Michel Cénac. De certains langages créés par les aliénés. Contribution à l’étude des « glossolalies ». Thèse de médecine. Paris, Jouve & Cie, 1925. 1 vol. in-8°, 128 p. 

Michel Cénac. De certains langages créés par les aliénés. Contribution à l’étude des « glossolalies ». Thèse de médecine. Paris, Jouve & Cie, 1925. 1 vol. in-8°, 128 p. 
Président : Henri Claude.

 

Michel Cénac (1891-1965). Médecin, psychanalyste, membre de la Société Psychanalytique de Paris. Il fût l’élève de Trénel et Henri Claude. D’abord proche de Jacques Lacan avec qui il collaborera dans quelques articles, il s’y oppose catégoriquement lors de l’élection la la présidence de la SPP en 1953, soutenu par Marie Bonaparte dont il était un proche.
Nous avons retenu quelques publications :
— Logorrhée néologique chez une malade atteinte de délire hallucinatoire chronique à manifestations polymorphes. Transformation de la personnalité. État maniaque. Conservation de l’orientation. Extrait du « Bulletin de la Société clinique de médecine mentale », (Paris), tome onzième, 1923, pp. 68-74. [en ligne sur notre site]
— Conception psychanalytique des névroses. in Journal médical français, vol. 22, n° 4 (1933)
— Ce que tout médecin doit savoir de la psychanalyse (1934).
— L’hystérie en 1935. Article parut dans la revue « L’Evolution psychiatrique », (Paris), fascicule IV, 1935, pp. 25-32. [en ligne sur notre site]
— Mécanismes des inhibitions de la puissance sexuelle chez l’homme. Evolution Psychiatrique, n° 3 (1936)
— La conception psychanalytique de la névrose obsessionnelle. in Schemas, vol. 1, n° 5 (1938)
— Avec Jacques Lacan. Introduction théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie. 1950.
— Introduction théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie. Extrait de la « Revue Française de Psychanalyse », (Paris), tome XV, n°1, janvier-février 1951, pp. 7-29. [en ligne sur notre site]
— Le Témoignage et sa valeur au point de vue. Cahors : Impr. Coueslant , 1951

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons du corriger de nombreuses fautes de composition. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de la  collection personnelle de M. Marc Ways, qui e eu l’obligeance de nous prêter son exemplaire, sous © histoiredelafolie.fr

[p. 11]

INTRODUCTION

Le langage ne sert pas seulement
à l’homme à exprimer quelque chose,
mais aussi à s’exprimer lui-même.
(F. Von der Gabelentz)

Nous avons l’intention d’étudier dans ce travail un trouble très particulier du langage, désigné généralement sous le nom de : « Glossolalie ».

On sait que nombre d’aliénés emploient dans leurs discours des mots nouveaux, créés par eux de toutes pièces et que l’on appelle pour ce fait « néologismes ». Si c’est là un phénomène courant, il n’en est pas de même d’un autre qui pour ressembler quelque peu à celui-ci, s’en différencie cependant de multiples manières. Nous voulons parler de la « glossolalie ». Dans ces cas on voit les sujets user tour à tour soit d’un langage normal plus ou moins troublé (et ceci en rapport avec leur état mental) soit d’un langage totalement incompréhensible qui peut rappeler de plus ou moins loin les différentes langues [p. 12] humaines. Ces cas pour être relativement peu fréquents, ne manquent pas d’être d’un grand intérêt.

Nous nous proposons d’étudier ici :

  1. a) Les circonstances dans lesquelles se produisent ces cas de glossolalie ;
  2. b) Leur valeur diagnostique et nosographique ;
  3. c) Le mécanisme qui rend possible la création de ces langues nouvelles.

Qu’il nous soit permis de remercier ici notre maître le Dr Trénel, qui sut attirer notre attention sur ce sujet, nous faire entrevoir tout l’intérêt qu’il comporte et dans le service duquel nous avons eu l’occasion d’observer et de présenter (1) une des malades dont l’observation figure dans ce travail.

Nous avons eu la bonne fortune de rencontrer trois autres cas du même ordre dans le service de notre maitre M. le Professeur Claude. Nous ne saurions oublier tout ce que nous devons à son enseignement journalier et à ses conseils éclairés durant l’élaboration de ce travail.

Nous sommes heureux de cette occasion qui nous permet d’exprimer, à notre ami le Dr Borel, ancien chef de Clinique de la Faculté de Paris, notre reconnaissance pour ses encouragements et ses conseils quotidiens. [p. 13]

HISTORIQUE

Il y a fort longtemps déjà que l’intention des psychiâtres a été attirée sur les troubles du langage observés chez les aliénés. La description de ces troubles constitue même un chapitre de tous les traités classiques et il n’est pas besoin d’insister sur l’importance de cette question qui frappe les moins prévenus.

Toutefois le point qui nous occupe aujourd’hui a été sinon passé sous silence du moins à peine mentionné par nombre d’auteurs. Le terme même de « glossolalie » n’est pas indiqué dans les précis couramment en usage. Il faut alors recourir aux travaux traitant particulièrement du langage pour en trouver une description.

D’ailleurs, ce sont plus encore des psychologues et des linguistes qui jusqu’ici paraissent s’être intéressés à la question. On comprend sans peine l’intérêt qu’ils ont pu trouver à une telle étude. Aussi quoi que ce ne soit point de ce côté (linguistique et psychologique) que nous ayons voulu tourner nos investigations, nous aurons cependant à faire état de leurs recherches.

Qu’est-ce que la glossolalie ?

Si l’on s’en tient à l’étymologie (glossa : langue, [p. 14] lalein : parler) la glossolalie peut être définie : le « parler en langues ».

Pour comprendre cette définition il nous faut, quittant le terrain de la psychiâtrie, faire une incursion dans l’exégèse. Le Livre des Actes (ch. II, 4-14) raconte que les Apôtres, réunis dans le cénacle, virent paraître comme des langues de feu, qui se partagèrent et s’arrêtèrent sur chacun d’eux. Aussitôt ils furent tous remplis du saint esprit et ils commencèrent à parler en diverses langues. D’après le témoignage du même « Livre des actes », ce miracle s’est reproduit une première fois en faveur du centurion Corneillle et de sa famille (ch. X, 40) et une seconde en faveur des néophytes d’Ephèse (ch, XIX, 6). Voilà ce que les exégètes ont appelé « don des langues ».

Mais on donne aussi le même nom à un fait mystérieux que saint Paul décrit en détail. Parmi les dons du saint esprit, dont il raconte que les premières assemblées chrétiennes étaient gratifiées, il signale en particulier le « don des langues. Or, il arrivait souvent, d’après son témoignage, que celui qui parlait ainsi une langue différente de sa langue natale ne se comprenait pas lui-même et n’était pas compris de ses auditeurs. Aussi saint Paul, déclare-t-il préférer le « don de prophétie » au « don des langues » ainsi manifesté.

Plusieurs exégètes rationnalistes et protestants voient dans ce phénomène une sorte d’extase où le fidèle inspiré ne faisait entendre que des sons confus [p. 15] et inarticulés ou des paroles incohérentes. Ils nomment ce pouvoir étrange la « glossolalie ». Les exégètes catholiques rejettent cette interprétation comme opposée à la tradition et contredite par le texte même de saint Paul.

Cette question de glossolalie religieuse paraît avoir été étudiée d’une façon toute particulière en Suisse, où les auteurs la désignent également sous le nom de « parler en langues ». On peut consulter avec fruit, sur ce sujet, les travaux de Bovet (2), Lombard (3), Mosiman (4), Pfister (5).

Si le terme de glossolalie n’est pas explicitement prononcé dans les ouvrages de psychiâtrie, on trouve cependant des allusions à ce fait. Il semble malgré tout, qu’il faille arriver à l’ouvrage remarquable de Séglas (6) sur les troubles du langage, pour en trouver une première indication sans que pour cela on puisse dire que cet auteur en ait fait une description de détail.

Séglas considère que les troubles du langage parlé peuvent être produits soit par des troubles intellectuels avec intégrité de la fonction du langage (dyslogies ), soit par des troubles de la fonction langage [p. 16] (dysphasies), soit enfin par des troubles de la parole (dyslalies).

C’est évidemment dans la catégorie des dyslogies que les cas de glossolalie vont rentrer.

Mais si, se rapportant aux troubles du contenu du langage, on peut trouver dans Séglas des indications comme celle-ci : « Les délirants persécutés emploient souvent un langage symbolique comme moyen de défense, consistant en incantations, en conjurations », ou au sujet de la catatonie et rappelant les opinions de Kahlbaum (7) il oppose « la verbigération à la « Redesucht » ou loquacité déclamatoire des excités à l’ « Ideenflucht » ou idéorrhée des déments loquaces et enfin à la « »Phanlastich productiver inhalt ou confabulation ». On se voit obligé de conclure que Séglas n’a pas fait de la glossolalie une description synthétique.

D’ailleurs, il étudie surtout le néologisme, mais il ne l’étudie que comme mot séparé, il ne parle pas d’un langage entièrement néologique. Il est bon cependant de citer son opinion sur les néologismes car nous le verrons plus loin, il y a une certaine corrélation entre les différentes classes de néologismes et les différentes classes de glossolalie.

« Quoique le mot néologisme, écrit Séglas, ne s’applique strictement qu’à la création d’un vocable nouveau, nous engloberons aussi sous ce nom afin de ne pas multiplier les divisions, les [p. 17] cas où les mots usuels sont défigurés ou détournés de leur sens habituel (paralogismes), tous ces faits ayant d’ailleurs en médecine mentale une signification analogue. Ces mots nouveaux prennent naissance suivant les mêmes processus que ceux qui s’introduisent dans le langage ordinaire. Au point de vue de leur mode d’apparition, de leur signification psychologique, les néologismes peuvent être divisés en deux grands groupes : les néologismes actifs et les néologismes passifs.

« Les néologismes passifs sont ceux qui résultent de processus automatiques ; les néologismes actifs sont créés volontairement. Dans le premier cas, les éléments : mots, images, idées s’associent d’eux-mêmes ; dans le second la volonté intervient pour créer.

« Les néologismes passifs, résultat du simple automatisme psychologique, trouvent leur explication dans la loi générale d’association par contiguïté ou ressemblance et se forment en définitive par associations d’assonnance ou de représentations.

« Chez les aliénés, les néologismes passifs de même origine automatique se rencontrent très fréquemment dans les états maniaques où de nouveaux mots se forment par assonances, sans avoir pour le malade aucune signification et résultent aussi de la rapidité extrême des associations d’idées, des représentations mentales variées se succédant comme les images d’un kaléidoscope. » [p. 18]

Le mécanisme de création des néologismes actifs est bien connu des psychiâtres et il nous parait inutile d’insister plus longtemps sur ce point. Rappelons cependant que Tanzi (8) divisait les néologismes en sept groupes. Le dernier groupe, ou celui des néologismes asystématiques, mérite seul de retenir notre attention : « Dans ce dernier groupe disait-il « rentrent les néologismes passifs, mais aussi certains néologismes actifs tels que ceux qui constituent le langage d’une de nos malades, persécutée mégalomane, qui prétend savoir toutes les langues et qui lorsqu’on lui parle dans celle qu’elle désigne, ne répond que par une série de syllabes juxtaposées sans aucun sens et absolument incompréhensibles. »

C’est bien là, la glossolalie telle que nous l’avons définie, mais Tanzi s’en tient à cette seule et brève mention, et l’on voit qu’il la fait rentrer dans une classe de néologisme, la confondant ainsi avec ce phénomène, ou la considérant comme un simple développement de celui-ci.

Une étude beaucoup plus poussée au contraire fut celle du Dr Trénel en 1905 (9) dans la Pratique médico-chirurgicale.

Nous en donnons ici les passages principaux :

« On entend, écrit cet auteur, par néologismes en [p. 19] médecine mentale l’emploi par les aliénés de mots, de constructions grammaticales, d’un langage, forgés, soit de toutes pièces soit au moyen de termes détournés de leur sens ordinaire. Les aliénés néologistes sont tous des délirants systématisés ou des déments précoces (ceux-ci appartenant à la forme paranoïde de la démence précoce, dont la place nosologique est loin d’être déterminée).

« D’après la complexité des néologismes on peut distinguer :

« Le néologisme verbal ;

« Le néologisme syntactique ;

« La langue néologique.

« … En dernier lieu le langage devient entièrement néologique tant pour les termes que pour la syntaxe et est ainsi incompréhensible. Dans cette dernière catégorie les mots se suivent d’une façon plus ou moins incohérente comme dans les vers suivants, au début d’une poésie intitulée « Dextérité ».

Cômme, fascine, loin, prospérité future ;
Elêment naturël y berce la mesûre
Allüsif intêrêt, câdence fier nouveaü
Colifîchet exâct aütouse tableaü
Puisque divulguë, rêves, imaginale fiche,
lnnoffensif êmoi, gârde rôle peu chiche,
Et chaque fixe pâs erre magîque dôl
Linament recherché, malgré sincêre rôl !

« C’est la salade de mots avec laquelle la poésie décadente n’est pas sans quelque analogie ; ces vers sont tirés de l’œuvre réellement immense [p. 20] d’un paranoïde. C’est on le voit dans les formes paranoïdes qu’on retrouve les plus beaux types d’écrits néologiques, dont voici un autre exemple.

Votre appel sort caserne de
luxe à la pépinière, récompense courageux
Couronne supérieurs
guerres indépendantes, géologie, voisinages
hommes français ayant traversé les hautes correligions
corsmaires sur coutumances
deplacements scientifiqnes
.

« Le suprême degré de la langue néologique se trouve dans l’exemple suivant où tout est fabriqué de toutes pièces et entièrement néoformé.

Serlesvinii chires Oeurlanisec nâvre reus, Oaises, nair des, peljaig vous queur oriphu.    né Veux raichise desaix Lenène Queusme veasgure, desroi a Veusedas, etc., etc.

« Le langage des diables au moyen âge était sans doute quelque élucubration de ce genre.

« L’emploi des néologismes est un symptôme que l’on considère comme lié à des périodes avancées des psychoses. Cependant dans quelques cas le langage néologique apparait d’une façon assez précoce et nous serions tentés de donner une place à part à toute une catégorie de cas où la transformation néologique du langage vient dès l’abord au premier plan et présente une surprenante richesse ; ces cas sont actuellement étiquetés comme démence paranoïde et en sont même considérés comme le type le plus pur (10). Nous [p. 21] hésiterons à formuler un diagnostic entre les manifestations néologiques des délires systématisés et de la démence précoce la tendance présente étant de confondre ces deux ordres de fait.

« Néanmoins, jusqu’à nouvel ordre, on peut rattacher aux premières les cas où les néologismes sont simples, répondant à la systématisation des idées délirantes, à la seconde, ceux où les néologismes sont complexes, asystématiques. »

Comme on le voit, la glossolalie est ici nettement définie et sa valeur nosographique soulignée. L’auteur la rattache aux néologismes et au phénomène bien connu de la « salade de mots ». C’est dans la forme paranoïde de la démence précoce qu’on la rencontrerait le plus fréquemment.

Toutefois le Dr Trénel n’insiste pas sur le mécanisme qui préside à son apparition et d’autre part ne donne que de courts exemples très caractéristiques et très remarquablement choisis d’ailleurs, mais n’apporte pas d’observation entière où ce trouble soit étudié spécialement.

Le premier cas où le phénomène « glossolalie » ait t été véritablement et longuement décrit parait être celui de Mlle Smith rapporté par Flournoy (11).

L’éminent psychiâtre genevois, après une observation de plusieurs années, réunit ses études sur son sujet dans un livre Des Indes à la planète[p. 22] Marsparu en 1900. Il s’agissait d’un médium, fort connu, qui s’était forgé une langue nouvelle « la langue martienne ». Nous donnerons au chapitre « observations » l’analyse du livre de Flournoy qui constitue comme nous aurons l’occasion de le montrer une remarquable étude de ce cas singulier.

Disons seulement qu’à propos de la création de cette langue, cet auteur écrit : « Des divers phénomènes automatiques le « parler en langues » est  un de ceux qui de tout temps ont le plus piqué la curiosité, mais sur lesquels on a le moins de documents précis par suite de la difficulté de recueillir exactement, au moment où ils jaillissent des flots de paroles confuses ou inintelligibles.

Il ajoute :

« Il y a bien des genres de glossolalie. Le parler extatique, simplement incohérent et entrecoupé d’exclamations émotionnelles qui se produit parfois dans certains milieux religieux surchauffés, est autre chose que la création des néologismes qu’on rencontre dans le rêve, le somnambulisme, l’aliénation mentale ou encore chez les enfants. De même cette fabrication de mots arbitraires, soulève d’autres problèmes que l’emploi occasionnel d’idiomes étrangers ignorés du sujet (au moins en apparence) mais véritablement existants.

« Dans chacun de ces cas il faut de plus examiner, si, et dans quelle mesure, l’individu attribue un sens déterminé aux sons qu’il émet, s’il comprend (ou a du moins l’impression de comprendre) ses [p. 23] propres paroles ou bien s’il ne s’agit que d’un déclanchement mécanique et sans signification de l’appareil phonateur, ou encore si ce jargon inintelligible pour la personnalité ordinaire, exprime les idées de quelque personnalité seconde. Toutes ces formes varient d’ailleurs, en nuances et en degrés, sans parler des cas mixtes, peut-être les plus fréquents, où elles se mêlent et se combinent. C’est ainsi qu’on voit chez le même individu et parfois au cours du même accès, une série de néologismes, compris ou incompris, faire place à un simple verbiage, incohérent en langue vulgaire, ou vice versa, etc.

« Une bonne description et une classification raisonnée de toutes ces catégories et variétés de la glossolalie serait du plus grand intérêt. »

A part cette observation de Flournoy on ne trouve guère de faits analogues signalés dans la littérature médicale.

Il convient cependant de noter trois observations, l’une de Næcke publiée en 1894 et surtout un travail de Mœder en 1910, ainsi qu’une observation de Tuczek parue en 1921.

  1. Mœder (12) a publié en 1910 l’observation d’un dément paranoïde, qui « vit dans un véritable mythe dont il est le géant et le héros. » (Observation résumée dans le chapitre suivant.) Pour l’exprimer, ce [p. 24] malade s’est forgé une langue : « Die Excellenz sprache » ou encore « Salisjeur ». Il a créé sa langue pour son usage personnel sans chercher à la propager. C’est avec lui-même qu’il s’entretient avec le monde que sa fantaisie lui a créé. Elle n’a pas le caractère démonstratif de la plupart des glossolalies.
  2. Tuckzek (13) a analysé d’une façon très complète la langue nouvelle imaginée par une démente précoce paranoïde.

Nous donnons au chapitre « observations » un résumé de cette analyse que nous devons à l’obligeance du Dr Minkowski, qui, s’intéressant à ce travail, a bien voulu nous la communiquer.

Ce sont là, croyons-nous, les seuls cas où la glossolalie a été étudiée d’une façon spéciale et où des observations entières en ont été rapportées.

Il est vrai que les cas de glossolalies sont loin d’être fréquemment rencontrés en clinique ; et on peut aller jusqu’à dire qu’ils constituent une rareté ; souvent, d’ailleurs, la glossolalie est entourée d’autres symptômes qui la font passer au second plan ; ou bien encore les malades mélangeant plus ou moins intimement leur langage néologique et le langage courant ils paraissent simplement incohérents si bien que leur glossolalie passe ainsi inaperçue. C’est à cela sans doute qu’est due la rareté des observations à ce sujet. [p. 25] Bleuler (14) signale cependant, dans le chapitre des troubles du langage chez les déments précoces, que certains de ces malades créent des mots nouveaux, qu’ils emploient uniquement, de sorte que nous avons devant nous une sorte de « langage artificiel », ainsi que le désignait une de ses malades. Les mots nouveaux rappellent plus ou moins ceux qui sont employés dans le langage courant, ou bien sont créés de toutes pièces. Ils sont ainsi fabriqués par ces malades avec la prétention manifeste d’imiter une langue quelconque. Dans ce dernier cas les malades disent bien souvent eux-mêmes qu’ils parlent le français, le chinois, etc., etc. Il est quelquefois possible de démontrer que les mêmes mots sont employés pour exprimer les mêmes idées, mais dans la majorité des cas, une pareille langue artificielle n’est que la production d’un instant, elle est remplacée par une autre langue dans le moment suivant.

Il est difficile d’établir jusqu’à quel point les malades prennent leur langue au sérieux, bien souvent on a l’impression qu’il ne s’agit pour eux que d’un jeu ou d’une mystification. Dans quelques cas cependant les malades ont la conviction qu’ils s’expriment d’une façon correcte, soit qu’ils s’imaginent parler leur langue maternelle ou une langue étrangère quelconque, soit qu’ils soient conscients de leur création.

On pourrait, certes, trouver de nombreuses [p. 26] allusions de même ordre dans nombre de travaux contemporains.

Mais la glossolalie n’est envisagée que d’une façon trop épisodique pour qu’il y ait intérêt à la signaler.

Il nous faut cependant signaler la communication, publiée à la Société médico-psychologique par Quercy (15), concernant une malade présentant des néologismes « passifs » dont elle entrecoupait son langage habituel, se livrant d’autre part, quand elle était seule « à un discours passionné », plein de lamentations et d’élans, entrecoupé de soupirs et de gémissements mais où il était impossible de distinguer autre chose au point de vue verbal qu’une interminable énumération de syllabes dont voici un échantillon approximatif :

« farizitocéricia, tandizitorfé ! forsiaozé ;
dorsiissitirtousoréta —Sirropé, cériporéalessio,
« issioudenrialessi, etc., etc. »

Nous aurons d’ailleurs à revenir plus loin sur cette observation.

Il convient enfin de citer les quelques pages consacrées à ce sujet dans son beau livre sur Le langage et la Pensée par H. Delacroix (16). Sans doute, c’est au point de vue psychologique et linguistique que la glossolalie y est étudiée. Toutefois le haut [p. 27] intérêt des observations du professeur de la Sorbonne mérite que nous en donnions ici un rapide aperçu.

Rapprochant la glossolalie observée chez les aliénés des glossolalies plus communément connues des mystiques et des langages inventés parfois par certains enfants, Delacroix y voit une « émancipation du langage, confuse expression de sentiments indicibles et étranges, contrefaçon linguistique où il entre une part de fabrication intentionnelle. »

Il note également que ces langues se rencontrant généralement chez les déments précoces portent l’empreinte de l’affection : autisme et repliement sur soi-même. Enfin que leur vocabulaire vit d’emprunts à la langue commune ou à des langues étrangères avec des déformations, et que la syntaxe est réduite, la phrase tendant à la mosaïque de mots.

Arrivés au terme de cet exposé historique, on voit combien a été brève la liste des travaux que nous avons eu à signaler. Il est possible que quelque lacune s’y soit glissée. Il n’en reste pas moins que la glossolalie n’a été jusqu’ici que fragmentairement étudiée et qu’aucune étude synthétique n’en a été donnée.

Reprenant les diverses observations publiées d’une part, apportant quatre faits nouveaux d’autre part, nous voudrions essayer maintenant de donner une définition plus complète de ce phénomène —rare sans doute —mais non pas exceptionnel. Nous voudrions aussi en montrer les conditions d’apparition et les diverses modalités symptomatiques. [p. 28]

OBSERVATIONS

La glossolalie, telle que nous l’avons définie dans le chapitre précédent se rencontre rarement, surtout à l’état pur, c’est-à-dire constituant un symptôme frappant et facilement contrôlable. Malgré nos recherches dans les divers services, nous n’avons pu recueillir qu’un petit nombre d’observations.

Parmi ces observations nous nous sommes attachés à ne donner que des cas bien tranchés, dans lesquels la glossolalie est apparue au cours de maladies différentes. Nous voudrions ainsi marquer les différences entre chacun des cas.

Nous avons cru bon de reproduire ici les observations de Mœder, de Flournoy et de Tuczek pour pouvoir tour à tour les comparer et les opposer à nos observations personnelles, espérant, d’une part, réussir à dégager les différentes conditions dans lesquelles apparaît la glossolalie, et rechercher d’autre part le mécanisme de production de ce syndrome.

OBSERVATION I

(Vieille délirante. Excitation. Logorrhée néologique)

Mme Ch… D’après les renseignements fournis par sa famille nous ne relevons rien de particulier dans les antécédents personnels de Mme Ch… Elle est âgée de 48 ans. Elle aurait [p. 29] eu une phlébite en 1913 à la suite d’un accouchement, l’enfant est mort à l’âge de trois mois, de broncho-pneumonie. Le père de cette malade s’est pendu ; elle a un frère et une sœur bien portants et ne présentant pas de troubles mentaux.

Mme Ch… a été internée une première fois en 1911. Au cours d’une fugue elle voulait se jeter dans un canal et est allée finalement se réfugier au Commissariat de Police. Après un séjour de quelques mois à l’asile, son mari la reprend. Elle paraît alors guérie (août 1911) et s’occupe de nouveau de son ménage d’une façon à peu près normale. En mars 1918, elle est reprise brusquement d’une crise d’agitation avec hallucinations terrifiantes ; son mari la place de nouveau dans un asile en raison de son excitation et de ses violences.

A son entrée à l’asile elle se déclare fatiguée à la suite d’émotions successives. Depuis 1914 elle sent, dit-elle, une force étrangère qui l’empêche de travailler et d’agir. Elle se calme assez rapidement cependant, ce qui permet de l’occuper dans le service. Pendant plusieurs mois son travail a été assez suivi malgré quelques accès d’agitation et de dépression de courte durée.

Mais bientôt les périodes d’agitation augmentent d’intensité et de fréquence. Au cours de ces accès, il lui arrive de taper sur les murs avec ses chaussures pour empêcher, dit-elle, que l’on fasse du mal à ses enfants qu’elle entend crier à l’étage au-dessous. Ses actes deviennent nettement délirants, elle écrit sans fin sur des cahiers, distribue des millions aux personnes de son entourage. De jour en jour son agitation augmente, elle cesse complètement de travailler. On est obligé la surveiller de très près, car, à plusieurs reprises, elle a essayé d’avaler de la cire et de la potasse. Elle refuse [p. 30 de mettre ses chaussures car elles l’empoisonnent, elles sont imbibées de cuivre et cela la fait cracher. Elle reste, par la suite, environ six mois, alitée, en proie à une agitation continue.

Nous voyons, pour la première fois Mme Ch… en mai 1922. C’est une femme de petite taille qui nous frappe immédiatement par l’étrangeté de sa conduite, de ses attitudes et par certaines bizarreries de son costume. Sa tenue est plus désordonnée que négligée ; elle porte généralement un ruban de couleur autour du front, qu’elle désigne alternativement sous le nom d’aristème de la Républiqueou de sacristié du Saint-Sacrement. Des chiffons multicolores sont posés çà et là, sur son costume. Elle porte toujours du coton dans les oreilles. Quand on parvient à fixer son attention, elle répond correctement et d’une façon pertinente aux questions qu’on lui pose ; elle est plutôt ironique, accompagnant souvent ses réponses d’éclats de rire. Elle frappe parfois le sol du pied, puis se met brusquement à danser.

Elle parait avoir des hallucinations auditives. Ce sont des hommes qui lui parlent de loin ; ils lui disent : « Vieille g… tu manges le pain de tes enfants. » Elle prétend reconnaître également la voix de ses enfants qui l’appellent d’en-bas.

Elle accuse des troubles de la sensibilité générale et désigne ces troubles divers en leur donnant une dénomination néologique. « On la rend sourde ». « On lui retire le tampon de l’entente », le « Clavoissy de l’entente complète et de la vue entière ». « On met des guides de tous les côtés. » Elle a un nez de chien, son corps est dépiauté pur par pur pour faire des hommes et des femmes. » [p. 31]

Les idées délirantes chez cette malade sont variables, inconsistantes, polymorphes. Ce sont principalement des idées de persécution et de grandeur qu’elle exprime en ces termes :

« J’ai eu trois maris, j’ai des trillions de billions d’enfants, entre autres une portée de 400. L’aîné s’appelle « Hurteran ». Je n’ai pas de filles, c’est tous des garçons, on me les a mis en jupon mais c’est tous des « gâs ». Il sont en bas, dans les bas-fonds, où on leur fait supporter des vices monstrueux. Ils ont le toupet de prendre mes enfants, de les cuire en pain et de me les donner à manger. J’ai été un mâle de « Skoben », mâle de grand phénomène, mâle de grande durée. Je suis le commencement du monde et j’ai vécu des siècles. »

Mme Ch… exprime les idées délirantes que nous venons d’énoncer dans un langage bizarre. Elle crée comme les persécutés en général des mots nouveaux. Mais si elle converse à peu près normalement quand on parvient à fixer son attention (ce qui est parfois difficile en raison de son agitation), livrée à elle-même ou à ses hallucinations (?) elle emploie un langage totalement incohérent, entièrement néologique, constitué par une série de radicaux ou de syllabes dénués de tout sens connu et qui ne paraissent avoir qu’une valeur de phonèmes », c’est-à-dire de sons n’ayant aucun sens et réduits à leur simple valeur phonétique, reliés entre eux par des lois d’associations inférieures, telles que l’assonance ou l’allitération,

Voici des exemples de ses discours :

«  Je suis le devoir du tri. Mystère, tri mystère du Finistère, des Trelendious et des trédious, des trébendious. Le gim de l’air de l’erme, le giderme, le citerne, le cimeterme, de l’arterme, le gim de l’air de l’airme, le citerme, le cin de terme de la terme[p. 32] en terme, le gim de l’air en trême . M. Stroben a une congéstion interne, congestion étranglée, congestion jaune, et toi tu les as en jaune et gim. Et tous en jaune et enterme. De la terme de la tiendam, ça fait 24 ans que je le connais en terme, le gim, de l’air de la dantam, le cim de strum de l’ombre de mon corps. Les petits comme les grands, il n’y en a pas un qui coupe. Et laissez-moi remuer le remue-ménage de leur dom de trebendom le ribom de libom todam. Le jemar du debendom. Et je suis raclée, raclée raclée. Sorti de mon corps c’est fini. »

On voit par cet exemple que Mme Ch…, est sujette à de véritables stéréotypies de langage, elle semble prise par l’automatisme articulatoire d’une syllabe ou d’un groupe de syllabes, qu’elle répète à l’infini jusqu’au moment où on parvient à l’arrêter par une question précise.

Elle reconnaît elle-même l’étrangeté de ses discours et qualifie son langage de « langue des assassins, des apaches ». C’est le « stromben » ou encore la « sauce des diable ». « Je ne peux plus dire trois paroles comme je disais auparavant. Je n’ai pas de voix, je n’ai que mon genre, je parle avec l’antan de mes pieds. Je dis une parole, je reste là pour dire l’autre elle est avalée avec la précédente. »

Malgré la richesse de ses troubles hallucinatoires auditifs, olfactifs, coenesthésiques et surtout psychomoteurs, en dépit de ses idées délirantes, de son langage riche en néologismes ou parfois totalement incohérent, nous trouvons chez cette malade une orientation et une lucidité parfaite. Elle nous dit en effet qu’elle est née le 26 novembre 1873 à P. rue de Montreuil. Elle habitait rue des Septs-Arpents près de la barrière. Elle fixe très exactement la date et la durée de ses internements, elle donne la date exacte du commencement et de la fin de la guerre, etc., etc. Sa mémoire paraît donc [p. 33] intacte. Elle sait qu’elle est à l’asile de Villejuif, connait les infirmières, les malades par leur nom. Tous les renseignements fournis par la malade sont exacts, mais obtenus d’elle seulement en fixant fortement son attention. Il n’est pas rare en effet que la question posée reste sans réponse, non qu’elle n’ait pas été comprise par la malade mais plutôt parce que non perçue. Il suffit alors de répéter avec fermeté la question pour obtenir une réponse adaptée et des plus satisfaisantes. Mme Ch… est capable de résoudre devant nous des opérations simples de calcul mental et fournit tous les détails demandés sur la profession qu’elle exerçait avant de venir à l’asile.

En résumé, Mme Ch. présente un délire hallucinatoire avec hallucinations de l’ouïe, de l’odorat, hallucinations psycho-motrices, troubles de la sensibilité générale. Idées délirantes de persécution et de grandeur. Troubles de la personnalité. C’est là un type qu’il n’est pas rare de rencontrer dans les asiles, et qu’il serait sans intérêt de rapporter ici si ce n’était le trouble curieux du langage présenté par elle. S’agit-il là d’une langue nouvelle, d’une glossolalie au sens propre du mot ? Nous aurons à le discuter tout à l’heure.

OBSERVATION II

(Déséquilibrée. Excitation psychique. Pseudo-hallucinations.
Langage automatique)

Mme C., 45 ans. Le début des troubles mentaux est difficile à déterminer, d’une façon précise, chez cette malade en raison de son déséquilibre constitutionnel. D’après les [p. 34] renseignements fournis par la famille, de tout temps Mme C. a présenté un caractère bizarre. Elle était considérée comme une originale, elle avait des sautes d’humeur brusques et faisait montre d’une exaltation un peu morbide. Toutefois rien dans sa conduite n’avait paru trop anormal jusqu’en 1918. A cette époque elle fut internée une première fois à l’asile de Provins. Il s’agissait alors d’un accès d’excitation psychique avec vagues idées de persécution à base d’interprétations et d’illusions sensorielles. Elle sort par évasion en avril 1918. Revenue chez elle, non guérie, mais sans doute améliorée, elle reprit sa vie habituelle, mais en mars 1919 une recrudescence des troubles survint, qui amena son internement d’office. Elle fit alors l’objet du certificat suivant du Professeur Dupré : « Déséquilibre psychique. État actuel d’excitation maniaque, avec loquacité, fuite des idées, déclamations. Caractère mystique des conceptions morbides. Représentations mentales, visuelles, auditives, olfactives, vives, polymorphes. Réactions extravagantes : lettres au Maréchal Foch, au Président Poincaré, etc. Prières, génuflexions, chants, attitudes extatiques, inspirations, attitudes prophétiques. Prédiction de l’avenir. Elle a annoncé l’armistice qu’elle appelle la trève de Dieu ». Fréquentation des églises. Arrêtée Avenue du Bois de Boulogne, marchant à la tête d’une musique américaine, gesticulant et provoquant un scandale par l’extravagance de ses attitudes et de ses propos. »

L’accès de manie paraît avoir duré quelques mois chez cette malade car elle est encore excitée lors de son transfert à l’ Asile d’Auxerre en juin 1919. Elle s’évade de cet asile en octobre 1923. Un mois plus tard elle passe à l’Infirmerie [p. 35] du Dépôt où le Dr Heuyer fait à son sujet le certificat suivant dont voici les points principaux :

« ….. Idées délirantes polymorphes de persécution, d’influence, de mysticisme et de grandeur… , Glossolalie. Invention d’une langue spéciale pour converser avec certaines voix venant de l’étranger. Elle ne comprend pas cette langueet sent monter les mots malgré elle… Don de prophétie, va dire la vérité au peuple … , etc. »

Mme C. entre le 15 novembre 1923 au service de la Clinique où le Dr Borel rédige à son tour le certificat suivant : « Excitation psychique à type hypomaniaque. Volubilité. Expansion. Euphorie. Longues explications diffuses. Attitudes théâtrales. Difficulté de l’attention soutenue. Association superficielle. Ironie, variabilité de l’humeur. Apparence d’hallucinations auditives et psychiques. Demandes et réponses au commandement, et par jeu. Hyperendophasie complaisamment développée. Représentations mentales vives. Idées délirantes, polymorphes, mobiles, inconsistantes, Prédominance d’idées mystiques et de grandeur. Mydriase. Déformation et rigidité pupillaire. Réflexes rotuliens et achilléens paraissant abolis. Bordet-Wassemann négatif. »

A son entrée dans le service cette malade frappe tout d’abord par son excitation psychique continue et par l’incohérence intermittente de ses propos ; elle profère en effet par instants des mots bizarres, des syllabes incompréhensibles. Ces vocables sont variables, c’est-à-dire que selon les moments où ils ne se reproduisent pas identiquement. Mais ils gardent un air de ressemblance. Ils sont de deux ordres, tantôt ce sont des syllabes au son rude fortement scandées [p. 36] et se succédant d’une manière ininterrompue (à moins que l’on ne prie la malade de s’arrêter.)

En voici une suite que nous avons notée :

« Mis —Ter —Ort —Mart —es
Tour —Las —Or —Mir —Jance —Amiaber. »

Quand on la prie de recommencer, elle reprend le même langage, et l’on s’aperçoit alors rapidement que si, chaque fois il s’agit d’une suite de vocables différents, le nombre de vocables usités est malgré tout restreint, très restreint. Ce n’est en somme que l’ordre qui est modifié, sans qu’il soit possible, d’ailleurs, de trouver une loi quelconque à cet ordre.

Une autre remarque qu’il est facile de faire également, c’est le rythme qui accompagne l’émission de ces vocables. La malade scande fortement son discours et souvent se produisent des gestes également rythmés sur le débit.

A côté de ces sons gutturaux, à d’autres moments, presque toujours lorsqu’on en priait la malade, celle-ci, se disant alors inspirée de Dieu, parlait latin, ou plus exactement un pseudo-latin. De la même manière que précédemment, pendant un temps indéfini, elle proférait une suite de syllabes généralement en us ou en umau milieu desquelles on pouvait parfois reconnaitre un mot latin véritable mais familier : Dominumpar exemple. Le tout n’en formait néanmoins qu’un discours totalement incompréhensible. Comme le précédent, il était proféré avec un rythme mais un rythme un peu différent.

L’attitude d’ailleurs n’était plus la même ; levant les yeux au ciel et étendant les bras en croix, comme il sied à une inspirée, Mme C… paraissait d’abord écouler ; puis faisant [p. 37] quelques gestes larges de ses bras étendus, elle commençait sa déclamation. Son intonation se faisait volontiers majestueuse et tendait à imiter celle d’un officiant dans une église.

L’arrêt de ce second mode de glossolalie s’effectuait aussi facilement que le premier : soit qu’on la laissât seule dans la salle d’examen (dès le dernier auditeur parti, la communication céleste cessait), soit qu’on la priât de s’arrêter, ce qu’elle faisait incontinent.

D’autre part, il était facile de voir qu’elle jetait quelques regards furtifs sur l’assistance et que ses paroles étaient dites avec d’autant plus de conviction et d’éclat qu’il y avait autour d’elle un plus nombreux public.

Interrogée alors sur ce parler mystérieux, elle ne cachait pas qu’elle n’en comprenait pas le sens, et ne semblait même n’attacher aucune importance à ce fait. Cela lui venait d’en haut, de Dieu lui-même, déclarait-elle. D’autres fois, elle disait que c’était de son cœur que partaient les voix. D’ailleurs ces voix étaient toujours prêtes à se manifester. Et de même qu’au téléphone, il n’y avait qu’à demander la communication. Souvent la malade commençait par dire : « Allô ! Allô ! qui me parle ! » (naturellement toujours après qu’on l’ait priée de s’exprimer dans son langage).

A ces moments elle prétendait être capable de « voir les personnes qui lui parlaient mais les descriptions données ne pouvaient en imposer pour une hallucination. Il s’agissait vraisemblablement d’une simple allégation nettement mensongère et destinée, comme nous le verrons plus tard, à renforcer l’effet produit.

Nous a vous observé Mme C… pendant près d’un an. Son aspect n’a pour ainsi dire pas varié durant toute cette période. [p. 38] Ce fut toujours la même exaltation psychique : visage animé, attitudes théâtrales, ostentation, sautes brusques d’humeur avec irritabilité et colères par moments. Le plus  généralement, jovialité, ironie, bavardage continu, alternant avec mutisme hautain et attitudes de mépris, gardé peu de temps d’ailleurs.

Quelques idées délirantes de grandeur, de persécution, d’influence, mais idées vagues, mobiles, inconsistantes, variables, et n’ayant jam ais tendu à la moindre systématisation. Enfin un fonds mental intégralement respecté : mémoire, affectivité nullement lésées, simplement : inattention, légère fuite des idées, en somme un état hypomaniaque nettement caractérisé.

Nous avons insisté déjà sur le déséquilibre constitutionnel. Il semble bien qu’ici en effet cette notion domine. Mme C… a toujours fait preuve d’un caractère bizarre, original, disaient ses proches. Elle avait des sautes d’humeur et manifestait en un mot une excitation psychique continue. C’est sur un pareil terrain qu’est survenu l’état que nous avons décrit et qui dure sans changement depuis maintenant sept années.

Faut-il ajouter foi aux hallucinations de la malade ? Nous avons décrit sa mimique qui rappelle bien celle d’une hallucinée auditive. Elle lève la tête, écoute et répond ; en attendant la voix prophétique elle semble se pénétrer de « l’esprit de Dieu », comme la Pythie de Delphes. Mais jamais ces voix divines ou humaines ne surviennent lorsque la malade est seule. D’autre part, leur complaisance est vraiment trop grande. C’est au commandement qu’elles se font entendre. Elles se taisent de la même manière. Elles disent ce qu’on [p. 39] leur demande, répondent à toute question et font généralement des réponses d’une ironie admirablement adaptée. Elles savent trouver les défauts de chacun. Elles plaignent la malade d’être tombée dans les mains de redoutables médecins, etc., etc.

Quant au « parler en langue » mystérieuse, nous en avons déjà dit la pauvreté : d’abord en tant que nombre de sons, ou mieux de phonèmes et d’autre part en tant qu’invention. Il consiste, nous l’avons vu :a) en syllabes gutturales où l’on peut parfois retrouver des consonances allemandes ; b) en mots en uset en um, sorte de charabia à vague ressemblance latine et un peu comparable à celui que certains enfants s’amusent à parler pour contrefaire soit un professeur, soit un officiant.

Ce ne serait pas une raison suffisante pour nier la possibilité de toute hallucination. Mais ici encore tout se produit à la demande, dans l’instant même, et enfin seulement devant une assemblée qui écoute. Dans les salles ou dans la cour de l’asile, il arrivait parfois que Mme C… réunissait quelques malades autour d’elle, leur disant qu’elle allait leur parler de Dieu. Puis elle prenait sa pose habituelle et devant son auditoire proférait des sons incompréhensibles. Il suffisait qu’une infirmière lui dise de se taire pour que Mme C… s’arrêtât, et oubliant la présence de Dieu en elle, elle invectivait parfois grossièrement l’infirmière trouble-fête.

Tout cela ne rappelle guère l’hallucination vraie qui généralement est courte, rapide, et n’obéit pas ainsi à l’interlocuteur. Hallucination psychique ? —Nous ne le croyons pas d’avantage, celle-ci se produisant d’une manière presque continue,  et notre malade n’en manifestant qu’au cours [p. 40] des interrogatoires. Hallucinations psycho-motrices verbales ? —Sans doute on pourrait s’y tromper et les allégations de Mme C. doivent y faire penser : « C’est une voix qui me vient du cœur », dit-elle. « C’est Dieu qui parle par ma bouche. » Mais ces mêmes caractères : nécessité d’un auditoire, début provoqué avec la plus grande facilité, regards jetés autour d’elle pour se rendre compte de l’effet produit, sont suffisants pour permettre d’en rejeter toute possibilité.

Il ne saurait donc y avoir chez Mme C… d’hallucinations.

Nous nous trouvons seulement en présence d’une maniaque chronique, avec peut-être tendance à l’hyperendophasie. Nous aurons à discuter ultérieurement ce point. Contentons¬nous pour l’instant d’avoir mis en évidence ces quelques faits.

La glossolalie de cette malade n’est pas le fait d’un état hallucinatoire et à aucun moment un tel mécanisme n’a pu être invoqué pour en expliquer l’apparition.

OBSERVATION III

(Déséquilibre psychique constitutionnel. Excitation à type
hypomaniaque. Automatisme mental. Glossolalie.)

Mme Gabrielle D… , 52 ans, est entrée à l’asile clinique en mai 1924. Quoique ce fût là son premier internement, depuis longtemps déjà, de tout temps, pourrait-on dire, des troubles mentaux s’étaient manifestés chez elle. Caractère bizarre, sautes d’humeur brusques, colères soudaines alternant avec courtes périodes de dépression, survenant sur un fond d’excitation intellectuelle légère, habituelle, tendances à la mythomanie. De tout temps, comme on le voit, Mme D. a [p. 41] manifesté un déséquilibre psychique incontestable. Malgré cet état mental anormal, aucun incident sérieux n’avait attiré l’attention sur elle. Elle avait même pu se marier et mener une existence à peu près normale, un peu décousue sans doute, mais sans manifestations graves.

Les accidents n’ont commencé chez elle que vers l’âge de 45 ans et paraissent avoir coïncidé avec le début de la ménopause. Dès ce moment on note une accentuation des symptômes que nous avons déjà énoncés, en même temps qu’apparaissent, épisodiquement d’abord, d’une manière plus suivie plus tard, des signes d’automatisme mental.

L’excitation psychique devient bientôt une excitation à type hypomaniaque avec euphorie, ironie, maniérisme d’expression, verbigération, etc., etc.

Les sautes du caractère deviennent plus fréquentes et plus graves et vont parfois jusqu’à des violences (sans gravité d’ailleurs).

Bientôt elle déclare ne pas être libre de ses actes et se sentir poussée à faire telle ou telle chose, à parler ou à écrire. D’ailleurs elle ne s’en préoccupe pas et au contraire est fière d’être l’objet de semblables manifestations. Il semble qu’elle se soit amusée à cultiver ces phénomènes chez elle. Elle en parlait volontiers dès cette époque et c’était un sujet d’orgueil pour elle.

Progressivement l’état s’est constitué. Les phénomènes d’influence, rares au début, sont devenus plus fréquents : la malade l’affirme tout au moins. Des voix « sans son » lui parlaient par intuition en lui faisant des prédictions sur tous les sujets possibles en lui donnant des conseils. Il est difficile de faire préciser à la malade dans quelles conditions [p. 42] se produisaient ses voix, qui, à toute question posée répond par l’affirmative et invente aussitôt une histoire justificative qui varie naturellement d’un jour à l’autre. Cependant la réalité des phénomènes d’automatisme mental ne parait pas douteuse ; il semble seulement que leur importance ait été beaucoup exagérée par la malade elle-même, et que d’autre part elle se soit —peut-être par jeu —amusée à en développer le cours.

Plus tard apparaissent quelques troubles cœnésthésiques et surtout génitaux (il est bon de rappeler la ménopause débutant à cette époque chez la malade).

Parallèlement apparaissent des idées délirantes variables, multiples, à prédominance d’influence, de persécution et de grandeur, mais sans jamais constituer un thème délirant, cohérent. Enfin et surtout des troubles du caractère : instabilité, insociabilité, colères, disputes.

Comme sa situation de fortune était peu brillante (elle est veuve et l’on peut s’imaginer sans peine le désordre de ses affaires avec son état mental) elle finit par être saisie et menacée d’expulsion. Ce fut ce dernier incident qui motiva l’internement. Refusant de partir elle se claustra chez elle et reçut, un revolver à la main, l’huissier chargé d’instrumenter.

Elle fut ainsi amenée à l’Infirmerie spéciale le 1er mars 1924 où M. de Clérambault rédige à son sujet le certificat suivant :

« Délire à base d’automatismes multiples. Idées surajoutées d’influence, de persécution et de grandeur. Ébauche de dogmatisme. Innéités paranoïaques. Début il y a moins de dix ans par intuitions, voix muettes, impulsions graphiques, prédictions et conseils  écrit inconsciemment [p. 43] en français d’abord, puis en signes mystérieux.

« Émancipation syllabique : non sens. Constitution d’une langue entièrement neuve qu’elle parle aujourd’hui couramment. Énonciation des actes, réplique à ses pensées. Actuellement tous gestes commentés, photographie de son intérieur, gêne continue dans sa vie intime. T.S.F.et Branlypope (sic). Ondes à influence génitale. Lévitation. Mouvements passifs et inhibitions. Début net et récent des voix proprement dites, voix flatteuses et voix insultantes, avec latéralisation différente. Gilles d’origine extra-terrestre. Croix tracée sur sa cuisse droite. On la fait maigrir, on entre chez elle pour la voler et déposer des immondices. Elle est Otéro, Jupiter, etc., elle réunit tous les registres de la voix, danse merveilleusement sans avoir  jamais appris, etc. Conceptions imaginatives : vie antérieure enfance royale sous les tropiques, elle avait alors les cheveux bleus (sic). Spéculations ontologiques et cosmogoniques sommaires : tunnels par où passent les planètes. Réforme de la langue, étymologies nouvelles. Visions mentales en séries depuis deux ans. Excitation psychique partiellement euphorique. Caféisme. Conscience de la passivité et de la scission : elle a dans son cerveau plusieurs cervelets (sic). Isolement. Insociabilité croissante. Claustration volontaire. Défense contre l’inquisition par des oreillers, etc. Lors d’une saisie a sorti de derrière la porte un revolver chargé, menaçait de mort, a frappé avec une hachette le soulier de son frère. Faits attestés par P. V., décrits par la malade, avoués par le frère après une période initiale de négation, réticence toute spéciale chez le frère. » [p. 44]

De l’infirmerie spéciale elle fut transférée à la Clinique où nous avons pu l’observer.

Il est inutile de revenir sur l’état d’excitation psychique que décrit suffisamment le certificat ci-dessus, non plus que sur les phénomènes d’automatisme mental. Il est à noter cependant, que toutes les idées délirantes mentionnées sont, chez elle, mobiles, variables, disparaissant ou se transformant selon les heures et les jours d’examen. Les récits mêmes des phénomènes d’automatisme changent du tout au tout et sont d’autant plus circonstanciés que l’auditoire est plus nombreux et paraît davantage intéressé. Ce sont alors de véritables histoires extemporanément inventées et qui traduisent l’activité imaginative de la malade. Il n’y a qu’à lui demander : « Avez-vous fait telle chose, avez-vous ressenti telle autre » pour qu’ aussitôt ce lui soit l’occasion de raconter tel fait extraordinaire et naturellement totalement inexact.

D’ailleurs Mme D… est euphorique, contente d’elle-même, parle avec volubilité, rit, chante, s’agite sans cesse, et d’autant plus qu’elle a une galerie plus nombreuse pour l’admirer. Nous avons déjà insisté sur son ironie et sa causticité. Elle est souvent prise de violentes colères pour tel incident de peu d’importance, s’emporte, crie. Mais tout rentre rapidement dans l’ordre et l’état d’euphorie habituelle reprend le dessus. Interrogée, elle répond volontiers, avec beaucoup trop de facilité même. Elle raconte avec emphase sa vie « merveilleuse » qui forme un roman extraordinaire et qui s’enrichit à chaque examen d’un nouveau chapitre encore plus merveilleux. Elle parle de ses dons. Elle prédit l’avenir grâce à ses « voix intuitives ».

Elle a inventé des sérums contre la peste et le cancer, car [p. 45] elle a des connaissances scientifiques étendues. Elle peut en fermant les yeux voir défiler devant elle des scènes de son enfance et elle se sert à ce propos d’une expression tout à fait typique : « C’est comme une photographie ou un cinéma qui passe devant mon front ». On ne saurait mieux caractériser la représentation mentale.

Enfin et surtout elle possède un don : le « don des Langues ». Elle parle toutes les langues de la terre, aussi bien celles parlées par les peuples anciens que celles en usage actuellement. Bien plus elle en parle, une le « tasmahouët », que seule au monde elle connait.

Si on l’en prie, elle s’exprime instantanément dans la langue choisie par son interlocuteur.

C’est brusquement que ce pouvoir extraordinaire lui est venu, en 1923, dit-elle. Elle en a eu soudainement la révélation (on voit que c’est au moment où les symptômes ont commencé de s’accentuer, où l’état d’excitation psychique s’est fait plus net que ce fameux « don des langues » s’est manifesté).

Mais il est intéressant de signaler dès maintenant qu’étant enfant elle s’était créé une sorte de dialecte à elle, composé de peu de mots naturellement, et dont elle a gardé (au moins l’affirme-t-elle) certain souvenir. Ainsi elle disait le mot Clomodiencepour silence, ce qui voulait dire « comme à l’audience ».

Actuellement et depuis 1923 elle a fait des progrès. Voici des exemples de son langage. D’abord la langue Tasmahouët qui représente sa langue personnelle.

Diatimil mat distillet cahiamet zazémi temeledo tiarmato. Caldaminast fichmate. Tespolait. Karetnouyourt Zinema. [p. 46] Schaleitonte. Efumenoba. Deretmelon. Sitatmeo. Kelimano. Tiamatastna. Enfuna.

Voici maintenant :

Le Chinois. —Phum, Pham. Pscho. Chana. Phiam. Phoum Pham. Erfuno, Phaminoff. Phan. Phoé. Phenaïst.

Le Grec. —Dinonnal. Denremenlenta. Efmedozella. Te Kielnoba. Toufunadeo. Estilnou desinaba. Elafmado. Tilipitnoë , Snacatmo. Doumatmo.

Le Japonais. —Tilikitmeno. Tilipado. Siliketma, lfminou.  Zolopatalo. Kinimilava. Isnoi. —Seminepe. Semenepe. Keleptmaona.

Mme D … n’est pas embarrassée et instantanément change de langue au commandement.

Lui demande-t-on la traduction, comme naturellement, elle est bien incapable d’y assigner le moindre sens, elle s’y refuse sous divers motifs, quelquefois cependant elle consent à traduire et c’est une histoire plus ou moins compliquée qu’elle invente extemporanément.

D’ailleurs à chaque nouvel interrogatoire, les citations de langues demandées varient. Il arrive fréquemment qu’elle se trompe et qu’on puisse reconnaitre des sons ou des syllabes identiques dans deux langues différentes. Ce n’est que la langue Tasmahouët, dont elle a le plus l’habitude qui semble garder quelque fixité.

Enfin elle se déclare capable d’écrire les langues qu’elle parle. Mais c’est un gribouillage tellement puéril que nous pensons inutile d’en faire ici une reproduction, non plus que d’y insister davantage. [p. 47]

OBSERVATION IV

(Délirant paranoïde. Autophilie , Création d’une langue.)

(L’observation ci-dessous est celle d’un malade étudié par le Dr A. Moeder. Cette observation a été publiée dans les Archives de Psychologie, t. IX, n° 35, mars 1910.)

M. R… , 41 ans, est interné depuis seize ans dans une maison de santé. Il est d’origine modeste, fils et frère d’instituteurs. Tare héréditaire dans l’ascendance maternelle. De santé physique délicate, d’intelligence très moyenne, il dut quitter l’école secondaire où il avait de la peine à suivre. Il essaya du jardinage puis se décida pour la serrurerie. Ouvrier peu capable, il était plutôt utilisé comme manœuvre ; comme il était de caractère violent et contradicteur, il dut souvent changer de place. Vers les 25 ans il était incapable de pourvoir à son entretien, restait à la charge de sa famille. On se rendit bientôt compte qu’il était malade : il proférait toutes sortes de menaces, devenait agressif, parlait confusément. L’exploration médicale permit de constater l’existence d’idées délirantes de grandeur et de persécution plus ou moins systématisées, d’hallucinations auditives, tactiles, etc., en un mot il présentait le tableau clinique que les psychiâtres appellent aujourd’hui démence précoce, forme paranoïde.

Depuis quelques années F. R… s’est quelque peu calmé, il est placé dans une subdivision non fermée et s’occupe de brosser les corridors, repasser les habits de ses congénères. Il vit isolé comme un trappiste au milieu d’une trentaine de malades également chroniques ; jamais il n’adresse spontanément [p. 48] la parole à personne, pas même au médecin qui s’occupe de lui tout spécialement depuis plus d’un an. Il prononce de longs monologues, s’entretient à voix haute avec ses ennemis et ses amis imaginaires, il écrit et remplit des cahiers. Mais on ne comprend rien à sa langue, pas plus écrite que parlée, et pourtant il est facile d’y reconnaitre de temps en temps des mots français ou allemands connus (sa langue maternelle est l’allemand). Il y a une foule de termes inconnus, l’ensemble ne paraît avoir aucun sens ; c’est du charabia. En voici un exemple :

« ln Merkenswertentorbeihalt ; laut Muser Kleinen lnteresse der Biographie in Lebseit ! bleibt für den Beihaltacodant Ein langer, Reigen Der Offidend Zeit ! lm Heim mat Staat ; in Bilderbuch Eigener Schulbildung in Reein Seeliger ! bildung, Durch Musere Lehrer u Pgfarer u Lehrfach ! Meister und Unseriger Foch Asterfleiss. Der Ipsilong y gracher Li Heratin ! fom Klassischen leit faden, für und nit. Beihalt beihallt ! »

Les recherches psychopathologiques des dernières années nous ont rendu circonspect dans l’emploi des termes : confusion mentale, salade de mots, démence. Grâce aux nouvelles méthodes d’exploration, on découvre un sens caché derrière ce charabia, on apprend à redresser, à rendre en langue normale, les idées exprimées par l’aliéné délirant.

Pour l’étude de la langue de F. R., nous nous sommes servi de ces deux procédés suivants :

  1. a) L’association libre(ou association en chaîne) en prenant successivement comme point de départ chaque néologisme ;
  2. b) La descriptionpar notre sujet, d’objets, d’images, en lui faisant raconter des fables qu’il venait de lire à haute voix, etc. [p. 49–

Avec beaucoup de temps et de patience, il fut possible de rassembler un vocabulaire assez riche. Un contrôle exercé deux ans environ après les premières recherches confirma la fixité du sens des mots ; le vocabulaire s’était pourtant légèrement enrichi.

Le premier résultat de l’enquête fut le déchiffrement des systèmes d’idées délirantes. Un véritable mythe se déroula insensiblement devant nous, dont F. R. est le géant et le héros. Au lieu de l’homme petit, chétif, pauvre raté que nous connaissons bien, nous rencontrâmes un homme grand, fort, puissant et généreux. Dans ses fantaisies F. R. apparait comme un être omnipotent, un grand propriétaire terrien (il avait aspiré à devenir jardinier et cultivateur), constructeur génial, directeur d’usines (le rêve de l’ouvrier, du manœuvre), banquier, officier, savant et politicien. Il est beau, adoré des femmes. Sa grandeur est surhumaine ; il est le fils de Dieu, l’incarnation du bien. Il est une puissance de la nature, son corps s’identifie avec le monde lui-même.

Comme tous les grands, il a ses ennemis, qui lui envient son avoir et sa puissance, ils sont organisés en une immense association qui reconnaît Satan en personne comme son chef. Ils veulent saper le monde, détruire cette œuvre de vie ; ils martyrisent de toutes façons R.F., cc symbole du monde (délire de persécutions physiques). Ce combat aux proportions épiques, c’est en dernier lieu la lutte du mal contre le bien. Une des parties les plus intéressantes du système est celle où F. R. expose ses idées personnelles sur la structure, le fonctionnement et les troubles du corps humain, où il interprète la persécution et propose les moyens d’y remédier.

Le second résultat de notre enquête consiste en observations [p. 50] générales sur la langue de notre sujet, qui constituent l’essentiel de cette communication. L’introduction, fort longue, était nécessaire pour la compréhension de ce qui suit :

M. R. appelle lui-même sa langue : « Die e:xcellensprache » la langue des Excellences ou la Salisjeur (ou Salisschur). L’allemand, sa langue maternelle, n’est pour lui qu’un dialecte à l’usage des gens communs ; la Salisjeur contient des « termes meilleurs » que la langue de tous. Elle est l’organe de ses gens, des « bons ». L’étymologie de Salisjeur est assez obscure ; avoir Salissignifie avoir des relations avec la haute société. « Les Salis sont une des plus anciennes familles aristocratiques suisses ; jeur (prononcé durement schour) évoque par association, chez R., le mot journal. Notre malade veut probablement dire que c’est « l’organe des nobles » l’intermédiaire des Excellences.

Le vocabulaire de la Salisjeur contient uniquement des termes se rapportant aux idées délirantes du patient ; ils sont soit des dénominations « meilleures » des choses existantes, soit des néologismes exprimant des concepts personnels. Leur étymologie est des plus variables, comme nous aurons l’occasion de le voir ; nous groupons les mots que nous avons choisis, suivant leur contenu et non pas suivant leur forme, il serait plus facile au lecteur de comprendre, dans la suite, pour quelles raisons R. eut recours à une nouvelle langue.

Le vocabulaire est très riche en mots se rapportant au corps humain. Notre malade s’occupe énormément de tout ce qui se passe à son intérieur ; n’ayant aucune connaissance précise dans ce domaine, il fut obligé d’y remédier. Comme [p. 51] on ne crée pas de toutes pièces par soi-même, une science anatomique, physiologique, pathologique et thérapeutique, F. R. dut emprunter autour de lui les éléments nécessaires ; serrurier, il se représente le corps humain sous forme d’une grossière mécanique : ainsi il admet l’existence d’un système compliqué de tuyauterie avec robinets, récipients, chaudières régulateurs, distributeurs, etc. ; chaque pièce est démontable ; lorsqu’elle est atteinte (malade), il suffit de la dévisser et de la remplacer. Voici les noms de quelques-unes de ces parties : Kubik(cubique), un grand récipient où se trouve la réserve de sang, que l’on fait couler par la Terminstrang(tige terminale) dans le Wage, qu’il appelle aussi Balance, soit le distributeur du sang-raisonet du sang-force(force physique). Le procédé de répartition a nom abwag(pesage). Le sang pénètre dans la Figure (figure pris dans le sens général latin de taille, parfois dans le sens du tronc). Le mécanisme le plus compliqué se trouve dans la tête, où il y a force nerfs, tels que Blutaxaminirnerf (nerf examinateur du sang), Kontrolliret Konduktem-nerf, le nerf scie (pour trancher les difficultés), le cyclonsorte de régulateur à ailettes en rapport avec la fonction de la raison, les orthodoxes, petites couronnes en ivoire, les Stellima, linsche, Senjahl, Chryption, mandrée, etc. Pour décrire péniblement tous ces appareils et ces fonctions notre patient se sert fréquemment de mots français qu’il emploie dans un sens très différent. Ainsi Vertikalsignifie en Salisjeur « élément »,·composante. Horizontaldésigne une « droite verticale ». Parallelune « ligne horizontale ».Agréableest un substantif s’appliquant aux parties massives, grossières d’une machine, d’un objet, d’un organisme, par exemple le cadre d’une [p. 52] bicyclette, la boîte d’une montre, par opposition à Optik signifiant les parties délicates, fines, comme les roues dentées d’une montre, les types d’une machine à écrire. Ce qui est « optique » est généralement en matière précieuse telle qu’or, argent, ivoire, asbeste, parchemin (sic). Corporationexprime ce qui a rapport au corps humain, etc.

Il est facile de citer une foule de termes nouveaux ou personnels empruntés à d’autres domaines que la biologie et qui appartiennent au complexus du patient.

Les préoccupations et aspirations sociales lui ont fait forger des mots tels que déficir« ein deficir Herr », un homme riche (Finanzherr) ou bien un Bankdoktor. Il est probable que cela dérive de déficit, qui pour lui, a rapport à l’argent sans avoir un sens très précis. Concea le même sens au superlatif ; il se rapporte seulement « aux gens tout à fait riches » et distingués, « à ceux qui ont un grand commerce ». Lonsche(ou longe prononcé à l’allemande, vient peut-être de long ?) est un format, une « grandeur », dit-il, et ne s’applique qu’aux gens haut placés et à ce qui leur appartient : il y a des dames « lonsche », de même la façade de la maison de santé, qui a d’ailleurs beaucoup de cachet et dont il se sait le propriétaire, vu qu’elle n’est qu’une partie de lui-même, de son propre corps. Proteriat(de prolétariat ?) désigne une ville avec son entourage immédiat, ses jardin potagers, la terre cultivée, y compris les habitants ; le proteriat forme lui-même avec les champs, forêts, canaux, etc., le Bilderbuch, littéralement le « livre d’images ; c’est l’État, le pays, en Salisjeur, une sorte de mosaïque de paysages.

Le Bilderbuchherr, c’est le maître ; sur terre, c’est F. R. pour le monde entier, qui n’est qu’un très grand Bilderbuch, [p. 53] c’est Dieu. Tous les partisans de F. R., ceux qui parlent la « langue compétente » forment l’Union (die Union) ; les ennemis sont constitués en une Allianz (alliance), ces derniers sont violents ; ils exercent leur positive sur F. R. ; « positive » c’est le droit du plus fort (das Fausrecht), ils donnent du poing, topotive. « Topotive » désigne par exemple le mouvement du piston dans le cylindre, la pulsation, la pression, le jeu du poing. Agadationest pour « agitation ». « Dolyis » exprime au contraire le repos, la paix : « Des vieux messieurs qui lisent tranquillement leurs journaux sont dolyis » ; « faire ses dolyis » c’est prendre ses vacances.

L’instruction, la science, doit être un objet d’envie chez ·et ignorant, chez ce pauvre raté, qui est fils d’instituteur. La salisjeur est riche en termes qui s’y rapportent. F. R. fréquente surtout des « Wissentliche Herren » par « Wissenschaftlichgelildete ». Wissentliche a un autre sens en allemand, il est Dozent, parle beaucoup d’alphabet, de calculs, de pourcentage, d’y grec et d’y psilon (l’y allemand), il possède des Brajons, de gros livres remplis d’ordonnances et de recettes (Brojon de « Brouillon ? »), il est curieux de constater qu’il associe régulièrement à « Brojon » l’adjectif propre (sans tache), soit le contraire de brouillon ; nous rappelons que R. n’a jamais eu l’occasion d’apprendre véritablement le français. Il est lui-même docteur et fait partie de la doctorurie. La Mashenschaft (de machen : faire) est l’art de prescrire. Cette soif de science se traduit également dans le caractère abstrait et pseudo-savant d’une foule de mots : Dingungpour Ding (chose), la Vertikalurie, Dozentwagepour une balance délicate « utilisée par un savant » ; [p. 54] par des expressions telles que Geddenfigur, pour désigner la Madone (la personne dont on implore la grâce).

Pour ne pas allonger outre mesure cette liste, nous voulons donner simplement un résumé de l’étymologie des mots de la Salisjeur. Nous distinguerons :

  1. —MOTS ALLEMANDS
modifiés dans la forme Dingung, Docror erei.
modifiés dans un sens nouveau Machenschaft.
composés nouveaux Sagener, Bilderbuch herr.
de formation pathologique (catatonique) zuvorvorjujugebrund beachten forgenommen.
  1. —MOTS ÉTRANGERS
français Union, alliance.
français pris dans un sens nouveau. vertical, agréable, Positive, Optique, corporation, cubique.
français mutilés ou modifiés dans la forme. mandrée(pr mandrin) proteria(prolétariat) agadation (agitaytion).
français modifiés dans la forme et le sens. vertical lurie Brojon(brouillon) Deficive.
empruntés à d’autres langues ou d’origine plus obscure. Cameration (camera), cyclon, stellima, oxtir, topotiv, conce, dolyis, acrodant, ovident, avesive, cousine, confessive, garche, Lousche-Cedur, etc.

Jetons maintenant un coup d’œil sur la structure de la phrase. Dans les cahiers de notes, F. R. réduit la phrase à sa plus simple expression ; ce ne sont presque que substantifs, presque tous de la Salisjeur, entremêlés de rares chiffres, verbes allemands, en général, à l’infinitif ou au passé. Dans sa conversation ou dans les lettres qu’il écrit sur commande, la désagrégation est un peu moindre. En [p. 55] général, on peut dire que les verbes deviennent rares, les conjonctions également (elles sont réduites aux plus simples et, et, ou), les pronoms disparaissent. Il s’agit d’un premier stade de désagrégation; la phrase a perdu sa structure complexe, elle a perdu sa souplesse, sa faculté d’exprhner des nuances, mais les éléments existent et sont disposés les uns à côté des autres comme une mosaïque. Il est intéressant de faire remarquer qu’au point de vue de la syntaxe, la Salisjeur présente un caractère nettement infantile, il s’agit d’un phénomène de régression. La distribution plus ou moins arbitraire de la ponctuation, des lettres majuscules, l’abus des points d’exclamation sont également une marque de l’affaiblissement du sens des valeurs.

Tout parait à l’auteur pareillement important, et cela est compréhensible si l’on veut se rappeler que la langue en question est l’expression des idées délirantes du malade. Derrière chaque mot se cache une valeur émotionnelle considérable.

Une raison qui contribue à obscurcir les écrits de F. R. mérite d’être signalée ; il arrive qu’au milieu d’une phrase il glisse pour quelques instants sur une voie collatérale, sollicité pour ainsi dire par un mot de valeur toute spéciale, puis il reprend le fil un peu plus loin. Cela lui arrive lorsqu’il utilise un mot qui évoque ses complexus et tout particulièrement les professions, la finance, la science, l’école. Il parle épisodiquement d’école dans une phrase ; il ne se contente pas du mot école, il faut qu’il ajoute école de district, institut, université, etc., puis il reprend le fil.

Avant de passer à quelques considérations d’ordre général il est nécessaire de montrer, avec exemples à l’appui [p. 56] comment certains mots de la « langue des Excellences » ont pris une place prépondérante, par quelles voies associatives ils se sont formés.

Optique n’est pas pour F. R. cette partie de la physique que l’on sait. Optique, avons-nous dit, se rapporte à des objets compliqués, de structure délicate, toujours en matière précieuse (or, ivoire, abseste), par exemple le mécanisme d’une montre de poche . « L’armoire de l’optique de la place » c’est l’armoire contenant des choses précieuses telles que pièces, organes de rechange pour le corps de R. et qui occupe la meilleure place dans la maison. Optique est ici adjectif qui qualifie ce qui est le meilleur, le plus favorable, le plus fin. Le mot peut se rapporter, dans le domaine des choses de l’esprit, à ce qui est difficile à comprendre, tel que les mathématiques. En général, optique représente ce qui est inaccessible à notre patient dès sa jeunesse et ce que la fantaisie lui livre dans la psychose avec générosité ! Il est probable que ni à l’école secondaire, ni dans les cours professionnels qu’il suivit plus tard, la discipline réelle, nommée optique, ne pénétra dans ce cerveau déjà atteint du mal.

Ocolievesignifie en général fin, délicat. Il a aussi le sens de « s’il vous plait » ou de « très aimable » ou bien « ein so cehr » (intraduisible) ser höflich in Angene hmung » (traduction libre d’une politesse fort agréable). Un dernier exemple instructif est fourni par les deux sens principaux du mot « gothisc », gothique, qui signifie stylearchitectural en général (une colonne corinthienne est pour lui aussi gothiqueque la cathédrale ne Strasbourg ) mais aussi pieux. Ses concepts ne se couvrent pas avec les nôtres ; ils sont en [p. 57] général plus larges, plus vagues et sans l’hégémonie absolue des complexus du patient.

Nous trouvons un processus tout à fait analogue dans la formation des idées chez l’enfant. Taine en donne quelques exemples intéressants : le mot cola, pour chocolat, fut employé par un enfant, insensiblement, pour toutes les friandises (raisin, pêche, sucre), téterre, pomme de terre, pour la plupart des mets à l’exception du lait qui était désigné spécialement. Ce caractère infantile de la langue de notre patient, on le retrouve dans l’idée du « nerfs scie », vague symbole pour représenter l’organe qui permet de trancher les difficultés. C’est un caractère général de la glossolalie. Flournoy et Lombard l’ont déjà fait remarquer.

OBSERVATION V

(Schizoïde à compensation mystique. Glossolalie)

Mlle J… , âgée de 40 ans, a eu déjà plusieurs internements. Dès l’enfance, elle manifestait un penchant très net à la solitude, avait peu d’amis, préférant la lecture ou la rêverie aux jeux bruyants des enfants de son âge. Elle paraissait cependant normale aux yeux de tous et ne présenta rien de particulier jusqu’à 15 ans. A ce moment apparaissent des troubles, sur lesquels nous n’avons pu obtenir que peu de renseignements. Elle parait avoir fait à cette époque un accès de dépression psychique, avec mutisme et refus d’aliments et secondairement des craintes de persécution et même quelques idées vagues d’influence. Soignée à la Salpêtrière puis dans une maison de sauté, elle rentre enfin dans Le service du Dr Toulouse à Villejuif. Ce n’est qu’au bout de dix-huit mois qu’une [p. 58] amélioration suffisante survint et qu’elle put être rendue à la liberté.

A sa sortie Mlle J… apprend le métier de dactylographe, qu’elle exerça plus ou moins régulièrement par la suite. Elle garde le même caractère : aux tendances schizoïdes manifestes, amour de la solitude, prédominance de la vie intérieure. Cependant elle travaillait convenablement mais, comme il arrive souvent à ces sortes de malade, des déceptions, des chocs moraux survenant eurent chez elle un retentissement disproportionné.

Ce fut d’abord un mariage manqué, dont la malade conserve un pénible souvenir. Pour oublier cette déception Mlle J… , qui appartenait à une famille assez religieuse, se mit à étudier sa religion et voulu vivre, dit-elle, « une existence chrétienne ». C’est alors qu’elle abandonna son métier de dactylographe pour celui d’infirmière dans un sanatorium de tuberculeux. D’ailleurs sa santé était précaire et plusieurs fois elle dut interrompre son nouveau métier. Finalement, à la suite d’une grippe infectieuse en 1914, elle dut pour son propre compte, aller dans une station climatérique, où, améliorée, elle reste comme infirmière. Elle eut à soigner là un jeune homme —étranger ? —qui parlait une langue qu’elle ne comprenait pas. Ce fait lui revint à la mémoire, lorsque plus tard apparurent les premiers signes de glossolalie. De même les pratiques religieuses, très exactement suivies dans la maison de santé, l’orientèrent plus encore du côté des rêveries mystiques, dans lesquelles, d’ailleurs, elle se complaisait, depuis son mariage manqué.

Au bout de quelques mois elle partit ; son métier d’infirmière [p. 59] ne la satisfaisait plus. Elle voulait faire quelque chose de plus grand, de plus utile, Elle revient à Paris, où elle entre au service —comme secrétaire, affirme-t-elle —d’un homme politique. Elle l’admirait. C’était un philosophe, disait-elle. Elle ne resta cependant pas longtemps chez lui et trouva à se placer dans une colonie de vacances comme sous-directrice (?). Parmi les enfants confiés à sa garde, une l’intéresse particulièrement. Elle lui trouvait des traits de ressemblance avec elle-même. Elle demande à cette jeune fille si elle n’était pas sa parente, et même si elle ne serait pas sa fille, enfant qu’elle aurait eu durant son séjour à la Salpêtrière quand elle avait quinze ans ( !). Elle convient bien que c’est là une idée absurde ; mais cette idée lui venait parfois et s’imposait à elle d’une façon véritablement obsédante. Elle ne s’en ouvrait à personne, mais y rêvait longuement (1914),

Durant la guerre, elle s’occupa comme elle put, tour à tour dactylographe, secrétaire ou infirmière. Elle suivait les événements avec une attention passionnée et priait avec ferveur. Un véritable état d’exaltation mystique se manifesta bientôt. Elle eut des visions prophétiques. Elle sentait qu’elle était appelée à jouer un grand rôle, peut-être à sauver la France. Elle écrivit au Président de la République. C’est ainsi qu’elle attira l’attention sur elle et qu’elle finit par être internée au début de l’année 1918.

Ce deuxième internement dans un asile de province dura jusqu’en 1921. Revenue bientôt à Paris ses tendances mystiques et ambitieuses ne tardèrent pas à se manifester de nouveau. Dans la rue elle voulut évangéliser les passants « comme cela se faisait dans l’ Armée du Salut en Angleterre ». [p. 60]

Elle allait dans les gares surveiller les dames de l’Etoile blanche (association évangélique de protection des jeunes filles).

Rentrée chez elle, elle entonnait des cantiques à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Cette existence bizarre, des plaintes des voisins que réveillaient les cantiques amenèrent une enquête et finalement son transfert à l’infirmerie spéciale le 24 décembre 1923 et de là à l’asile clinique.

Mlle J… parait accepter sans déplaisir son internement.

Elle a eu trop à souffrir de ses voisins tous ces derniers temps. Des gens lui parlent de derrière la cloison. Un homme se permet de lui dire des choses peu convenables.

Si la malade se montre réticente sur les injures ou les inconvenances qu’elle entend, elle se plaint volontiers, et ceci d’une façon prolixe, de n’être plus libre de ses actes. Elle se sent suggestionnée, influencée. Elle interprète dans ce sens les moindres faits étranges (Des objets sont tombés dans sa chambre, d’autres ont été changés de place),

Elle devient de nouveau réticente quand on l’interroge sur ses idées mystiques.

« La science française est trop positive, nous dit-elle, et ceci c’est le secret de l’âme. »

« D’ailleurs ajoute-t-elle j’ai été internée en 1918 parce que j’avais écrit à Poincaré après une vision mystique. »

Elle dit avoir présenté les stigmates de la croix quand elle était petite fille. « Si elle sort la nuit pour évangéliser, c’est en accord parfait avec le ciel après avoir demandé et obtenu la réponse. »

« Il y a, dit-elle, plusieurs sortes de réponses, la persuasion silencieuse et la réponse vraie. » [p. 61]

Elle a eu des visions très curieuses, elle s’est vue devant Dieu, l’esprit et le corps séparé. L’esprit était une colombe. Elle a parfois des conversations mentales avec Dieu. C’est grâce à Dieu qu’elle a pu échapper à des accidents d’autos, elle se sentait au moment du danger, comme poussée par une puissance surnaturelle.

Elle s’est, d’ailleurs, sentie à plusieurs reprises comme surélevée, ou bien elle avait la sensation que son corps se dédoublait.

Au début de son séjour dans le service elle a eu de nouvelles visions, des anges lui sont apparus. Elle a vu le Christ. Il ressemblait à une gravure qu’elle connaît, Elle pense que c’est elle seule qui voit. Son activité dans le service est uniquement employée à faire sans fin des traductions des évangiles dans une langue, qu’elle a inventée ou plutôt qui lui a été inspirée. Elle trace des caractères étranges qui ressemblent à de l’hébreu, du chaldéen.

C’est une langue ésotérique qu’elle appelle la langue des élus.

Voici quelques précisions au sujet de l’origine et de l’apparition de cette langue étrange.

Alors qu’elle avait 6 ans et cela jusqu’à 12 ans, elle parlait à intervalles irréguliers une langue nouvelle par jeu ; l’avait apprise à ses frères et à ses sœurs mais la parlait surtout pour elle-même, il lui arrivait cependant de s’exprimer dans cette langue devant ses parents. Elle la parlait naturellement : c’était un don (dit-elle actuellement). Elle ne l’écrivait pas encore.

Cette langue ne ressemblait pas à celle que nous lui entendons parler actuellement. A partir de 12 ans cette langue est [p.62] totalement abandonnée par Mlle J. C’est en 1918 pendant un séjour à l’hôpital, en chantonnant des cantiques, qu’elle s’est mise à parler une langue nouvelle.

L’apparition et la nouveauté de cette langue ne l’ont pas surprise outre mesure car, dit-elle, il est écrit dans l’évangile : « Nous sommes appelés à parler des langues diverses. » Depuis cette époque ce langage nouveau était parlé par la malade dans des circonstances pénibles, à l’approche d’un danger, au moment d’un accident ou bien au milieu de chansons. La nuit quand elle s’éveillait il lui arrivait de prononcer quelques phrases de cette langue.

L’idée d’écrire cet idiome lui est venue pour éviter, de le parler d’une façon impulsive et pour tacher de « mettre un peu d’ordre dans les sons émis ».

Sans vouloir essayer de faire ici une étude linguistique approfondie de ce langage nous nous proposons cependant de l’analyser en quelques traits et d’en retenir les caractères principaux.

Les caractères graphiques nous frappent tout d’abord par leur bizarrerie, ce sont des signes que l’ on pourrait comparer vaguement à du chinois ou mieux à de l’hébreu. Mlle C. écrit en colonnes verticales, il lui est impossible d’écrire de la façon habituelle sur des lignes horizontales.

Elle écrit indifféremment de la main droite ou de la main gauche, mais alors la forme générale des caractères change, il y a une modification générale de l’aspect de l’écriture, que l’on reconnait avec un :peu d’habitude, à tel point que l’on peut à coup sûr indiquer de quelle main s’est servie Mlle J. pour tracer ses caractères (17). [p. 63]

Mais qu’ils aient été écrits de l’une ou de l’autre main ces caractères ont un tel air de ressemblance, chacun dans une catégorie respective, qu’on s’aperçoit rapidement de leur pauvreté morphologique.

Ils se répètent fréquemment et tendent vers une véritable stéréotypie.

Un point qui nous parait intéressant à signaler est que l’écriture est secondaire au langage parlé. A l’émission de sons proférés par la malade a succédé leur désignation graphique.

Enfin caractère essentiel de cet écriture elle est : déographique. Il n’y a pas de parallélisme ou mieux d’équivalence entre le signe graphique et le phonème correspondant.

On s’aperçoit quand on prie la malade de lire à haute [p. 64] voix ce qu’elle vient d’écrire, que l’on rencontre de longues hésitations.

Mlle J. se décide enfin à satisfaire votre désir elle prononce une série de syllabes bizarres dont voici un exemple pour un thème graphique donné :

Tschario. Athitaüs. Mœmdiana. Ariotœobilium. Manaés. Aéda. Davidiapulom. Aprovia. Trœsidoria. Astrœrideo. Obulam. Apustom. Arés. Athinéo. Adula. Arboés. Atponés. Artibois. Abitam. Atsiboénoés.

Ceci ne constitue pas la seule interprétation phonétique des mêmes signes graphiques, car le fait était facile à prévoir. Mlle J. est incapable de reproduire deux fois la même lecture du même thème graphique.

Mais demandons en effet à la malade de relire le texte qui a fourni la première lecture et voici les nouvelles syllabes qu’elle prononce.

Tschar Kababréstobais Ko. Arpriomamouirtchase.
Jr Kamemachtermamanaestos.
Arprésidia. Oésdiamama.
Enichatiesteo Komame ! Ermoméménés. Ortésias
.

Ces syllabes sont prononcées très rapidement si rapidement qu’il nous aurait été impossible de les écrire sous sa dictée, sans que pour cela cependant la malade présente à ce moment la moindre excitation psychique.

Mlle J. a bien voulu nous écrire en caractères habituels les sons qu’elle venait d’émettre.

L’aspect général de cette transcription est caractérisé tout d’abord par la longueur des mots. Et l’on serait tenté de dire comme M. Jourdain : « Tant de choses en deux mots. »

« Les mots ont un nombre de syllabes variable qui peut [p. 65] aller de trois syllabes, à douze et parfois davantage. Mais constatons l’absence de de que Victor Henry analysant la langue de Mlle Smith appelle les « petits mots », c’est-à-dire les mots monosyllabiques ou de deux ou trois syllabes.

La répartition des voyelles et des consonnes est sensiblement la même, sauf peut-être dans certains mots où nous constatons une majorité marquée des unes ou des autres.

La prédominance d’une voyelle dans un mot ou dans une série de mots donne un caractère phonétique très particulier quand on l’entend prononcer.

Le choix de telle voyelle a, e, o paraît déterminer la sonorité, la consonance des mots qui vont suivre. Cette voyelle ainsi choisie paraît être la cc clef musicale» de la phrase.

On rencontre également au cours du discours la répétition des diphtongues œ, œ dans une longue succession de mots.

Il paraît, à première vue ou à première audition, difficile de comparer »la langue des élus » de Mlle J. aux autres langues connues. Une ètude linguistique plus approfondie,· permettrait seule d’éclairer ce point.

Si, comme nous l’avons vu, l’écriture de Mlle C. est idéo¬graphique, la langue qu’elle parle est un langage ésotérique, accessible seulement aux seuls initiés , Elle a cependant l’impression que sa langue est comprise par des tiers. « C’est d’ailleurs là, nous dit-elle, une impression, une simple impression momentanée » ; les auditeurs n’ayant jamais pu donner une traduction des discours entendus. La traduction [p. 66] littérale est manifestement impossible. Après un moment de recueillement et de multiples dénégations, Mlle J… traduit en général en français, dans quelques cas en anglais, les phrases qu’elle vient de prononcer. Il n’y a pas un sens unique de ces phrases, la malade prétend pouvoir en dégager au moins trois, le sens ésotérique, le sens astronomique, le sens philosophique. En réalité ces traductions consistent en maximes de caractère religieux ou en sentences morales.

Cette impossibilité de traduction littérale a pour conséquence immédiate l’impossibilité de dégager un vocabulaire, une grammaire, une sémantique du langage de Mlle J…

En l’absence de ce vocabulaire, de cette grammaire, manifestant le défaut d’association logique, quelles peuvent être les principales lois qui régissent l’émission de ses vocables ? Ici, comme dans beaucoup de langages automatiques, il faut faire intervenir l’assonance, l’allitération, qui paraissent présider en général à toutes ces langues dénuées de substratum idéatoire. Il est cependant possible de retrouver au milieu de ce charabia, certains mots connus tels que « David » dans le texte que nous avons indiqué précédemment ; mais ce mot identifiable est entouré d’une « gangue » de lettres parasites, destinées peut-être à lui donner un caractère phonétique étranger. Ce n’est d’ailleurs pas là un procédé généralisé par Mlle J… On ne trouve pas, nous semble-t-il, dans son langage, d’aphérèse, de syncope ou d’apocope On ne constate pas non plus les procédés habituels d’embolalie que l’on trouve dans certaines langues (non pas créées mais altérées) comme le javanais, etc., etc. [p.67]

En résumé la langue de Mlle J… est, comme le sont en général les langues des glossolales, empreinte d’un puérilisme et d’une pauvreté extrême de procédés créateurs. Les signes graphiques sont en nombre très réduits. Les équivalents phonétiques sont variables, en rapport avec les dispositions d’humeur et le degré d’excitation intellectuelle de Mlle J… Cependant, durant la période où nous avons pu observer cette malade, son langage paraît s’être enrichi, il est actuellement en voie de perfectionnement. Signalons pour terminer que cette malade s’est également livrée à des essais, d’ailleurs infructueux, d’improvisation musicale (chants sacrés).

Qu’elle est l’origine de cette langue ? Distinguons ici entre l’origine apparente et l’origine réelle.

Mlle J… écrit ou parle spontanément, sans qu’il y ait, nous dit-elle, de part active de sa conscience ou de sa volonté : « c’est sa main seule qui trace ».

Interrogée sur ce point elle est très affirmative. « C’est Dieu qui m’inspire ». « Il semble qu’il y ait par le monde des sujets d’élites, élus par Dieu pour recevoir ce don. Ces nouveaux apôtres pourront ainsi diffuser les principes de « sa morale ».

Est-ce une langue purement divine ? Le fait de voir son écriture changer certains jours à amené (par interprétation) Mlle J… à envisager la possibilité d’une influence « planétaire, astronomique ou cosmographique ».

Cette hypothèse est d’ailleurs très fragile, Mlle J… ne l’adopte pas d’une façon ferme. Elle est autrement catégorique sur l’origine divine de ce « don ». [p.68]

Voilà en quelques mots l’explication fournie par la malade sur l’origine de sa glossolalie.

Essayons maintenant de déterminer qu’elle peut être, sinon l’origine réelle, du moins les sources plus ou moins conscientes de sa langue.

Elle a lu divers volumes de théosophie, les œuvres de Schuré et professe une admiration très vive pour cet auteur. Elle est au courant des travaux qui ont paru en Suisse sur les cas de glossolalies religieuses.

Elle nous avoue, d’autre part, avoir elle-même inventé une langue enfantine et l’avoir parlée entre six et douze ans.

Elle est bilingue, et parait avoir été en relations pendant ses pérégrinations avec des étrangers.

Tels sont, à notre avis, les conditions qui ont pu présider à la formation de sa langue et les éléments divers qu’elle a pu utiliser, dans ce but, d’une façon plus ou moins consciente.

OBSERVATION VI

Le langage Martien

Nous tenons à affirmer et à souligner que les lignes qui vont suivre ne constituent pas une observation de malade, mais bien l’analyse résumée des conditions d’apparition, et des caractéristiques linguistiques d’un langage essentiellement médianimique.

Nous voulons simplement acquérir ainsi la possibilité titi pouvoir comparer « le langage Martien » aux « langages nouveaux » créés par nos malades, essayer d’en dégager les différences ou au besoin les quelques traits communs. [p. 69]

La biographie de Mlle Smith a été trop bien écrite par M. Flournoy pour que nous voulions y revenir ici. Contentons-nous simplement de souligner les traits principaux de son caractère.

Mlle S… ne présente aucun stigmate visible de dégénérescence. « Son maintien, son langage, ses manières sont toujours parfaitement comme il faut et prennent volontiers un certain caractère de noblesse et de fierté ». « Elle est très intelligente et très douée. Elle exerçait la profession d’employée dans une maison de commerce où son travail, sa persévérance et ses capacités l’avaient fait arriver à l’un des postes les plus importants. »

Elle était âgée d’une trentaine d’années en 1900.

On relève dans son passé des tendances à l’automatisme mental ou sensoriel.

« Ces automatismes ont revêtu la double forme de rêveries plus ou moins conscientes, et d’hallucinations proprement dites, sans qu’il soit toujours possible de dire exactement dans laquelle de ces deux classes rentre tel fait particulier.

D’un tempérament sédentaire et casanier, préférant aux jeux de ses camarades, la compagnie tranquille de sa mère, Mlle S… avait l’habitude, dans son enfance, de rêvasser, de construire des châteaux en Espagne, de se transporter dans de tout autres conditions d’existence, de se raconter des histoires où elle jouait volontiers le beau rôle. (18)

Il est à remarquer que les ouvrages artistiques : dessins, broderies, qui furent de tout temps son occupation favorite, étaient presque toujours, dès son enfance, non des copies de [p. 70] modèles extérieurs, mais des produits de son invention, marqués du sceau original et bizarre de ses images internes.

C’est à l’âge de 20 ans que Mlle S… s’adonne au spiritisme ; elle fréquente alors de nombreuses sociétés spirites et se révèle un médium incomparable.

Il serait trop long de décrire ici les principales manifestations de ce pouvoir étrange dont faisait preuve Mlle S… , de même que ses principales réincarnations. Retenons simplement, pour le point qui nous intéresse, qu’au cours d’une de ces nombreuses séances elle est transportée dans la planète Mars qu’elle décrit avec force détails, dessinant au besoin les objets qui se trouvent devant ses yeux ; et se met à parler le langage des Martiens.

Les premiers mots qu’elle prononce dans cette langue, sont en nombre très restreints. Ce sont quelques paroles confuses d’un jargon incompréhensible qu’elle débite avec une volubilité croissante :

Mitchma, mitchmou.minimi, tchouanimen, mimatchineg, masinichoff, mézavi, patelki, abrésinod, navette, naven, navette, mitchichenid naken chinon ton fiche.

A partir d’ici la rapidité empêche de recueillir autre chose que des bribes telles que :

Teké… Katéchirist… méguetch… ou méketch… Kéti… chiméké.

Après une phase transitoire où elle emploie des mots français, Mlle S… , après s’être réveillée et avoir repris conscience, prononce de nouveau les quelques paroles qui suivent vers la fin de la même séance.

Késin ouitidjé… basimini météche.

Les auditeurs arrivent à identifier les quatre mots martiens [p. 71] suivants, grâce au fait qu’elle prononce les noms propres tels que :

Métiche S., Monsieur S. ; médacheC, madame C ; métaganicheSmith, mademoiselle Smith ; Kini’che : quatre.

La langue martienne apparaît alors comme une puérile contrefaçon du français dont elle conserve en chaque mot le nombre des syllabes et certaines lettres marquantes.

A cette époque, point important à retenir, la santé de Mlle S… se trouva compromise et l’obligea au repos complet, pendant six mois, interrompant de ce fait toute séance de spiritisme.

Ce n’est qu’après cette longue période « d’incubation forcée » que Mlle S… reprend à la fois les séances de spiritisme et le langage martien.

L’écriture martienne n’est apparue également qu’au bout d’une incubation prolongée et a certainement été stimulée par diverses suggestions extérieures.

C’est à la suite de « visions graphiques », c’est-à-dire d’apparition, en état d’hémisonnambulisme, de caractères graphiques martiens que cette écriture s’est révélée à Mlle S…

L’écriture martienne n’est pas stéréotypée mais elle présente suivant les circonstances quelques variations dans la forme et surtout la grandeur absolue des lettres.

Quant au langage martien, malgré quelques difficultés plus apparentes que réelles, il a pu être représenté par les caractères typographiques habituels.

En voici quelques exemples :

Modé, mété, modé, modé, iné, polette is ché peliché ché chiré né ci ten ti vi. Ce qui veut dire en français : O mère [p. 72] tendre mère, mère bien aimée, calme tout ton souci, ton fils est près de toi.

On s’aperçoit immédiatement des progrès surprenants qu’a pu faire Mlle S… en comparant ce morceau empreint d’un sentiment si tendre et exprimé dans une langue qui a acquis son plein développement, avec les premières paroles de Martien que Mlle S… prononçait d’une façon confuse et avec volubilité.

Il est également curieux de noter combien le mot modé, mère en Martien, rappelle le mot Mutteren allemand.

Voici un autre exemple de langage Martien.

Amès, mis, tensée, ladé, si amès ten tivé avé men Koumé ié ché pélésse amès somé tésé misaïmé Ké dé surès, pit, chami, iza, méta ü borêsé ti finaïme,… ia, izi de geïmiré, etc., etc.

Qui veut dire : Viens un instant vers moi, viens près d’un vieil ami, fondre tout ton chagrin ; viens admirer ces fleurs, que tu crois sans parfum, mais pourtant si pleines de senteurs… Mais si ! tu comprendras ! etc.

On pourrait multiplier ainsi les exemples de la langue parlée par Mlle S. ;

Celle-ci parait vivre un véritable roman où elle joue un rôle important, et dont les principaux personnages se trouvent être des Martiens. Elle a conçu successivement, par la suite et au cours de multiples séances spirites, un roman hindou où elle parle de nouveau une langue étrange, et enfin « un cycle royal » où elle prétend réincarner la reine « Marie Antoinette ».

Nous ne pouvons malheureusement pas donner ici tous les détails de ces admirables aventures. Le livre si documenté [p. 73] de M. Flournoy en donne une description des plus complètes. Voici en quelques traits l’opinion de cet auteur, sur le langage martien de Mlle Smith.

Ce langage somnambulique ne rentre, on l’a déjà entrevu, ni dans le parler extatique et incohérent de l’enthousiasme religieux, ni dans l’emploi d’une langue étrangère, mais réellement existante ; il représente plutôt le néologisme, porté à sa plus haute expression et pratiqué d’une façon systématique, avec une signification très précise, par une sous personnalité ignorée du Moi normal. C’est un cas typique de glossopoïèse, de fabrication complète et de toutes pièces d’une langue nouvelle par une activité subconsciente.

L’auteur a maintes fois regretté que ceux qui ont été témoins de phénomènes analogues, comme Kerner avec la voyante de Prévost, n’aient pas recueilli et publié aussi intégralement que possible tous les produits de ce singulier fonctionnement des facultés verbales. Sans doute, chaque cas, pris isolément, paraît une simple anomalie, une pure curiosité arbitraire et sans portée ; mais qui sait si du rapprochement d’un grand nombre de ces bibelots psychologiques, assez rares en somme, ne finirait pas par jaillir quelque lueur inattendue ? Les faits exceptionnels sont souvent les plus instructifs, et de combien de secours précieux L’embryologie n’est-elle pas redevable à la tératologie ! [p. 74]

OBSERVATION VII (Tuczek) (19)

(Démence précoce (paranoïde ou schisophrène ( ?)
Création d’une langue)

Cet auteur a longuement analysé une « langue nouvelle » imaginée par une malade atteinte de démence précoce (paranoïde, ou schizophrénie). Il s’agit d’un langage artificiel que cette malade employait à côté de sa langue habituelle : l’allemand.

C’est grâce à cette circonstance que l’auteur a réussi à analyser d’une façon presque complète le sens des vocables inventés par la malade. Dans l’ensemble ces expressions verbales étaient toujours employées dans le même sens. Ce langage avait acquis ainsi une assez grande fixité, cependant la malade continuait à y travailler, en introduisant des expressions nouvelles ou en modifiant en partie les anciennes.

L’auteur voit à l’origine de cette activité morbide, le désir de paraitre une femme particulièrement instruite ; de là son effort conscient pour créer un langage absolument nouveau.

La malade, elle-même rattache l’origine de sa langue à des idées délirantes : elle prétend avoir appris ce langage chez le curé de son village natal et l’avoir employé depuis pour « le plus grand bien de ses semblables ».

Elle prétend également que déjà « Jésus-Christ » avait parlé cette langue et que tous les gens « instruits » la [p. 75] connaissent. Elle appelle successivement cette langue le « latin » ou le « français ».

L’origine des expressions verbales est très diverse.

On trouve tout d’abord une série de mots français plus ou moins déformés, et que la malade prononce comme ils s’écrivent. L’emploi de ces mots français est assez curieux au point de vue psychologique.

De conditions modestes, elle avait placé tout son espoir et tout son orgueil sur son fils ; elle voulait à tout prix le voir arriver au lycée et elle a eu l’idée de travailler le français avec lui, langue qu’elle ne connaissait d’ailleurs pas auparavant.

Quand son fils échoua à son examen d’entrée, elle manifesta toute une série d’idées de persécution à ce sujet.

Le premier caractère à noter quand on examine les écrits de la malade, en son langage nouveau, est le fait qu’elle emploie à tort et à travers des accents circonflexes.

On trouve ensuite fréquemment une substitution de mots.

On reconnait dans la façon dont s’est opérée cette substitution les caractères essentiels de la pensée schizophrénique. Exemples : pour Daumen? (le pouce) elle dit Mann (l’homme). Elle explique cette substitution par le fait que « l’homme » a plus fréquemment besoin de faire usage de son « pouce » que la femme. Pour Bett(Le lit) elle dit le Kuchen(le gâteau) elle explique ainsi cette nouvelle désignation : quand sa mère était malade elle faisait apporter auprès de son lit la planche pour faire les gâteaux. Pour Weiss(blanc) elle dit schicket ceci parce que le Bon Dieu envoie (en allemand schicktyla neige qui est blanche. Elle décompose aussi, volontiers, les mots et désigne alors chaque [p. 76] syllabe par un mot approprié. Ainsi du moment que Veiss : schick, Eiveiss(albumine) sera eine-chick.

Tous les mots qui se terminent en ung en allemand comme Meinung,Vorhung, Vindung, se terminent dans sa langue par grapp.

Ainsi Zeichnung(dessin) devient nichtsgrappparce que dans ce cas Zeichnunglui rappelle le verbe Zeichnitet la dernière syllabe de ce mot rappelle de nouveau à son tour la négation ; de là nichts(rien) auquel est ajouté legrappqui remplace comme nous l’avons vu la terminaison ung.

De même Vohnung(logement) devient Ortgnapp. Ortveut dire en allemand « endroit ».

Ce ne sont là que quelques exemples, il faut d’ailleurs ajouter que la plupart des expressions sont telles qu’on n’en comprend pas du tout origine ; et les explications que donne alors la malade sont tellement incohérentes qu’on n’arrive pas à pénétrer leur sens exact.

Mais les expressions ont un sens fixe, permanent, et sont toujours employées par la malade de la même façon. [p. 77]

COMMENTAIRES

Reprenons maintenant les sept observations rapportées ci-dessus et voyons, un peu plus en détail, les conditions diverses qui ont marqué l’apparition du symptôme : « glossolalie ».

Il est facile de se rendre compte d’abord qu’il s’agit de malades très différents, ou ce qui serait plus exact, de malades atteints d’affections très différentes.

De sorte qu’on voit immédiatement que la glossolalie n’appartient pas en tant que symptôme particulier à telle affection déterminée.

Mais, et nous allons maintenant nous attacher à le faire ressortir ici, il existe des différences très tranchées, apparentes au premier regard, entre les divers modes de « glossolalies » fournies par nos malades. On ne saurait confondre par exemple les langues nouvelles parlées par Mlle J. (obs. V) avec celle de Mme D. (obs. III). C’est pourquoi il nous paraît nécessaire de résumer et schématiser ici les caractéristiques particulières de chacun des cas décrits plus haut.

Observation I. —Mme Ch. Il s’agit là d’une vieille [p. 78] délirante ayant présenté autrefois des périodes alternatives d’agitation et de dépression, auxquelles a succédé un état permanent d’excitation psychique. De plus cette malade est une hallucinée (hallucinations de l’ouïe, hallucinations olfactives, psychiques et psycho-motrices, troubles de la sensibilité générale).

Le langage nouveau qu’elle parle à certains moments a des caractères bien tranchés. Il n’est pas entièrement constitué de mots nouveaux, mais d’un mélange de mots usuels auxquels viennent s’ajouter soit des mots néoformés soit simplement des syllabes sans signification.

D’autre part ces syllabes ou ces mots ont un autre caractère ; ils sont généralement répétés plusieurs fois selon une sorte de rythme formant à de certains moments de véritables couplets assonancés ou, ce qui serait peut-être plus exact, une mélopée rythmée et assonancée. On a l’impression en l’entendant parler qu’elle récite une série de formules conjuratoires.

Enfin cette récitation est accompagnée de gestes rythmés de la main et du pied.

Lorsqu’on note les sons émis, on constate, en outre, qu’à chaque nouvel examen, les mêmes sons, les mêmes néologismes, la même formule en un mot revient incessamment avec de rares et faibles variantes, consistant uniquement en inversion de places de ces divers éléments.

Depuis plusieurs années que nous l’observons nous n’avons jamais remarqué le moindre changement, [p. 79] il y aurait même plutôt un certain appauvrissement.

Si l’on examine enfin les discours émis par la malade, on ne peut y découvrir aucun effort grammatical, aucune construction logique indiquant que le sujet y prend une part active. Mme Ch… part généralement d’une phrase cohérente, réponse à une question posée par exemple ; puis la réponse terminée dit et redit inlassablement sa formule néologique qui apparaît composée de quelques mots —toujours les mêmes —et de sons plus ou moins assonancés avec ceux-ci. Parmi les mots, les uns appartiennent au langage courant : mystère, finistère, termes. Les autres représentent des formations néologiques : strombeu, hurteran, trebendious.

Quant aux syllabes isolées, aux sons assonancés, leur répétition continuelle permet de les considérer comme de véritables stéréotypies syllabiques.

Mme Ch… , d’ailleurs, est incapable de donner une explication des paroles qu’elle profère. Elle appelle son langage la « langue des Diables » mais n’en saisit pas le sens ; aussi bien ne cherche-t-elle pas à le comprendre.

Si on la prie d’écrire elle reproduit fidèlement en caractères courants le contenu de son discours néologique.

Nous avons vu (se rapporter à l’observation) que Mme Ch… est une vieille pensionnaire d’asile, dont les troubles remontent déjà à 1911. [p. 80]

L’activité délirante chez cette malade paraît maintenant atténuée sinon éteinte. Elle conserve cependant de nombreuses hallucinations et exprime en parlant de nombreuses idées délirantes, mais mobiles, variables et n’amenant plus les réactions émotivées adaptées qu’elles justifieraient, sans que, cependant, on puisse imputer ce fait à un affaiblissement intellectuel manifeste. Les idées délirantes subsistent en quelque sorte chez elle mais privées de leur valeur affective, elles survivent au délire et ne représentent plus qu’une habitude ou même une stéréotypie.

Le trouble du langage apparaît alors —comme les idées délirantes —ainsi qu’un souvenir stéréotypé. Comme nombre de persécutés hallucinés Mme Ch… a construit à une certaine époque de son affection des néologismes actifs : mots néoformés d’une part, mots pris dans un sens symbolique et auxquels l’activité délirante donnait une valeur affective considérable. Cette valeur disparaissant en même temps que s’éteignait le délire il n’est plus resté chez elle que le mot qui n’éveille plus de réaction émotive.

L’état d’excitation psychique, d’autre part —euphorie, excitation légère —aspect hypomaniaque en un mot, permet de comprendre la transformation progressive et l’aboutissement à la sorte de mélopée rythmée que nous observons aujourd’hui.

Aux néologismes actifs, aux mots pris dans un sens [p. 81] symbolique, se sont ajoutés des néologismes passifs. Des syllabes sans signification, mais constituant des sons semblables aux mots principaux du discours, et par conséquent assonancés à ceux-ci, ont été progressivement ajoutés par la malade, qui les répète inlassablement.

Il faut voir là l’exagération des procédés habituels qui régissent le langage normal au point de vue phonétique et qui permettent d’expliquer bien des lapsus : l’assimilation, la dissimilation, la métathèse.

La prévalence au point de vue phonétique de telle syllabe (accent tonique) se fait sentir dans le reste du discours sous forme de syllabes plus ou moins assonancées à la syllabe forte. Il est évident que dans le cas de langage automatique (maniaques, hallucinés, psycho-moteurs, etc.) la pensée du sujet ayant une faible part dans la construction de la phrase, les mots livrés à eux-mêmes s’assemblent en tant que phonèmes, selon les lois que nous venons de décrire, qui paraissent alors avoir remplacé la pensée logique dans la production des diverses associations dans le discours, lois que nous qualifierons « d’associations inférieures ».

Quoi qu’il en soit, on comprend alors la part des différents mécanismes mis en jeu. Néologismes actifs d’origine hallucinatoire probable, mots détournés de leur sens indiquant la valeur affective d’origine délirante accordée à certains souvenirs ou certaines représentations, stéréotypies provenant du fait que l’activité du délire va en décroissant, syllabes [p. 82] assonancées, résultat vraisemblable de l’excitation psychique et comparables à ces litanies incohérentes chantées ou rythmées par certains maniaques.

Peut-être aussi, mais cela ne change pas notre point de vue, faudrait-il voir dans cet étrange discours le reste d’une formule conjuratoire, comme en ont certains délirants chroniques ? Formule d’abord active, et dont il serait sans doute intéressant de rechercher l’origine et la symbolique affective, mais actuellement formule résiduelle vide de son contenu affectif véritable coque phonétique ne répondant plus dans l’esprit de la malade à aucun souvenir

émotif.

S’agit-il là d’une création de langue nouvelle ?

Nous ne le pensons pas, il y a sans doute nombre d’éléments également rencontrés dans les cas les plus typiques de glossolalie ; invention de mots nouveaux ayant eu à un moment au moins une signification véritable connue du sujet. Ce sont en somme des néologismes actifs, comme nous le disions tout à l’heure. Mais l’effort constructif en reste là. De plus le discours est parsemé de mots usuels. Notre cas n’est donc qu’un langage comportant des néologismes, mais non une langue créée.

Un autre élément, non moins important est l’excitation psychique de laquelle nous semble relever la diction rythmée et assonancée, ainsi que les apports consécutifs de sons plus ou moins réunis aux mots principaux. Cet élément d’excitation psychique, nous le retrouverons au moins dans deux autres de [p. 83] nos observations où nous verrons qu’il constitue. alors le point principal sinon unique.

Le trouble du langage nous apparait alors comme une libération d’automatisme, depuis longtemps stéréotypé ayant perdu tout rapport idéo-affectif, si bien que la suite du discours n’est plus constituée que par des phonèmes ou mots dont la coque phonétique seule persiste et dont l’ensemble réalise ce que Forel appelait la salade de mots. Cette expression nous semble être la seule qui puisse s’appliquer au phénomène, bien connu d’ailleurs, et fréquemment rencontré (quoique rarement avec une pareille intensité) chez les vieux délirants chroniques ou dans certaines démences paranoïdes.

Il ne s’agit donc pas d’une glossolalie véritable malgré l’affirmation de la malade qui dit parler « la langue des Diables ». On ne saurait assimiler ceci à un langage néoformé. C’est si l’on veut une logorhée néologique, ou mieux encore une salade de mots, comme nous disions il n’y a qu’un instant.

Nous avons tenu cependant à rapporter ce cas afin de montrer les différentes étapes du processus conduisant à la création des « langues nouvelles », et aussi afin de montrer l’importance dans ces cas de l’automatisme et de l’excitation psychique qui nous le verrons sont au premier rang dans deux autres de nos observations.

Observations II et III. —Nous réunissons ici les observations II et III qui malgré quelques différences [p. 84] présentent, au point de vue particulier qui nous occupe, assez de caractères communs pour pouvoir faire l’objet d’un seul commentaire.

Dans l’un et l’autre cas il s’agit de malades atteintes de déséquilibre psychique constitutionnel et qui de tout temps ont manifesté des troubles, légers à la vérité, mais continus. L’internement n’a marqué chez elles qu’une accentuation des tendances antérieures entraînant à ce moment des réactions incompatibles avec la vie sociale. D’autre part chez chacune des deux, à partir de ces troubles confirmés, nous avons vu survenir quelques phénomènes d’automatisme mental, tantôt simplement ébauchés, tantôt plus nettement marqués, et sur lesquels nous aurons à revenir. Mais ce qui toujours a dominé chez elles, c’est l’état d’excitation intellectuelle à type hypomaniaque avec tous ses caractères habituels : expansion, enjouement, euphorie, maniérisme, ironie, sautes d’humeur brusques, tendances à la colère et à l’irritabilité. Sur ce fond, quelques idées délirantes à thème de grandeur principalement et successivement de persécution et d’influence, idées toujours fugaces, mobiles, variables, non systématisées, allégués, plutôt qu’affirmées par les malades et changeant en même temps que l’humeur, dont nous avons déjà dit la variabilité.

Les faits d’automatisme mental : hallucinations psychiques et psycho-motrices, représentations mentales vives, sentiment d’influence… sans revêtir la constance ni l’importance qu’on leur voit affecter [p. 85] dans les psychoses systématisées, constituent cependant un élément qu’il importe d’analyser.

Dans notre seconde observation, Mme C… nous avons déjà essayé de montrer qu’il s’agissait vraisemblablement d’allégations de la malade et nous avons trop longuement décrit ces pseudo-hallucinations psychiques pour y revenir ici. Il semble toutefois qu’il y ait chez cette malade une aptitude remarquable à l’hyperendophasie, et l’on connait les rapports de l’hyperendophasie et de l’hallucination psychique. D’ailleurs l’hyperactivité de son langage intérieur est complaisamment développée chez elle selon les rythmes d’une véritable activité de jeu. Elle s’amuse à converser à haute voix avec tel personnage imaginaire qu’on lui désigne ; elle dit, d’autre part très souvent à voix haute ses réflexions intérieures, mimant alors le débat intime qui l’anime. Il n’y a donc pas à proprement parler de phénomène hallucinatoire, mais l’automatisme mental peut néanmoins être invoqué, automatisme provenant alors de l’état d’excitation psychique. On sait que souvent les maniaques manifestent des idées d’influence et allèguent des hallucinations psycho-motrices, exprimant ainsi la conscience plus ou moins claire qu’ils ont de la surexcitation intellectuelle qui les contraint en quelques sortes à parler et à s’agiter.

Il semble que nous soyons en présence d’un phénomène de cet ordre.

Chez notre malade n° 3 Mme D… il s’agit de quelque chose de semblable, seulement l’automatisme [p. 86] parait plus net, et en tout cas est plus catégoriquement affirmé par la patiente.

Elle parle de « Voix muettes », « d’ordres donnés », etc., etc. (se reporter à l’observation).

Nous pensons qu’ici encore ces phénomènes traduisent surtout l’excitation intellectuelle, et comme chez la malade précédente relèvent en grande partie de cette activité de jeu si fréquente chez les maniaques.

Si nous étudions d’un peu plus près les langues que prétendent parler ces deux malades, nous nous apercevons rapidement que respectivement elles reflètent le niveau intellectuel de chacune d’elles. Le seul point qu’elles aient de commun est leur puérilité de conception. On retrouve chez ces deux malades le même désir de paraitre, la même aspiration à un exotisme verbal affecté. Elles n’hésitent pas à employer des artifices enfantins pour essayer de donner le change et dissimuler la langue naturelle, habituellement usitée, sous une gangue phonétique totalement artificielle. Elles se complaisent d’ailleurs à ce jeu, et se livrent d’autant plus à leur improvisation qu’elles se sentent admirées.

Nous retrouvons ici les mêmes lois d’associations inférieures que nous avons signalées au sujet de notre première observation (assimilation, assonance) mais si nous constatons chez l’une l’emploi de suffixes rappelant certaines terminaisons de langues étrangères, l’autre se contente de caractériser chacun des [p. 87] pseudo-langages étrangers (qu’elle prétend parler) par la prédominance de telle ou telle lettre.

Il n’y a aucune fixité dans ces langages bizarres, il arrive même parfois que ces malades se trompent dans la réalisation de leur activité de jeu et qu’elles parlent un pseudo-idiome quand elles ont l’intention d’en parler un autre. Elles sont d’ailleurs, incapables d’écrire les mots baroques qu’elles prononcent ; on n’observe chez elles que le gribouillage informe cher aux maniaques.

 

Observation IV. —A partir de cette observation le tableau clinique change. Nous n’avons plus affaire à des malades dont l’excitation psychique et l’activité ludique expliquent la création d’une pseudo¬langue néoformée.

Le malade de Mœder est un dément précoce (forme paranoïde) qui s’est véritablement créé un langage spécial : langage ayant une signification cachée et pouvant donner lieu à une traduction.

A l’analyse nous avons vu que Mœder montre que ce langage est la conséquence d’un roman grandiose, imaginé par le sujet et dans lequel il s’observe au point d’oublier toute réalité extérieure. Ce cas ne pourrait qu’illustrer les idées de Bleuler sur la démence précoce et sa conception de la schizophrénie.

On voit en effet que ce sujet, isolé dans son « autisme », s’est forgé, pour lui-même, un vocabulaire particulier qui lui sert pour désigner et [p. 88] caractériser ses rêveries morbides. Des faits de cet ordre ne sont pas rares chez les déments précoces qui forgent des néologismes ou détournent certains mots de leur sens, leur attribuant une signification nouvelle en rapport le plus souvent avec un souvenir affectif. Mais le plus ordinairement le processus en reste là, et le discours est seulement parsemé de néologismes ou de termes pris dans un sens plus ou moins caché ; l’ensemble donnant un attrait de pseudo-incohérence dans laquelle cependant on peut retrouver bien souvent des passages entiers logiques et bien souvent ordonnés.

Ce qui fait l’intérêt du cas de Mœder c’est la quantité même des néologismes qui arrivent à constituer la partie presque totale du discours, el ainsi une langue nouvelle semble s’être créée. Elle en a bien en effet les caractères essentiels. C’est une sorte d’argot que le malade a édifié, un argot que lui seul peut comprendre et qu’il ne cherche pas. à propager. Les mots lui en ont été fournis par ceux des langues qu’il connaissait soit en les transformant (néologismes vrais) soit en les prenant dans un sens symbolique (néologismes symboliques).

Quant à la syntaxe, à la grammaire cela ne l’a pas inquiété. Elle est la même que celle de sa langue maternelle, mais simplifiée et tend à mesure qu’évolue l’affection vers le style petit nègre et la mosaïque.

Il est vraisemblable que celte création a dû [p. 89] demander un long travail au malade, ou, en d’autres termes, qu’elle s’est effectuée progressivement et que le processus avait dû depuis longtemps débuter lorsque Mœder en a entrepris l’étude.

Quant aux règles qui ont présidé au choix des mots, nous n’avons rien à ajouter aux remarquables aperçus de Mœder. On a vu en lisant l’observation (obs. 4) comment cet auteur fait remonter les néologismes aux mots inducteurs, et comment derrière chaque mot nouveau il sut retrouver la valeur affective qui les motivait.

Observation V. —Mlle J… se rapproche du malade de Mœder, dont nous venons de parler. Nous ne trouvons pas chez elle, comme dans nos trois premières observations cette excitation intellectuelle ni cette activité de jeu qui, nous l’avons vu, paraissent dans ces trois cas être au premier plan.

Ce qui domine ici c’est une constitution très particulière. De tout temps Mlle J… s’est repliée du côté de la vie intérieure préférant la lecture ou la rêverie à l’action, vivant en un mot plus dans un « autisme » longuement développé que dans la vie réelle. On peut donc la considérer comme une schizoïde constitutionnelle, et l’état où nous la trouvons maintenant paraît être le développement de ces tendances manifestées dès son plus jeune âge.

A l’asile elle accepte son internement sans aucune récrimination, se souciant peu d’être libre ou de ne [p. 90] pas l’être, occupée seulement de sa langue nouvelle, à qui elle consacre toute son activité.

Sans doute cet état ne s’est pas constitué brusquement. Pendant longtemps elle a été capable de vivre, plus ou moins heureusement, en société et nous avons longuement raconté les circonstances de sa vie. Mais, comme on a pu s’en apercevoir, cela n’allait pas sans incident.

Manquant de ce sens pragmatique, nécessaire à une heureuse adaptation elle ne pouvait conserver les emplois ou les places qu’on lui procurait. D’ailleurs cela lui importait peu. Ainsi que cela arrive aux schizoïdes les circonstances intérieures comptaient moins pour elle que ses rêveries intérieures.

On retrouve là ce fait mis en lumière par le professeur Claude et ses élèves ; la discordance entre l’activité intellectuelle el l’activité .pragmatique (20). La psychose ou mieux la période de psychose confirmée apparait alors chez ces malades une véritable « compensation » (Mignard et Montassut) que l’on voit apparaitre chez notre malade à la suite de chocs moraux (déboires divers, mariage manqué) ; elle s’est chaque fois enfoncée davantage dans le mysticisme qui constitue actuellement « sa raison de vivre ».

A 15 ans il est vrai elle a présenté une période de troubles mentaux : accès de dépression semble-t-il survenant vraisemblablement à la suite d’une déception. C’est du moins ce que nous avons cru car la malade n’a pas voulu, ou peut-être n’a pas pu [p. 91] nous renseigner, nous n’avons pu d’autre part obtenir aucun éclaircissement de sa famille à ce sujet.

Quoi qu’il en soit, depuis cette époque, le caractère schizoïde de Mlle J… a paru s’accentuer. C’est peu après qu’elle commença de se jeter avec ardeur dans les études religieuses, trouvant là le réconfort que sa mauvaise adaptation à la vie ne lui apportait pas.

Ainsi s’est progressivement constituée chez elle cette sorte de rêverie à prédominance d’idées mystiques : rêverie qui devenait pour elle plus précieuse que tout ce que la réalité aurait pu lui offrir. De même que dans le cas précédent (obs. IV) étudié par Mœder où cet auteur a montré que son malade vivait imaginairement un roman mégalomane, de même Mlle J… arriva à se créer une existence fictive à tendances ambitieuses. Ses lectures (ouvrages de théosophie) constituèrent un aliment tout préparé à cette constitution. La période de guerre survenant déclencha naturellement un redoublement d’exaltation mystique, des visions prophétiques la visitèrent, —représentations mentales vives d’imagerie religieuse auxquelles elle trouva un sens, — ce qui n’était pas difficile. Ce lui fut une grande joie. Ainsi elle devenait semblable aux prophètes hébreux et à tous les grands initiés dont parle Schuré. Elle lut avec plus de soins encore la Bible et toute la littérature qui a trait aux prophètes. C’est ainsi qu’elle connut la glossolalie sacrée. Il n’y avait plus qu’un pas à franchir [p. 92] pour qu’elle-même devint l’égale de ces grandes individualités.

D’ailleurs autour d’elle tout lui paraissait devenu mystérieux. Traversait-elle une rue encombrée de voitures, elle n’admettait pas que ce soit elle-même qui se fût tirée du mauvais pas. Elle avait sauté sur le trottoir pour échapper à une automobile : combien il était plus réconfortant de penser à une intervention céleste ! Et ainsi le geste automatique, la fuite devant le danger, devenait le signe d’une grâce céleste. Tout événement bientôt fut interprété de même manière. Mlle J… était heureuse et le sens de sa vie lui apparaissait pleinement. A de certains moments elle sentait comme une onde joyeuse qui la parcourait et elle traduisait ainsi : « Je me sentais surélevée. »

Le dernier coup fut porté par cette constatation qu’elle fit un jour. Des syllabes sans aucun sens lui échappèrent, des syllabes qui avaient une sonorité bizarre. Avec l’état d’esprit que nous lui connaissons, ce ne pouvait être un incident négligeable. Dieu intervenait trop activement pour que cela fut sans signification. Étonnée, surprise puis ravie, elle ne tarda pas à comprendre qu’il s’agissait du don des langues que certains grands mystiques chrétiens connurent également.

Il n’y avait plus qu’à parfaire ce don si généreusement octroyé. Elle s’y employa activement; à chaque heure, à chaque minute elle s’épiait anxieusement, espérant voir surgir de nouveaux sons. On comprend sans peine l’entrainement qu’elle put acquérir et [p. 93] comment elle finit par créer un véritable automatisme chaque jour mieux éduqué. D’ailleurs elle se rappela avoir, étant enfant, imaginé une langue qu’elle parlait avec ses frères et ses sœurs, Le fait, en effet, n’est pas rare chez les enfants (21). Mais n’était-ce pas là une preuve qu’elle avait été choisie par le Seigneur ? Elle chercha donc à retrouver les mots puérils de sou enfance. Et ce fut un nouveau moyen de développer son nouveau langage. Enfin dans tous ses livres préférés (théosophie) se trouvaient nombre de mots empruntés aux langues anciennes de l’humanité grecque : hébreux, sanscrit, égyptien, parsi, etc., etc., à consonnances étranges, inhabituelles en tous cas ; or, ce sont précisément ces consonances que nous allons retrouver dans son nouveau langage.

Il n’est pas besoin d’insister davantage : on voit maintenant le processus qui a présidé à la construction de la mystérieuse langue des élus.

Depuis lors —et c’est là croyons-nous le caractère essentiel de la glossolalie vraie —progressivement la langue s’est enrichie. Au début elle ne comportait qu’un petit nombre de sons ou de mots. Par un travail quotidien, volontaire, cohérent, logique, le vocabulaire est devenu plus considérable, les sonorités plus diverses. Enfin comme il est très difficile de garder le souvenir de tant de syllabes baroques, Mlle J… s’avisa de les fixer par l’écriture. [p. 94]

Mais ici encore une complication survint. A la « langue des élus «  ne convenait pas une écriture vulgaire : il fallait une écriture sacrée. « Je parlais d’une façon impulsive, dit-elle et je voulais mettre un peu d’ordre dans les sons émis. »

On a vu quels furent les signes inventés par Mlle J… Ils n’apportaient certes pas l’ordre qu’elle demandait ; mais au moins leur étrangeté convenait à l’origine divine du langage.

Il est difficile, impossible même, de créer de toutes pièces une langue nouvelle ; et d’ailleurs Mlle J… n’était pas très intelligente. Elle manque aussi de culture, ignore les lois les plus élémentaires de la grammaire et de la linguistique. Aussi pour tourner la difficulté elle se débarrassa de toutes les règles qui forment l’ossature des langues courantes.

Sa langue fut seulement constituée de mots ou mieux de substantifs. Son écriture est composée d’idéogrammes qu’orgueilleusement elle compare aux hiéroglyphes égyptiens et aux caractères chinois, ils ont d’ailleurs une vague ressemblance avec ceux-ci. Naturellement il en aurait fallu des quantités considérables pour exprimer tel ou tel fait particulier et il aurait fallu une faculté d’invention extraordinaire pour obtenir un résultat. Mlle J… est loin d’en être là ; mais elle cache sa défaite et se refuse à traduire mot à mot. Elle se refuse surtout à donner la traduction de tel mot qu’on lui propose de telle phrase la plus simple soit-elle. Mais d’une page de son écriture sacrée elle extrait un sens général [p. 95] qu’en bonne mystique elle qualifie de sens ésotérique astronomique ou philosophique. Ce n’est pas une traduction littérale ce serait trop grossier et la langue des élus ne peut servir aux faits ordinaires de la vie, elle ne s’applique qu’aux vérités religieuses ou philosophiques. Là il n’y a pas besoin de précision Et c’est beaucoup plus sûr. Néanmoins elle travaille sans cesse. Peu à peu mots et caractères se fixent dans son souvenir. Actuellement elle parle beaucoup plus couramment que lorsque nous l’étudiâmes au début. Peut-être aussi, ainsi que ce fut le cas pour Mlle Smith, nos examens successifs l’ont-ils inconsciemment poussée à se perfectionner.

Nous ne reviendrons pas sur l’analyse des éléments du langage. Nous l’avons fait assez longuement au cours de l’observation (voir observation VI).

Observation V. —Nous serons plus bref au sujet du cas de Mlle Smith. Aussi bien l’analyse si minutieuse qu’en a donné Flournoy pourrait nous en dispenser. Il sied cependant de faire remarquer ici que nous trouvons chez ce sujet des éléments comparables à ceux que nous avons essayé de mettre en lumière chez Mlle J… (observation A). Nous voulons dire une constitution mentale analogue au moins dans ses grandes lignes. Flournoy a longuement insisté dans le beau livre qu’il lui consacre, sur la tendance à la rêverie, sur sa fuite dans la vie intérieure, sur la préférence toujours marquée pour la spéculation intellectuelle contrastant avec le [p. 96] dédain de l’action. On reconnait là la constitution schizoïde de Kretschmer.

Sans doute aucun trouble mental n’est survenu, ni même aucun phénomène vraiment morbide. Il est permis en effet d’être sceptique sur la valeur des hallucinations signalées et décrites par le sujet. Il s’agit vraisemblablement de représentations mentales vives. Quant à l’automatisme mental, outre qu’il fut certainement complaisamment développé par elle, il semble consister surtout en ingénieuses supercheries, plus ou moins conscientes d’ailleurs comme cela est le cas pour nombre de médiums. On n’ignore pas en effet le désir (l’utilité aussi) qu’ont les médiums de voir réussir leurs expériences et leur bonne foi paraît bien souvent absolue. Mais ils donnent le coup de pouce qui fera tourner l’expérience au gré de leur désir et de celui des assistants.

C’est à cette conclusion qu’arrive Flournoy dans son beau travail. La langue inventée lui apparait aussi comme relevant. du désir « inconscient » de Mlle Smith d’étonner et de satisfaire son public. Et nous devons noter ici les tendances mythomaniaques dont elle avait fait preuve dans son enfance. On trouve donc à l’origine une conclusion mixte : à la fois schizoïde et mythomaniaque. Ces deux éléments permettent de concevoir clairement le développement ultérieur. Les romans imaginés par Mlle Smith sont grandioses et magnifiques. C’est le cas ordinaire de toutes les rêveries consolantes des [p. 97] schizoïdes. Le rêve compense et avec usure ce que la réalité est incapable de donner.

Par le genre de vie, les fréquentations et les lectures, ses tendances propres enfin poussèrent Mlle Smith vers les sciences ésotériques, continent mystérieux bien fait pour enchanter un rêveur. On voit, sans qu’il soit besoin d’insister, le résultat obtenu et comment put ainsi venir à la pensée du sujet l’idée d’une langue nouvelle. Celte création a été trop bien étudiée par Flournoy et nous avons donné dans l’observation (obs. VI) assez de fragments de son étude pour n’avoir pas à y revenir ici. Nous nous contenterons d’en résumer très brièvement les conclusions :

La langue de Mlle Smith s’est élaborée lentement, en plusieurs mois. Elle l’a en quelque sorte apprise et l’a progressivement perfectionnée.

C’est une langue qui n’est qu’une contrefaçon du français, contrefaçon pauvre d’ailleurs ; la syntaxe et la grammaire en sont identiques.

Ce n’est qu’auprès de gens non prévenus que le camouflage peut passer inaperçu.

ObservationVII. —Cette dernière observation se rapproche par nombre de points de plusieurs de celles déjà décrites, en particulier de l’observation IV et de l’observation VI.

Il s’agit encore là d’une langue créée en vue d’un but de compensation. La malade le dit très bien elle-même, c’est afin de paraitre une femme [p. 98] particulièrement instruite. La justification qu’elle donne n’est qu’un développement du même point de départ affectif (Jésus-Christ a parlé cette langue ; les gens instruits la connaissent. etc., etc.)

Comme nous n’avons pu nous procurer qu’un court résumé de l’observation nous ne nous étendrons pas longtemps sur la discussion, faisant seulement remarquer que là encore le langage nouveau a été lentement créé et cela à la suite d’un état conscient et volontaire.

C’est une langue en voie d’évolution, une langue vivante, créée par une femme intelligente, qui, grâce à sa culture, a pu porter ce nouveau langage à un certain degré de perfectionnement. [p. 99]

CONSIDÉRATIONS SUR LA CLASSIFICATION
DES « GLOSSOLALIE » ET SUR LEUR MÉCANISME

Nous en arrivons maintenant à la partie la plus délicate de cet exposé. Si l’on veut bien, en effet, se reporter aux observations citées plus haut, il est un fait qui apparaitra immédiatement : tous nos malades s’expriment, à de certains moments en « une langue nouvelle », mais malgré cette appparente uniformité, rien n’est plus différent que la manière dont ils en font usage. En d’autres termes, si tous sont des glossolales, au sens courant du mot, leur glossolalie n’est pas sans présenter des différences : non pas seulement des différences superficielles, auxquelles il serait naturel de s’attendre (vocables différents par exemple) ; mais encore des différences beaucoup plus profondes qui doivent éveiller l’idée qu’il s’agit de mécanismes différents. Aussi bien, les affections au cours desquelles nous avons vu apparaitre le symptôme, sont loin d’être les mêmes et cela seul pourrait nous amener à une telle opinion.

Nous avons, avec les auteurs, défini la glossolalie comme « le parler en langues inconnues ». Or une [p. 100] langue nouvelle doit être constituée de mots, en nombre plus ou moins abondant afin de traduire, comme les langages courants, les divers sentiments: perceptions ou volitions du sujet. Elle doit enfin posséder un certain nombre de règles, aussi rudimentaires que l’on voudra, une sorte de grammaire. Or c’est là un fait qui n’est pas toujours réalisé.

Ce que nous voyons, en effet, dans nos trois premières observations, c’est une émission de mots nouveaux, ou même de syllabes où dominent une ou plusieurs sonorités choisies par le sujet. Souvent aussi des mots du langage courant, déformés ou transformés, émaillent le discours ; l’ensemble constituant un langage totalement incompréhensible pour l’auditeur et pour le sujet lui-même. On a beau tourner et retourner un tel langage, il n’est pas possible d’y trouver la moindre signification. Bien plus si l’on note les sons émis, on s’aperçoit qu’ils sont presque toujours les mêmes, se répétant sans cesse, avec de très faibles variations. Rien d’intellectuel ne se glisse dans cette pauvreté excessive : aucune règle, aucune construction grammaticale, aucune phrase. Il s’agit seulement d’une suite de sons, d’une sorte de jeu syllabique (obs. II et III). Parfois même la pauvreté du langage créé est encore plus évidente, et ces faibles variations que nous signalions ci-dessus, ne s’y produisent même plus. La glossolalie se réduit à une formule stéréotypée constituée de vocables (syllabes ou néologismes) en nombre très restreint revenant périodiquement et plus [p. 101]ou moins entremêlés à des mots du langage courant, assemblés sans aucune règle, selon des lois d’association inférieure (telle que l’assonance par exemple) (obs. I).

Le tableau est tout différend au contraire dans nos quatre dernières observations ; les sujets parlent une langue inconnue ; mais dans celte langue on peut trou ver la trace d’un effort intellectuel, il y a un sens dans leur discours, ce n’est plus un simple assemblage de sons. Le sujet, quand il parle, veut dire quelque chose ou du moins essaie de le faire ; il s’agit par conséquent d’une langue vraie, langue très imparfaite sans doute. D’ailleurs, c’est lentement, que ce langage a été créé ; c’est progressivement aussi, souvent des mois ont été nécessaires. Mlle J… ( obs. VI) travaille à celle tâche depuis déjà deux ans, et l’on peut se rendre compte qu’elle sait mieux maintenant sa langue qu’elle ne la savait autrefois. On assiste ainsi à un enrichissement progressif et non pas à une stéréotypie. Naturellement le niveau intellectuel du sujet règle cet enrichissement et l’on comprend que l’on aura affaire à une langue d’autant plus parfaite que l’auteur sera plus intellectuellement développé. Le cas, à la vérité, un peu extra-psychiâtrique de Mlle Smith en fournit une démonstration. Là, comme il s’agissait d’une femme cultivée, la langue créée par elle, possédait les qualités requises pour être bien une langue nouvelle : vocabulaire, grammaire, sémantique.

Il est vrai que tout était copié sur sa langue [p. 102] maternelle, mais le résultat n’en traduisait pas moins un effort intellectuel intéressant. Nos trois autres observations (IV, VI et VII) se rapprochent beaucoup du cas de Mlle Smith et dans chacune nous voyons bien un langage particulier, créé par le sujet, et dont lui seul a la clef, langage qui lui permet de s’exprimer plus ou moins clairement, plus ou moins complètement aussi.

Il n’est pas besoin de développer davantage ces considérations : cette conclusion saute aux yeux ; nous avons affaire à deux groupes de glossolalies qui diffèrent du tout au tout.

Il est bon d’ailleurs, de faire remarquer dès maintenant qu’à cette différence de modes glossolaliques correspond chez nos sujets une différence d’affection causale. Dans le premier groupe, nous avons affaire à des malades présentant essentiellement de l’excitation intellectuelle, survenant sur un fond de déséquilibre congénital (obs. Il et III) ou au cours d’un délire ancien.

Le deuxième groupe, au contraire, ne comporte que des déments précoces d’une forme très particulière, des schizophrènes.

Le même syndrome (glossolalie) y apparait cependant, mais la seule ressemblance dans les deux cas est constituée par ce fait : les malades s’expriment en un langage inconnu. Or dans le premier groupe ce langage inconnu n’est autre qu’un jeu verbal on même syllabique, dépourvu de toute signification, dans le second il a la prétention de signifier quelque [p. 103] chose et effectivement peut se laisser analyser. C’est là, à notre avis, une différence essentielle et qui doit également s’accompagner, croyons-nous, d’une différence dans· les mécanismes mis en jeu ; si bien que finalement nous en arrivons à penser que ces deux modes de glossolalie sont de nature radicalement divergente.

Premier groupe. —Peut-on, d’ailleurs, appliquer l’épithète de glossolales aux malades qui constituent ce premier groupe. Si nous nous reportons à la définition de la glossolalie : « parler en une langue inconnue », il semble bien que le phénomène observé chez eux s’en éloigne sensiblement. Qu’on nous permette de citer à ce propos un fait que M. le Dr de Clérambault a bien voulu nous fournir.

« Nous avons vu deux fois un même épileptique « en état second se livrer à ce que l’on pourrait appeler des exercices de virtuosité syllabique, plus spécialement sous forme de volubilité. Il émettait avec une rapidité extrême une sorte de phrase non chantée mais offrant le dessin d’une phrase musicale. Un motif assez long, formé de voyelles et de consonnes combinées d’une façon cocasse, était renouvelé avec des modifications qui rendaient soit complémentaires, soit symétriques toutes les portions de la phrase en cours, dont on prévoyait la longueur et dont on sentait venir la fin ; une apparence d’acrobatie résultait de la célérité, de l’aisance et de l’égalité du débit et de [p. 104] la lutte contre l’essoufflement ; l’agencement des lettres et syllabes semblait lui-même un effet d’ingéniosité.

« D’autre part la diction paraissait quelquefois, en vertu de quelques légères intonations intellectuelles, simuler l’énumération. Enfin assez souvent des intonations affectives restreintes (de celles qui correspondent aux émotions intellectuelles) nuançaient très légèrement la phrase ; le sujet semblait alors discourir dans une langue inconnue, exposer, narrer, démontrer, et le faire, par rite ou à plaisir, sur un rythme préétabli.

« Une intention comique, lors de certains passages, semblait contenue à la fois dans le jeu des syllabes et dans des nuances d’intonation surajoutées ; en particulier le jeu des syllabes nous a souvent paru empreint de ce caractère saugrenu qui est fréquent dans l’inspiration comitiale non dramatique. Les nuances d’intonation étaient souvent plus fines que nous ne l’aurions attendu d’un comitial. La phrase générale étant stéréotypée, les nuances étaient stéréotypées également ; cependant certains retours étaient accompagnés de variations légères des nuances dont le sujet semblait conscient ; ces variations apparaissaient principalement dans ces formules mi-finales, mi-inchoatives qu’en musique on nomme « des rentrées ».

« Le motif polysyllabique nous a paru avoir été improvisé durant l’accès ; il n’y aucune apparence [p. 105] de ce que le sujet en temps normal se soit livré à des exercices de volubilité, du moins exactement semblables. Deux données secondaires tendent encore à le faire croire ; ce sont : 1° l’unité du type durant toute la durée d’un même accès ; 2° la nouveauté totale du type lors du second accès. Cette nouveauté portait sur tous les éléments : silhouette générale du motif, choix des consonnes, choix des voyelles, expression apparente du détail et de l’ensemble.

« Ces crises d’ordre glossolalique sont survenues au cours d’accès du type suivant : mutisme total ou mutacisme, immobilité, morosité, tendances hostiles, immuabilité du facies : alternance des périodes de volubilité sus-décrites avec des périodes de chant ; chant stéréotypé dans les mêmes proportions, et où encore figuraient des jeux syllabiques stéréotypés continus, toute parole en étant exclue ; accès observé par nous deux jours avec décroissance graduelle, dysmnésie, céphalée. Amnésie consécutive non vérifiée jusqu’à maintenant pour les accès de ce type spécial ; autres accès comitiaux banals avec amnésie avérée. Plusieurs internements. Sujet alcoolique, intelligent, déclassé. »

Dans cette courte observation non publiée, et dont M. de Clérambault a bien voulu nous donner la primeur, nous trouvons remarquablement décrit le point sur lequel nous insistions tout à l’heure, l’accès glossolalique de son sujet était constitué par un motif donnant le dessin d’une phrase musicale et [p. 106] formé de voyelles et de consonnes, le tout d’ailleurs stéréotypé, et naturellement il eût été vain de chercher la moindre signification à la langue inconnue dans laquelle il s’exprimait. Nous rappelerons également le travail de Quercy (22) déjà cité dans notre historique.

Dans ce travail Quercy étudiait un sujet qui, à certains moments, s’exprimait dans une langue incompréhensible et absolument comparable à celle de nos malades 2 et 3, et cet auteur concluait « qu’en dehors des faiseurs de néologismes des asiles il existe de grands glossolales, capables d’émettre des séries de syllabes assez étrangères à nos langues pour mériter le nom d’amorphes et assez longues, assez rapides, assez complexes, pour avoir mérité le nom de langues inconnues. »

« Il rapprochait enfin celle sorte de glossolalie des néologismes passifs ».

Il semble bien, en effet, que le processus des cas de cet ordre se rapproche par quelques côté de celui des néologismes passifs mais ce qui nous semble dominer chez ces malades c’est avant tout l’excitation intellectuelle. Tous nos sujets aussi bien d’ailleurs que celui de M. de Clérambault présentaient cette excitation psychique ; dans deux de nos cas surtout (obs. II et III) elle était particulièrement manifeste. Il s’agissait là d’excitation maniaque typique. [p. 107]

On connait le besoin irrésistible de parler qu’ont ces sujets ; eux-mêmes d’ailleurs en ont conscience et disent souvent qu’ils y sont poussés comme par « une force intérieure ». Ils expriment ainsi la conscience qu’ils ont de leur activité automatique. Les associations d’ordre inférieur se multiplient chez eux, jeux de mots, assonances, allitérations, s’entremêlent dans leurs discours, souvent aussi des néologismes se produisent, mots déformés ou créés de toutes pièces et portant le caractère de l’activité maniaque, par exemple, pour satisfaire à une rime qu’ils ne trouvent pas, ou plus souvent encore, une simple émission syllabique non contrôlée et provoquée simplement par l’hyperactivité automatique.

Ces malades, d’ailleurs, acceptent de bonne grâce cet état, ils s’y complaisent et semblent s’amuser avec leur automatisme surexcité, ils aiment en faire étalage aux yeux de ceux qui les entourent jonglant avec les mots s’efforçant d’étonner leur public et de provoquer son attention ; il est banal de rappeler l’étrangeté des propos émis par de tels sujets aussi bien que le manque de cohérence de leur langage. Fréquemment dans le feu de leur excitation ils profèrent une suite de mots simplement liés par des lois d’association inférieure, voire même de simples syllabes plus ou moins bien assonancées entre elles ; ces manifestations sont d’autant plus marquées qu’il y a un public plus nombreux autour d’eux ; le maniaque joue la comédie, il aime à faire rire ou à intéresser son public et il sait parfois trouver [p. 108] avec un sens critique très aigu ce qui peut intéresser ceux qui l’écoutent, il aime aussi à étonner, la tendance aux idées de grandeurs est presque constante dans la manie. Nombre de sujets de cet ordre se déclarent capables d’effectuer les travaux les plus difficiles. Il suffit pour cela de la moindre suggestion, en particulier nombreux sont ceux qui affirment parler telle langue étrangère et interrogés alors, ils répondent dans un charabia incompréhensible où l’on peut reconnaître parfois des sonorités de la langue demandée. C’est un phénomène du même ordre qui paraît se passer dans les cas de glossolalie de notre premier groupe : excitation intellectuelle d’une part entraînant une libération et une exagération de l’automatisme verbal du sujet, activité de jeu d’autre part enfin suggestion faite vraisemblablement par l’entourage tels sont les trois éléments qui concourent au développement de ces glossolalies.

Les cas sont rares où les malades prennent vraiment la figure de glossolales tout se borne d’ordinaire à des discours incohérents assonancés et rythmés et l’on comprend que ce ne seront pas chez de grands excités que se rencontrera l’accès glossolalique. Là en effet l’excitation est trop forte, le défaut d’attention trop marqué, l’absence de suite dans les idées trop évidente. L’hypomanie se prêle mieux à l’apparition du syndrome, aussi bien du reste que tous les états d’excitation modérée.

Ne voit-on pas des manifestations verbales presque [p. 109] identiques chez des individus atteints d’ébriété, au milieu de leur excitation intellectuelle ; ils s’emparent d’un mot, d’une syllabe qui a frappé agréablement leur oreille pour en jouer à leur guise, l’associer à des mots nouveaux, se livrer à des calembours ou à des jeux de mots par assonances, persuadés qu’ils sont dans leur excitation euphorique que ceux qui les écoutent les suivent dans leurs calembredaines et admirent leurs propos les plus incohérents. C’est en somme uniquement un jeu greffé sur une hyperactivité verbale automatique. Chez l’enfant on a depuis longtemps signalé des phénomènes de cet ordre. Nombre de bambins se complaisent à psalmodier pendant des heures, émettant une suite de sons à peu près dépourvus de sens et selon un rythme presque musical. C’est une véritable improvisation verbale ou ce qui serait peut-être plus exact syllabique comme le dit si justement Victor Henry.

« L’enfant qui jargonne ne songe qu’à déformer les mots pris au hasard, car il ne s’inquiète pas d’être compris ou même de se comprendre. » Mais ainsi que chez le maniaque, ainsi que chez l’individu en état d’ébriété ce sont les mêmes lois d’associations inférieures qui règlent l’émission des vocables (assonance, rythmes ou allitération si bien qu’ici aussi le jargon nous apparaît comme le résultat d’une activité de jeu s’exerçant aux dépens d’un automatisme verbal.

Mais avons-nous affaire alors à une vraie glossolalie, nos malades ne parlent pas vraiment une [p. 110] langue inconnue et leur jargon ne saurait en aucun cas être comparé à un langage aussi rudimentaire soit-il. Il s’agit d’une simple émancipation syllabiqué comme le dit M. de Clérambault, de jeux verbaux parcellaires, ces sujets jouent avec les sons comme ils joueraient avec des rubans de couleur ; dans quelques cas, le jeu ordinairement passager, devient durable peut-être sous l’influence d’une idée suggérée mais dont l’origine reste toujours obscure. Ils utilisent leur automatisme aussi bien pour leur satisfaction personnelle que pour créer l’admiration ou l’étonnement des autres. Ce ne sont pas des vrais glossolales, et malgré leur affirmation de parler une ou mille langues inconnues, ils n’en parlent aucune en réalité, mais se bornent à donner libre cours à leur activité automatique. C’est pourquoi nous croyons nécessaire d’isoler ces cas et de les grouper sous une même dénomination, et quoiqu’il soit toujours un peu présomptueux de créer, soi-même, un néologisme, nous proposons, pour désigner ces sujets, le terme de Glossomanie. Cette appellation nous semble avoir l’avantage de bien marquer le mécanisme qui est à l’origine du processus, puisqu’aussi bien il n’y a pas· ici création de langues nouvelles mais simplement jeu syllabique.

Deuxième groupe. —Ici tout est différent : c’est bien à de la glossolalie vraie que nous avons affaire. Dans le groupe précédent, en effet, tout se réduisait à un jeu verbal, fonction de l’excitation intellectuelle [p. 111] et de l’automatisme mental ; ici ces deux facteurs sont loin d’avoir la même importance, ce n’est plus un jeu auquel le malade se livre, mais bien un travail, et nous assistons à un effort de construction orienté en vue d’un but : la création d’une langue. En analysant les observations rapportées, nous avons plus d’une fois essayé de mettre ce fait en valeur. Le malade crée des mots nouveaux soit de toutes pièces soit en déformant des mots déjà existants, soit encore en donnant un sens particulier et symbolique à des vocables ordinaires ; enfin il tache d’ordonner ce nouveau vocabulaire et de constituer une syntaxe plus ou moins pauvre d’ailleurs. C’est là un travail difficile auquel on ne parvient pas du premier coup, aussi faut-il aux glossolales un certain temps pour arriver à leur but.

Alors que nos malades du premier groupe s’exprimaient instantanément dans l’une des nombreuses langues qu’ils prétendaient parler, ceux-ci au contraire n’avancent que lentement dans la conquête de leur nouvel idiome, on pourrait presque dire qu’ils l’apprennent et lorsque l’on fait des examens successifs on constate qu’ils s’expriment d’autant plus facilement qu’il y a plus longtemps déjà qu’est apparue leur glossolalie. Leur langue nouvelle s’enrichit donc et se perfectionne, elle tend à devenir un langage commode et par lequel il est possible de s’exprimer. C’est là une première et fondamentale différence avec les sujets que nous appellions tout à l’heure les Glossomanes. [p. 112]

Mais il y a plus encore, l’automatisme mental si important dans les cas précédents paraît bien ici n’avoir qu’un rôle tout à fait secondaire. Sans doute ces malades déclarent que certains de leurs mots nouveaux ont surgi spontanément dans leur esprit à la manière d’une hallucination psychique. Il semble bien que ce ne soit pas là le processus le plus ordinaire et d’ailleurs même dans ce cas le vocable est repris et travaillé par le sujet il ne prend droit de cité qu’après une transformation. Il porte la marque de son auteur.

Enfin l’excitation psychique fait défaut, ce sont le plus souvent à des malades calmes que l’on a affaire, à des malades qui ne songent pas à paraître ni à susciter l’admiration aussi est-il malaisé souvent d’obtenir qu’ils s’expriment en leur nouveau langage. Il faut longtemps capter leur confiance et on ne l’obtient que par des conversations répétées.

A quoi répond alors ce nouveau langage et comment peut-on en expliquer la survenue ?

Nous avons déjà un peu répondu à ces questions en commentant les observations rapportées. Nous avons montré en effet que tous les sujets de ce deuxième groupe appartiennent à une même catégorie. Nous sommes en présence là, d’individus schizoïdes ou schizophrènes. On sait que chez de tels sujets, le psychisme apparait comme dissocié en deux noyaux l’un tourné vers l’extérieur, l’autre profond dans lequel s’absorbe le malade.

L’individu ainsi constitué mène une sorte de [p. 113] double vie : la vie ordinaire dont il se détache plus ou moins et la vie intérieure dans laquelle il se complaît davantage. Selon les degrés on assiste au simple caractère schizoïde, ou bien aux épisodes passagers de la schizomanie ou bien à la schizophrénie confirmée. Inapte à s’adapter à la vie réelle le sujet s’évade dans l’intériorisation et il compense ainsi son impuissance à avoir une activité pragmatique normale (23).

La psychose apparait comme une compensation (Mignard et Montassut), son contenu est variable il peut être fait d’idées délirantes diverses mais leur but final est de créer autour du sujet une vie fictive plus agréable que la vie réelle.

La glossolalie de nos malades nous parait représenter de même une de ces compensations. Évadés dans leur autisme, la langue imaginée par eux leur sert à exprimer des mirages auxquels ils se complaisent. Ils n’ont pas besoin de les communiquer aux autres et peu leur importe que leur idiome n’ait qu’un seul interlocuteur. D’ailleurs ils se séparent ainsi plus et mieux du monde extérieur. Le malade de Maeder (obs. 4) avait conçu ainsi un roman grandiose dont il était l’acteur et le héros. Il se la racontait dans un dialecte connu de lui seul. Mlle J… , a fait une langue divine qui justement à cause de ce caractère ne peut s’adapter qu’à des pensées [p. 114] sublimes, à des vérités religieuses. Mlle Smith invente « la langue des Martiens » mais c’est tout un roman qu’elle vit à ce sujet ; dans ses états seconds elle voyage sur la planète Mars, converse avec ses habitants, et décrit pleine d’enthousiasme les étranges paysages qu’elle y admire.

L’imagination, on le voit, ne fait pas défaut à ces malades, elle se manifeste sous forme de rêveries, mais de rêveries morbides, impérieusement exigentes et finissant par occuper la presque totalité de l’activité mentale (24).

La réalité est délaissée au profit du songe intérieur et c’est pourquoi tous ces sujets acceptent si facilement leur vie à l’asile. Ils demeurent là sans trop s’en apercevoir effectuant plus ou moins bien leur menue besogne quotidienne ; mais ils ont pour se consoler leur rêve réconfortant et les mille jeux de l’imagination. Il faudrait pour pousser au bout cette analyse expliquer maintenant pourquoi et comment a pu leur venir cette idée de créer une langue.

C’est là un point singulièrement difficile à élucider dans ses détails. On voit bien que leur glossolalie n’est qu’une compensation ; on comprend aussi le grand rôle joué par le facteur imagination mais la naissance même de la langue reste mystérieuse, toutefois il est certains phénomènes se passant chez l’homme normal qui peuvent mettre sur la voie : on [p. 115] connaît ces langages singuliers qui sont parfois créés par certains individus d’une collectivité. Dans les collèges, souvent des écoliers s’amusent à faire un vocabulaire spécial. Ils le parlent entre eux, trouvant une grande joie et aussi peut-être quelque utilité à ne pas être compris des autres et surtout de leur surveillant. Dans les ateliers, divers jargons bizarres sont parfois en usage ; tout le monde connait le « javanais », le « parler louchebem », « l’argonji ».

Sans doute les mots employés ressemblent fort à ceux du langage courant, ils sont même parfois identiques mais camouflés pour ainsi dire par l’adjonction, soit à la fin soit au début des mots d’une syllabe conventionnelle. Un langage plus « glossolalique » (si l’on peut s’exprimer ainsi), est enfin constitué par l’argot. Les néologismes y abondent ainsi que les mots détournés de leur signification usuelle et pris dans un sens symbolique. De plus la structure grammaticale est en général simplifiée, des tournures nouvelles y apparaissent ; si bien que l’ensemble forme finalement un langage presque totalement incompréhensible pour les non-initiés. Il suffit de rappeler à ce propos les fameuses ballades en jargon de François Villon dont on n’a pu jusqu’ici donner une traduction exacte.

Ce ne sont évidemment pas tout à fait les mêmes mobiles qui président à l’élaboration de ces « nouveaux langages », tant dans les collectivités normales que chez nos malades glossolale, et ici le facteur [p. 116] utilitéest certainement très important. Il n’est pas besoin d’insister à ce sujet. Mais outre le désir de rester incompris il y a encore autre chose : par leur langage particulier les individus de ce tordre se constituent en véritables classes qui se !distinguent et s’isolent des autres membres de la société. Il y a ainsi une véritable satisfaction d’orgueil trouvée dans ce seul fait : ne pas se confondre avec les autres. N’y aurait-il pas quelque chose d’analogue sur le plan pathologique qui nous occupe maintenant. Nos sujets, nous l’avons dit, appartiennent tous au groupe schizophrénique et l’on connait le curieux processus psychique qui les amène à une séparation plus ou moins complète, plus ou moins durable aussi, avec le monde extérieur. Envisagées du seul point de vue psychologique, schizoïdie et schizophrénie ne représentent pas autre chose qu’une incapacité à s’adapter correctement à la vie courante et la psychose en résultant n’est que la traduction de cet aveu d’impuissance.

« L’individu normal lutte, triomphe quand il le peut, et s’il est battu sait en prendre son parti ; ici la lutte a tôt fait de fatiguer le lutteur. Et pour ne pas s’avouer vaincu le schizoïde imagine un monde où tout réussit sans fatigue et selon ses fantaisies les plus désordonnées (25). » C’est ainsi que surgissent ces extraordinaires romans, aussi grandioses qu’impossibles, vécus imaginairement par nos sujets. [p. 117] Car ils peuvent donner là libre cours à leurs tendances, épanouir leur personnalité, réaliser enfin leurs désirs les plus orgueilleux et les plus cachés.

La glossolalie nous apparait alors comme un des multiples refuges où se complaisent ces malades. Créer une langue nouvelle est un projet bien chimérique et aussi bien audacieux ; mais rien n’est impossible pour l’homme qui vit son rêve. Et puis n’est-ce pas la suprême séparation, comme ces écoliers dont nous parlions tout à l’heure, ou ces parleurs de javanais ou d’argot, ils s’isolent dans leur jargon, fiers de n’être pas compris et d’avoir peut, être ainsi une supériorité sur les autres.

Certes tous les schizoïdes et tous les schizophrènes n’en viennent pas à un tel aboutissement. Les vrais glossolales sont rares ; mais si un langage nouveau est exceptionnel, on n’en trouve pas moins chez presque tous, les éléments. On sait, en effet, la fréquence des mots, pris par ces malades, dans un sens détourné et symbolique, la fréquence aussi des néologismes : néologismes actifs conçus et créés laborieusement par le malade et lui servant à désigner les sentiments, représentations ou idées auxquels il accorde justement la plus grande valeur affective. Le processus s’arrête là généralement et il est sans doute bien difficile de dire pourquoi chez tels sujets il s’accroît si démesurément. Il est possible qu’une analyse psychique pratiquée avec les méthodes de Freud puisse donner de plus amples éclaircissements. Le cas, cité par nous, de Mœder, montre ce [p. 118] qu’on pourrait obtenir par cette technique. Quoiqu’il en soit le peu que nous avons dit ici permet de comprendre, en gros au moins, le mécanisme si compliqué de la glossolalie vraie. On en saisit la lente genèse et le progressif développement.

Les cas que nous apportons sont évidemment trop peu nombreux pour que nous puissions affirmer que le mécanisme, ici défini, est le seul qui puisse conduire à la glossolalie. Les glossolalies religieuses, en particulier, s’expliquent peut être différemment; on sait qu’elles se produisent au cours de l’exaltation mystique, qu’elles mettent en jeu sans doute l’automatisme mental ; mais nous avons voulu nous limiter au seul terrain psychiatrique et d’ailleurs l’automatisme mental n’exclurait en rien le mécanisme schizophrénique.

Nombre d’états mystiques représentent « des compensations » et l’automatisme mental apparait alors non pas tant comme la cause, que comme l’un des moyens utilisés par le sujet dans la création de sa glossolalie. Nous n’insisterons pas davantage sur ce point qui nous entrainerait au delà du but que nous nous proposions. [p. 119]

DIAGNOSTIC ET VALEUR NOSOGRAPHIQUE
DES GLOSSOLALIES

Il ne nous reste plus maintenant qu’à dire quelques mots du diagnostic et de la valeur nosographique des glossolalies,

Diagnostic. —Le diagnostic positif de la glossolalie est simple, mais encore faudra-t-il savoir reconnaitre que le trouble du langage ainsi présenté relève bien d’une « Dyslogie ». C’est le contenu du discours et non pas les moyens d’ex pression qui sont troublés chez le glossolale. Il s’exprime dans une langue incompréhensible mais il peut aussi quand il veut, parler correctement le langage courant.

C’est en se basant sur ce double caractère que l’on fera le diagnostic différentiel avec les troubles de l’expression verbale observés au cours de diverses affections d’ordre neurologique et qui relèvent d’une lésion de l’appareil moteur ou régulateur du langage. C’est ainsi qu’on ne confondra pas la glossolalie avec la jargonophasie des aphasiques, la palilalie, et en général avec tous les troubles de l’élocution consécutifs à une lésion encéphalique. Duns tomai ces cas les symptômes neurologiques [p. 120] concomitants orienteraient facilement le diagnostic, et d’ailleurs, le trouble de l’élocution restera constant.

Il sera également facile de distinguer en tant que symptôme, une glossolalie de la paraphasie des déments séniles ou artério-scléreux ainsi que des troubles de l’expression observés souvent dans la confusion mentale, l’examen physique des sujets suffira pour lever le doute à cet égard.

Il sera parfois plus malaisé par contre de distinguer la glossolalie de ce qu’on a appelé la « salade de mots ». Ce symptôme qui se rencontre dans la démence précoce hébéphrénique est constitué par l’émission d’un certain nombre de mots du langage courant qui peuvent être d’ailleurs plus ou moins déformés et même comporter quelques néologismes. Les mots sont prononcés les uns à la suite des autres sans aucun lien logique, sans aucune construction grammaticale, assemblés comme une mosaïque. L’ensemble n’a aucun sens mais chacun des éléments ou presque représente un mot connu. Le sujet ne s’exprime donc pas dans une langue nouvelle et incompréhensible et par conséquent ne saurait être classé parmi les glossolales.

Les déments excités, les maniaques logorrhéiques peuvent aussi quelquefois donner lieu à la même méprise par l’incohérence de leurs propos.

Il convient enfin de signaler el d’insister davantage sur la simulation et nous rappellerons à ce propos le fameux individu, arrêté pour un délit de simple police et qui à toutes les questions répondait dans [p. 121] une langue inconnue qu’il dénommait l’Agrach.

L’affaire fit pas mal de bruit dans les journaux et avait suscité l’attention de maints linguistes, lorsque l’inculpé habilement cuisiné avoua sa supercherie.

Nous ne nous attarderons pas au diagnostic de la forme clinique, nous nous sommes efforcé d’établir qu’il y avait deux modes de glossolalie : l’une, simple jeu syllabique à laquelle nous avons donné le nom de Glossomanie, l’autre Glossolalievraie, véritable langue nouvelle, créée par le sujet. Nous avons trop longuement insisté sur les différences de ces deux formes pour qu’il soit utile d’y revenir une fois de plus.

Nous ajouterons seulement ceci : séparées par leur aspect clinique aussi bien que par leur mécanisme, ces deux formes des glossolalies répondent à des groupes d’affections différents. La première se rencontre au cours d’états d’excitation psychique : manie, déséquilibrés avec excitation, et même au cours ou à la fin de certains délires, où l’excitation psychique domine ; la seconde paraît se voir uniquement dans une classe très spéciale de démence précoce : états schizoïdes, schizomaniaques ou schizophréniques.

On voit donc l’intérêt qu’il y avait à isoler ces deux formes et les services que leur connaissance pourra rendre au praticien, pour étayer parfois un diagnostic difficile. [p. 122-123]

CONCLUSIONS

I.La glossolalie est un trouble du langage appartenant à la classe des « Dyslogies ». Elle peut être définie le « parler en langues » ou plus explicitement l’expression en un langage nouveau.

2.La glossolalie se présente en clinique selon deux modalités :

1° La glossomanie, constituée par un jeu verbal syllabique généralement rythmé et assonancé : le malade émettant une suite de syllabes où domine selon les cas tel ou tel son principal, sans qu’il soit possible de trouver dans ce langage la moindre règle grammaticale, non plus qu’aucune signification.

2° La glossolalie vraie, constituée par un langage réellement nouveau, créé volontairement par le malade. Ce langage, plus ou moins bien çomposé, selon le niveau mental du sujet, est régi par quelques règles grammaticales, qui ne sont que la copie plus ou moins pauvre de celles des langues courantes connues de lui. Les mots sont des néologismes fabriqués par lui. Ils sont généralement en petit nombre et représentent soit des mots ordinaires [p. 124] déformés ou détournés de leur sens, soit, surtout, des vocables entièrement néoformés.

  1. A ces deux formes cliniques, correspondent deux mécanismes différents. Dans le premier cas l’excitation psychique est au premier plan et la » glossomanie » apparaît comme une sorte de jeu dont le mécanisme relève de l’automatisme mental d’une part, et d’autre part d’une activité volontaire, désir du malade d’étonner ceux qui l’écoutent. Dans ces cas, il n’y a pas généralement un seul langage créé, mais un nombre illimité, selon la suggestion faite aux malades.

Dans le deuxième cas le mécanisme est différent et s’il faut faire intervenir pour une faible part l’automatisme mental, la « glossolalie vraie » apparait surtout comme un effort logique, coordonné, volontaire, dont la raison affective doit être cherchée dans le besoin de compensation chez des sujets schizoïdes, schizomanes, ou schizophrènes.

  1. Il faudra faire la distinction entre la glossolalie et les troubles du langage provenant de lésions neurologiques d’une part, les langages incohérents constitués par l’accumulation de néologismes, la salade de mots, les logorrhées incohérentes des maniaques et de certains déments excités d’autre part. Faire enfin une part toujours possible à la simulation.
  2. Il sera intéressant devant un aliéné glossolale de rechercher à quelle catégorie il appartient, chaque [p. 125] forme de glossolalie se rencontrant dans des cas très différents :

D’une part la « glossomanie » se rencontrant surtout dans les cas de manie et d’excitation intellectuelle, ou chez des déséquilibrés avec excitation psychique.

D’autre part la « glossolalie » que l’on peut observer chez des sujets schizoïdes, schizomanes ou schizophrènes. [p. 26]

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Notes

(1) Cénac, Logorrhée néologique chez une malade atteinte de délire hallucinatoire chronique à manifestations polymorphes. Transformation de la personnalité. État maniaque. Conservation de l’orientation (Bull. de la Soc. clin. de Méd. ment., mars 1923).

(2) Bovet, le « Parler en langue » des premiers chrétiens et ses conditions psychologiques (Rev. De l’Hist. des Religions1911).

(3) Lombard, De la glossolalie chez les premiers chrétiens et des phénomènes similaires(Lausanne, 1910).

(4) Mosiman, Das Zungenreden zu Schichtelich in psychologische unter sunt tulingen, 1911.

(5) Pfister, Die psychologische Enkaschung der religiosen Glossolalie in Jarbrich fiu psycho-analys(Forsch, III, 1913).

(6) Séglas, les Troubles du langage chez les aliénés.

(7) Kahlbaum, Die katatonie. Berlin, 1874.

(8) Tanzi, Neologismi degli alienati in rapporte col delirio eronico Riv. sp. di fren. T. XV, fasc. IV, 1889.

(9) Trénel, Pratique médico-chirurgicale (voir mot néologisme).

(10) Depuis l’époque où parut l’article du Dr Trénel, Krœplin revisant la classification qu’il avait établie des démences précoce une place à part au groupe que nous venons de voir décrit et qu’il désigne sous le nom de « Schizophasies ».

(11) Flournoy, Des Indes à la planète Mars(Alcan, 1900).

(12) A. Mœder, la Langue d’un aliéné . Analyse d’un cas de glossolalie. Extrait des Archives de psychologie, t, X, n°35, mars 1910. [en ligne sur notre site]

(13) K. Tuckzek, Analyse einer Katatoni Ker sprache Zeitechrift für die gesante Neurologie und Psychiatrie, vol. 72, année 1921.

(14) Bleuler, Démence précoce ou groupe des Schisophrénies, Deuticke, 1911.

(15) Quercy, Sur le langage automatique(Soc. médic . psych., oct. 1922).

(16) Delacroix, le Langage et la Pensée(F. Alcan),

(17) Voir planche l la reproduction de l’écriture de Mlle J.

(18) On reconnaît ici tous les caractères de la constitution « schizoïde » de Kretschmer et de H. Claude, Borel et Robin.

(19) Tuczek K., Analyse einer, Katatonikersprache. Zeitschrift für die gesante Neurologie und Psychiatrie, volume 72, année 1921.

(20) [Michel Collée : cette note, inscrite dans le texte, n’est pas répercutée en bas de page ; elle est donc absente de l’exemplaire de thèse originale dont est tirée cette retanscription]•.

(21) Delacroix, le Langage et la pensée(voir p. 313).

(22) Quercy, Sur le langage automatique(Ann. Méd. Psych., 1922).

(23) Voir à ce sujet : Borel et Robin, Les Rêveries morbides(Annales Méd. Psych., 1924) ; H. Claude, Borel et Robin, Discordance entre l’activité intellectuelle et l’activité pragmatique.

(24) Borel. Rêveurs ou boudeurs morbides(Journ. de Psych., Juin 1925).

(25) A. Borel, Rêveurs et boudeurs morbides(J. de Psychologie, juin 1925).

PUBLICATIONS ANTÉRIEURES

Trophœdème chronique acquis de la jambe droite datant de vingt ans chez une débile persécutée (Leroy et Cénac, Soc. clin. de Méd. ment., janv. 1922).

Délire hallucinatoire. Pseudo-hallucinations. Hallucinations unilatérales de l’ouïe. Hallucinations lilliputiennes périodiques atypiques (Cénac, Soc. clin. de Méd. ment., juin 1922).

Mort d’une épileptique par thrombose de la mésentérique supérieure (Présentation de pièces) (Trénel et Cénac, Soc. clin. de Méd. ment., nov. 1922).

Thrombose de la mésentérique supérieure (Présentation de pièces) (Trénel et Cénac, Société anatomique).

Lymphocytose transitoire au début d’une affection mentale aiguë récidivante (Leroy et Cénac, Soc. clin. de Méd. ment., janv. 1923).

Lymphocytose transitoire dans une affection mentale aiguë curable. Délire hallucinatoire par épuisement au cours de l’allaitement (Cénac. Soc. clin. de Méd. ment., février 1923).

Logorrhée néologique chez une malade atteinte de délire hallucinatoire chronique à manifestations polymorphes. Transformation de la personnalité. État maniaque. Conservation de l’orientation (Cénac, Soc. clin. de Méd. ment., mars 1923).

Syndrome thalamique dissocié coïncidant avec une aréflexie totale (Trénel et Cénac, Soc. de Neurologie, avril 1923).

Syphilis et troubles mentaux (Présentation de documents) (Cénac, Soc. clin. de Méd. ment., mai 1923).

Présomption légale d’origine et pensions militaires (Cénac, Service de l’Admission, Soc. clin. de Méd. ment., mai 1923).

Présomption légale d’origine et pensions militaires (suite) (Cénac, Soc. clin. de Méd. ment., juin 1923).

Etat parkinsonien post-encéphalitique et psychose dépres¬sive (Jean Cuel et Cénac, Soc. clin. de Méd. ment., juin 1923

Un cas de paralysie générale et de tabès avec déformation particulière du maxillaire inférieur (Uenri Colin, Cénac et Péron, Soc. clin. de Méd. ment ., juillet 1923).

Psychose polynévritique grave. Danger de la recherche du réflexe oculo-cardiaque. Importance du traitement par la strychnine. Opportunité du traitement chirurgical du pied bot paralytique (Trénel et Cénac, Soc. clin, de Méd. ment., novembre 1923).

Hémiparésie alterne et syndrome pseudo-bulbaire (Colin et Cénac, Soc. clin. de Méd. ment., décembre 1923).

Alcoolisme et hallucinations lilliputiennes (Cénac, Soc. clin. de Méd. ment., décembre 1923).

Syndrome érotomaniaque chez une persécutée (Cénac, Soc. clin. de Méd. ment., mars 1924).

Désagrégation de la personnalité au cours d’un délire d’influence chez une dégénérée (Montassut et Cénac, Soc. clin. de Méd. ment., juin 1924).

Délire de date ancienne ayant nécessité l’internement au bout de plusieurs années :

1° Maniaque vivant en liberté depuis plus de dix ans ; 2° Délire à deux datant de quinze ans;

3° Délire à trois remontant à trois ans. (Colin et Cénac, Soc. clin. de Méd. ment., nov. 1924).

Perversions sexuelles et encéphalite épidémique (Cénac, Soc. médico-psychologique, mars 1924).

Un cas de délire d’interprétation (Cénac, Soc. médico-psychol., juin 1924).

Un cas d’atrophie bilatérale du trapèze de type myopathique consécutive à un traumatisme local dans l’enfance chez un paralytique général (Lhermitte, Cénac et Noël Péron, Soc. neurologique, janv. 1924).

Troubles du caractère et cardiopathies (G. Robin et Cénac, Service de la clinique, Soc. médico-psychol., février 1925).

L’hyperpnée dans le diagnostic de l’épilepsie psychique (Henri Claude, H. Godet, M. Cénac et M. Montassut, Soc. médico-psychol., mars 1925).

L’hyperpnée expérimentale. Application au diagnostic de l’épilepsie psychique (Henri Claude, H. Godet, M. Cénac, M. Montassut, Progrès médical, avril 1925.

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