et jouer tout autour des moines qui étaient assis. Celui-ci, endormait un moine en lui comprimant les yeux avec deux doigts ; celui-là mettait un doigt dans la bouche d’un autre moine et le faisait bâiller ; il y en avait qui se changeaient en femmes ; il se plaçaient, pour jouer, sur le dos et sur le cou des mois. Saint-Macaire se mit alors à genoux, et il dit en pleurant : « Levez-vous, Seigneur, que vos ennemis soient dispersés, qu’ils fuient devant votre face, car notre âme est remplie d’illusions (5). »
Le livre classique de Brierre de Boismont, si remarquable en documents, contient trois observations que l’on peut ranger parmi les hallucinations lilliputiennes. Deux d’entre elles se rapportent même à une forme consciente de ses troubles. « Ben-Johnson disait à Drummond qu’il avait passé toute la nuit à regarder son gros orteil autour duquel on voyait des Tartares, des Turcs, des Romains, des catholiques, monter et se battre. Mais il ajoute qu’il savait que ces images étaient le produit d’une imagination échauffée (6). » [p. 284]
La seconde observation est celle qui a été publiée par Bostock. « Accablé, dit ce physiologistes anglais par une fièvre qui m’avait jeté dans un grand état de faiblesse, je souffrais aussi d’une violente céphalalgie limitée à la tempe droite. Après une nuit sans sommeil, j’aperçus devant moi des figures que je reconnus pour être semblables à celles décrites par Nicolaï. Comme j’étais sans délire, je peux faire une observation sur elles… Durant le cours de la maladie, j’eus une hallucination d’une nature particulière et fort amusante ; j’aperçus une foule de petites figures humaines qui s’éloignaient par degrés commune suite de médaillons. Elles étaient toutes de la même grandeur et paraissait à la même distance. Lorsqu’une de ces figures avait été visible pendant quelques minutes, elle s’affaiblissait peu à peu été remplacée par une autre beaucoup plus distincte (7) ».
Le troisième cas de Brierre de Boismont concerne la démence sénile. « Nous avons connu une vieille dame de quatre-vingt-deux ans qui, de temps en temps, était sujette à une fausse sensation fort singulière. Cette dame, dont la chambre était bornée par un grand mur blanc, nous racontait qu’il était agréablement impressionnée par le spectacle de plusieurs milliers d’individus qui descendaient le long de ce mur pour aller à une fête. Ses personnages portaient des habits de fête ; la compagnie se composait d’hommes, de femmes et d’enfants. Si en notre présence, elle poussait des cris de joie de la surprise qui lui causait leur multitude, la variété de leurs costumes et la précipitation avec laquelle il descendaient du troisième étage en bas. Peu à peu le nombre des promeneurs diminuaient ; elle l’apercevait plus que quelques groupes isolés et tout rentrait dans l’ordre. Nous avons depuis observé deux faits semblables chez des femmes très âgées (8). »
Ces huit observations d’hallucinations lilliputiennes sont caractéristiques. Il me semble que cette variété hallucinatoire de la micropsie mérite d’être plus connue [p. p. 285] qu’elle ne l’est en psychiatrie. Ces troubles psycho-sensoriels ont partout les mêmes caractères que je peux résumer ainsi d’après les exemples précédents :
Hallucinations visuelles petites portant généralement sur des personnages animés.
Hallucinations multiples, mobiles, fugaces, souvent colorées.
Hallucinations ayant un caractère agréable.
Ces hallucinations, avec la petitesse en plus, ressemblent aux hallucinations cinématographiques de Régis. Leur caractère animé et changeant on montre l’origine toxique. Les conditions dans lesquelles se sont présentées fournissent une nouvelle preuve à cette conception étiologique. C’est à la suite d’un état fébrile que le gentleman de Taine vit ses petits Lilliputiens danser sur sa table et que le physiologiste Bostock aperçut de ces petites figures. C’est à la suite d’un rictus que mon paralytique général eut le délire hallucinatoire sur lequel j’ai insisté, délire où les hallucinations lilliputiennes se mêlaient à d’autres troubles-psycho sensoriels nettement toxiques. Les malades de Brierre de Boismont étaient des vieilles femmes sénile, par conséquent des artério-scléreuse et il n’est pas déraisonnable d’admettre que le moindre de Leuret se livrait peut-être à des jeûnes prolongés.
Je tiens à insister sur le caractère toxique de ses hallucinations, car ce fait viendrait confirmer la même origine toxique de la micropsie, opinion admise généralement aujourd’hui. La pathogénie de ce trouble visuel a suscité bien des théories qu’Otto Veraguth (de Zurich) a résumées et discutées dans une revue générale en 1903. Pour lui, il incrimine un fonctionnement défectueux de l’appareil moteur de l’œil et spécialement du mécanisme de convergence et d’accommodation. Comme ce sont l’accommodation et la convergence qui nous documentent sur l’éloignement et la grandeur des objets, les troubles de ce mécanisme produiraient la micropsie (9). [p. 286]
Plus récemment Heilbronner (10), en accord avec les recherches d’Hitzig sur les vertiges, et se basant sur la présence de la micropsie dans l’épilepsie, attribue cette anomalie visuelle, non pas un trouble de la musculature de l’œil, mais un trouble cortical dans les territoires ayant un rôle dans la perception des états de musculature du corps, y compris la musculature des yeux. La communication que je viens de faire sur les hallucinations lilliputiennes semble venir à l’appui de la thèse de Heilbronner. La micropsie serait dû à une action toxique affectant l’écorce cérébrale.
DISCUSSION
M. de Clérambault. — Les hallucinations visuelles décrites par M. Leroy sont intéressantes par leurs dimensions absolues et par l’échelle des proportions ; il est rare que le champ hallucinatoire mesure seulement de 40 cm à 1 mètre, il est rare aussi que les objets se présentent comme rapetissés.
Je puis citer cependant plusieurs cas d’hallucinations de ce genre.
Sauvet, Qui a écrit une des premières autos observation d’ivresse éthérique (Ann. Méd.-psych., (1847) a vu se mouvoir sur le couvercle d’un piano une danseuse lilliputienne, hallucination unique, et qui persista sans déformation pendant toute une moitié de l’ivresse. Le sujet dansait avant de la vor, et continuait de danser en la regardant : il se sentait irrité par elle. L’ivresse avait débuté par un état maniaque et de multiples illusions de la vue (objets déformés et grimaçants). La durée totale de l’ivresse fut de vingt minutes.
Un alcoolique, interrogé en crise subaiguë, m’a dit avoir vu plusieurs fois chez lui, au cours des nuits précédentes, de petits pantins hauts comme la lampe, et qui se mouvaient tout autour d’elle dès que l’abat-jour était baissé. Pour les faire disparaître il levait l’abat-jour. Un autre alcoolique m’a parlé d’une vision toute semblable. Un troisième m’a parlé de lutins très agiles, [p.587] mais ayant la consistance du carton, qui, la nuit, ce mouvaient sur ses draps et dans ses draps, essayant d’introduire des objets en carton dans les parties sexuelles de sa femme. De tels faits sont rares dans l’alcoolisme.
Le cocaïnisme n’a présenté, j’ai deux malades, des hallucinations lilliputiennes très abondantes, presque continues. Des images hautes de 20 à 40 cm se succédaient sans relâche ; si quelques-unes représentaient des insectes, de menues plantes grandeur nature, beaucoup représentaient de gros animaux, ou les personnages en miniature ; ainsi de petits bonshommes cabalistiques qui jouaient aux grâces, avec de petites vulves en or (sic). Ces images se suivaient mais sans lien et disparaissaient rapidement. Des malades les qualifiait « des images libres » ; il ne les disait aussi tracées « par des peintres décorateurs, qui disparaissait avec la plus extrême facilité ». En effet pour les deux malades, ces images adhéraient au mur, elles étaient plates ; la tendance aux rayures, aux stries et aux lacis était frappante ; elles se présentaient à hauteur du regard, beaucoup plus rarement sur le sol ; les malades les regardaient avec une quiétude bien chloralique, et se plaisaient même à les décrire. D’autres images, plus proches du type alcoolique, avaient des dimensions plus vastes, se projetaient plus en profondeur, se montraient souvent aériennes, et toujours le contenu était tant soit peu émouvant.
Nous avons rencontré des hallucinations visuelles à forme d’inscriptions, donc allongées, mais peu élevées, et lumineuses, chez un persécuté devenu aveugle. Nous avons rencontré chez un ou deux tabétiques non aveugles et aucunement alcoolique, des hallucinations visuelles de taille restreinte, et aussi, croyons-nous, chez une tabétique aveugle, des inscriptions.
Un malade à double forme, âgé de quarante ans environ, au cours d’un accès mixte qui la fait prendre pendant longtemps pour un paralytique général (affaiblissement moteur, congestive évitée, idées hypocondriaques, troubles de l’élocution, gâtisme), a vu non plus des images hallucinatoires lilliputiennes, mais lui-même et [p. 288] toute son ambiance réduite à de petites dimensions. « Je suis rapetissé comme un rat, disait-il avec anxiété ; le plafond est abaissé et il va m’écraser ; nous sommes tous petits comme des rares. » Le même jour, il faisait sur notre personne des remarques hostiles et caustiques du genre maniaque. Cet micropsie généralisé, et non pas hallucinatoire, mais perceptive, est un phénomène évidemment très différent des hallucinations lilliputiennes, mais il mérite d’en être rapproché (11).
Durant ces hallucinations lilliputiennes, le délirant perçoit l’ambiance avec ses dimensions réelles. Toutes les images hallucinatoires d’un même moment sont également lilliputiennes ; nous ne voyons pas dans nos exemples d’hallucinations lilliputiennes mélangées à des hallucinations d’une autre échelle. Dans le cas de Sauvet l’hallucination lilliputienne est mêlée à des illusions. Elle est, de plus, unique et durable. Suivant la remarque de Leroy, les hallucinations de petite taille ont coïncidé dans mon cas avec des états d’âmes indifférents, ou avec des émotions relativement faibles.
Les hallucinations toxiques présentent parfois une singularité inverse, l’amplification des objets imaginaires. Le fait a été signalé dans le cocaïnisme (une tortue géante, etc.), dans un cas de chloralisme, peut-être aussi dans le délire des solanées, qui offre, croyons-nous, toutes les échelles. Dans l’alcoolisme, cette particularité nous semblera ; je ne me rappelle pour le moment qu’à ce cas : le malade voyait des escargots géants, et munis de pattes « comme des lapins ».
Leroy. — Les observations que vient de nous citer M. de Clérambault confirme l’origine toxique que j’attribue aux hallucinations lilliputiennes ; s’il en a observé un nombre beaucoup plus grand que moi, c’est évidemment qu’à l’infirmerie du Dépôt il est mieux placé pour observer des malades en état d’intoxication aiguë. [p. 289]
Trénel. — La malade que j’ai observée et dont a parlé M. Leroy était une vésanique, déjà âgée, qui ne paraissait pas intoxiquée. En dehors de ses hallucinations lilliputiennes elle était bien orientée, indifférente et manifester un délire très monotone.
On trouve dans les rêves des phénomènes analogues aux hallucinations lilliputiennes.
Notes
(1) Girma. Les hallucinations dans la paralysie générale. Thèse de Paris. 1880.
(2) Taine, De l’intelligence, T. I, p. 104.
(3) Macnisch, Philosophy of sleep, p. 290.
(4) Fragments philosophique sur la folie, 1834, p. 168.
(5) Codicis regularum, pars secunda : Regula solitario, p. 537.
(6) Brierre de Boismont, Des hallucinations, 1852, p. 58.
(7) Brierre de Boismont, Loco citato, p. 54.
(8) Brierre de Boismont, Loco citato, p. 191.
(9) Veraguth Otto. Ueber Mikropsie i,d Makropsie, Deutsche Zeitschrieft. F. Nervenheilk, 1903, Bd. 24, p. 453.
(10) Heilbronner Karl. Ueber Mikropsie und verwondte Zuslände. Deutsche Zeitschr. f. Nervenheilk, 1904, Bd. 27, p. 414.
(11) Depuis la séance de juillet, nous avons rencontré, à l’Infirmerie générale, apparaît l’éthique générale hallucinée non alcoolique, qui a vu au sommet de ses rideaux quatre petits hommes occupés à pousser vers lui un fil de fer noir pour l’étrangler ; il les regardait avec crainte très modérée.
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