Jules Cotard. Du délire de négation. Article parut dans les « Archives de Neurologie, revue des maladies nerveuses et mentales », (Paris), tome IV, 1882, pp. 152-170 et pp. 282-286.
Ce texte fait suite au premier article dans lequel pour le première fois le concept de « délire de négation » apparait. Il est pour cela d’une importance majeure dans notre démarche épistémologique. [en ligne sur notre site sous]
Jules Cotard (1840-1889). Médecin neurologue et aliéniste, ami d’Auguste Comte, il a travaillé à partir de 1864 à la Salpêtrière dans les services de Vulpian et de Charcot.
Il est connu pour avoir décrit les troubles mentaux en relation avec l’hyperglycémie mais surtout pour avoir décrit un syndrome délirant, observé au cours de syndromes dépressifs sévères appelés syndromes mélancolique. Il y donnera son nom, le syndrome de Cotard.
Quelques publications :
— Etude sur l’atrophie partielle du cerveau. Avec deux belles planches lithographiées. Paris, Lefrançois, 1868. 1 vol. in-8°, 1 fnch., 102 p., 2 planches hors texte.
— Du délire de négation. Article parut dans les « Archives de Neurologie, revue des maladies nerveuses et mentales », (Paris), tome IV, 1882, pp. 152-170 et pp. 282-286. [en ligne sur notre site sous]
— Etudes sur les maladies cérébrales et mentales. Préface de M. le Dr. Jules Falret. Paris, J.-B. Baillière et fils, 1891. 1 vol. in-8°, XII p., 443 p.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’ouvrage. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Les images ont été ajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
[p. 152]
DU DÉLIRE DES NÉGATIONS
Par M. COTARD.
L’important mémoire dans lequel M. Lasègue, en 1852, a détaché des diverses formes de mélancolie le délire des persécutions, a été le point de départ de travaux complémentaires qui ont fait da cette forme de vésanie l’une des mieux connues dans ses symptômes, dans sa marche et ses terminaisons, il suffit de rappeler, avec le nom de M. Lasègue, ceux de Morel, de MM. Foville et Legrand du Saulle et en particulier celui de M. J. Falret qui a exposé devant la Société médico-psychologique le tableau aussi complet que possible des phases successives et de l’évolution de cette maladie.
En ce qui concerne les autres variétés de délire mélancolique, nos connaissances sont bien loin de cette perfection relative. On a décrit avec soin la mélancolie simple, la mélancolie avec stupeur, la mélancolie anxieuse, on sait que ces formes sont souvent intermittentes, que quelquefois elles deviennent continues et passent à la chronicité, mais les caractères et les phases successives du délire qui aboutit à cette chronicité n’ont pas, que je sache, été l’objet d’un travail équivalent à celui qui a été fait pour le délire des persécutions. [p. 153]
Je me propose, dans ce mémoire, d’exposer une évolution délirante spéciale, qui me parait appartenir à un assez grand nombre de ces mélancoliques non persécutés, plus particulièrement aux anxieux, et reposer surtout sur des dispositions négatives très habituelles chez ces malades.
Généralement les aliénés sont négateurs ; les démonstrations les plus claires, les affirmations les mieux autorisées, les témoignages les plus affectueux les laissent incrédules ou ironiques. La réalité leur est devenue étrangère ou hostile. Mais cette disposition négative est marquée surtout chez certains mélancoliques, comme l’a remarqué Griesinger.
« Sous l’influence du malaise moral profond qui constitue le trouble psychique essentiel de la mélancolie, dit cet auteur, l’humeur prend un caractère tout à fait négatif… Cette confusion, dit-il plus loin, que fait le malade entre te changement subjectif des choses extérieures qui se produit en lui, et leur changement objectif ou réel, est le commencement d’un état de rêve dans lequel, lorsqu’il arrive à un degré très élevé, il semble au malade que le monde réel s’est complètement évanoui, a disparu ou est mort et qu’il ne reste plus qu’un monde imaginaire au milieu duquel il est tourmenté de se trouver. »
Je hasarde le nom de délire de négations pour désigner l’état des malades auxquels Griesinger fait allusion dans ces dernières lignes et chez lesquels la disposition négative est portée au plus haut degré. Leur demande-t-on leur nom ? ils n’ont pas de nom ; leur âge ? ils n’ont pas d’âge ; où ils sont nés ? ils ne sont pas nés ; qui étaient leur père et leur
mère ? ils n’ont [p. 154] ni père, ni mère, ni femme, ni enfants ; s’ils ont ùam à la tête, mal à l’estomac, mal en quelque point de leur corps ? ils n’ont, pas de tête, pas d’estomac, quelques-uns même n’ont point de corps;; leur montre-t-on un objet quelconque, une fleur, une rose, ils répondent : Ce n’est point une fleur, ce n’est point une rose. Chez quelques-uns la négation est universelle, rien n’existe plus, eux-mêmes ne sont plus rien.
Ces mêmes malades qui nient tout, s’opposent à tout, résistent à tout ce qu’on veut leur faire faire. Certains, fous, dit Guislain, sont d’une opposition dont on ne peut se faire une idée quand on ne les a pas vus de près. Il faut les plus grands efforts pour les déterminer à changer de linge, ils refusent de se coucher dans leur lit, ils ne veulent pas se lever, ils sont opposés à tout ce qu’on leur demande de faire. C’est la folie d’opposition.
A cette folie d’opposition, Guislain rattache le mutisme, le refus des aliments et cette singulière disposition de certains aliénés qui s’efforcent de retenir leurs urines et leurs excréments. Mais il ne signale pas le délire de négation dont la folie d’opposition n’est pour ainsi dire que le côté moral. Il en est de même de la plupart des auteurs et il paraît étrange qu’une lésion intellectuelle aussi caractérisée n’ait pas davantage attiré l’attention. Les cas mêmes où le fait est simplement signalé sont rares. La forme hypochondriaque du délire des négations seule est devenue d’observation vulgaire depuis les travaux de M. Baillarger.
C’est dans les Fragments psychologiques de Leuret que je trouve l’observation la plus caractéristique. J’en résume l’interrogatoire. [p. 155]
— Comment vous portez-vous, madame ? La personne de moi-même n’est pas une dame ! appelez-moi mademoiselle, s’il vous plait. — Je ne sais pas votre nom, veuillez me le dire ? La personne de moi-même n’a pas de nom : elle souhaite que vous ne l’écriviez pas. — Je voudrai pourtant bien savoir comment on vous appelle, ou plutôt comment on vous appelait autrefois. Je comprends ce que vous voulez dire. C’était Catherine X…, il ne faut plus parler de ce qui avait lieu. La personne de moi-même a perdu son nom, elle l’a donné en entrant à la Salpêtrière. — Quel âge avez-vous ? La personne de moi- même n’a pas d’âge. — Vos parents vivent-ils encore ? La personne de moi-même est seule et bien seule, elle n’a pas da parents, elle n’en a jamais eu. — Qu’avez-vous fait et que vous est-il arrivé depuis que vous êtes la personne de vous-même ? La personne de moi-même a demeuré dans la maison de santé de….. On a fait sur elle et on fait encore des expériences physiques et métaphysiques. Ce travail n’était pas connu d’elle avant 1827. Voilà une invisible qui descend, elle vient mêler sa voix à 1a mienne.
La malade de Leuret présentait, en outre du délire de négation le mieux caractérisé, des hallucinations nombreuses : elle était tourmentée par des invisibles, par la physique et la métaphysique, en un mot, on observait chez elle des symptômes de délire de persécution. Les cas complexes où, comme dans celui-ci, les deux délires coexistent ne sont pas rares, j’en citerai plus loin des exemples. Mais le plus souvent ces deux formes de délire s’observent isolément chez des malades différents.
Le vrai persécuté parcourt toutes les phases de son délire, depuis l’hypochondrie du début jusqu’à la mégalomanie, sans que ses dispositions négatives dépassent ce qu’on observe communément chez les aliénés ; il nie par méfiance, par crainte d’être dupe, ou bien parce qu’il est complètement dominé par ses conceptions délirantes et ses hallucinations, et qu’il en est arrivé à [p. 156] vivre dans un monde imaginaire, mais ses dispositions négatives sont bien différentes de la négation systématisée dont je veux parler ici.
En général les persécutés ne présentent ni la profonde dépression, ni l’anxiété gémissante des vrais mélancoliques : il ne semble pas qu’il y ait en eux ce trouble profond de la sensibilité morale que Griesinger considère comme l’élément fondamental de la mélancolie. C’est sur ce terrain, au contraire, que parait se développer plus ou moins tardivement et après une évolution délirante spéciale, la négation systématisée. Il n’est pas rare, toutefois, dans les états de chronicité avancée, que le délire de négation survive en quelque sorte aux troubles généraux du début et que les malades, comme celle de Leuret, ne présentent plus ni dépression ni agitation anxieuse manifestes.
Je viens d’assigner, comme double origine du délire des négations, la rnélancolie avec dépression ou stupeur et la mélancolie agitée ou anxieuse. Quelque différentes que soient, dans leurs manifestations externes, ces deux formes de mélancolie, on ne peut se refuser à reconnaitre leurs analogies délirantes, analogies frappantes surtout dans les cas où la dépression et l’agitation anxieuse se succèdent ou alternent chez les mêmes malades, sans que le délire soit sensiblement modifié.
Dans ces formes prédominent l’anxiété (une anxiété intérieure effroyable constitue l’état fondamental de la mélancolie avec stupeur, dit Griesinger), les craintes, les terreurs imaginaires, les idées de culpabilité, de perdition et de damnation ; les malades s’accusent eux-mêmes, ils sont incapables, indignes, ils font le malheur et la honte de leurs familles ; on va les arrêter [p. 157] les condamner à mort : ou va les brûler ou les couper par morceaux. Ces craintes de prison, de,condamnation et de supplices ne doivent pas, comme nous l’a souvent fait remarquer M. J. Falret, être confondues avec le véritable délire de persécution qui est relativement rare chez les malades de cette espèce. Bien différents des persécutés, ils s’accusent eux même ; si on va les livrer au dernier supplice, ce n’est que justice, ils ne l’ont que trop mérité par leurs crimes.
A ce point de vue, on peut distinguer deux grandes classes de mélancoliques : ceux qui s’en prennent à eux-mêmes et ceux qui accusent le monde extérieur et surtout le milieu social. Ces derniers sont les persécutés que Guislain.avait déjà désignés du nom d’aliénés accusateurs.
Cette division des mélancoliques correspond à peu près à la division en mélancolie avec trouble général de l’intelligence et en monomanie triste (Baillarger) et à la division en lypémanie générale et lypémanie partielle (Foville) ; on peut dire, d’une rnanière très générale que les mélancoliques vrais s’accusent eux-mêmes, tandis que les monomanes tristes accusent autrui. Mais il n’est pas rare de voir, d’une part, les persécutés prendre, pendant un paroxysme, les caractères de la mélancolie générale, déprimée ou anxieuse, et, d’autre part, les mélancoliques à idées de culpabilité, arrivés à une période plus ou moins avancée de leur maladie, revêtir la physionomie des monomanes tristes.
II y a sans doute, derrière ces manifestations extérieures, qui varient depuis la stupeur jusqu’à l’agitation anxieuse, quasi-maniaque, des dispositions maladives plus profondes où réside la différence essentielle [p. 158] entre les persécutés et les autres mélancoliques. Peut-être est-ce dans les tendances que j’ai indiquées tout à l’heure et qui portent les malades soit à s’accuser eux même, soit à accuser les autres, qu’il faudrait chercher la manifestation la plus immédiate de ces dispositions intimes qui constituent le véritable fond de la maladie.
Ces tendances existent souvent pendant bien des années avant l’apparition évidente du délire ; à un degré très atténué, on les rencontre chez beaucoup d’hommes sains d’esprit, parmi lesquels elles établissent deux catégories tout à fait distinctes.
Longtemps avant d’être réellement aliénés, les persécutés sont soupçonneux et méfiants, plus sévères pour les autres que pour eux-mêmes ; pendant longtemps aussi certains anxieux, avant d’être frappés d’un accès franchement vésanique, sont scrupuleux, timides, toujours disposés à s’effacer, plus sévères peur eux-mêmes que pour les autres.
J’insiste sur cette division des délires mélancoliques, confondus par la plupart des auteurs. Marcé paraît l’admettre implicitement ; Il ne signale, dans la véritable mélancolie, que les idées de ruine, de culpabilité, etc., indique le délire hypochondriaque consécutif et relègue dans la monomanie les idées de persécution ; mais il n’insiste pas autrement sur cette distinction, qui du reste paraît trop absolue, puisque certains persécutés présentent les caractères de la mélancolie vraie et que d’autres malades à idées de ruine et de culpabilité ressemblent à des monomanes.
Examinons maintenant par quelle évolution délirante les mélancoliques qui s’accusent eux-mêmes arrivent au délire des négations ; résumons d’abord les [p. 159] principaux caractères de leur état mental. Dans leur forme la plus atténuée, ces caractères sont ceux de la variété de mélancolie désignée sous les noms de mélancolie simple ou sans délire et plus exactement sous le nom d’hypocondrie morale par M. J, Falret, qui l’a décrite avec une exactitude minutieuse.
Les mélancoliques, dits sans délire, sont en effet atteints d’un délire triste portant sur l’état de leurs facultés morales et intellectuelles, et présentant déjà une forme négative évidente. « Ils ont honte ou même horreur de leur propre personne et se désespèrent en songeant qu’ils ne pourront jamais retrouver leurs facultés perdues… Ils regrettent leur intelligence évanouie, leurs sentiments éteints, leur énergie disparue… Ils prétendent qu’ils n’ont plus de cœur, plus d’affection pour leurs parents et leurs amis, ni même pour leurs enfants. »
Les idées de ruine apparaissent souvent, et semblent être un délire négatif de mêle nature : en même temps que ses richesses morales et intellectuelles, le malade croit avoir perdu sa fortune matérielle : il n’a plus rien de ce qui fait l’orgueil de l’homme, ni intelligence, ni énergie, ni fortune.
C’est l’envers du délire des grandeurs où les malades s’attribuent d’immenses richesses en même temps que tous les talents et toutes les capacités. Cette hypocondrie morale repose sur le fonds commun de la mélancolie et sur un état d’anxiété vague et indéterminée, et les malades sentent que tout est changé en eux et au dehors et se désolent de ne plus apercevoir les choses à travers le même prisme qu’autrefois ». (J. Falret.) [p. 160]
Dans des cas légers, il existe déjà comme un voile à travers lequel le malade ne perçoit plus la réalité que d’une manière confuse ; tout lui parait transformé. À mesure que l’état maladif devient plus intense, ce voile s’ épaissit et, dans les cas de stupeur, finit par masquer entièrement le monde réel. Le malade est alors, comme le fait justement remarquer M. Baillarger, dans un état voisin du rêve.
Non seulement à ce point de vue, mais à tous autres égards, il semble n’y avoir qu’une différence de degré entre ces états d’hypocondrie morale et les affections mélancoliques avec idées de culpabilité, de ruine, de damnation et négation systématisée. L’hypocondrie morale est une ébauche dont il suffit d’accentuer les traits et de forcer les ombres pour achever le tableau de ces dernières formes de mélancolie.
Le dégoût de soi-même arrive au délire de culpabilité et de damnation, les craintes deviennent des terreurs ; la réalité extérieure transformée et confusément perçue finit par être niée. Certaines négations se montrent même de très bonne heure chez les hypochondriaques moraux ; ils nient la possibilité de leur guérison, d’un soulagement quelconque dans leur état de souffrance ; c’est une des premières négations de ces malades dont quelques-uns iront plus tard jusqu’à nier le monde extérieur et leur propre existence.
Il importe de bien distinguer cet état d’hypocondrie morale de I’hypocondrie ordinaire.
Bien qu’on doive, dit M. Balllarger, admettre des cas de mélancolie sans délire, néanmoins il importe de se défier de certains hypochondriaques qui ont en apparence beaucoup de ressemblance avec les [p. 161] mélancoliques dont il est ici question. Le véritable mélancolique est dans un état de dépression générale… Rien de pareil n’a lieu chez I’hypochondriaque, qu’une distraction peut momentanément faire sortir de sa prétendue prostration, de sa nullité, de son impuissance, etc.
L’hypocondrie ordinaire, dont parle ici M. Baillarger se rapproche par plusieurs caractères, du délire des persécutions, dont elle n’est souvent que la première période, et c’est surtout l’évolution diverse des deux hypochondries qui justifie la distinction de M. Baillarger. On peut dire d’une manière générale que l’hypocondrie morale est au délire de ruine, de culpabilité, de perdition et de négation, ce que l’hypocondrie ordinaire est au délire des persécutions.
Lorsque le délire de négation est constitué, il porte soit sur la personnalité même du malade, soit sur le monde extérieur. Dans le premier cas, il prend une forme hypochondriaque analogue au délire, spécial signalé par M. Baillarger chez les paralytiques : les malades n’ont plus d’estomac, plus de cerveau, plus de tête, ils ne mangent plus, ne digèrent plus, ne vont plus à la garde-robe, et en fait ils refusent énergiquement les aliments et souvent retiennent leurs matières fécales. Quelques-uns, comme je l’ai indiqué dans une note présentée à la Société médico-psychologique, s’imaginent qu’ils ne mourront jamais. Cette idée d’immortalité se rencontre surtout dans les cas où l’agitation anxieuse prédomine ; dans la stupeur, les malades s’imaginent plutôt qu’ils sont morts. On en voit même qui présentent alternativement l’idée d’être morts ou l’idée de ne pouvoir mourir, suivant leurs [p. 162] états alternatifs d’agitation anxieuse ou de dépression stupide.
Le délire bypochondriaque, surtout moral au début, devient, à une période plus avancée et, surtout quand la maladie passe à l’état chronique, à la fois moral et physique. Des malades qui commencent par n’avoir ni cœur, ni intelligence, finissent par n’avoir plus de corps. Quelques-uns, comme la malade de Leuret, ne parlent d’eux-mêmes qu’à la troisième personne. Chez les persécutés, la marche est inverse. L’hypochondrie du début est surtout physique ; mais à une période plus avancée, les malades se préoccupent de leurs facultés intellectuelles, on les abêtit, on les empêche de penser, on leur dit des bêtises, on leur soutire leur intelligence, etc.
Ces deux hypochondries ne diffèrent pas seulement par leur marche ; l’hypocondrie des anxieux porte le cachet de l’humilité ; ils n’ont rien et sont rien qui vaille ; ils sont pourris, atteints de maladies ignobles, quelques-uns croient avoir la syphilis ; et Fodéré avait déjà remarqué la connexion de cette dernière idée délirante avec ce qu’il appelle la damnomanie.
Tout autres sont les hypochondriaques persécutés. Ils ont en général fort bonne opinion d’eux-mêmes et de leur organisation assez robuste pour supporter tant de maux ; ils s’en prennent aux influences extérieures, a l’air, à l’humidité, au froid, à la chaleur, aux aliments et surtout aux médicaments. S’il s’agit de syphilis, ce n’est pas la syphilis, mais le mercure qui devient la cause de toutes leurs souffrances. Ils finissent par accuser le médecin et arrivent au délire de persécution [p. 163] confirmé. (Legrand du Saulle Gazette des hôpitaux, décembre 1881.)
Ces influences nuisibles auxquelles le persécuté se croit en butte et qui du dehors convergent vers sa personne, l’anxieux s’imagine au contraire en être la source et les répandre tout autour de lui ; il se figure qu’il porte malheur aux personnes qui l’approchent, au médecin qui le soigne, aux domestiques qui le servent ; il va leur communiquer des maladies mortelles, les compromettre ou les déshonorer ; la maison où il habite sera une maison maudite ; en se promenant dans le jardin, il fait périr les arbres et les fleurs.
Le délire hypochondriaque de négation est souvent lié à des altérations de la sensibilité. L’anesthésie est fréquente dans la stupeur où elle a été signalée par tous les auteurs, on la rencontre aussi chez quelques, mélancoliques anxieux ; chez d’autres, il semble qu’il y ait au contraire hyperesthésie, les malades ne veulent pas se laisser approcher ; ils crient dès qu’on les touche et répètent sans cesse : « Ne me faites pas de mal ! »
Dans quelle mesure ces altérations de la sensibilité concourent-elles au développement du délire hypochondriaque de négation, c’est là une question de pathogénie que je ne veux point essayer d’élucider. Je me borne à les signaler comme caractère différentiel des deux délires hypochondriaques ; fréquentes chez les négateurs, elles sont tout à fait rares chez les persécutés.
Lorsque le délire porte sur le monde extérieur, les malades s’imaginent qu’ils n’ont plus de famille, plus le pays, que Paris est détruit, que le monde n’existe plus, etc. Les croyances religieuses, et en particulier la croyance en Dieu, disparaissent souvent, quelquefois [p. 164] de très bonne heure. Griesinger a signalé les idées lugubres, négatives, dont se sentent envahies les malades que leur agitation inquiète rend incapables de recueillement et de prière.
Ce ne serait pas assez d’une rapide description du délire des négations et de ses diverses formes, pour faire de ce délire une espèce particulière de mélancolie. Je voudrais montrer que, conjointement à ce délire, il existe de nombreux symptômes étroitement associés entre eux, de manière à constituer une véritable, maladie, distincte par ses caractères et son évolution.
Le délire des persécutions peut nous servir de type. C’est surtout en faisant ressortir les différences et les contrastes qu’il présente avec le persécuté, que je cherche à dépeindre le négateur.
J’ai déjà commencé ce parallèle en marquant la différence entre l’hypochondrie morale et hypocondrie ordinaire, entre le mélancolique anxieux qui s’accuse lui-même et le persécuté qui s’en prend au monde extérieur. Lorsque la maladie devient plus intense, ou revêt dès le début une forme plus grave, il s’ajoute aux symptômes ébauchés dans l’hypocondrie morale et au délire vulgaire de ruine et de culpabilité, des phénomènes nouveaux qui méritent de fixer l’attention en raison de leurs caractères spéciaux : ce sont les hallucinations.
Ces hallucinations sont fréquentes surtout dans les états de stupeur, mais on les observe aussi dans la forme anxieuse. Lès malades se croient entourés de flammes, ils voient des précipices â leurs pieds, ils s’imaginent que la terre va les engloutir ou que la maison va s’écrouler, ils voient les murs chanceler et croient [p. 165] que la maison est minée ; ils entendent les préparatifs de leur supplice, on dresse la guillotine ; ils entendent des roulements de tambour, des détonations d’armes à feu, on va les fusiller ; ils voient la corde destinée à les pendre, ils entendent des voix qui leur reprochent leurs crimes, leur lisent leur arrêt de mort ou qui leur répètent qu’ils sont damnés. Quelques-uns ont des hallucinations du goût et de l’odorat et s’imaginent qu’ils sont pourris, que leurs aliments sont transformés, qu’on leur présente des ordures, des matières fécales, de la chair humaine, etc.
En général, les hallucinations, chez les malades à idées de culpabilité, appartiennent à cette catégorie d’hallucinations, établie par M. Baillarger, qui reduisent les préoccupations actuelles des malades. Une mélancolique, dit cet auteur, qui s’accusait de crimes imaginaires, était obsédée jour et nuit par une voix qui lui lisait son arrêt de mort et décrivait les supplices qui lui étaient réservés. Un autre malade dont l’histoire est rapportée par Michéa, se croit coupable, poursuivie par la police et menacée de mort. Elle est placée dans une maison de santé et quelques jours après, la lypémanie étant à son comble, elle aperçoit presque constamment à ses pieds la corde qui doit servir à l’étrangler et le cercueil préparé pour recevoir son cadavre.
Des malades se croient damnés et ils voient les flammes de l’enfer, ils entendent des coups de fusil et croient qu’on va les fusiller. Guislain a fait remarquer l’étroite connexion entre la démonophobie, le suicide et ce genre d’hallucinons où les malades voient partout des flammes, des incendies. [p. 166]
L’état hallucinatoire des mélancoliques anxieux, stupides ou agités, est profondément distinct de celui des persécutés, d’abord par les hallucinations de la vue qui sont rares chez les persécutés et ensuite par le caractère des hallucinations auditives. Comme les hallucinations de la vue, celles-ci sont simplement confirmatives des idées délirantes et il est quelquefois malaisé de les en distinguer ; chez les anxieux, le phénomène hallucinatoire ne présente pas cette indépendance qui lui donne, chez les persécutés une si grande netteté en même temps qu’une évolution toute spéciale.
Le persécuté arrive peu à peu à un dialogue, on le voit écouter, répondre avec impatience ou colère à ses interlocuteurs imaginaires ; rien de pareil chez l’anxieux : il parle, c’est pour répéter sans cesse les mêmes mots, les mêmes phrases, le même gémissement, sa loquacité a le caractère d’un monologue, d’une litanie, taudis que celle du persécuté est dialogante.
On n’observe pas non plus chez l’anxieux la répercussion de la pensée, l’écho, ni ce vocabulaire spécial qui permet de reconnaitre au bout d’un instant de conversation les persécutés chronique.
J’ai indiqué, au commencement de ce travail, l’opposition et la résistance systématiques des délirants par négation ; on rencontre souvent chez eux une raideur et une tension musculaires qui montrent que leur inertie n’est qu’apparente et que leur résistance n’est pas simplement passive. Dès qu’on veut changer leur altitude, imprimer quelque mouvement à leurs membres, ils contractent énergiquement leurs muscles pour résister et maintenir leur position ordinaire.
Je ne veux pas m’arrêter sur les tremblements [p. 167] signalés chez quelques anxieux, sur les accidents cataleptiformes des stupides, mais je ne puis passer sous silence les impulsions suicides et les mutilations si fréquentes chez les anxieux, surtout quand ils sont dominés par des idées religieuses, et qui établissent encore une différence avec les persécutés chez lesquels le suicide est beaucoup moins fréquent, et les mutilations tout à fait rares.
Les anxieux à idées de damnation sont les malades les plus disposés au suicide ; alors même qu’ils se croient morts, ou dans l’impossibilité de jamais mourir, ils n’en cherchent pas moins à se détruire ; les uns veulent se brûler, le feu étant la seule solution, les autres veulent être coupés par morceaux et cherchent par tous les moyens possibles à satisfaire ce besoin maladif de mutilations, de destruction et d’anéantissement total. Quelques-uns se montrent violents envers les personnes qui les entourent ; il semble qu’ils veuillent démontrer qu’ils sont bien réellement les êtres les plus pervers et les plus dépourvus de sentiments rnoraux : souvent ils injurient, blasphèment ; des damnés et des diables ne peuvent, faire autrement.
Le refus des aliments, si étroitement lié à la folie d’opposition, présente aussi quelques caractères spéciaux chez les négateurs. En général il est total et porte indistinctement sur tous les aliments ; les malades refusent de manger parce qu’ils n’ont pas d’estomac, que « la viande et autre nourriture leur tombe dans la peau du ventre », parce que les damnés ne mangent point, parce qu’ils n’ont pas de quoi payer. Quelques-uns cependant, dominés par un délire de culpabilité ou de ruine moins intense, choisissent dans Ieurs aliments : [p. 168] ils ne mangent que du pain sec par pénitence ou se privent de dessert.
Le persécuté au contraire examine soigneusement ses aliments, cherche ce qui lui paraît bon, rejette ce qui lui semble suspect ; quand par hasard il rencontre des aliments qu’il suppose indemnes de tout poison, il mange avec voracité. En général, le refus des aliments est partiel chez le persécuté.
J’arrive, pour terminer ce parallèle, à l’étude de la marche de la maladie. Le délire des persécutions est essentiellement rémittent ou, si l’on veut, continu avec paroxysmes ; la maladie débute en général de bonne heure, se développe d’une manière lente et progressive et dure toute la vie. Cette marche rémittente est déjà manifeste dans 1’hypochondrie du début ; elle l’est aussi dans le cas où le mal ne paraît pas évoluer au delà de cette forme ébauchée.
La maladie a une toute autre allure chez les négateurs : elle frappe brusquement, souvent vers la période moyenne de la vie, des personnes dont la santé morale avait paru jusque-là correcte ; quand elle guérit, la guérison est brusque, comme le début ; le voile se déchire et le malade se réveille comme d’un rêve.
Les formes les plus légères, il n’est pas besoin de le dire, sont aussi les plus curables. La mélancolie dite sans délire, l’hypochondrie morale, les états anxieux avec idées de ruine, guérissent habituellement. Mais la maladie est sujette à des retours, à des intervalles plus ou moins éloignés et prend le caractère des vésanies intermittentes. Ce caractère intermittent se manifeste quelquefois, même dans des cas incurables, par des [p. 169] réveils de courte durée et où il semble que le malade ait retrouvé sa lucidité tout entière.
J’ai vu une fois, dit Griesinger, chez une malade atteinte de mélancolie profonde (elle se figurait avoir complêtenrent perdu sa fortune et se croyait menacée de mourir de faim) un intervalle parfaitement lucide d’environ un quart d’heure, survenir sans motif appréciable et disparaître de même brusquement.
Dans les formes où prédomine d’emblée la stupeur, la guérison s’observe souvent malgré l’intensité du délire et son absurdité. Mais il n’est pas rare qu’après une agitation anxieuse intense et prolongée, avec hallucinations, délire panophobique, etc., les malades tombent dans une espèce de stupidité trop souvent confondue avec la démence et qui se prolonge indéfiniment. Ces malades présentent souvent la folie d’opposition au plus haut degré, ils sont muets, quelques-uns répètent seulement le mot « Non ».
Le pronostic est également fâcheux lorsqu’on voit diminuer l’intensité du trouble mélancolique général, tandis que les idées délirantes et les négations persistent au même degré. Les malades arrivent au délire négatif systématisé qui est rarement curable ; ils présentent eux aussi dans la plupart des cas la folie d’opposition, dont Guislain a signalé le fâcheux pronostic.
Par sa marche, par son début, par sa terminaison brusque, quand elle guérit, la folie des négations se rattache au groupe des vésanies d’accès ou intermittentes et à la folie circulaire. Si même on réserve le nom de délire des négations aux cas où ce délire est arrivé au degré que j’ai indiqué au cornmencement de ce travail, ou peut dire que le délire des négations est [p. 170] un état de chronicité spécial à certains mélancoliques intermittents dont la maladie est devenue continue.
Je veux seulement signaler un point qui me parait établir une différence entre les négateurs et d’autres, intermittents qui se rapprochent plutôt des circulaires. Lorsqu’on se renseigne sur les antécédents, le caractère des malades, on apprend souvent qu’ils ont toujours été un peu mélancoliques, taciturnes, scrupuleux, dévoués, charitables, toujours prêts à rendre service ; quelques-uns doués des qualités morales les plus distinguées. Leur état maladif, leur délire d’humilité ne contrastent pas d’une manière absolue avec leur manière d’être antérieure et n’en sont que l’exagération maladive. En un mot ces malades ne sont pas franchement alternants comme les circulaires et comme certains intermittents dont l’état considéré comme sain contraste absolument avec les accès mélancoliques.
Ce caractère des négateurs permet aussi de les séparer nettement de la plupart des héréditaires parmi lesquels ils forment une catégorie spéciale ; ils se distinguent, en effet, par un développement exagéré, s’il est permis de le dire, de ces mêmes qualités morales dont I’avortement chez les autres héréditaires, explique la vie désordonnée, le profond égoïsme, I’orgueil, le caractère, indisciplinable, les délits et les crimes.
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DU DÉLIRE DES NÉGATIONS
Par M. COTARD.
Si le délire des négations paraît se rattacher, dans bien des cas, aux vésanies intermittentes, je dois ajouter [p. 283] qu’il n’est pas rare de la voir se développer sur un fonds hystérique ; il n’est pas rare, non plus de le rencontrer comme symptôme de la périencéphalite difluse. Le délire des petitesses signalé dans cette maladie par le Dr Materne paraît fort voisin au délire des négations et peut coexister avec lui ; on en verra un exemple dans les observations qui suivent.
Je divise ces observations en trois catégories : dans la première je range les cas où le délire des négations se présente à l’état de simplicité : dans la seconde, un cas où il est symptomatique de paralysie générale ; dans la troisième, les cas où, associé au délire des persécutions, il constitue ces formes d’aliénation complexes qui nous expliquent comment presque tous les auteurs ont confondu dans la même description du délire mélancolique les idées de ruine, de culpabilité; de méfiance et de persécution.
Ces cas mixtes mériteraient une étude spéciale ; ils présentent, je crois, en outre des deux ordres de symptômes, quelques caractères particuliers. Les malades se croient plutôt possédés que damnés se figurent avoir des bêtes ou des diables dans le corps. Esquirol a rapporté des cas de ce genre au chapitre de la Démonomanie ; Fodéré distinguait du délire de culpabilité et de damnation ou damnomanie, la démonomanie ou possession démoniaque. Cette dernière forme me semble établir une sorte de transition entre le délire de culpabilité et le délire des persécutions.
Première catégorie
OBSERVATION I . — Mme E…, âgée de cinquante-quatre ans, mariée, mère de famille. est placée le 12 juin 1863 à la maison [p. 284] de santé de Vanves, après avoir fait plusieurs tentatives de suicide.
Mme E… est dans un état d’agitation anxieuse avec des idées de culpabilité et délire hypochondriaque ; elle s’imagine qu’elle a la gorge rétrécie et le cœur déplacé. Pendant les paroxysmes d’agitation, elle pousse des cris et se lamente à haute voix en répétant toujours les mêmes paroles : Tous ses organes sont déplacés, elle ne peut plus rien faire, elle est perdue, elle est damnée.
- — Même délire, mêmes paroxysmes anxieux avec répétition continuelle des mêmes phrases stéréotypées. Mme E… est perdue, elle na plus de tête, plus de corps ; elle est morte. Mme E… pousse des cris perçants, répète les mêmes mots avec rage et dit elle-même qu’elle est enragée ; elle s’accroche avec les mains, comme convulsivement, aux objets extérieurs, et une fois qu’elle les tient, elle ne veut plus les lâcher.
Mme E… voit des fantômes dans les murailles, elle résiste à ses besoins naturels, sous prétexte que ce serait sa mort d’y satisfaire, pousse des cris et se livre à des actes violents pour lutter contre la fatalité de sa situation à laquelle personne ne peut la soustraire ; les idées de suicide persistent toujours.
Le délire da négation s’accentue de plus en plus, Mme E… n’a ni bras ni jambes, toutes les parties de son corps sont métamorphosées ; elle répète que tout est perdu, qu’elle ne peut plus bouger sans s’exposer à tomber en morceaux et elle se raidit convulsivement dans la position assise où elle se trouve habituellement.
La folie d’opposition est à son comble, Mme E… refuse de manger parce qu’elle ne peut avaler, de marcher, parce qu’elle n’a pas de jambes ; elle ne veut ni se lever, ni se coucher, ni s’habiller, ni manger, ni marcher, ni aller à la garde-robe ; elle se raidit comme une barre de fer pour résister à tous les actes qn’on veut lui faire accomplir, elle pousse des cris dès qu’on veut la toucher et prétend qu’on va la briser comme du verre.
Les années se passent sans apporter aucune modification à ce délire. Mme E… en est arrivée à un état de démence avec grognements, cris inarticulés, et paroxysmes d’agitation ; elle conserve toujours la même raideur musculaire et oppose la même résistance à tout ce qu’on veut lui faire faire.
Mme E… a une chute de la matrice et du rectum qu’il est impossible de maintenir à cause des violents efforts d’expulsion qu’elle fait dès qu’on a procédé à la réduction.
Elle succombe en 1878 dans un état de cachexie générale [p. 285]
OBSERVATION II . — Mme E… âgée, de soixante-trois ans, placée à Vanves en mai 1868, est dans un état de grande agitation anxieuse ; elle s’imagine qu’elle n’a plus rien, qu’elle à ruiné sa famille et qu’on va la mettre en prison. Mme E… est constamment en mouvement, ne peut tenir en place ; elle ne cesse de gémir en répétant qu’elle est perdue, ruinée, qu’elle est cause que ses enfants vont mourir de faim.
Elle refuse les aliments sous prétexte qu’elle ne peut les payer ; elle se croit atteinte d’une maladie contagieuse et imagine qu’elle répand une odeur infecte ; elle ne veut se laisser approcher de personne et croit que son contact est mortel : elle s’imagine aussi qu’il y a du poison et des saletés dans ses aliments. Mme E… dit qu’elle ne peut ni manger ni marcher, qu’elle est absolument incurable ; elle résiste à tous les soins qu’il faut prendre de sa personne, il faut lutter pour I’habiller, pour la lever, pour la faire promener, pour la nourrir. Mme E… reste habituellement blottie dans un coin, tantôt muette, tantôt poussant un gémissement monotone et répétant qu’elle est un monstre.
Par humilité, Mma E… ne consent à manger qu’à la table des domestiques.
Elle meurt en 1876 sans que le délire ait subi la moindre modification.
OBSERVATION III . — Mme S… , âgée de cinquante-trois ans, a déjà eu un accès de mélancolie à forme dépressive et qui n’a pas nécessité son placement. Elle est reprise de délire mélancolique et est amenée à Vanves, à la fin de l’année 1876.
Mme S.. ~ est dans un état d’agitation anxieuse extrême ; e!lle se croit coupable et perdue ; on va la conduire en prison et elle cherche par tous les moyens possibles à faire des tentatives de suicide. Mme S… entend des voix qui lui disent qu‘elle est coupable, qu’elle va être condamnée et conduite en prison ; elle croit entendre la voix de son mari et de sa fille qui sont en prison à cause d’elle ; elle se lamente sans cesse et refuse les aliments.
- Mme S… est toujours dominée par les mêmes idées mélancoliques ; elle reste le plus souvent muette et immobile et ne répond pas quand on lui adresse la parole ; par moments elle exprime des conceptions négatives tout à fait absurdes. Mme S… prétend que personne ne meurt plus, que personne [p. 286] ne se marie plus, que personne ne naît plus. Il n’y a plus de médecins, il ni y a plus de préfets, il n’y a plus de notaires, il n’y a plus de tribunaux ; autrefois Mme S… priait, mais aujourd’hui c’est inutile, puisque Dieu n’existe pas. Mme S… résiste a tous les soins qu’il faut prendre de sa personne, elle est toujours disposée à refuser les aliments et prétend qu’il y a de la chaux, de la potasse dans tout ce qu’on lui présente.
Mme S… passe toutes ses journées dans le mutisme et I’immobilité. Actuellement (mai 1882) son état reste absolument stationnaire.
OBSERVATION IV. — Mme M…, âgée de cinquante et un ans, mariée, mère de famille, paraît avoir toujours été bien portante jusqu’à l’année 1878. Elle fut alors prise d’un accès anxieux avec terreurs ; Mme M…, voyait du feu, des incendies, se croyait ruinée et s’imaginait qu’on allait la torturer. Au bout, de deux mois, elle guérit subitement ; mais après quelques semaines elle fut reprise des mêmes accidents et amenée à Vanves dans un état d’agitation anxieuse intense avec gémissements et terreurs continuelles relatives surtout au feu et aux incendies.
Mme M… s’imagine qu’elle est ruinée, qu’on va la torturer que ses aliments sont empoisonnés, qu’elle est ensorcelèe. Elle paraît avoir des hallucinations de l’ouïe et de la vue, prétend qu’il se passe toutes les nuits des choses effroyables dans sa chambre, qu’il y vient des personnages qu’elle ne connait pas. Mme M… ne veut pas reconnaître son mari ni ses enfants qui viennent la visiter ; elle prétend qu’elle n’a jamais été mariée, qu’elle n’a ni père, ni mère, ni mari, ni enfants. A.. , sa ville natale n’existe plus, Paris n’existe plus, rien n’existe plus, sa fille est un diable déguisé. Mme M… ne se laisse approcher de personne, se recule avec terreur dès qu’on veut la toucher ou lui prendre la main et répète incessamment : « Ne me faites pas de mal ». Elle nie tout et résiste à tout, il faut lutter pour l’habiller, la déshabiller, la nourrir, etc., et Mme M… déploie une force de résistance étonnante.
Au mois d’août 1881, Mme M… est frappée subitement d’hémiplégie gauche ; le délire n’est nullement modifié. Le membre inférieur reprend incomplètement ses fonctions, mais le membre supérieur se contracture. Mme M… répète constamment les mêmes négations, dit à tout instant : « Ne me faites pas de mal » et résiste opiniâtrement à tout ce qu’on veut lui faire faire. [p. 287]
Actuellement (mai 1882) la situation reste la même à tous égards.
OBSERVATION V . — Mme J…, âgée de cinquante-huit ans, placée à Vanves au mois d’août 1879, est dans un état de mélancolie anxieuse qui date déjà de plusieurs mois.
Mme J… s’imagine qu’on val lui couper les nerfs, la rendre sourde, muette et aveugle et lui faire subir toutes sortes de tortures ; elle passe des journées entières à gémir et à implorer la Vierge et les saints.
Paroxysmes d’agitation très intenses avec tentatives de suicide. Mme J… refuse les aliments, elle est perdue, damnée ; elle est bourrée de pétrole », on va lui faire subir les plus affreux supplices et cependant elle ne pourra jamais mourir.
Fréquents paroxysmes pendant lesquels Mme J… se roule par terre et fait toutes sortes de grimaces et de contorsions. Mme J… répète constamment les mêmes phrases, souvent tout à fait absurdes et inintelligibles, mais se rapportant à des idées de transformation et d’anéantissement de sa personne et de tout ce qui l’entoure. Mme J… répète : « Il n’y a plus rien, rien n’existe plus, tout est en fer, etc. » ; elle est elle-même transformée, elle est un petit poulet, une mouche, elle est en chiffon de laine qui parle, elle n’est plus rien, elle ne mange jamais, elle n’a plus de corps ; les personnes qui I’entourent ne sont que des ombres.
Mme J… résiste à tout, retient ses matières fécales et ses urines, il faut lutter pour l’habiller, pour la déshabiller, etc., et dans ces luttes Mme J… déploie une énergie et une vigueur musculaire incroyables. Actuellement (mai 1982), la situation de Mme J… est toujours la même, son délire ne s’est nullement modifié.
OBSERVATION VI. — Mme C…, âgée de quarante-trois ans, mariée, mère de famille, est entrée à la maison de santé de Vanves en novembre 1880. En 1875, à la suite de la mort subite de son père et de l’opération du strabisme faite à son fils, cette dame avait déjà été atteinte d’un léger accès anxieux avec insomnie et bâillements continuels, obsédée par la crainte que son père n’ait été enterré vivant et que son fils ne devint aveugle par suite de l’opération du strabisme.
Cet état anxieux se dissipa au bout d’un mois. A la fin de mars 1880, nouvel accès, début assez rapide, préoccupations [p. 288] relatives à des questions d’argent, perplexité et indécision continuelles, insomnie. Mme C…. s’accuse et se croit coupable. Au bout de quelques mois, délire hypochondriaque .
Mme C .. croit qu’elle n’a plus d’estomac, que ses organes sont détruits et elle attribue cette destruction à un vomitif qui lui a été en effet administré.
A son arrivée à la maison de santé, Mme C… est dans un état de mélancolie anxieuse avec paroxysmes d’agitation maniaque pendant lesquels Mme C… fait des contorsions, des grimaces, se roule par terre et pousse des gémissements. Ces paroxysmes alternent avec des périodes d’immobilité et de mutisme. Mme C… prétend qu’elle a le gosier retiré, qu’elle n’a plus d’estomac, qu’elle n’a plus de sang ; elle ne mourra jamais, elle n’est ni morte ni vivante, elle est une personne surnaturelle, sa place n’est ni parmi les vivants, ni parmi les morts ; elle n’est plus rien, elle supplie qu’on lui ouvre les veines, qu’on lui coupe les bras et les jambes, qu’on lui ouvre le corps pour s’assurer qu’elle n’a plus de sang et que ses organes n’existent plus.
Cette malade a quitté la maison de santé après deux mois de séjour et est sortie non guérie ; j’ignore ce qu’elle est devenue.
OBSERVATION VIII. — M. A…, âgé de cinquante-trois ans, placé en juillet 1877, à la maison de santé de Vanves, a été frappé de mélancolie après avoir éprouvé de grandes douleurs morales ; il a perdu presque en même temps sa femme et un fils.
- A… s’accuse d’avoir causé la mort de sa femme et de son fils, il est pourri, il a ln syphilis, il est perdu, il est damné, il est le plus grand criminel qui ait jamais existé, il est l’Antéchrist, il doit être brûlé eu place publique ; M. A…. est plongé dans une profonde tristesse, il pleure et gémit ; il voudrait être mort et fait des tentatives de suicide.
1880/ M. A… exprime toujours les mêmes idées mélancoliques de culpabilité, il est l’homme damné destiné à brûler éternellement. M. A… dit que tout son corps est pourri, qu’il n’a pas de sang, qu’il n’a pas de pouls, que son cœur ne bat plus, que sa tête est vide, qu’il n’a pas figure humaine. Il attend la fin du monde, qui est proche.
Actuellement, en mai 1882, la situation est toujours la même le délire n’est nullement modifié. [p. 289]
OBSERVATION VIII. — M. A…, âgé de quarante-huit tins, placé à la maison de santé de Vanves au mois de mars 1879, à la suite d’une tentative de suicide, est dans un état d’agitation anxieuse intense. Il cherche par tous les moyens, à se frapper, à se mutiler, à se crever les yeux, à se donner la mort ; il ne veut ni manger, ni prendre de médicaments, ni recevoir aucune espèce de soins, parce qu’il se considère, comme indigne. Il ne pense qu’a expier ses crimes imaginaires ; c’est pour cela qu’il veut sr frapper et se tuer ; il dit qu’iI est tomber dans un abîme d’infamie et qu’il s’y enfonce chaque jour davantage ; il supplie qu’on lui donne une corde pour se pendre ou une forte dose de poison.
- A… ne paraît pas avoir d’hallucinations auditives, mais il a de nombreuses illusions de la vue, il donne sens mystérieux aux formes des objets extérieurs, il croit voir des figures d’animaux dans les formes des arbres, etc.
- M. A… s’imagine qu’on va le torturer, le plonger dans l’eau glacée, le nourrir d’ordures et d’excréments, il supplie qu’on en finisse en lui donnant de l’acide prussique. Son cerveau est ramolli, sa tête est comme une noisette creuse, il n’a pas de sexe, pas de testicules, il n’a plus rien, il n’est lui-même qu’une « charogne » et demande qu’on creuse un trou pour l’enterrer comme un chien ; Il n’a pas d’âme ; Dieu n’existe pas ; par moments M. A… dit qu’il n’a ni famille ni enfants ; dans d’autres instants, il demande à les voir et à retourner auprès d’eux. M. A… répète constamment les mêmes phrases et les mêmes supplications : « Tuez-moi, tuez-moi ; ne me donnez pas de bain froid, ne me donnez pas de bain froid », etc., qu’il redit pendant des heures entières. Il cherche par tons les moyens possibles à se tuer et à se mutiler ; il veut se crever les yeux, s’arracher les testicules, etc. ll se montre également violent et injurieux envers les personnes qui l’entourent. Par moments, M. A… peut parler avec lucidité ; il raconte volontiers différents événements de sa vie passée.
En mai 1882, la situation est toujours la même, M. A… répète incessamment qu’il est indigne , ignoble, il veut se faire cireur de bottes, il n’a pas de testicules. il faut le tuer. [p. 290]
Deuxième catégorie.
OBSERVATION IX. — M. C…, ‘âgé de quarante-cinq ans, de constitution robuste, marié, père de famille, ayant toujours mené une existence régulière et laborieuse, n’a fait d’autres excès, dit-on, que des excès de travail. Il restait chaque jour à son bureau jusqu’à deux heures du matin et était levé à sept heures. .
Depuis plusieurs années il souffrait de migraines violentes avec vomissements. En 1819, il se plaignit de troubles de la vue, de brouillards devant les yeux ; il alla consulter un oculiste, qui, après avoir examiné le fond de l’œil, aurait demandé à M. G… de se tenir en équilibre sur un pied, ce qui fut impossible.
Vers cette époque M. C…. commença à faire des chutes fréquentes ; souvent il rentrait chez lui en disant à sa femme qu’il avait failli se tuer, qu’il était tombé et qu’on l’avait aidé à se relever. En même temps son caractère commença à s’altérer, il devint sombre, irritable, et parut s’absorber dans une profonde tristesse. Il exprimait de funèbres pressentiments, donnait des conseils à sa femme et lui faisait de minutieuses recommandations au sujet de leurs enfants, comme s’il s’était senti menacé d’une mort prochaine.
Au commencement de décembre 1879 il fit une nouvelle chute dans la rue, rentra chez lui glacé et fut pris d’un tremblement intense avec claquements des dents. Le médecin appelé ne constata, dit-on, aucun mouvement fébrile à la suite de ce frisson. Des frissonnements analogues se seraient reproduits irrégulièrement tous les jours pendant cinq ou six heures. M. C… reste constamment au lit, couvert d’énormes couvertures, et, dès qu’on le découvrait un peu, il était repris de tremblements avec claquement de dents ; le sommeil avait complètement disparu.
Après quelques semaines, M. C… quitta le lit, mais il lui fut impossible de reprendre ses occupations. Il restait constamment dans son bureau, muet, inoccupé, immobile, ne recevant personne et renvoyant brusquement sa femme quand elle venait le voir. Par moments, il répétait : « Je suis un crétin », disait à sa femme : « Tu ne veux donc pas me rendre ma vie d’autrefois ? » ou encore « Je devrais me tirer un coup de pistolet. Je demanderais bien à Dieu de me faire mourir, mais Dieu [p. 291] n’existe pas ». Une nuit il répéta pendant des heures entières une même série de syllabes incompréhensibles.
Vers le mois de mars 1880, il commença à exprimer des idées négatives tout à fait absurdes, il disait qu’il n’y avait plus de nuit et refusait de se coucher ; il passait des nuits entières dans son bureau et répondait à sa femme qu’il ne pouvait se coucher puisqu’il faisait encore jour. Il disait qu’il ne mangeait plus, et quelque abondants que fussent les repas, il se mettait en fureur en disant qu’il n’y avait rien sur la table.
Placé à Vanves au mois d’avril 1880, on constate chez M. C… un trouble mental profond. M. C… ne se rend compte ni de l’endroit où il se trouve, ni du temps qui s’est écoulé depuis qu’il a quitté son domicile.
Il est ordinairement calme, silencieux ; par moments il prétend que les gens qui l’entourent sont des assassins qui vont l’égorger et il est pris de paroxysmes anxieux pendant lesquels il répète continuellement les mêmes mots d’une voix lamentable. M. C… déclare qu’il ne sait ni ou il est, ni qui il est ; il assure qu’il n’est pas marié, qu’il n’a pas d’enfants, qu’il n’a ni père, ni mère, qu’il n’a pas de nom. Il prétend qu’il ne mange jamais et cependant il mange énormément. Il est dans un désert où il n’y a personne, et dont on ne peut sortir, car il n’y a plus de voitures ni de chevaux. Si on lui montre un cheval, il dit : « Ce n’est puas un cheval, ce n’est rien du tout. » M. C… résiste à tous les soins qu’il faut prendre de sa personne ; il refuse de se laisser mettre ses habits parce que, tout son corps n’est pas plus gras qu’une noisette ; il refuse de manger, parce qu’il n’a pas de bouche, de marcher, parce qu’il n’a pas de jambes. M. C… tire ses oreilles et dit qu’il n’a pas d’oreilles, il tire son nez et dit qu’il n’a pas de nez. Souvent M. C… dit qu’il est mort, mais pendant des paroxysmes anxieux, M. C… dit qu’il est à moitié mort et qu’il ne pourra jamais achever de mourir ; il prend son bras, sa jambe son mollet en disant : « Cela ne se décrochera jamais ».
Par moments, M. C… parait avoir des hallucinations de la vue ; il voit des personnages, des femmes vêtues de blanc, descendre du plafond de sa chambre ; d’autres fois il voit des petits cavaliers hauts de quelques centimètres traverser sa chambre par régiments.
Embarras de la parole, incertitude de la démarche, inégalité pupillaire. [p. 292]
Ces symptômes de paralysie générale deviennent de plus en plus marqués pendant le cours de l’année 1881. Il s’y joint des idées de grandeur que le malade reporte dans le passé.
- C… raconte qu’autrefois, il était immensément riche qu’il était le premier avocat de Paris, qu’il était membre de l’Académie française, président de la République ; aujourd’hui il n’est plus qu’un petit crétin et du reste il va mourir.
En mai 1882, M. C… en est réduit à un état de démence paralytique ; il peut à peine marcher, la parole est presque inintelligible.
Troisième catégorie.
OBSERVATION X. — Mme G…, âgée de quarante-deux ans, mariée, mère de famille, a eu il ya plusieurs années de violentes attaques d’hystérie.
Placée une première fois à Vanves, à la fin da l’année 1875, elle est à cette époque atteinte de délire mélancolique avec idées de culpabilité, idées mystiques et paroxysmes d’agitation furieuse. Mme G… se croit possédée du diable, damnée ; elle croit qu’elle est enceinte du fait de sa bonne, qu’elle prend pour un homme déguisé.
Mme G… se figure qu’elle doit être transformée en une bête immonde, en scorpion et dans ses paroxysmes, elle se met à plat-ventre, se livre à toutes sortes de contorsions pour imiter les mouvements du scorpion. Mme G… refuse les aliments, se livre à toutes sortes d’actes désordonnés et de violences envers elle-même et les personnes qui l’entourent ; elle entend le diable qui lui parle et elle doit lui obéir.
Dans le courant de l’année 1876, il se produit une amélioration très notable. Mme G… est calme, s’occupe à des travaux d’aiguille, cause volontiers ; mais elle est toujours dominée par des idées de culpabilité, sa croit adultère, indigne de retourner près de son mari et de ses enfants, et veut faire une confession publique de ses péchés. Elle sort dans cet état de rémission à la fin de l’année 1876.
L’année suivante on est obligé de replacer Mme G… qui veut absolument faire une confession publique de ses péchés et de ses crimes, dans les rues et dans les églises ; Mme G… se considère toujours comme coupable, indigne ; elle désire se placer comme domestique et gagner sa vie, car elle ne mérite pas [p. 293] qu’on dépense de l’argent pour elle ; mais de nouvelles idées délirantes viennent compliquer ce délire de culpabilité.
Mme G… se croit magnétisée, s’imagine qu’on peut lire dans ses pensées et que ses pensées peuvent être la cause des plus grands malheurs ; elle attribue à sa bonne un pouvoir surnaturel ; cette fille, au moyen de procédés magiques et de maléfices, fera enter son fils dans la maison de santé où il subira des tortures et des mutilations génitales. Mme G…quitte une seconde fois la maison de santé en juin1879 et est replacée en aout 1880 ; elle s’imagine qu’elle est persécutée par des gens qui ont le pouvoir de lire dans la pensée et qu’elle appelle des carigrafiers ; ces gens sont acharnés contre elle et contre ses enfants, et ne cessent de répéter les plus affreuses calomnies. Ils vont jusqu’à lui faire dire, à elle, des sottises qui sont ensuite répétées dans tout Paris et dans le monde entier, et qui peuvent faire le plus grand mal à sa famille
En même temps qu’elle accuse ses persécuteurs et les personnes qui l’entourent, Mme G… s’accuse elle-même : elle est un monstre, elle est damnée ; elle a trois perce-oreilles dans le corps et finira par être changée en scorpion ; elle n’a déjà plus rien d’humain et est comme une bête immonde. Mme G… voudrait être morte, elle gémit et fait des tentatives de suicide, mais il est trop tard ; maintenant elle est immortelle, ou pourrait la hacher en petits morceaux sans la faire mourir.
En mai 1882, la situation est toujours la même ; cependant les idées de persécution paraissent prédominer de plus en plus, Mme G … accuse les domestiques qui clabaudent et calomnient continuellement ; elle est damnée, il est vrai, mais ce sont les médecins qui en sont cause.
OBSERVATION XI. — Mme H…, âgée de cinquante et un ans, est placée au mois d’août 1880.
Il y a quinze ans environ, à la suite d’une dysenterie grave, Mme H… a éprouvé une sensation de craquement dans le dos, « son dos s’est décroché ». Depuis cette époque, à quatre ou cinq reprises au moins, Mme H… a gardé le lit pendant neuf à dix mois, une fois plus d’un an. Mme H… prétendait qu’elle ne pouvait se lever, que son dos descendait dans son ventre. Vers le commencement de l’année 1880, Mme H… a commencé à se plaindre que tout le monda lui en voulait, et ces idées de persécution se concentrèrent sur la personne de son gendre ; elle [p. 294] répétait pendant des heures entières : « Pourquoi ma fille a-t-elle donc épousé X… ? » Placée à Vanves au mois d’août 1880, Mme H… raconte qu’on lui a jeté un sort ; elle est damnée, elle a des animaux dans le ventre, des singes, des chiens, etc. ; elle entend des voix qui le poussent malgré elle à des actes violents ; elle demande la mort, et cependant elle sait qu’elle ne pourra jamais mourir. Au mois de septembre de la même année, Mme G… quitte la maison de santé dans le même état d’aliénation chronique, pour être transférée dans un autre asile.
J’aurais pu, en outre de ces quelques cas citer, de seconde main, un assez grand nombre d’observations éparses çà et là et dans lesquelles le délire de négation est signalé, au moins dans sa forme hypochondriaque.
Je me borde à donner les indications bibliographiques suivantes :
ESQUIROL. Démonomanie.
FODÉRÉ. Traité du délire, t. I, p. 345.
LEURET. Fragments psychologiques, p. 121, 407 et suiv. — Traitement moral, p. 274, 281.
MOREL. Études cliniques, t. Il, p. 37 et 118.
MACARIO. Annales médico-psychologiques, t. I.
BAILLARGER. De l’état désigné sous le nom de stupidité, 1843. — La théorie de l’automatisme (Annales médico-psychologiques,1856). — Note sur le délire hypochondriaque (Académie ses Sciences,1860).
ARCHAMBALT. Annales médico-psychologiques, 1852, t. IV, p. 146.
PETlT. Archivés cliniques, p. 59.
MICHÉA. Du délire hypochondriaque (Annales médico-psychologiques.), 1864.
MATERNE. Th. de Paris, 1869.
KRAFFT-EBING. Lehrbuch der Psychiatre, obs. II et VII.
COTARD. Du délire hypochondriaque dans une forme grave de la mélancolie anxieuse (Annales médico-psychologiques 1880)
Je termine ce travail par un tableau synoptique résumant le parallèle entre le délire des négations et le délire des persécutions.
Hey, that’s the gresaett! So with ll this brain power AWHFY?